Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] La demanderesse a déclaré qu’elle était invalide en raison d’arthrose, de douleur persistante au dos, de sciatique, de dépression et d’anxiété. La demanderesse a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada. L’intimé a rejeté sa demande au stade initial ainsi qu’après révision. La demanderesse a interjeté appel de la décision en révision devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. L’appel a été transféré à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale en application de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable. Le 14 août 2015, la division générale a rejeté l’appel sur la foi du dossier écrit.

[2] La demanderesse a présenté une demande de permission d’en appeler de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal. La demanderesse a affirmé que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle en rendant sa décision sans tenir d’audience orale et que la division générale a commis une erreur de droit en n’ayant pas considéré l’état de la demanderesse dans son entièreté.

[3] L’intimé n’a pas déposé d’observations en ce qui concerne la demande de permission d’en appeler.

Analyse

[4] Pour qu’une permission d’en appeler soit accordée, il faut que la demanderesse soulève un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] ACF No 1252 (CF). Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a statué que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si le défendeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, et Fancy c. Canada (Procureur général),2010 CAF 63.

[5] C’est la Loi sur le Ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi) qui régit le fonctionnement du Tribunal. L’article 58 de cette loi énonce les seuls moyens d’appel qui peuvent être pris en considération pour que la permission d’en appeler d’une décision de la division générale puisse être accordée (cette disposition est reproduite en annexe de la présente décision). Il me faut donc déterminer si la demanderesse a invoqué un moyen d’appel prévu à l’article 58 de la Loi qui confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[6] La demanderesse a d’abord fait valoir que de rendre une décision sans tenir d’audience orale constituait un manquement à la justice naturelle commis par la division générale. Elle a correctement énoncé que le choix du mode d’audience pour une demande de pension d’invalidité constitue un pouvoir discrétionnaire. L’article 21 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement) stipule que l’audience peut être tenue au moyen de questions et réponses écrites, par téléconférence, par vidéoconférence ou tout autre moyen de télécommunication ou par comparution en personne des parties. Toutefois, la demanderesse a soutenu que ce pouvoir est contraint par les principes d’équité procédurale et de justice naturelle.

[7] La Cour suprême du Canada a abordé la question dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 RCS 817. La Cour a clairement énoncé qu’une décision qui touche les droits, privilèges ou biens d’une personne suffit pour entraîner l’application de l’obligation d’équité. La notion d’équité procédurale est toutefois variable et son contenu est tributaire du contexte de chaque cas. Dans cet arrêt, on y énumère un certain nombre de facteurs dont il faut tenir compte pour décider de la nature de l’obligation d’équité qui s’applique dans un cas particulier, notamment, la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir, la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme, l’importance de la décision pour la personne visée, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision et les choix de procédures faits par l’organisme lui-même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures.

[8] Si j’applique ces facteurs à la situation en l’espèce, j’en viens aux conclusions qui suivent. Premièrement, il est évident que la décision de la division générale sur le fond de l’appel qui lui est soumis a une incidence sur les privilèges de la demanderesse. Une décision sur le mode d’audience détermine ces privilèges et, par extension, se répercute sur eux. La demanderesse fait valoir que le Tribunal est un organisme juridictionnel qui rend des décisions dans le cadre d’un processus accusatoire où la demande pour une audience orale est requise. Les principes de justice naturelle servent cependant à garantir aux parties l’opportunité de pleinement présenter leur cas au Tribunal et de contredire la preuve présentée contre elles. Selon le cas, il est possible d’utiliser un mode écrit ou oral.

[9] Ensuite, la décision en question pour la situation en l’espèce est de nature procédurale. Le mode d’audience ne modifie pas le fait que la demanderesse a la possibilité de présenter sa position et de répondre à la position de l’intimé.

[10] Je reconnais que les points en litige sont importants pour la demanderesse.

[11] J’accorde une grande importance à la nature du régime législatif qui régit le Tribunal de la sécurité sociale. Le Tribunal a été implanté pour régler des différends de manière expéditive et de manière économique. Le pouvoir discrétionnaire de détermination du mode d’audience, que ce soit en personne, par vidéoconférence, par écrit, etc., est conféré au Tribunal par les lois et règlements du Parlement. Il ne faut pas restreindre indûment le pouvoir discrétionnaire du choix du mode d’audience de chaque cas.

