Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

  • L’appelant : A. N.
  • L’avocat de l’appelant : Mark Grossman
  • Représentante de l’intimé : Christine Singh
  • Interprète : A. K.

Introduction

[1] Lorsqu’il a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC), l’appelant a affirmé qu’il était invalide en raison de dépression et de douleurs au cou et au dos. L’intimé a rejeté la demande à l’examen initial et aussi après révision. L’appelant a interjeté appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. Cet appel a été transféré à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal), en application de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable. À la suite d’une audience en personne, la division générale a accueilli l’appel le 23 avril 2015, puis elle a déterminé que l’appelant était devenu invalide aux termes du Régime de pensions du Canada (RPC) en décembre 2013.

[2] Le 16 juillet 2015, l’appelant a obtenu la permission de porter la décision de la division générale en appel devant la division d’appel du Tribunal. Il soutenait que la décision de la division générale était fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance; il soutenait de plus que sa date d’invalidité aurait dû être fixée en 2011 lorsqu’il a cessé de travailler. L’intimé a soutenu que la décision de la division générale ne comprenait aucune conclusion de fait erronée et que l’appel devrait être rejeté.

Analyse

[3] Les représentants des deux parties ont soumis des observations sur la norme de contrôle à appliquer à la décision de la division générale en l’espèce. Le représentant de l’appelant a fait valoir que cet appel comprenait des erreurs mixtes de droit et de faits et que, à cause de cela, la norme de la décision correcte devrait être appliquée en accordant une certaine déférence à la décision de la division générale. La représentante de l’intimé a fait valoir que dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jean, (2015) CAF 242, la Cour d’appel fédérale (CAF) avait suggéré que plutôt que d’effectuer une analyse formelle des normes de contrôle judiciaire, la division d’appel du Tribunal devrait examiner la législation applicable pour déterminer la déférence qu’il conviendrait d’accorder à la division générale dans les cas d’erreurs de fait. Elle a soutenu que le libellé de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi) indique qu’une certaine déférence doit être démontrée à l’égard de la division générale relativement aux conclusions de faits erronées, puisque de telles erreurs ne constituent pas un motif d’appel à moins d’avoir été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance par la division générale.

[4] Le jugement qui fait jurisprudence en la matière est Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick (2008) CSC 9. Dans ce cas, la Cour suprême du Canada a statué que lors du contrôle d’une décision sur des questions de fait, des questions mixtes de droit et de fait et des questions de droit portant sur la loi habilitante du tribunal, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, à savoir si la décision du tribunal fait partie d’un ensemble de dénouements potentiels acceptables qui pourraient être défendus dans le contexte des faits et des principes de droit en cause. Cette norme de contrôle doit être appliquée aux questions de compétence et aux questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et sont étrangères au domaine d’expertise de l’arbitre.

[5] Dans l’affaire Jean, la Cour d’appel fédérale (CAF) a déclaré que la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale ne devrait pas assujettir les appels dont elle est saisie à une analyse relative à la norme de contrôle, mais devrait plutôt déterminer si l’un des moyens d’appel énoncés à l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social a une chance de succès.

[6]  C’est la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi) qui régit le fonctionnement du Tribunal. L’article 58 de la Loi précise que  :

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Le représentant de l’appelant a soutenu simplement que, dans sa décision, la division générale s’était fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Je dois décider si la décision contient une telle erreur sujette au contrôle judiciaire.

[7] Premièrement, le représentant de l’appelant a fait valoir que la conclusion de fait de la division générale, à savoir que l’appelant avait la capacité d’effectuer du travail sédentaire en 2011 et qu’il n’était donc pas invalide à ce moment, était erronée et qu’elle n’était pas fondée sur une bonne considération des éléments de preuve. Il a fait référence au rapport médical du Dr Eskander à l’intention de l’assureur de l’appelant le 20 août 2012; il soutient que ce rapport avait été préparé aux fins de l’assurance et non pour satisfaire les exigences d’une demande de pension du RPC, et que c’est dans ce contexte-là qu’il aurait dû être considéré puisque les contrôles pour invalidité d’un assureur sont différents de ceux du RPC. Il s’est également référé au rapport médical que le Dr Eskander avait déposé au sujet de la demande de pension d’invalidité du RPC. Il a fait valoir, en gros, que celui-ci aurait dû être plus persuasif vu qu’il avait été préparé en tenant compte de la législation du RPC et non d’un autre plan d’assurance.

[8] Au contraire, la représentante de l’intimé a fait valoir que c’est à la division générale, en tant que juge des faits, qu’il appartient d’entendre la preuve des parties et de la soupeser pour rendre sa décision. La division d’appel n’a pas à apprécier la preuve de nouveau pour tenter d’en arriver à une conclusion différente; voir Simpson c. Canada (Procureur général), (2012) CF 82). Elle a maintenu qu’en présentant cet argument, l’appelant demandait à la division d’appel d’examiner à nouveau la preuve présentée à la division générale, ce qu’elle ne devrait pas faire.

