Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

J. M. : demandeur

R. D. : femme du demandeur

A. D. : bénévole

C. B. : amie

Jean-Marc Doiron : journaliste à L’Acadie Nouvelle

Contexte

[1] L’intimé a estampillé la demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) du demandeur le 15 janvier 2013. L’intimé a rejeté la demande au stade initial et après réexamen. Le demandeur a ensuite interjeté appel de la décision en réexamen devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR) et l’appel a été transféré au Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal) en avril 2013.

[2] Le demandeur a commencé à recevoir des prestations de retraite en octobre 2012 et il n’a pas annulé ses prestations de retraite dans les six mois. En vertu du paragraphe 66.1(1) du RPC, le Tribunal devait établir si le demandeur avait une invalidité grave et prolongée le ou avant le 30 septembre 2012 (soit le mois avant que sa pension de retraite devienne payable).

[3] Le 18 mars 2015, au cours d’une audience tenue sur la foi du dossier, un membre de la section de la sécurité du revenu de la division générale du Tribunal a établi que le demandeur n’était pas invalide au sens du RPC le 30 septembre 2012 ou avant cette date. Le demandeur n’a pas demandé d’autorisation d’interjeter appel devant la division d’appel du Tribunal.

[4] Le 3 juillet 2015, le demandeur a présenté une demande en vertu de l’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi sur le MEDS) pour faire annuler ou modifier la décision rendue par le Tribunal le 18 mars 2015 en raison d’erreurs commises par le ministère et le Tribunal et de nouveaux renseignements qui devraient être pris en compte.

[5] L’audience sur cette demande s’est faite par téléconférence pour les motifs suivants :

  1. Le demandeur sera la seule partie présente à l’audience.
  2. Il manquait de l’information ou il était nécessaire d’obtenir des précisions.
  3. La façon de procéder est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Nouveaux faits

[6] Les nouveaux faits invoqués comprennent les rapports suivants :

  1. Un rapport du Dr Moustafa Adams daté du 12 février 2015.
  2. Un rapport du Dr Seemann daté du 13 septembre 2012.
  3. Un rapport préopératoire et un rapport physique du Dr Moustafa Adams (date non indiquée).
  4. Des rapports de tomodensitogramme de la University Hospital of Alberta datés du 14 septembre 2012.
  5. Un rapport opératoire du Dr Seemann daté du 14 septembre 2012.
  6. Un avis de médecin relatif à l’admission daté du 14 septembre 2012.
  7. Un rapport du médecin sur l’historique et les opérations du Dr Moustafa Adams daté du 3 octobre 2012.

[7] Dans une lettre en date du 15 juin 2015 qui accompagnait la demande relative aux nouveaux faits, le demandeur a déclaré qu’il avait de la difficulté à obtenir des renseignements médicaux des médecins qu’il a consultés en Alberta, qu’il a présenté les documents en mars 2015, et qu’ils ont été refusés parce que la période de dépôt qui prenait fin le 2 janvier 2015 n’a pas été respectée. Il a soutenu que les rapports médicaux prouvent qu’il a été traité pour un carcinome squameux en août 2012, qu’il a reçu en septembre un diagnostic de cancer du larynx et de carcinome squameux des amygdales du côté droit, et qu’il est injuste d’exclure les rapports, car cette exclusion lui impose un fardeau indû.

[8] Les rapports sur les nouveaux faits ont été envoyés par télécopieur au Tribunal le 23 mars 2015, soit après que la décision a été rendue. Le 27 mars 2015, le Tribunal a déterminé que les documents ne seront pas acceptés parce qu’ils ont été présentés en dehors de la période de dépôt du 2 janvier 2015 et la décision avait déjà été rendue.

Droit applicable

[9] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les conditions d’admissibilité à la pension d’invalidité au titre du RPC. Pour être admissible à la pension d’invalidité, le demandeur doit :

  1. a) être âgé de moins de 65 ans;
  2. b) ne pas toucher de pension de retraite du RPC;
  3. c) être invalide;
  4. d) avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[10] L’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le MEDS prévoit que dans les cas autres qu’une décision relative à la Loi sur l’assurance-emploi le Tribunal peut annuler ou modifier une décision qu’il a rendu si un nouveau fait important est présenté qui n’aurait pu être découvert au moment de l’audience par l’exercice de la diligence raisonnable.

[11] Le paragraphe 66(1)b) reproduit le critère à deux volets élaboré par la Cour d’appel fédérale dans le cadre de l’interprétation du paragraphe 84(2) du RPC tel qu’il se lisait juste avant le 1er avril 2013, date qui a marqué les débuts de l’article 66. La Cour d’appel fédérale a énoncé dans Canada (Procureur général) c. MacRae un critère en deux volets pour déterminer si la preuve est admissible en tant que « nouveau fait » en vertu de l’ancien paragraphe 84(2) dans les termes suivants :

  1. a) la preuve doit établir un fait (habituellement un état pathologique dans le contexte du RPC) qui existait au moment de l'audience initiale mais qui ne pouvait être découvert avec diligence raisonnable avant cette audience (le critère de la possibilité de découvrir la preuve), et
  2. b) l'on doit raisonnablement être porté à croire qu'elle aurait modifié l'issue de la procédure antérieure (le critère du « caractère substantiel »).