[12] Dans bon nombre de décisions, les tribunaux se sont penchés sur le concept des attentes légitimes. Il est évident, à la lumière de ces décisions, que ce concept renvoie aux attentes procédurales et non aux attentes sur le fond. En d’autres mots, sous une demande devant le Tribunal de la sécurité sociale, une partie peut s’attendre à obtenir certaines garanties procédurales, mais non un résultat précis pour sa cause (voir Baker, cité précédemment). De même, en l’espèce, je conclus que les attentes légitimes de la demanderesse ne s’appliquent pas au droit à une audience par comparution en personne; ce n’est pas prévu dans la Loi qui régit le Tribunal, pas plus que dans le Règlement.

[13] Enfin, je me dois de considérer les choix de procédures faits par le Tribunal. La demanderesse a fait valoir qu’il y a un risque que les cas soient décidés sur la base de dossiers écrits, même s’il s’agit de cas où une audience orale est nécessaire, en raison de recherche de rendement, d’un grand nombre de cas et de ressources disponibles limitées. Je suis en accord avec la proposition de la demanderesse : le rendement ne devrait pas être priorisé par rapport au principe de justice naturelle. Toutefois, en l’espèce, la demanderesse n’a pas relevé d’élément prouvant que le choix du mode d’audience a été fait sur la base du rendement et ainsi, qu’il va à l’encontre du principe de justice naturelle.

[14] La demanderesse a mentionné que les éléments qui suivent devraient aussi être considérés dans ce cas. La crédibilité de la demanderesse était essentielle pour une évaluation adéquate de ce cas. Elle a soutenu que dans ce cas, la division générale avait admis que les éléments de preuve médicale étaient « épars ». Donc, son témoignage aurait constitué une grande partie des éléments de preuve pertinents directs. Elle a affirmé que d’évaluer sa crédibilité était important dans ce cas, ce qui n’aurait pu être fait que par audience orale. La division générale, dans ses raisons pour ne pas avoir tenu d’audience orale, a mentionné que la crédibilité n’était pas un problème dans ce cas. Aucune explication n’a été inscrite pour expliquer cette conclusion. Mais, il n’est pas requis de mentionner chaque élément de preuve et chaque argument présentés et d’expliquer toute conclusion de fait dans la décision écrite (voir Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82).

[15] Bien qu’il se peut que les éléments de preuve médicale aient été limités, la division générale disposait de documents de preuve relativement aux capacités fonctionnelles limitées de la demanderesse, lesquels provenaient de la demande de pension d’invalidité qu’elle avait remplie et des rapports médicaux qui ont été fournis à l’appui de la demande. La division générale a considéré ces éléments de preuve pour rendre sa décision. Un moyen d’appel n’est pas révélé parce que la demanderesse n’était pas en accord avec la façon dont la preuve a été pesée.

[16] La demanderesse souligne d’ailleurs que la division générale, en accordant une plus grande importance aux rapports médicaux remplis par des spécialistes qu’à ceux du médecin de famille, a montré que les éléments de preuve du médecin de famille n’étaient pas crédibles et ont été rejetés. La division générale n’a pas tiré de conclusion relative à la crédibilité du médecin de famille. Il est du ressort de la division générale de juger les faits, de recevoir et de peser les éléments de preuve. Il n’est pas du ressort de la division d’appel dans sa décision d’accorder ou de rejeter la demande de permission d’en appeler de soupeser à nouveau les éléments de preuve pour en arriver à une conclusion différente (voir Simpson).

[17] De plus, puisqu’une audience orale n’a pas été tenue, la demanderesse avance que la division générale l’a privée de l’occasion de bien présenter son cas. Elle soutient qu’une audience orale lui aurait permis de décrire clairement les impacts qu’a son invalidité sur ses capacités fonctionnelles, et que la division générale aurait possiblement accepté les éléments de preuve du médecin de famille. La demanderesse n’a pas expliqué quelle partie de sa demande elle n’a pas pu présenter parce que l’affaire a été tranchée sur la foi du dossier écrit.

