Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] La demanderesse souhaite appeler de la décision rendue par la division générale le 25 mars 2015. Après avoir tenu une audience par comparution en personne, la division générale a établi que la demanderesse était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en juillet 2001, époque où elle est tombée malade. La demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada ayant été reçue le 3 mai 2010, la division générale a aussi déterminé que la demanderesse était réputée être devenue invalide en février 2009 et que le versement d’une pension d’invalidité devait par conséquent débuter en juin 2009. Le représentant actuel de la demanderesse, à savoir l’époux de celle‑ci, a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel le 23 novembre 2015, soit des mois après le délai prévu pour la présentation d’une demande de permission d’en appeler. Le représentant allègue que la division générale a commis une erreur en ce qu’elle aurait dû établir que la période d’incapacité de la demanderesse a commencé en juillet 2001. Pour accueillir la demande, je dois être convaincue qu’un motif raisonnable justifie la prorogation du délai prévu pour la présentation d’une demande et que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Questions en litige

[2] Je dois trancher les questions en litige suivantes :

  1. i. Dois-je exercer mon pouvoir discrétionnaire afin de proroger le délai prévu pour la présentation de la demande de permission d’en appeler?
  2. ii, L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Observations

[3] Le représentant de la demanderesse soutient que des raisons valables expliquent le retard à présenter la demande de permission d’en appeler.

[4] La division générale a conclu que la demanderesse souffre de problèmes de santé graves depuis 2001, soit deux ans avant la date où a pris fin sa période minimale d’admissibilité, en l’occurrence le 31 décembre 2003, et qu’elle est atteinte d’une maladie prolongée. La demanderesse ne conteste pas ces conclusions. Pour sa part, le représentant fait valoir que la période d’admissibilité de la demanderesse à une pension d’invalidité devrait débuter en juillet 2001, soit bien avant la date établie, étant donné qu’elle [traduction] « n’avait pas la capacité, au moins jusqu’au 27 août 2009, de former l’intention de faire une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada ». Le représentant affirme qu’une foule de facteurs expliquent pourquoi la demanderesse n’avait pas la capacité de former l’intention de faire une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Il avance que la demanderesse n’était pas en mesure de saisir l’ampleur de sa maladie ni de savoir que celle‑ci se prolongerait, si bien qu’elle en est venue à croire fermement que ses symptômes étaient temporaires et qu’ils disparaîtraient sous peu. Le représentant a soumis un certain nombre de rapports et de documents médicaux, l’historique chronologique de la demanderesse ainsi que des documents d’information sur le déni et la dissonance cognitive. Je comprends, en fait, que la demanderesse soutient que la division générale a commis une erreur en n’ayant pas cherché à déterminer, eu égard à la preuve documentaire et aux témoignages présentés de vive voix, si elle était frappée d’incapacité.

[5] Le représentant fait valoir que la division générale a également commis une erreur en n’accordant pas une plus longue période de rétroactivité, compte tenu des [traduction] « difficultés considérables et excessives » auxquelles sera exposée la demanderesse.

[6] L’intimé n’a pas présenté d’observations écrites relativement à la demande de permission d’en appeler.

Analyse

i. Présentation tardive de la demande

[7] La demanderesse a présenté sa demande de permission d’en appeler plus de quatre mois en retard.

[8] Aux termes du paragraphe 57(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi »), la « division d’appel peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler ». 

[9] Dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 833, la Cour a établi les quatre critères ci‑dessous que la division d’appel doit prendre en considération et examiner pour déterminer s’il convient de proroger le délai au‑delà du délai prévu de 90 jours au cours duquel un demandeur doit présenter sa demande de permission en d’appeler :

  1. a) il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;
  2. b) la cause est défendable;
  3. c) le retard a été raisonnablement expliqué;
  4. d) la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

[10] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204 (CanLII), la Cour d’appel fédérale a établi que la considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation serait dans l’intérêt de la justice, mais elle a aussi affirmé qu’il n'est pas nécessaire, pour proroger le délai, que les quatre questions concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire soient tranchées en faveur du requérant.

