Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

  • Appelant : D. R.
  • Représentante de l’intimé : Christine Singh (représentante)

Introduction

[1] Il s’agit d’un appel de la décision rendue par la division générale le 11 juillet 2014. TLa division générale a refusé la demande de prestations d’invalidité présentée par l’appelant, car il a été conclu qu’il ne souffrait pas d’une [traduction] « invalidité grave » au sens du Régime de pensions du Canada, au moment où sa période minimale d’admissibilité a pris fin le 31 décembre 2011.La permission d’en appeler a été accordée le 23 février 2015 au motif que la division générale n’aurait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle aurait autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ou qu’elle aurait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire. L’audience relative à l’appel de la décision de la division générale a été instruite devant la division d’appel le 10 août 2015.

Aperçu des faits

[2] L’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada le 16 juillet 2010. Selon le Questionnaire relatif aux prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada dont la date de réception estampillée est le 16 juillet 2010, l’appelant possède une neuvième année. Toujours selon le questionnaire, le dernier emploi de l’appelant était celui d’opérateur aux procédés de traitement des produits chimiques en juin 2007. L’appelant a prétendu avoir arrêté de travailler en raison d’une blessure à l’épaule droite et au bras droit, ce qui a causé une douleur grave, une faiblesse et une limitation de l’amplitude des mouvements et de l’utilisation de son bras droit. Dans le questionnaire rempli en août 2009, l’appelant a inscrit le diabète de type 2 et la dépression comme autres problèmes de santé ou invalidités. L’appelant a prétendu avoir de nombreuses limitations fonctionnelles. Ces limitations fonctionnelles sont inscrites dans les deux questionnaires et font état des difficultés de l’appelant à s’asseoir, à se tenir debout et à marche étant donné que son bras et sa main s’engourdissent après une période de 30 à 60 minutes. Il a également prétendu dans les questionnaires qu’il a de la difficulté à soulever ou à transporter une charge supérieure à une ou deux livres, ou même à atteindre des objets en raison de son bras droit. Une imagerie par résonance magnétique a confirmé la dislocation du tendon du biceps associée à une déchirure du tendon sous‑scapulaire.

[3] L’appelant a été évalué et traité par un chirurgien orthopédiste et, malgré le fait qu’il ait eu une chirurgie arthroscopique et une ténodèse du tendon en juin 2008, une réparation de la coiffe des rotateurs en octobre 2013 et des séances de physiothérapie, il continue d’avoir des douleurs importantes et une perte de capacités fonctionnelles concernant son épaule droite et son bras droit qui ont été exacerbées par une chute accidentelle en décembre 2013. Il éprouve également des problèmes de sommeil.

Historique de l'instance

[4] L’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada le 20 août 2009. L’intimé a refusé la demande. L’appelant n’a pas demandé la révision de cette décision.

[5] L’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada une deuxième fois, le 16 juillet 2010. L’intimé a refusé la demande au départ, puis à l’étape de la révision au moyen d’une lettre datée du 24 août 2011.

[6] L’appelant a interjeté appel de la décision découlant de la révision devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision le 8 novembre 2011. Un tribunal de révision du Régime de pensions du Canada a tenu une audience le 4 septembre 2012. Cependant, l’audience a été ajournée étant donné que l’appelant allait subir une chirurgie en 2013. L’appelant a également présenté d’autres renseignements d’ordre médical, y compris une évaluation des capacités fonctionnelles et des renseignements concernant son trouble du sommeil et son trouble déficitaire de l’attention.

[7] Selon l’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, tout appel interjeté avant le 1er avril 2013, au titre du paragraphe 82(1) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 229, est réputé avoir été interjeté le 1er avril 2013 à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Le 1er avril 2013, le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision a transféré au Tribunal de la sécurité sociale l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre de la décision découlant de la révision.

[8] Le 31 décembre 2013, l’appelant a présenté au Tribunal de la sécurité sociale un avis indiquant qu’il était prêt à aller de l’avant, et, le 5 mars 2014, il a présenté d’autres documents médicaux. Le 22 avril 2014, l’appelant a présenté un formulaire de renseignements sur l’audience.

[9] Le 16 juillet 2014, le Tribunal de la sécurité sociale a envoyé un avis d’audience selon lequel la division générale avait l’intention de tenir une audience en personne. Le Tribunal de la sécurité sociale a informé les parties qu’elles avaient jusqu’au 20 août 2014 pour présenter d’autres documents ou observations, et jusqu’au 24 septembre 2014 pour donner suite aux documents présentés au plus tard le 20 août 2014. Ni l’une ni l’autre des parties n’a déposé d’autres documents ou observations.

[10] Le 13 novembre 2014, une audience en personne a été tenue devant la division générale. Le 11 décembre 2014, la division générale a rendu sa décision de rejeter l’appel.

[11] Le 6 février 2015, l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler. La division d’appel a accordé la permission le 23 février 2015.

