Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] À l’appui de sa demande de pension d’invalidité au Régime de pensions Canada, la demanderesse allégua qu’elle souffrait de blessures aux épaules et au cou, de douleur chronique de troubles hépatiques, d’un cancer, de problèmes cardiaques et de problèmes de santé mentale. L’intimé a rejeté sa demande de pension d’invalidité, initialement et après réexamen. La demanderesse a interjeté appel à l’encontre de la décision de réexamen auprès du Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. L’appel a été transféré à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale le 1er avril 2013, en application de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable. Le 25 septembre 2015, la division générale a tenu une audience par téléconférence et a rejeté l’appel.

[2] La demanderesse a demandé la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal. Ses arguments en faveur d’une permission d’en appeler : la division générale avait manqué aux principes de justice naturelle en tenant une audience par téléconférence; elle avait fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance et elle avait commis des erreurs de droit.

[3] Le défendeur n’a pas déposé d’observations.

Analyse

[4] Pour obtenir la permission d’en appeler, le demandeur doit présenter un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel : Kerth c. Canada (ministre du Développement des ressources humaines), (1999) ACF no 1252 (CF). Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si le défendeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Canada (ministre du Développement des Ressources humaines) c. Hogervorst, (2007) CAF 41; Fancy c. Canada (Procureur général), (2010) CAF 63.

[5] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi) régit les activités du Tribunal. L’article 58 de la Loi énonce les seuls moyens d’appel qui justifient l’octroi de la permission d’appeler d’une décision de la division générale (voir le libellé de l’article dans l’annexe jointe à la présente décision). Par conséquent, je dois décider si la demanderesse a soulevé un moyen d’appel prévu à l’article 58 de la Loi et si ce moyen a une chance raisonnable de succès en appel.

[6] Premièrement, la demanderesse prétend que la permission d’en appeler devrait être accordée puisque la division générale n’a pas observé les principes de justice naturelle en tenant une audience par téléconférence plutôt que 'en personne. Elle se fonde sur deux décisions de la Commission d’appel des pensions qui affirmaient que la seule façon de véritablement déterminer l’effet d’une invalidité sur une personne qui demande une pension était d’entendre son témoignage en personne et d’évaluer ainsi sa crédibilité. La représentante de la demanderesse prétend que ce n’était pas possible au téléphone. Elle prétend également que la demanderesse avait une attente légitime d’être entendue en personne puisqu’elle avait eu droit à une ce type d’audience quand elle avait porté son appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision.

[7] Ce Tribunal n’est pas lié par les décisions de la Commission d’appel des pensions. Contrairement à ce Tribunal, la Commission d’appel des pensions ne tenait que des audiences en personne. De ce fait, les décisions sur lesquelles s’appuie la demanderesse peuvent être dissociées de la question qui nous occupe actuellement. De plus, son raisonnement ne me convainc pas puisque chaque affaire doit être jugée sur ses propres faits. Il n’y a rien qui me suggère que la division générale n’était pas en mesure de recevoir et d’évaluer convenablement la preuve de la demanderesse à cause d’une audience par téléconférence.

[8] De plus, le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement) prévoit à l’article 21 que les audiences peuvent être tenues au moyen de questions et réponses écrites, par téléconférence, vidéoconférence ou tout autre moyen de télécommunication, ou par comparution en personne des parties. En outre, l’article 28 du Règlement prévoit qu’une fois que tous les documents ont été déposés à la division générale (ou à l’expiration de la période prévue pour le faire), la section de la sécurité du revenu doit rendre sa décision en se fondant sur les documents et observations déposés, ou, si elle estime qu’elle doit entendre davantage les parties, leur faire parvenir un avis d’audience. À la simple lecture de cette disposition, il est évident que personne n’a droit à une audience en personne.

[9] Ce motif d’appel a trait à l’équité procédurale. La Cour suprême du Canada a abordé la question dans l’arrêt Baker c. Szczecka c Canada (ministre la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999) 2 RCS 817. Cet arrêt énonce clairement qu’une décision qui touche les droits, privilèges ou biens suffit pour entraîner l’obligation d’équité. Le concept d’équité procédurale est toutefois variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas. La décision énumère ensuite un certain nombre de facteurs dont on peut tenir compte pour décider de la nature de l’obligation d’équité qui s’applique dans un cas particulier, notamment, la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir, la nature du régime législatif et les termes régissant l’organisme, l’importance de la décision pour la personne visée, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision et les choix de procédure que l’organisme fait lui-même, particulièrement quand la législation laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures.