[11] Lors de mon examen de chacun des quatre facteurs, il m’appert que la prorogation du délai de cause pas de préjudice à l’intimé. Le représentant explique avoir effectué les démarches pour appeler de la décision, mais avoir été mal renseigné quant à la procédure à suivre pour la demanderesse, de sorte qu’il a présenté la demande de permission d’en appeler à Service Canada au lieu de la déposer auprès du Tribunal de la sécurité sociale. Il a également affirmé avoir consulté maints avocats et parajuristes, qui lui ont donné des avis divergents. Il a en outre expliqué qu’il devait s’occuper d’affaires familiales. Comme la demanderesse s’en est remise à son époux pour poursuivre l’appel en son nom, je suis d’avis qu’elle a manifesté une intention persistante de poursuivre son appel et que son retard à présenter une demande de permission d’en appeler a été raisonnablement expliqué. Je ne me suis pas penchée sur la question de savoir si la cause est défendable au point de mériter que je proroge le délai prévu pour présenter une demande de permission d’en appeler; cependant, il est bien établi que le requérant n’a pas à satisfaire aux quatre critères énoncés dans l’arrêt Gattellaro et qu’il n’est pas nécessaire d’accorder le même poids à chacun de ces critères, du fait que la considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice. Dans l’intérêt de la justice et à la lumière des faits entourant la présente affaire, je suis disposée à proroger le délai prévu pour présenter une demande de permission d’en appeler.

ii. L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

[12] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[13] Pour que la permission soit accordée, la demanderesse doit me convaincre que les motifs d’appel correspondent à l’un des moyens d’appel précités et que l’appel a une chance raisonnable de succès. La Cour fédérale du Canada a récemment confirmé cette approche dans la décision Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300.

a) Incapacité

[14] Le représentant allègue que la division générale a commis une erreur en ne se penchant pas sur la question de savoir si la demanderesse était frappée d’incapacité. Il soutient que la division générale, si elle avait examiné cette question, aurait considéré que la demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada avait été présentée dès le milieu de l’année 2001.

[15] Il n’est pas clair si la personne qui représentait la demanderesse à l’époque (qui n’agit plus à ce titre) a présenté des observations en ce sens à l’audience du 24 mars 2015. Toutefois, je n’estime pas que la demanderesse était tenue de préciser qu’elle était frappée d’incapacité, car il incombait à la division générale de déterminer la date à laquelle devait commencer le paiement de la pension d’invalidité après avoir établi que la demanderesse était invalide avant la fin de sa période minimale d’admissibilité au sens du Régime de pensions du Canada. Par conséquent, la division générale devait avoir à sa disposition des éléments de preuve indiquant que les dispositions du Régime de pensions du Canada relatives à l’incapacité s’appliquaient en l’espèce. En présence d’éléments de preuve étayant l’incapacité de la demanderesse, la division générale aurait dû se pencher sur la question de savoir si la demanderesse était bel et bien frappée d’incapacité et, dans l’affirmative, décider s’il est justifié d’accorder une plus longue période de rétroactivité quant au versement d’une pension d’invalidité.

[16] Le représentant a résumé certains éléments de preuve portés à la connaissance de la division générale. Il affirme qu’il est [traduction] « possible que ces facteurs n’aient pas été clairement mis en évidence […] au cours de l’audience devant le Tribunal » et que par conséquent, la division générale [traduction] « n’a pas apprécié pleinement les motifs à l’origine des circonstances exceptionnelles qui autoriseraient le paiement rétroactif de prestations avant 2009 ». Le représentant a fait valoir que la demanderesse n’avait pas la capacité de former l’intention de faire une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada pour les motifs suivants :

  • La demanderesse a rationalisé et mal interprété son état, de telle sorte qu’elle en est venue à croire que ses limitations fonctionnelles disparaîtraient.
  • Le médecin de famille de la demanderesse a établi un diagnostic erroné et les spécialistes consultés n’ont pu poser de diagnostic, ce qui a conforté l’espoir de la demanderesse de voir ses symptômes se dissiper.
  • La demanderesse a pris part à des activités nécessitant une très grande endurance, à savoir le marathon de New York en 2005 et le triathlon Ironman en 2007, ce qui a renforcé sa conviction qu’elle n’était pas malade et que ses symptômes ne dureraient pas.
  • La maladie de Lyme, le syndrome de fatigue chronique et la fibromyalgie sont des affections difficiles à cerner et peu connues du grand public, ce qui a ajouté aux idées fausses et aux interprétations erronées de la demanderesse.
  • Les troubles, la déficience et l’incapacité sur le plan cognitif qui se sont soudainement manifestés ont suscité le déni chez la demanderesse.

[17] Le représentant avance que ces facteurs ont empêché la demanderesse de reconnaître l’ampleur de sa maladie et le caractère prolongé de celle‑ci, si bien qu’elle n’a pu former l’intention de faire une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada avant mai 2010.