[12] Le 13 avril 2015, l’appelant a présenté des observations, qui consistaient en une déclaration supplémentaire du médecin traitant datée du 3 avril 2015. Le 24 avril 2015, la représentante de l’intimé a déposé des observations. L’audience relative à l’appel de la décision de la division générale a été tenue devant la division d’appel le 10 août 2015. L’audience tenue par vidéoconférence, sur consentement des parties et après avoir tenu compte du fait que les deux parties avaient accès à la vidéoconférence, et l’alinéa 3(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale prévoit que les instances se déroulent de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturellement permettent.

Décision de la division générale

[13] La division générale a conclu que l’appelant avait la capacité résiduelle de travailler avant que sa période minimale d’admissibilité prenne fin et que, par conséquent, selon le principe établi par la décision Incima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, l’appelant doit prouver que les efforts qu’il a déployés pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé. La division générale a conclu que l’appelant n’avait déployé aucun effort pour occuper un emploi qui pourrait lui permettre de composer avec le niveau de capacité fonctionnelle réduit de son bras droit et de son épaule droite ou qu’il avait cherché un emploi léger ou sédentaire, à temps plein ou à temps partiel. La division générale a également conclu que l’appelant n’avait aucunement tenté de se recycler, malgré les encouragements du chirurgien orthopédiste. À cet égard, la division générale était [traduction] « sceptique par rapport au témoignage du témoin selon lequel il ne se souvient pas des discussions qu’il a eues avec [le chirurgien orthopédiste] au sujet de se recycler dans un nouveau domaine ». La division générale a déclaré qu’elle préférait les renseignements médicaux consignés aux souvenirs de l’appelant.

[14] La division générale a également examiné les antécédents en matière de rémunération de l’appelant, qui ont démontré que celui-ci avait contribué au Régime de pensions du Canada en 2009. La division générale était également sceptique à l’égard du témoignage de l’appelant selon lequel il n’était pas retourné travailler en 2009. Elle souligne que l’appelant n’était pas en mesure d’offrir une explication crédible pour ce qui est décrit comme une [traduction] « incohérence » dans la preuve. La division générale a souligné que l’appelant avait été en mesure de retourner travailler à la suite d’une blessure en 2006 et qu’il a continué de travailler jusqu’en 2007. La division générale a conclu qu’il était par conséquent concevable que l’appelant ait été en mesure de retourner occuper un travail en 2009 et de gagner 7 889 $, montant décrit comme [traduction] « non anodin ».

[15] La division générale a conclu que, au moyen d’une autre convalescence et d’une autre réadaptation, comme il a été recommandé par le physiothérapeute de l’appelant, celui-ci devrait ultérieurement avoir les capacités d’être employé à nouveau étant donné sa capacité résiduelle de travailler. La division générale a conclu que l’appelant n’avait pas atténué convenablement sa situation, en ce sens que l’appelant n’a pas suivi les conseils de son physiothérapeute et qu’il n’a pas pris de médicaments.

[16] La division générale a finalement conclu que l’appelant était régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice avant la fin de sa période minimale d’admissibilité. Bien que la chute accidentelle survenue en décembre 2013 ait clairement exacerbé le problème à l’épaule droite de l’appelant, la division générale a souligné que cet événement était bien en dehors de la période minimale d’admissibilité ayant pris fin le 31 décembre 2011.

[17] La division générale n’était pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant a été atteint d’une invalidité grave conformément au Régime de pensions du Canada au moment où sa période minimale d’admissibilité a pris fin ou avant.

Décision de la permission d'en appeler

[18] J’ai accordé la permission d’en appel en fonction de deux moyens, à savoir que la division générale pourrait avoir :

  1. ne pas avoir observé un principe de justice naturelle ou avoir autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire.

[19] Au cours de l’audience relative à l’appel, j’ai également soulevé la question de savoir si un fardeau de preuve plus lourd s’appliquait en l’espèce lorsque la division générale a fait preuve de scepticisme à l’égard du témoignage de l’appelant, étant donné que cela revenait à dire que l’appelant manquait de crédibilité.

Questions en litige

[20] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable lors de la révision de décisions rendues par la division générale?
  2. La division générale a-t-elle imposé un fardeau de la preuve plus lourd à l’appelant lorsqu’elle a fait preuve de scepticisme?
  3. La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle ou a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?
  4. Si la division générale a commis des erreurs, en n’observant pas un principe de justice naturelle ou en fondant sa décision sur des conclusions de fait erronées sans tenir compte des documents dont elle disposait, s’agissait-il d’une réparation appropriée, le cas échant?

Première question en litige : Norme de contrôle

[21] L’appelant n’a pas abordé la question de la norme de contrôle. La représentante de l’intimé, elle, a présenté de nombreuses observations à ce sujet, notamment en examinant les points suivants :

  1. les rôles respectifs et l’expertise respective de la division générale et de la division d’appel, selon elle;
  2. l’intention du législateur;
  3. le degré de déférence à accorder à la division générale;
  4. la nature des questions en litige;
  5. l’application concrète de la norme de la décision correcte et de celle de la décision raisonnable en pratique.