[10] En appliquant ces facteurs en l’espèce, je tire les conclusions suivantes : premièrement, il est clair qu’une décision de la division générale sur le bien-fondé d’un appel touche les privilèges du demandeur. Une décision concernant le mode de l’audience qui détermine ces privilèges, par voie de conséquence, les touche aussi.

[11] Par ailleurs, la nature de la décision en question dans l’affaire qui nous occupe est procédurale. Le mode d’audience ne change pas le fait qu’un demandeur ait la possibilité de présenter sa cause et de répondre aux observations de l’intimé.

[12] J’admets que les questions de cette affaire sont importantes pour la demanderesse.

[13] J’accorde beaucoup d’importance à la nature du régime législatif qui régit le Tribunal de la sécurité sociale. Ce Tribunal a été établi pour régler les différends dont il est saisi de la manière la plus expéditive et économique possible. Pour ce faire, le Parlement a adopté une loi qui donne au Tribunal un pouvoir discrétionnaire quant au choix du mode d’audience, soit par comparution en personnes, par vidéoconférence ou au moyen de questions et réponses écrites, etc. Ce pouvoir discrétionnaire de choisir le mode d’audience ne doit pas être restreint indûment.

[14] Dans bon nombre de décisions, les tribunaux se sont penchés sur le concept des attentes légitimes. Il est évident, à la lumière de ces décisions, que ce concept renvoie aux attentes procédurales et non aux attentes sur le fond. En d’autres mots, une partie à la demande devant le Tribunal de la sécurité sociale peut s’attendre à certaines garanties procédurales, mais non à un résultat précis pour sa cause (voir Baker, cité précédemment). Récemment, la Cour fédérale a traité de la question des attentes légitimes dans le contexte d’un appel devant la division d’appel du TSS, dans l’affaire Alves c. Canada (Procureur général), (2014) CF 1100. Dans cette affaire, le demandeur sollicitait un contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel du Tribunal. Ce demandeur avait interjeté appel d’une décision auprès de la Commission d’appel des pensions, qui n’a pu instruire l’affaire avant la fin de son mandat. L’affaire avait été transférée à la division d’appel du Tribunal. Celui-ci est allé de l’avant dans l’affaire en se fondant sur la loi antérieure à l’entrée en fonction du Tribunal, en raison des attentes légitimes du demandeur lorsqu’il avait interjeté appel. Dans sa décision, la Cour fédérale a statué que la théorie des attentes légitimes se limite aux règles d’équité procédurale. Elle a conclu que le TSS avait erré et que la loi en vigueur lors de l’audience aurait dû être appliquée au lieu de la loi qui était en vigueur lors de la demande à la Commission d’appel des pensions. De même, en l’espèce, je suis d’avis que les attentes légitimes de la demanderesse ne s’étendent pas de manière à inclure le droit à une audience en personne. Ce n’est pas prévu dans la Loi qui régit le Tribunal, pas plus que dans le Règlement.

[15] Enfin, je dois examiner les choix de procédure exercés par la division générale. Le Règlement prévoit que le membre du Tribunal détermine le mode de l’audience. Le Règlement ne donne aucune orientation sur la manière dont le mode d’audience est déterminé. Il s’agit d’une décision discrétionnaire. Une certaine déférence est donc de mise à l’égard de la décision du membre dans chaque cas.

[16] La demanderesse avait requis que cette affaire soit entendue en personne avant la décision de la division générale de procéder par téléconférence. Dans sa demande de permission d’en appeler, elle n’a pas allégué que la division générale n’avait pas considéré sa demande, qu’elle avait considéré des facteurs non pertinents ou qu’elle n’avait pas considéré certains facteurs en rendant sa décision.

[17] Pour toutes ces raisons, je ne suis pas convaincue que la division générale n’a pas observé les principes de justice naturelle en tenant cette audience par téléconférence.

[18] La demanderesse prétend également que la division générale avait commis des erreurs de droit en omettant de fournir des raisons de ne pas accepter son témoignage au sujet de ses contraintes et que la division générale n’aurait pas dû écarter son témoignage sans fournir d’explication pour ce refus. La décision de la division générale résumait le témoignage de la demanderesse au sujet de son état de santé et de ses limitations. Elle n’a pas rejeté ce témoignage, elle l’a plutôt soupesé au même titre que les autres éléments de preuve devant elle avant d’en venir à sa décision. Ce motif d’appel ne présente aucune chance raisonnable de succès en appel.