[18] Ces observations présentées par le représentant appellent essentiellement une réévaluation de la preuve ou une nouvelle appréciation des facteurs pris en considération par la division générale. Comme l’a récemment affirmé la Cour fédérale dans l’affaire Tracey, il n’incombe pas à la division d’appel, lorsqu’elle doit décider s’il convient d’accorder ou de refuser la permission d’en appeler, de réévaluer la preuve ou d’apprécier de nouveau les facteurs pris en considération par la division générale. Quand vient le temps d’évaluer une demande de permission d’en appeler, mon rôle consiste à déterminer si l’appel se fonde sur l’un des moyens d’appel énoncés au paragraphe 58(1) de la Loi et s’il a une chance raisonnable de succès. En l’espèce, je dois examiner la preuve à la seule fin de déterminer s’il existe des éléments de preuve qui pourraient amener la division générale à considérer la demanderesse comme étant frappée d’incapacité au sens du Régime de pensions du Canada.

[19] Les dispositions du Régime de pensions du Canada relatives à l’incapacité figurent aux paragraphes 60(8) à 60(11) :

[8] Incapacité – Dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur ou en son nom, que celui-ci n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite, le ministre peut réputer cette demande de prestation avoir été faite le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.

[9] Le ministre peut réputer une demande de prestation avoir été faite le mois qui précède le premier mois au cours duquel une prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon lui, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé, s’il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur :

  • a) que le demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faite;
  • b) que la période d’incapacité du demandeur a cessé avant cette date;
  • c) que la demande a été faite, selon le cas :
    • (i) au cours de la période – égale au nombre de jours de la période d’incapacité mais ne pouvant dépasser douze mois – débutant à la date où la période d’incapacité du demandeur a cessé,
    • (ii) si la période décrite au sous-alinéa (i) est inférieure à trente jours, au cours du mois qui suit celui au cours duquel la période d’incapacité du demandeur a cessé.

[10] Période d’incapacité – Pour l’application des paragraphes (8) et (9), une période d’incapacité doit être continue à moins qu’il n’en soit prescrit autrement.

[11] Application – Les paragraphes (8) à (10) ne s’appliquent qu’aux personnes incapables le 1er janvier 1991 dont la période d’incapacité commence à compter de cette date.

[20] Une personne est considérée comme incapable au sens du Régime de pensions du Canada seulement si elle n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande en son nom.

[21] Dans la décision E. M. H. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, (30 novembre 2015), AD-15-495 (absente du registre à l’heure actuelle), ma collègue H. Ross a examiné les précédents jurisprudentiels qui se rapportent aux dispositions du Régime de pensions du Canada relatives à l’incapacité. Voici un extrait de sa décision :

[Traduction]

[18] […] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Danielson, 2008 CAF 78, la Cour d’appel fédérale (CAF) précise que l’article 60 est « précis et ciblé en ce sens [qu’il] n’exige pas de prendre en compte la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations d’invalidité, mais seulement et tout simplement la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande ». La Cour ajoute que les activités de la personne en cause entre la date prétendue de l’invalidité et la date de la demande peuvent être pertinentes pour nous éclairer sur son incapacité permanente de former ou d’exprimer l’intention requise, et devraient donc être examinées.

[19] La Cour d’appel fédérale a de nouveau examiné cette question dans l’arrêt Sedrak c. Canada (Ministre du Développement social), 2008 CAF 86. Cette fois, elle s’est penchée sur la nature de la « capacité de former l’intention de faire une demande de prestations ». Selon la Cour d’appel fédérale, « [l]a capacité de former l’intention de faire une demande de prestations n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent au demandeur de prestations. Le fait que celui‑ci n’ait pas l’idée d’exercer une faculté donnée en raison de sa vision du monde ne dénote pas chez lui une absence de capacité. »

[20] Dans Slater c. Canada (Procureur générale), 2008 CAF 375, la Cour d’appel fédérale traite du type de preuve nécessaire pour établir si le demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations. Elle soutient qu’il est nécessaire de prendre en compte à la fois la preuve médicale et les activités pertinentes de la personne en cause.