[22] La représentante soutient que la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable. Elle ajoute que, dans le cas des questions de droit, la division d’appel n’a pas à faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la division générale et doit appliquer la norme de la décision correcte. La représentante s’est grandement fondée sur l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’existe que deux normes de contrôle en common law au Canada : celle de la décision raisonnable et celle de la décision correcte. La Cour suprême du Canada a conclu que la norme applicable aux questions de droit est généralement celle de la décision correcte, et celle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable. De plus, lorsqu’une cour de révision applique la norme de la décision correcte, elle n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse, au terme de laquelle elle décide si elle substitue son appréciation quant à l’issue correcte. La norme de contrôle applicable dépend de la nature des erreurs prétendues.

[23] Par le passé, j’ai effectué une analyse relative à la norme de contrôle en me fiant à la tendance jurisprudentielle découlant des appels des décisions des conseils arbitraux devant les juges-arbitres dans le contexte de la Loi sur l’assurance-emploi. Dans la décision Chaulk c. Canada (Procureur général) et al., 2012 CAF 190 (CanLII), par exemple, la Cour d’appel fédérale a souligné les moyens d’appel limités prévus au paragraphe 115(2) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (abrogée depuis), puis a procédé à une analyse relative à la norme de contrôle. La Loi sur l’assurance-emploi ne conférait pas aux juges-arbitres la compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire, mais ceux-ci exerçaient un pouvoir de surveillance et appliquaient des analyses relatives à la norme de contrôle aux décisions rendues par les conseils arbitraux.

[24] Dans la décision Chaulk, la Cour d’appel fédérale a reconnu que les tribunaux ont toujours statué que les juges-arbitres qui examinent les décisions du conseil arbitral doivent appliquer la norme de la décision correcte aux questions de droit concernant l’interprétation des dispositions législatives relatives à l’assurance-emploi.

[25] Le libellé du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) reflète celui du paragraphe 115(2) de la Loi sur l’assurance-emploi. Étant donné que le libellé du paragraphe 58(2) de la LMEDS a été inspiré du libellé du paragraphe 115(2) de la Loi sur l’assurance-emploi (abrogée depuis) et étant donné la jurisprudence abondante, il semblait raisonnable que la division d’appel applique la même analyse relative à la norme de contrôle que celle effectuée par les juges-arbitres.

[26] Toutefois, dans les décisions Canada (Procureur général) c. Paradis et Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a laissé entendre que cette approche n’est pas appropriée lorsque la division d’appel examine les appels de décisions rendues par la division générale. La Cour d’appel fédérale a récemment approuvé cette approche dans la décision Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[27] La Cour d’appel fédérale a laissé entendre que, étant donné que les pouvoirs de contrôle et de surveillance des [traduction] « offices fédéraux » sont prévus à l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, il n’existe aucune disposition semblable dans la LMEDS qui confère un pouvoir de révision et de surveillance à la division d’appel. Malgré le fait que les tribunaux ont toujours statué que les juges-arbitres doivent mener une analyse relative à la norme de contrôle (même si la Loi sur l’assurance emploi n’a également pas conféré de pouvoirs de révision et de surveillance à ou aux juges-arbitres) et malgré le fait que le libellé du paragraphe 58(1) de la LMEDS a été inspiré de celui du paragraphe 115(2) de la Loi sur l’assurance-emploi (abrogée depuis), la Cour d’appel fédérale statué qu’il faut se garder « d’emprunter à la terminologie et au génie propre du contrôle judiciaire dans un contexte d’appel administratif » et qu’elle précise qu’un « tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou pour les “offices fédéraux” ».

[28] Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans la décision Jean, le mandat de la division d’appel lui est conféré par les articles 55 à 69 de la LMEDS, lesquels lui permettent d’instruire les appels conformément au paragraphe 58(1) de cette loi. Le paragraphe 58(1) de la LMEDS énonce les moyens d’appel, et le paragraphe 59(1) énonce les pouvoirs de la division d’appel. Les seuls moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[29] Malgré la nature convaincante des observations dont je dispose sur la question de la norme de contrôle, je dois me "garder d’emprunter à la terminologie et au génie propre du contrôle judiciaire dans un contexte d’appel administratif" et me limiter à trancher sur la question de savoir si la division générale, en l’espèce, n’a pas observé un principe de justice naturelle ou si elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. S’il y a lieu, je dois déterminer la réparation appropriée.