[18] La demanderesse a aussi fait valoir que la nature de son invalidité exigeait la tenue d’une audience orale. L’une de ses principales affections incapacitantes relève de la maladie mentale. La demanderesse a affirmé, et je l’accepte, qu’il s’agit d’un état difficile à évaluer de manière objective. La demanderesse s’est basée sur une décision de la Commission d’appel des pensions qui concluait que le témoignage subjectif d’un prestataire en ce qui concerne son état et sa capacité à détenir un emploi véritablement rémunérateur sont d’importants facteurs à considérer. D’après cette conclusion, la demanderesse a fait valoir qu’une audience orale aurait dû être tenue pour qu’elle puisse partager son témoignage subjectif, et que les conclusions de fait soient fondées sur cette preuve. La demanderesse n’a pas mentionné quelle preuve elle aurait présentée que la division générale ne détenait pas et n’aurait pas déjà considérée.

[19] Pour clore ce point, la demanderesse a précisé que des barrières de langue et de littératie faisaient en sorte qu’il était difficile pour elle de participer à une audience qui est seulement tenue par écrit. Elle a soutenu que la division générale n’a pas tenu compte du fait qu’elle provient de la Pologne et qu’elle a immigré au Canada, que l’anglais n’est pas sa langue maternelle et qu’elle a reçu une éducation en Pologne jusqu’en quatrième année. Ces éléments auraient dû être considérés par la division générale, et il aurait pu être décidé que de tenir une audience écrite seulement n’était pas approprié pour ce cas. La division générale a noté le niveau de scolarité de la demanderesse dans sa décision sur le fond. Aucune barrière de langue ou de littératie pouvant empêcher la communication n’a été prise en considération. Ces facteurs auraient pu être significatifs, et cet argument révèle une erreur qui aurait pu être commise par la division générale dans son choix du mode d’audience pour ce cas.

[20] Après considération des facteurs susmentionnés, en l’espèce, je suis convaincue que la division générale n’a possiblement pas observé tous les principes de justice naturelle en se basant sur la foi du dossier écrit comme choix du mode d’audience. La permission d’en appeler est donc accordée.

[21] Aussi, la demanderesse a indiqué que la permission d’en appeler devrait être accordée parce que la division générale a étudié ses troubles médicaux individuellement et non pas en totalité. Elle a avancé que si les troubles avaient été étudiés en tant qu’ensemble, sa demande lui aurait été consentie. La division générale a fait la synthèse des éléments de preuve pour chaque trouble médical de la demanderesse et de ses capacités fonctionnelles. Cependant, la façon dont ces éléments ont été évalués n’est pas précisée dans la décision ni pourquoi la conclusion indique qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour confirmer que la demanderesse était invalide sous le Régime de pensions du Canada. Ce moyen d’appel pourrait aussi avoir une chance raisonnable de succès en appel.

[22] La demanderesse a affirmé que la division générale a commis une erreur de droit en concluant que même si elle était limitée par son manque d’éducation, elle avait été capable de travailler avec ces contraintes. Comme la division générale n’a pas considéré l’impact de ces contraintes compte tenu de son invalidité, elle a commis une erreur de droit. Une fois de plus, analyse et explication sur la façon dont les éléments de preuve ont été évalués pour rendre cette décision sont peu étayées dans la décision. Ce moyen d’appel pourrait aussi avoir une chance raisonnable de succès en appel.

[23] Finalement, la demanderesse a suggéré que les éléments de preuve remis par le médecin de famille faisaient l’analyse globale de ses troubles, et que la division générale aurait dû se baser sur cette analyse pour rendre sa décision. Suivant le dernier argument, la demanderesse demande à ce tribunal de réévaluer et de soupeser à nouveau les éléments de preuve qui ont été présentés à la division générale, ce qui relève du juge des faits. Lorsqu’il est appelé à rendre une décision relativement à une demande de permission d’en appeler, le tribunal ne doit pas substituer son appréciation du caractère persuasif de la preuve à celle du tribunal qui a tiré les conclusions de fait (Simpson). Ce moyen d’appel ne pourrait pas avoir une chance raisonnable de succès en appel.

Conclusion

[24] La permission d’en appeler est accordée puisque la demanderesse a présenté des moyens d’appel prévus à l’article 58 de la Loi qui présenteraient une chance raisonnable de succès en appel.

[25] La présente décision sur la demande de permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

58. (2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

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