Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

  • L’appelante : J. M.
  • Représentante de l’appelante : Avril Cardoso
  • Représentante de l’intimé : Christine Singh

Introduction

[1] L’appelante a réclamé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. L’intimé a rejeté sa demande lors de sa présentation initiale et aussi après révision. L’appelante a interjeté appel de la décision de révision auprès du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) après l’expiration du délai prévu. Elle s’est adressée à la division générale du Tribunal pour obtenir une prorogation du délai accordé pour interjeter appel. La division générale lui refusa cette demande le 27 avril 2015.

[2] L’appelante a présenté une demande de permission d’en appeler de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal. Le 27 juillet 2015, la permission d’en appeler à la division d’appel lui a été accordée.

[3] Le présent appel a été instruit par vidéoconférence, compte tenu des facteurs suivants :

  1. La complexité des questions en litige sous appel;
  2. Le fait que la crédibilité des parties ne figurerait pas au nombre des questions principales;
  3. Le fait que l’appelante ou les autres parties étaient représentées;
  4. Le besoin, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.
  5. Les audiences ne peuvent pas être tenues par vidéoconférence dans la région où réside l’appelant;
  6. La nature et le contenu des observations déposées par les parties.

Des observations écrites et orales ont été prises en considération pour rendre une décision dans cette affaire.

Norme de contrôle

[7] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social régit les activités du Tribunal. L’article 58 de la Loi énonce les seuls moyens d’appel pouvant être pris en considération pour accorder la permission d’appeler d’une décision de la division générale. L’article 59 formule les redressements que la division d’appel peut appliquer en appel (voir l’annexe de la présente décision). Je dois donc déterminer si la décision de la division générale comportait une erreur en vertu de l’article 58 de la Loi telle que la décision ne peut être maintenue.

[8] La question en litige devant la division générale était de savoir si elle accordait une prorogation du délai dont disposait l’appelante pour en appeler d’une décision. Il s’agit d’une décision discrétionnaire qui doit être marquée de déférence. La décision avait énoncé correctement que, dans l’affaire Canada (ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, (2005) CF 883, la Cour fédérale avait établi des facteurs à prendre en compte pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai pour permettre le dépôt d’une demande de permission d’en appeler. La division générale avait dégagé les quatre facteurs de cette décision et les avait appliqués aux faits devant elle. Cela n’a pas été contesté.

[9] L’appelante a soutenu que la prorogation du délai pour déposer un appel devrait lui être accordé parce qu’à l’époque où elle s’apprêtait à déposer ses documents d’appel, elle faisait en même temps un appel d’une décision sur des prestations d’invalidité au niveau provincial et qu’elle était déroutée par les deux processus, qu’elle avait l’intention d’interjeter appel de cette décision-ci. La division générale a conclu qu’elle avait présenté une cause défendable en appel et qu’une prorogation du délai ne porterait aucun préjudice à l’intimé. Ces conclusions abordent les facteurs établis dans l’affaire Gattellaro. Cependant, je n’en ai pas tenu compte pour décider si la décision de la division générale comprenait des erreurs en vertu de l’article 58 de la Loi.

[10] La représentante de l’appelante a également soutenu que la décision Gattellaro se distinguait de la celle-ci sur une question de fait. Alors que dans l’affaire Gattellaro il s’était écoulé une période d’environ sept ans entre la demande de prorogation du délai et la décision de l’accorder, dans l’affaire qui nous concerne, il ne s’était écoulé que quelques mois. Je suis d’accord qu’il s’agit là d’une différence factuelle importante. Toutefois, je ne suis pas disposée à écarter l’affaire Gattellaro puisque les deux parties (dans l’affaire qui nous concerne) se sont fondées sur elle dans leur argumentation. Bien que les faits y soient différents de ceux qui ont été portés à mon attention, les principes juridiques établis dans l’affaire Gattellaro demeurent pertinents et doivent être appliqués à l’affaire qui nous occupe.

[11] La représentante de l’intimé a fait valoir qu’à la lumière de la preuve portée à sa connaissance, la division générale avait raisonnablement conclu que l’appelante n’avait pas d’intention persistante de poursuivre l’appel ni d’explication raisonnable de son retard. Elle a soutenu qu’aucun élément de preuve ne démontre que l’appelante ait fait des démarches pour poursuivre son appel ni pour contacter le Tribunal entre le moment où la révision lui a été communiquée et celui où elle a déposé sa demande de prorogation du délai. Cette demande a été déposée environ onze mois après que la décision lui ait été communiquée. L’appelante n’a pas contesté ce fait, mais elle a soutenu que la décision de la division générale ne devrait pas être maintenue puisqu’elle n’avait pas tenu compte de l’intérêt de la justice lorsqu’elle en est arrivée à sa décision et que le tribunal de révision n’avait pas fourni de motifs adéquats pour expliquer sa décision.