Deuxième question en litige : Fardeau de la preuve

[30] La représentante soutient que la division générale n’a pas imposé un fardeau de la preuve plus lourd à l’égard de l’appelant alors qu’elle était sceptique relativement à son témoignage. La représentante soutient que la division générale a simplement soupesé le témoignage de vive voix rendu par l’appelant par rapport à la preuve médicale objective sous forme de notes écrites au fur et à mesure par le Dr Krywuluk. La représentante soutient que, dans le cadre de questions concernant la crédibilité, la déférence doit être accordée au juge des faits : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 20, où la Cour suprême du Canada a statué ce qui suit :

22 Deuxièmement, nous croyons en toute déférence qu’en faisant une distinction analytique entre les conclusions factuelles et les inférences factuelles, le passage précité pourrait amener les cours d’appel à soupeser la preuve à nouveau et sans raison. Bien que nous partagions l’opinion selon laquelle il est loisible à une cour d’appel de conclure qu’une inférence de fait tirée par le juge de première instance est manifestement erronée, nous tenons toutefois à faire la mise en garde suivante : lorsque des éléments de preuve étayent cette inférence, il sera difficile à une cour d’appel de conclure à l’existence d’une erreur manifeste et dominante. Comme nous l’avons dit précédemment, les tribunaux de première instance sont dans une position avantageuse pour apprécier et soupeser de vastes quantités d’éléments de preuve. Pour tirer une inférence factuelle, le juge de première instance doit passer les faits pertinents au crible, en apprécier la valeur probante et tirer une conclusion factuelle. En conséquence, lorsque cette conclusion est étayée par des éléments de preuve, modifier cette conclusion équivaut à modifier le poids accordé à ces éléments par le juge de première instance.

[31] La représentante soutient également que, au paragraphe 23, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’appartient pas aux cours d’appel de remettre en question le poids attribué aux différents éléments de preuve.

[32] La représentante déclare que la division générale a noté deux cas où le témoignage de l’appelant n’a pas été corroboré par la preuve documentaire, ce qui a ainsi mené la division générale à faire preuve de scepticisme à l’égard du témoignage de l’appelant. La représentante soutient qu’il incombe à la division générale en tant que juge des faits de prendre note de la preuve sur laquelle elle s’est fondée et du poids qu’elle a accordé à cette preuve. La représentante affirme que, en l’espèce, aucun fardeau supplémentaire n’a été imposé à l’appelant.

[33] Je suis convaincue par ces observations que le fardeau de la preuve est demeuré selon la prépondérance des probabilités, bien qu’il ait été, comme l’a mentionné la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision Karkus c. Cotroneo, 2007 CanLII 12893, « amélioré par un élément de "scepticisme sain" ».

Troisième question en litige : Erreurs

a. La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle?

[34] Était-il juste ou équitable de la part de la division générale de tirer des conclusions concernant la source des revenus de l’appelant pour l’année 2009 sans lui donner la chance d’obtenir un document à l’appui, puis de tirer ce qui semble être des conclusions défavorables quant à la crédibilité contre lui. Dans la demande de permission, l’appelant a déclaré que la division générale ne lui avait pas donné la chance d’enquêter sur la source de ces revenus. L’appelant a écrit ce qui suit :

[traduction]
Lorsque [le membre de la division générale] m’a demandé à quoi avait servi le paiement, je lui ai répondu que je n’en avais aucune idée et que je ne m’en souvenais plus. Je lui ai répondu que j’allais vérifier que je lui reviendrais à ce sujet.

[35] L’appelant ne se souvenait pas de la source de ses revenus pour l’année 2009. Ces revenus ont été touchés deux ans avant sa période minimale d’admissibilité; il est donc probable qu’il ne s’attendait pas à ce que ces revenus soient pertinents pour la question relative à ses capacités au cours de sa période minimale d’admissibilité. Par conséquent, il n’avait pas pensé à obtenir des renseignements sur la source de ces revenus.

[36] L’appelant a obtenu des documents de son employeur après l’audience devant la division générale. L’employeur a confirmé que les revenus découlaient d’une paie de vacances accumulées et d’autres prestations (les détails de ceux-ci ne sont pas visibles dans la copie des documents). L’employeur a confirmé que l’appelant n’avait reçu aucun revenu d’emploi après l’année 2007, alors qu’il était en congé d’invalidité à long terme.

[37] Habituellement, tout nouveau document ne serait pas pris en considération à l’appel ou à l’étape de la demande de permission, à moins que ce document porte sur l’un des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS. En l’espèce, l’appelant a présenté les documents de l’employeur afin d’appuyer son allégation à l’étape de la demande de permission selon laquelle la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle et qu’elle ne lui a pas donné amplement la possibilité d’intervenir. Par conséquent, j’ai jugé les documents admissibles.

[38] Pour évaluer la demande de permission, je me suis penché sur la question de savoir si le fait de tirer une conclusion défavorable à l’égard de l’appelant et le fait de tirer des conclusions qui pourraient finalement se révéler incorrectes pourrait fausser l’appréciation globale de la division générale sur la demande de prestations d’invalidité de l’appelant ou y porter atteinte, et ce même si l’appréciation peut sembler raisonnable à première vue.