[21] La Commission d’appel des pensions a traité cette question dans Nenshi c. Canada (Ministre du Développement social), (9 janvier 2006), CP22251 (CAP). Dans cette affaire, la Commission a fait observer que « la question n’est pas de savoir si une personne est capable de faire face aux conséquences d’une demande, mais bien si elle est capable de former une intention de présenter une demande […] c’est-à-dire qu’un demandeur doit être incapable non pas de préparer et de remplir sa demande, mais bien de "former ou exprimer une intention de présenter une demande" », et que l’appelante, Mme Nenshi, « a toujours su qu’elle était malade et recevait des traitements. Elle n’était peut-être pas en mesure de remplir les formulaires, mais elle pouvait former et exprimer une intention de présenter une demande. »

[22] La jurisprudence indique clairement qu’il n’est pas pertinent ou qu’il ne suffit pas de démontrer que la demanderesse n’a pas reçu de diagnostic approprié, qu’elle était en situation de déni quant à son état de santé en général, ou encore qu’elle avait des symptômes débilitants ou était aux prises avec des restrictions ou des limitations et qu’elle était en grande partie alitée depuis 2001. La question n’est pas de savoir si la demanderesse est invalide ou non. Il s’agit plutôt de déterminer si son état de santé correspond à la définition stricte d’« incapacité » au titre du Régime de pensions du Canada. Ce critère est bien plus élevé et rigoureux que le critère de détermination de l’invalidité. Comme l’affirme la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Slater, il est nécessaire de prendre en compte à la fois la preuve médicale et les activités pertinentes de la personne en cause.

[23] Dans l’affaire Danielson, la Cour d’appel fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire. Le demandeur, à savoir le procureur général du Canada, avait fait valoir que la Commission d’appel des pensions aurait dû tenir compte d’un certain nombre d’activités qui étaient pertinentes dans cette affaire. La Cour d’appel fédérale a conclu que la Commission d’appel des pensions aurait dû examiner la question de savoir si ces événements, au moment où ils se sont produits, prouvaient une capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations. Dans ce cas, la Commission d’appel des pensions avait omis de se pencher sur cette question ou de tenir compte d’autres activités pertinentes.

[24] Bien que la question de l’incapacité ne lui ait pas été directement soumise, la division générale a tout de même examiné les activités de la demanderesse. Elle a constaté que la demanderesse avait suivi différentes formes de traitement, notamment en physiothérapie, en acupuncture, en chiropractie, en réflexologie et en orthétique de même qu’un traitement par antibiotiques. La division générale a en outre observé que la demanderesse était déçue de n’avoir rien accompli en quatre ans, soit depuis qu’elle avait commencé à ressentir une profonde fatigue, et que c’est pour cette raison qu’elle a entrepris un entraînement en vue de participer à un marathon, qu’elle a d’ailleurs terminé, et qu’elle a fait de même deux années plus tard pour une compétition Ironman, malgré sa fatigue persistante. La division générale a également remarqué que la demanderesse a demandé à être aiguillée vers un spécialiste en pathologie hématologique après avoir lu un article de journal sur la maladie de Lyme. Elle a de plus constaté que la demanderesse a eu des idées de marketing dans le cadre de ses activités de bénévolat au service d’un organisme de protection des animaux. Ces faits se sont produits au cours de la période d’incapacité alléguée.

[25] Compte tenu de l’étendue des activités auxquelles a pris part la demanderesse et de sa capacité manifeste de former une intention, il ne semble pas y avoir d’éléments factuels qui auraient dû faire prendre conscience à la division générale de la possibilité que la demanderesse ait été frappée d’incapacité de façon continue pour la période comprise entre 2001 et le jour où elle a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en 2010.

[26] Même la demande de permission d’en appeler de la demanderesse indique que cette dernière n’était pas frappée d’incapacité au sens du Régime de pensions du Canada. À la page AD1-27, le représentant a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Nous ne laissons pas entendre que [la demanderesse] n’avait pas la capacité mentale de se rendre compte de ses symptômes invalidants; à l’évidence, elle a suivi des traitements médicaux et paramédicaux pour atténuer les fortes douleurs, la fatigue intense et les graves symptômes cognitifs qui réduisaient considérablement ses capacités fonctionnelles.

Elle était incapable de former l’intention de faire une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada parce que depuis l’apparition de son invalidité en 2001, elle avait toujours cru que son état de santé n’était pas anormal et que ses symptômes invalidants étaient temporaires et qu’ils disparaîtraient sous peu. Ce déni a conforté sa conviction, qui a perduré même si ses symptômes ont persisté pendant de longues années.

[27] Le déni de la demanderesse quant à son état ne satisfait pas au critère strict de détermination de l’incapacité; la demanderesse a elle-même avoué qu’elle avait la capacité mentale nécessaire pour chercher un traitement. D’après la description qu’elle a donnée de sa capacité mentale, la demanderesse n’était pas incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sedrak, la capacité d’une personne de former l'intention de faire une demande n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent à elle. Il appert que la demanderesse était en mesure de faire des choix pour elle-même et que c’est ce qu’elle a fait.