[12] Il est clair que les facteurs établis dans l’affaire Gattellaro doivent être pris en compte pour déterminer si l’appelante devrait se voir accorder une prorogation du délai pour interjeter appel. Toutefois, dans l’affaire Procureur général du Canada c. Pentney, (2008) CAF 96, la Cour d’appel fédérale est venue préciser la question : elle a proposé qu’un cinquième facteur — « tous les autres facteurs pertinents propres à l’affaire » — doive également être pris en compte. Ceci afin de répondre à la considération sous-jacente — assurer que justice soit rendue entre les parties. Ce qui a été réaffirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Larkman, (2012) CAF 204. La Cour y a maintenu que, bien qu’il faille prendre en compte les facteurs énoncés dans l’affaire Gattellaro, la considération primordiale est d’assurer les intérêts de la justice.

[13] Dans l’affaire Larkman, la Cour a aussi conclu que le caractère définitif et incontestable des litiges doit également faire partie de l’évaluation des intérêts de la justice. Dans cette affaire, puisque la question en litige était restreinte et n’affectait que les parties à ce litige (ainsi que les descendants du requérant), la Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’adopter une approche très rigide quant au délai pour déposer une demande d’appel. C’est sur cette base que la Cour a conclu que le caractère définitif et incontestable ne revêtait pas autant d’importance. Je suis donc d’avis que ces règles s’appliquent à la présente affaire. Les questions en litige sont restreintes et n’affectent que les parties à cette affaire. Cette décision ne lie pas les autres décideurs. Il ne semble pas que la division générale l’ait pris en considération rendant sa décision.

[14] De plus, je ne suis pas convaincue que la division générale ait pris en considération les intérêts de la justice en rendant sa décision. La division générale a énoncé et appliqué les facteurs de l’affaire Gattellaro de façon mécanique sans prendre en considération toutes les circonstances de l’affaire dont elle était saisie.

[15] L’intimé a également soutenu qu’une prorogation du délai pour déposer un appel n’est pas accordée comme un droit, mais bien comme une mesure de redressement discrétionnaire. Sa représentante a soutenu que la division générale avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée et qu’il n’appartient pas à la division d’appel de réapprécier la preuve pour en arriver à une conclusion différente de celle tirée par la division générale. Bien qu’il soit accepté de considérer avec déférence une décision discrétionnaire, cela ne tient pas si les principes juridiques pertinents n’ont pas été pris en considération pour y arriver.

[16] La représentante de l’intimé a soutenu qu’il était possible de percevoir une disjonction entre la compréhension du membre des facteurs de l’affaire Gattellaro et la décision actuelle, en fait, cette disjonction n’existait pas. Elle a soutenu que la division générale avait correctement énoncé le critère juridique à satisfaire par l’appelante pour obtenir une prorogation du délai et que ce critère avait été appliqué de façon raisonnable à la preuve. Elle a soutenu que l’application même des facteurs de l’affaire Gattellaro démontrait que la division générale avait regardé aux intérêts de la justice. Sauf le respect que nous lui devons, nous ne sommes pas d’accord. La division générale a appliqué mécaniquement les facteurs de l’affaire Gattellaro à la preuve.

[17] De plus, la décision ne précisait pas pourquoi il avait été accordé plus d’importance au manque d’explication du retard qu’aux autres facteurs considérés. C’est ce qui a entraîné cette disjonction à laquelle se réfère la représentante de l’intimé. L’un des buts pour lesquels on motive par écrit une décision est de permettre aux parties de comprendre pourquoi une décision a été rendue. Dans ce cas-ci, cet objectif n’a pas été atteint.

[18] Dans l’affaire MacDonald c.Ministre de l’Emploi et du Développement social, T -674-15, (6 novembre 2015) (non publiée), la Cour fédérale a pris en considération une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal de la sécurité sociale qui avait refusé une prorogation du délai pour déposer un appel auprès de la division d’appel du Tribunal. La Cour a accordé la demande en se fondant sur le fait que le Tribunal n’avait pas pris en compte aucun autre facteur sauf ceux énoncés dans l’affaire Gattellaro et qu’il n’avait pas expliqué pourquoi l’un des facteurs avait plus de poids qu’un autre. De même la décision qui est devant moi n’expose pas comment la division générale en est arrivée à sa conclusion après avoir appliqué les facteurs aux faits qu’elle considérait.

[19] Pour toutes ces raisons, je ne suis pas convaincue qu’en rendant sa décision, la division générale ait pris en considération tous les intérêts de la justice, notamment la nécessité de trouver un équilibre entre assurer la justice entre les parties et le caractère incontestable de sa décision. Les motifs de sa décision étaient insuffisants puisque la division générale n’a pas explicité comment elle a soupesé les facteurs qu’elle avait considérés pour en arriver à sa décision.

[20] Par conséquent, la décision de la division générale comprend une erreur de droit qui constitue un motif d’appel en vertu de l’article 58 de la Loi. L’appel est accueilli.

Redressement

[21] L’article 59 de la Loi sur l’emploi et le Développement social établit les mesures correctives que la division d’appel peut apporter à un appel. Il ne serait pas approprié pour moi de rendre la décision qu’aurait dû rendre la division générale puisque je n’ai pas entendu la preuve. Le dossier est renvoyé à la division générale pour que la demande de prorogation du délai pour déposer l’appel soit révisée à la lumière de ces motifs. La décision de la division générale datée le 27 avril 2015 doit être retirée du dossier. Pour éviter toute crainte de partialité, l’affaire devrait être instruite par un autre membre de la division générale.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

58. (2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour révision conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

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