[39] J’ai accordé la demande de permission en partie parce que je suis convaincue que la division générale pourrait avoir omis d’observer un principe de justice naturelle ou avoir autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence lorsqu’elle n’a pas donné à l’appelant la possibilité d’enquêter sur la source des revenus touchés deux ans avant la période minimale d’admissibilité. Toutefois, j’ai accordé la demande de permission en partie en raison des observations présentées par l’appelant selon lesquelles la division générale avait abordé cette question avec lui et selon lesquelles l’appelant a non seulement mentionné qu’il ne se souvenait pas de la source des revenus pour l’année 2009, mais également qu’il enquêterait sur la question. J’ai maintenant appris que les observations de l’appelant étaient en fait trompeuses.

[40] L’intimé a présenté un affidavit souscrit le 23 avril 2015 par Jean-François Cham, parajuriste et adjoint pour Laura Dalloo, la représentante de l’intimé. M. Cham affirme sous serment qu’il a écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale et qu’il a transcrit des parties de l’enregistrement. Il affirme également sous serment que, selon l’enregistrement, l’appelant n’a pas cherché à obtenir plus de temps afin de présenter des documents visant à expliquer la source des revenus pour l’année 2009..Voici une partie de la transcription [AD4-895 à AD4-908] :8]

[traduction]
GLENN [sic] JOHNSON : Et juste en ce qui concerne um, la dernière entrée de 2009, vous voyez où c’est écrit sept-mille-huit-cent-quatre-vingt-neuf dollars.

D. R. : Euhh euhh.

GLENN [sic] JOHNSON : En connaissez-vous la source?

D. R. : Euhhh, en ce moment, mes revenus proviennent de ma compagnie d’assurance.

GLENN [sic] JOHNSON : Et le versement aurait commencé en 2009?

D. R. : Euhh les prestations d’invalidité à long terme ont commencé en 2000 [pause]. Les prestations d’invalidité ont commencé vers l’année 2000… 2007. Je n’ai aucune idée de ce qu’il s’agit. Est-ce… ce nombre est-il une indication des revenus?

. . .

GLENN [sic] JOHNSON : Mais ensuite, en 2009, il est y inscrit un montant, des revenus…

D. R. : Je n’ai absolument aucune idée de ce que cela peut être. Je n’ai pas travaillé une seule journée.

. . .

D. R. : À long terme. Je suis, vous savez le long terme commence après je crois avec un, avec Standard Life et avec mes prestations, euh la situation avec mon employeur. Je pensais qu’il s’agissait d’une période de trois mois de court terme, qu’il y avait une période d’évaluation, puis si vous êtes jugés à long terme, ça commencerait à ce moment-là, puis. Cependant, je, je n’ai aucune idée de ce que ces revenues peuvent être, à moins que vous pensiez que cela puisse concerner Standard Life… J’ai des revenues en 2009 de… ouais.

GLENN [sic] JOHNSON : Ouais, cela semble juste singulier qu’un…

D. R. : Oui, c’est vrai. Je ne sais pas quoi dire.

GLENN [sic] JOHNSON : Mais en 2008, vous avez bel et bien reçu les prestations de Standard Life?

D. R. : À ma connaissance, oui euh, j’ai touché des prestations à court terme d’abord le, peu après avoir quitté mon emploi et je ne suis pas retourné travailler depuis.

. . .

GLENN [sic] JOHNSON : Maintenant, vous déclarez que vous n’êtes pas retourné travailler chez Ashley Chemical ou ailleurs, mais avez-vous tenté de vous recycler dans un autre emploi depuis votre départ en juin 2007?

D. R. : Non.

[41] Je suis disposée à convenir que la transcription de M. Cham illustre plus ou moins les questions et les réponses échangées devant la division générale. La preuve de M. Cham démontre que l’appelant n’a pas demandé la possibilité d’enquêter et de fournir des documents relatifs à la source des revenus qu’il a touchés en 2009.

[42] Si j’avais su que l’appelant n’avait pas déclaré qu’il enquêterait et qu’il obtiendrait les documents relatifs à la source des revenus qu’il a touchés en 2009, je ne lui aurais peut-être pas accordé la demande de permission au motif que la division d’appel aurait pu omettre d’observer un principe de justice naturelle. Je ne suis pas convaincue que la division générale n’a pas donné à l’appelant la possibilité de régler la question concernant les revenus pour l’année 2009 ou qu’elle ne lui a pas donné la chance d’enquêter et d’obtenir des documents. Par conséquent, étant donné la preuve de M. Cham, je ne suis pas convaincue que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle.

[43] Malgré mes conclusions sur la question, je n’estime pas qu’il était nécessairement raisonnable de s’attendre à ce que l’appelant aurait dû se rendre compte avant l’audience devant la division générale que ses revenus pour l’année 2009 seraient une question de fond en litige et qu’il aurait dû penser à obtenir des documents d’appui afin de prouver la source de ces revenus. Après tout, l’appelant a touché ces revenus deux ans avant la période minimale d’admissibilité, et les revenus n’auraient pas été un facteur déterminant de la gravité de son invalidité en 2011.

b. La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[44] L’appelant soutient essentiellement que la division générale a rendu une décision tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance lorsqu’elle a conclu qu’il était [traduction] « concevable qu’il soit [...] en mesure de retourner travailler en 2009 et qu’il gagne 7 889 $ ». L’appelant reconnaît qu’il n’a pas été en mesure de se souvenir de la source de ces revenus à l’audience devant la division générale.