[9] La représentante de l’intimée a correctement invoqué le droit applicable à cet égard. Dans l’affaire Simpson, la Cour d’appel fédérale (CAF) a affirmé, clairement, qu’une instance d’appel ne devrait réexaminer la preuve, ni substituer son appréciation du caractère persuasif de la preuve à celle du tribunal de révision qui a tiré les conclusions de fait, en l’espèce, la division générale. Ce motif-ci d’appel demande justement à la division d’appel de faire cela. Bien que je comprenne comment l’appelant peut être en désaccord avec la façon de soupeser la preuve de la division générale afin de tirer sa conclusion, cela ne constitue pas un motif d’appel aux termes de l’article 58 de la Loi.

[10] L’appelant a également fait valoir que la division générale avait commis une erreur en ne prenant pas en considération l’effet de sa dépression sur sa capacité de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Il a reconnu que la décision de la division générale faisait référence à un rapport du psychiatre de l’appelant dans son résumé des éléments de preuve, mais il a soutenu qu’elle ne l’avait pas pris en considération pour en arriver à sa décision.

[11] Répliquant à cet argument, la représentante de l’intimé s’est encore reportée sur la décision Simpson, qui affirme que le juge des faits est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve. Elle a ajouté que le simple fait que la décision s’en réfère au rapport du psychiatre indique que la division générale avait considéré cet élément de preuve.

[12] Je suis d’accord avec la représentante de l’intimé : la division générale est présumée avoir examiné toute la preuve portée à son attention. Cependant, cette présomption peut être réfutée. En l’espèce, il n’est pas clair pour moi si les éléments de preuve au sujet de la dépression de l’appelant ont été examinés pour arriver à la décision de la division générale. Dans l’arrêt Newfoundland Labrador Nurses ’ Union c. Newfoundland and Labrador (Conseil du trésor), (2011) CSC 62, la Cour suprême du Canada (CSC) a rappelé que l’une des raisons pour lesquelles on expose par écrit les motifs d’une décision est que les parties comprennent pourquoi une décision a été rendue. Sans aucune référence à la dépression de l’appelant dans son analyse de la preuve, je ne suis pas convaincue que, pour arriver à sa décision, la division générale l’a prise en considération. Je suis convaincue que la présomption que tous les éléments de preuve ont été considérés est réfutée. Je suis également convaincue que sans avoir tenu compte de tous les éléments portés à sa connaissance, la décision de la division générale comprend une conclusion de faits erronée au sujet de la capacité de l’appelant à détenir une occupation véritablement rémunératrice, puisqu’elle n’a pas considéré sa dépression dans sa décision.

[13] Finalement, l’appelant a fait valoir que, en concluant, en 2011, qu’il pourrait occuper un emploi sédentaire, la décision de la division générale était fondée sur une conclusion de fait erronée ne tenant pas compte de tous les éléments portés à sa connaissance, parce qu’elle n’avait pris en considération ni son incapacité à lire ou a parler anglais, ni le fait que ses seules expériences de travail consistaient en des emplois physiquement exigeants. La représentante de l’intimé a rétorqué que la décision de la division générale ne comprenait aucune erreur de la sorte puisqu’elle se référait à l’affaire Villani c.. Canada (Procureur général), (2001) CAF 248 et qu’elle avait pris en considération les facteurs réalistes requis par celle-ci.

[14] Je reconnais que la décision de la division générale a énoncé correctement les principes juridiques de l’affaire Vilani. La décision a aussi énoncé que l’appelant ne maîtrisait aucunement l’anglais et que son invalidité constituerait un obstacle à son apprentissage de cette langue. Cependant, la décision n’a pas pris en compte l’unique expérience de travail de l’appelant dans des emplois physiquement exigeants, bien que la décision ait reconnu qu’il ne pouvait plus désormais travailler de la sorte. Je suis convaincue que la décision de la division générale comprend des conclusions erronées à savoir que l’appelant serait en mesure de s’employer à un travail sédentaire et qu’elle a pris en considération toutes ses caractéristiques personnelles, notamment son expérience de travail et sa maladie mentale. Par conséquent, la décision de la division générale était fondée sur une conclusion de fait erronée qui ne tenait pas compte de l’ensemble des éléments qui ont été portés à sa connaissance à cet égard.

Conclusion

[15] L’appel est accueilli puisque je suis convaincue que, tout compte fait, la décision de la division générale, ne tenant pas compte de la maladie mentale de l’appelant, était fondée sur des conclusions de fait erronées concernant la capacité de l’appelant d’avoir un emploi sédentaire. L’article 59 de la Loi prévoit les recours qui peuvent être accordés par la division d’appel dans le cadre d’un appel. En l’espèce, il existe des questions relatives à la preuve qui doivent être résolues. Le dossier est retourné à la division générale pour révision de la date du début de son invalidité seulement.

[16] Afin d’éviter une appréhension potentielle de partialité, elle devrait être assignée à un membre différent de la division générale.

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