[28] Je ne suis pas convaincue que le motif d’appel invoqué, selon lequel la division générale a commis une erreur de droit en ne se penchant pas sur la question de savoir si la demanderesse était frappée d’incapacité, présente une chance raisonnable de succès. Rien dans la preuve portée à la connaissance de la division générale n’indique que les dispositions relatives à l’incapacité s’appliquent aux circonstances de la demanderesse.

b) Faits nouveaux

[29] Le représentant de la demanderesse a déposé des documents médicaux, un historique chronologique et des documents d’information sur le déni et la dissonance cognitive. Certains de ces documents avaient été portés à la connaissance de la division générale.

[30] Tout fait nouveau présenté à l’appui d’une demande de permission d’en appeler doit se rapporter aux moyens d’appel. Le représentant n’a pas indiqué en quoi les documents supplémentaires, et tout particulièrement les documents d’information sur le déni et la dissonance cognitive, se rapportent ou correspondent à l’un des moyens d’appel énoncés. S’il demande que je prenne en considération ces faits supplémentaires, que j’apprécie de nouveau la preuve et que je réévalue la demande pour trancher en faveur de la demanderesse, je me vois dans l’impossibilité d’acquiescer à sa demande à ce stade, compte tenu des limites qu’impose le paragraphe 58(1) de la Loi. Ni la demande de permission d’en appeler ni l’appel ne donnent la possibilité de réévaluer ou d’examiner à nouveau la demande en vue de déterminer si la demanderesse est frappée d’incapacité au sens du Régime de pensions du Canada.

[31] Dans l’affaire Tracey, la Cour fédérale a établi qu’un juge n’a pas l’obligation de tenir compte de nouveaux éléments de preuve. En effet, la juge Roussel a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Toutefois, selon la loi actuellement en vigueur, la production de nouveaux éléments de preuve n’est plus un motif d’appel indépendant (Belo-Alves c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1100, para 108).

[32] Si le représentant a déposé ces documents supplémentaires dans le but de faire annuler ou modifier la décision de la division générale, il doit désormais se conformer aux exigences énoncées aux articles 45 et 46 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale et présenter une demande d’annulation ou de modification à la division qui a rendu la décision. L’article 66 de la Loi prévoit des échéances et des exigences strictes quant aux demandes d’annulation ou de modification d’une décision. Le paragraphe 66(2) de la Loi prescrit que la demande d’annulation ou de modification doit être présentée au plus tard un an après la date où la partie reçoit communication de la décision, et l’alinéa 66(1)b) de la Loi exige que le demandeur démontre que les faits nouveaux présentés sont essentiels et ne pouvaient être connus au moment de l’audience malgré l’exercice d’une diligence raisonnable. Au sens du paragraphe 66(4) de la Loi, la division d’appel n’a pas compétence en l’espèce pour annuler ou modifier la décision à la lumière de faits nouveaux, car seule la division qui a rendu la décision, en l’occurrence la division générale, a le pouvoir de le faire.

[33] Les nouveaux faits présentés par la demanderesse ne renvoient ou ne correspondent à aucun moyen d’appel. Je me vois donc dans l’impossibilité de les prendre en considération pour rendre ma décision relativement à la demande de permission d’en appeler.

c) Difficultés

[34] Le représentant fait valoir que la demanderesse doit avoir droit à une plus longue période de rétroactivité, car elle a été exposée à des difficultés considérables et excessives. Il ajoute que ces difficultés persisteront si la demanderesse ne se voit pas accorder une plus longue période de rétroactivité.

[35] Aux fins de la détermination de l’admissibilité à une plus longue période de rétroactivité, le fait que la demanderesse éprouve et continuera d’éprouver des difficultés est sans importance. Le Régime de pensions du Canada ne permet pas à la division générale et à la division d’appel de prendre en considération l’incidence de leurs décisions sur l’une ou l’autre des parties, et il ne leur confère pas non plus le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de facteurs autres que ceux qu’il prévoit quand vient le temps de décider si un demandeur est admissible à une plus longue période de rétroactivité ou s’il a une incapacité au sens du Régime de pensions du Canada. Je ne suis pas convaincue que le moyen d’appel invoqué, selon lequel la demanderesse sera exposée à des difficultés persistantes, présente une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[36] Compte tenu des éléments susmentionnés, la demande de permission d’en appeler est rejetée.

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