[45] Comme je l’ai mentionné plus haut, l’appelant a obtenu et présenté des documents de son employeur avec sa demande de permission. J’avais jugé ces documents inadmissibles en me fondant sur les observations selon lesquelles l’appelant avait demandé que la division générale lui donne la possibilité d’obtenir ces documents. Cependant, après avoir appris que, en fait, l’appelant n’avait pas demandé la possibilité d’obtenir ces documents, je dois réévaluer l’admissibilité de ces documents. Aucun motif ne me permet de juger ces documents comme étant admissibles, car ils ne concernent aucun des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS. Ils ne seraient certainement pas admissibles pour prouver l’allégation selon laquelle la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La division générale pourrait seulement rendre une décision en se fondant sur les éléments portés à sa connaissance, et non sur la preuve qui a été jugée soit inadmissible ou qui n’a pas été produite. Par conséquent, je dois ignorer les documents de l’employeur qui ont été déposés après l’audience devant la division générale et je ne dois pas tenir compte de la preuve que les documents contiennent. Je suis seulement guidée par le dossier de preuve présenté à la division générale.

[46] Si j’en venais à conclure que la division générale pourrait avoir tiré une conclusion de fait erronée, comme il prévu à l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS, je devrais également conclure si elle l’a fait sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ou si elle a tiré cette conclusion de façon abusive ou arbitraire.

[47] Aucun dossier documentaire n’a été présenté devant la division générale en ce qui concerne les revenus de l’appelant pour l’année 2009. La division générale a effectué un examen de l’appelant, qui a présenté des éléments de preuve concernant la source de ces revenus. Sa preuve est énoncée avec obligeance dans l’affidavit de M. Cham.

[48] La division générale a tiré des conclusions sur la source des revenus en se fondant sur les antécédents de l’appelant en matière d’emploi. La division générale a déclaré ce qui suit :

[traduction]
34. Le Tribunal est également sceptique à l’égard du témoignage de l’appelant selon lequel il n’est pas retourné au travail d’une manière quelconque en 2009, comme il est déclaré dans l’historique des cotisations au RPC. Il ne pouvait pas expliquer l’incohérence, mais il a reconnu qu’il a été en mesure de retourner au travail à la suite de la blessure concernant le mur de roche à l’automne 2006 jusqu’au 22 juin 2007, date à laquelle il a travaillé pour la dernière fois. Il est par conséquent concevable qu’il fût également en mesure de retourner au travail en 2009 et qu’il ait gagné 7 889 $, montant non anodin.

[49] Le registre des gains (c.-à-d. l’historique des cotisations au Régime de pensions du Canada) démontre que l’appelant a touché des revenus en 2009. La division générale a conclu que ce montant devait probablement représenter un revenu d’emploi. La division générale a conclu qu’il y avait une incohérence dans la preuve de l’appelant et que celui-ci n’a pas été en mesure d’expliquer cette incohérence apparente. Cette incohérence apparente a découlé de la volonté de la division générale à assumer que les revenus pour l’année 2009 provenaient d’un emploi, et du fait que, à moins que l’appelant ne soit pas en mesure de prouver hors de tout doute que les revenus provenaient d’une autre source, la division générale n’était pas prête à accepter la preuve de l’appelant selon laquelle il n’est pas retourné travailler après 2007. La division générale était également prête à conclure que, si l’appelant avait été en mesure de retourner travailler après une blessure précédente à l’automne 2006, il aurait dû être en mesure de travailler de nouveau après sa blessure en juin 2007.

[50] La division générale a tiré deux conclusions de fait importantes :

  1. le registre des gains (c.-à-d. l’historique des cotisations au Régime des pensions du Canada) ne reflétait pas nécessairement les revenus d’emploi et le corollaire à cet égard;
  2. l’appelant n’a pas été en mesure de vérifier la source des revenus pour l’année 2009; il a dû travailler.

[51] Outre le registre des gains, quelle preuve a été présentée à la division générale? La division générale a examiné les antécédents de l’appelant en matière d’emploi et, plus particulièrement, elle s’est fondée sur le fait que l’appelant était retourné travailler après avoir subi une blessure en 2006. Il ne s’agit pas d’une preuve sur laquelle il aurait été possible de se fier pour prouver que l’appelant devait être retourné travailler encore une fois après 2007.