[19] La demanderesse soutient de plus que la division générale a commis des erreurs de droit puisqu’elle n’avait pas appliqué le bon fardeau de la preuve en l’espèce. Au paragraphe [31] de sa décision, la division générale affirmait que la demanderesse devait démontrer sur la prépondérance des probabilités qu’elle était invalide. Ceci était correct. Au paragraphe [35] de la décision, on lit  : « la preuve médicale au dossier laisse subsister quelque doute quant à la gravité de ses symptômes... ». La représentante a allégué que ceci suggérait que la division générale avait soumis la demanderesse à une norme de preuve supérieure à celle qui est requise en droit en décidant de son invalidité. En lisant la décision dans son ensemble, il peut sembler que la division générale n’a peut-être pas appliqué la norme de preuve appropriée en l’espèce. C’est là un moyen d’appel qui pourrait avoir une chance raisonnable de succès en appel.

[20] La demanderesse soutient de plus que la division générale avait commis des erreurs de droit en déterminant que sa capacité de participer à un programme de recyclage professionnel indiquait qu’elle avait aussi la capacité de travailler; elle a rappelé au Tribunal qu’elle avait eu besoin d’accommodements pour suivre ce programme. En présentant cet argument, elle demande essentiellement au Tribunal d’examiner et de soupeser de nouveau la preuve dont disposait la division générale. Or, cela relève du juge des faits. Lorsqu’un tribunal est appelé à rendre une décision relativement à une demande de permission d’en appeler, il ne doit pas substituer son appréciation du caractère persuasif de la preuve à celle du tribunal de révision qui a tiré les conclusions de fait - Simpson c. Canada (Procureur général), (2012) CAF 82. Cet argument ne constitue pas un moyen d’appel qui présente une chance raisonnable de succès.

[21] De plus, la demanderesse allègue que la division générale avait fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Notamment, elle fait valoir que la décision soulignait le fait qu’elle avait besoin d’assistance lorsqu’elle dactylographiait, alors qu’en fait, on lui avait fourni un preneur de notes en classe. De plus, la division générale soulignait qu’elle possédait une excellente éducation et qu’elle était bilingue alors que son anglais oral et écrit était limité, qu’elle avait eu besoin de tutorat afin de compléter ses équivalences au niveau secondaire et d’accommodements afin de compléter un programme collégial.

[22] La décision de la division générale relevait le besoin d’assistance pour la dactylo et le besoin d’accommodements de la demanderesse pendant son programme collégial. Bien que cette description n’était peut-être pas entièrement précise, je ne suis pas convaincue qu’il y ait eu erreur commise de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance du Tribunal.

[23] Au sujet de son bilinguisme, la décision soulignait ses limitations, donc, aucune erreur de fait à cet égard.

[24] Je comprends que la demanderesse ne soit pas d’accord avec le qualificatif « excellent » utilisé par la division générale pour décrire son éducation, cependant, la décision faisait état des éléments de preuve sur lesquels repose cette conclusion. Le désaccord avec la décision ne constitue pas un moyen d’appel prévu par la Loi.

[25] Enfin, la demanderesse prétend que la division générale avait commis une erreur en se fondant sur des commentaires spéculatifs, dans les rapports médicaux, sur une possibilité de recyclage professionnel pour conclure qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité grave. La décision de la division générale renvoyait à des rapports médicaux rédigés au moment considéré où on lit que, si ses symptômes ne s’amélioraient pas, la demanderesse pourrait être reconvertie et pourrait suivre une formation afin de trouver un travail dans les limites de ses contraintes physiques. Cet élément de preuve était considéré en même temps que les autres rapports médicaux ainsi que le témoignage de la demanderesse pour en arriver à la décision à cet égard. Je ne suis pas convaincue que la division générale ait commis une quelconque erreur dans sa considération de cette preuve. Cet argument ne constitue pas un moyen d’appel qui présente une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[26] La permission d’en appeler est accordée à la demanderesse au motif qu’elle a présenté des moyens d’appel qui correspondent à ceux prévus à l’article 58 de la Loi et que son appel a une chance raisonnable de succès.

[27] La présente décision d’accorder la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

[28] Les parties sont invitées à présenter des observations sur le mode d’audience qu’il conviendrait d’adopter pour instruire le présent appel ainsi que sur le bien-fondé de l’appel.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

58. (2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

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