[52] La seule preuve concernant la possible source de revenus pour l’année 2009 provenait du témoignage de l’appelant. Cela est établi dans l’affidavit de M. Cham. Celui-ci a déclaré qu’il ne se souvenait pas de la source des revenus. Il a avancé qu’il pourrait s’agir de prestations d’invalidité à long terme, mais qu’il était incertain. Toutefois, il a été cohérent dans son témoignage selon lequel il n’avait pas travaillé au cours de l’année 2009 ou depuis qu’il a quitté son emploi en 2007. Il a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je n’ai absolument aucune idée de ce que [les revenus pour 2009 peuvent] être. Je n’ai pas travaillé une seule journée. », et « J’ai touché des prestations à court terme d’abord, peu après avoir quitté mon emploi et je ne suis pas retournée travailler depuis. » La division générale semble avoir ignoré cette preuve dans son ensemble, mais elle a ainsi commis une erreur, puis que la preuve était en mesure d’appuyer une conclusion selon laquelle les revenus de 2009 ne provenaient pas d’un emploi.

[53] Dans la décision relative à la permission d’en appeler, j’ai examiné brièvement une partie de la jurisprudence portant sur la question relative aux éléments pouvant être considérés comme abusifs ou arbitraires. J’ai souligné que ni la LMEDS ni le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale ne définit l’expression. Dans la décision Synchrosat Ltd. c. Canada, 2004 CAF 55, le juge Létourneau a conclu qu’il devait y avoir « suffisamment d’éléments de preuve pour étayer les conclusions », et, dans la décision Canada (Procureur général) c. Schultz, 2006 CF 1351, la Cour fédérale a conclu que la preuve devait être démontrer « de façon évidente ». Ces sources laissent entendre qu’il doit y avoir une preuve ou un fondement à partir duquel la division générale tire une conclusion de fait afin d’éviter que celle-ci soit abusive ou arbitraire.

[54] La représentante de l’intimé souligne que ces sources offrent des lignes directrices limitées. Elle se fie sur un certain nombre de sources qui permettent d’affirmer qu’une décision sera tirée de façon abusive ou arbitraire si elle [traduction] « ignore le dossier de preuve » ou si elle est fondée sur l’ignorance d’une [traduction] « preuve documentaire essentielle » ou une preuve [traduction] « prise en compte de façon inappropriée » : Canada (Procureur général) c. MacLeod (2010), 410 NC 166 (CAF), au paragraphe 5; Canada (Procureur général) c. McCarthy, [1994] A.C.F. 1158 (C.A.), au paragraphe 22; et Vincent c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. 964 (C.A.), au paragraphe 38..

[55] La représentante soutient que, avant de conclure s’il existe une preuve qui a été ignorée, la division d’appel doit examiner les motifs de décision et la preuve de la division générale en se rappelant la nature et la portée de l’appel devant la division d’appel : Mishibinjma c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2005 CAF 17, aux paragraphes 5 et 6. Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale a statué ce qui suit :

[5] L’affaire dont était saisi le juge arbitre était un appel et celui-ci ne pouvait intervenir sur des questions factuelles que si le conseil avait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. En l’espèce, le juge-arbitre ne pouvait rendre une telle décision que s’il disposait de la preuve déposée devant le conseil.

[6] En l’espèce, le conseil arbitral a tiré des conclusions de fait importantes relativement à l’incapacité alléguée de l’appelant et cela constituait donc une erreur de la part du juge-arbitre, en l’absence de cette preuve, de tirer des conclusions comme il l’a fait.

[56] La représentante soutient qu’une erreur de droit serait commise s’il était conclu que la division générale a commis une erreur en appréciant la preuve et en substituant son propre point de vue concernant les faits sans d’abord conclure que la division générale a commis une erreur quelconque en principe lorsqu’elle a tiré sa conclusion. La représentante affirme qu’il n’existe aucune preuve selon laquelle la division générale a commis une erreur en principe : McCarthy, paragraphes 17 et 22. Au paragraphe 22, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[traduction]
[22] La question dont le juge-arbitre était saisi était celle de savoir si la preuve versée dans le dossier devant le conseil afin d’appuyer la conclusion selon laquelle la requérante avait quitté volontairement son emploi. Sans répondre à cette question et sans tout d’abord conclure que le conseil a commis une erreur en principe en tirant sa conclusion, le juge-arbitre a substitué son propre point de vue concernant les faits pour celui du conseil. Ainsi, il a manqué au principe énoncé dans la décision Roberts. Par conséquent, le procureur général du Canada peut obtenir gain de cause relativement à cette question en litige. (caractères italiques ajoutés)

[57] La représentante soutient que, étant donné que le registre des gains fait état que l’appelant a touché 7 889 $ en revenus d’emploi en 2009, la conclusion selon laquelle il a touché ces revenus en 2009 est raisonnable, car l’appelant n’a donné aucune explication précise relativement à sa source. La représentante affirme que la division générale n’a pas commis une erreur en concluant que l’appelant [traduction] « était en mesure de retourner travailler en 2009 », car les rapports médicaux de l’appelant confirment que ses médecins envisageaient et recommandaient que l’appelant se recycle dans un autre emploi en 2009.

[58] Bien que les revenus pour l’année 2009 auraient pu représenter des revenus d’emploi, ils auraient également pu représenter d’autres revenus. Il y a donc dû avoir un fondement probatoire sur lequel la division générale a pu associer ces revenus à des revenus d’emploi. La division générale n’a pas expliqué le fondement sur lequel elle a nécessairement conclu que les revenus devaient être des revenus d’emploi autrement qu’en déclarant que, étant donné que l’appelant était retourné travailler après une blessure antérieure en 2006, il avait dû être en mesure de retourner travailler encore une fois après sa blessure récente de 2007. La division générale n’a pas laissé entendre qu’elle a conclu que l’appelant avait dû retourner travailler en 2009 étant donné que les médecins avaient envisagé et recommandé le recyclage de l’appelant dans un autre emploi au cours de la même année.

[59] Il ne s’agit pas d’une question de savoir s’il existe une [traduction] « preuve versée au dossier ». Comme la Cour d’appel fédérale a statué dans la décision McCarthy, cette preuve doit être en mesure d’appuyer la conclusion qui est tirée.

[60] Dans ce cas particulier, la division générale a tenu compte des antécédents de l’appelant en matière d’emploi et du fait que l’appelant avait été en mesure de retourner travailler après une blessure subie en 2006 comme une preuve selon laquelle il avait dû être en mesure de retourner travailler après avoir subi sa blessure en 2007. La décision de la division générale ne peut pas être maintenue sur ce fondement. Ni le fait que l’appelant avait été en mesure de retourner travailler après une blessure antérieure, ni le registre des gains, ni l’historique des cotisations au Régime de pensions du Canada ne peut être considéré comme une preuve ou un fondement sur lequel il est possible de conclure que l’appelant travaillait en 2009..La preuve sur laquelle la division générale s’est fondée ne peut pas appuyer la conclusion qui est tirée. Les antécédents en matière d’emploi, c.-à-d. le fait que l’appelant avait été en mesure de retourner travailler après une blessure antérieure, et le registre des gains ne sont pas suffisants pour appuyer les constatations et les conclusions tirées par la division générale, particulièrement dans le contexte du témoignage de l’appelant selon lequel il n’a pas travaillé de nouveau après 2007. L’appelant a été cohérent dans son témoignage selon lequel il n’a pas travaillé de nouveau après 2007. Toutefois, la division générale a ignoré le témoignage dans son ensemble et elle n’a pas expliqué la raison pour laquelle il ne faudrait pas y croire.

[61] L’autre faible des conclusions de la division générale est que les revenus de 7 889 $ pour 2009 étaient [traduction] « non anodins ». Il semble que, en décrivant les revenus de cette façon, la division générale pourrait laisser entendre que cela représentait un emploi véritablement rémunérateur. Même si les revenus de 2009 découlaient d’un emploi, la division générale aurait dû mener des enquêtes approfondies pour déterminer s’il s’agissait en fait de revenus représentant un emploi véritablement rémunérateur. Si les revenus avaient été annualisés et s’ils avaient été touchés dans le contexte d’un employeur bienveillant, ils auraient pu ne pas être admissibles à titre de revenus représentant un emploi véritablement rémunéré. Si la division générale a laissé entendre que les revenus pour l’année 2009 représentaient un emploi véritablement rémunéré sans avoir mené une enquête et sans disposer d’éléments de preuve à cet égard, il s’agirait d’une erreur.

Quatrième question en litige: Réparation

[62] Même si j’estime sans fondement l’observation selon laquelle la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle, je suis convaincue que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée soit de façon abusive ou arbitraire soit sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[63] La représentante soutient que la décision de la division générale est néanmoins raisonnable. Le conseil soutient qu’il n’y a pas de de rapports médicaux concernant la période minimale d’admissibilité, qu’aucun rapport médical ne fait état que l’appelant est invalide, que l’appelant a une capacité résiduelle de travailler et que l’appelant ne s’est pas recyclé et il n’a pas cherché un travail convenable. La représentante déclare que, étant donné ces facteurs, la décision de la division générale est intelligible et appartient à la gamme d’issues possibles acceptable selon la loi et la preuve dont la division générale disposait, et que l’appel doit par conséquent être accueilli. Dans un même ordre d’idées, elle soutient que, si je constate une erreur de fait, je dois renvoyer le dossier à un différent membre de la division générale.

[64] La Cour d’appel fédérale laisse entendre que la division d’appel ne doit pas appliquer la norme de la décision raisonnable, même dans les cas où il y a des erreurs de faire ou des erreurs mixtes de fait et de droit. En d’autres mots, le caractère raisonnable de l’approche formulée dans la décision Dunsmuir, selon laquelle la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit doit être abandonnée dans le cadre d’appels interjetés contre des décisions de la division générale. Par conséquent, je m’abstiendrai de déterminer si la décision de la division générale pourrait avoir été raisonnable, sauf que je mentionnerai que les observations de la représentante concernant le caractère raisonnable de la décision pourraient avoir eu une certaine influence.

[65] La réparation appropriée est de renvoyer le dossier à la division générale pour nouvelle décision.

Conclusion

[66] L’appel est accueilli, et l’affaire est renvoyée à la division générale pour nouvelle décision par un membre différent.

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