[12] Ce critère à deux volets élaboré par la Cour d’appel fédérale est reproduit à l’article 66 de la Loi sur le MEDS, anciennement la Loi sur le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, lorsqu’il est question de « faits nouveaux et essentiels » pouvant être découverts dans l’exercice d’une « diligence raisonnable ».  S. M. c. Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2014 TSSDA 214.

Question en litige

[13] La preuve déposée à l’appui de la demande fondée sur des faits nouveaux établit-elle des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 66(1)b) de la Loi?

[14] Si le Tribunal juge qu’il y a des faits nouveaux au sens de l’alinéa 66(1)b) de la Loi, la preuve appuie-t-elle la conclusion selon laquelle l’invalidité du demandeur était grave et prolongée au sens du RPC en date du 30 septembre 2012 et de façon continue par la suite?

La décision de la division générale

[15] Le 3 décembre 2014, conformément à la pratique du Tribunal à l’époque, le Tribunal a envoyé un avis d’audience aux parties leur indiquant que le membre du Tribunal qui a examiné l’ensemble des documents déposés par les parties entend prendre une décision sur la foi des documents et des observations déposés pour les motifs suivants :

  • les questions faisant l’objet de l’appel ne sont pas complexes;
  • il manque de l’information ou il est nécessaire d’obtenir des précisions;
  • le mode d’audience respecte l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’audience doit se dérouler de la manière la plus informelle et la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[16] L’avis énonce une période de dépôt de documents additionnels du 2 janvier 2015 et une période de réponse du 2 février 2015. L’avis comprenait également :

[traduction]

Documents déposés après la période de réponse

Le membre du Tribunal rendra une décision, afin d’accueillir ou de rejeter l’appel, après la fin de la période de réponse ou peut-être avant si aucun document ni aucune observation ne sont déposés par les parties durant la période de dépôt. En conséquence, tout document non déposé dans le délai prescrit et indiqué sera fourni aux autres parties, mais pourrait ne pas être pris en considération par le membre du Tribunal dans sa décision. Si des documents sont déposés en retard, mais avant que la décision soit rendue, ils seront pris en compte uniquement à la discrétion du membre du Tribunal.

Prochaines étapes

Le membre du Tribunal entend actuellement prendre une décision sur la foi des documents et des observations déposés, mais il peut décider qu’une audience est nécessaire dans le cadre de cet appel selon les renseignements additionnels (s’il y a lieu) reçus pendant les périodes de dépôt et de réponse [Non souligné dans l’original.]. Si tel est le cas, toutes les parties recevront un avis d’audience et d’autres instructions. Après la période de réponse, ou peut-être plus tôt s’il n’y a pas de dépôt de documents ou d’observations pendant la période de dépôt, le Tribunal avisera toutes les parties de l’issue ou des prochaines étapes de cet appel.

[17] Bien que le demandeur n’ait pas déposé de documents additionnels, le 22 janvier, l’intimé a déposé des observations datées du 20 janvier 2015 (en dehors de la période de dépôt du 2 janvier 2015).

[18] Dans ses observations, l’intimé faisait valoir que le demandeur n’a pas établi une invalidité grave et prolongée au sens du RPC le 30 septembre 2012 ou avant cette date. L’intimé a fait état du questionnaire relatif aux prestations d’invalidité du demandeur dans lequel il mentionnait qu’il ne pouvait plus travailler en raison de son état de santé en date du 27 octobre 2012 et d’une conversation téléphonique d’un représentant de Service Canada avec le superviseur du demandeur relativement à son dernier emploi qui a confirmé que le demandeur était employé du 7 juillet 2012 au 27 octobre 2012, que son travail était satisfaisant, et qu’il n’avait pas besoin d’aide pour exercer ses fonctions.

[19] L’intimé a reconnu que l’état du demandeur ne lui a pas permis de reprendre le travail depuis octobre 2012, mais il a soutenu que le demandeur devait, pour être admissible aux prestations d’invalidité, avoir été reconnu atteint d’une invalidité grave et prolongée le ou avant le 30 septembre 2012. Quant au format de l’audience, le ministre estimait que l’appel pouvait être instruit par écrit sur la foi du dossier actuel, et se réservait le droit de participer à une audience orale si le Tribunal devait décider que l’appel serait instruit ainsi.

[20] Les observations de l’intimé ont été envoyées à l’appelant le 23 janvier 2015.

[21] L’appel du demandeur a été rejeté sur la foi du dossier le 18 mars 2015.

[22] Dans la décision initiale, le membre du Tribunal a examiné le questionnaire et les rapports médicaux contenus dans le dossier de l’audience qui comportaient un rapport du Dr Hart daté du 5 décembre 2012, un formulaire de demande de prestations d’invalidité rempli par le demandeur et le Dr Hart le 6 décembre 2012, un rapport du Dr Hart daté du 11 février 2014, et un rapport du Dr Allain, le médecin de famille du demandeur, daté du 12 novembre 2014. Le membre du Tribunal initial ne disposait pas de rapports des médecins qui ont traité le demandeur en Alberta en août et septembre 2012.

[23] L’analyse et la conclusion sont ainsi formulées :

[traduction]

L’appelant doit prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il avait une invalidité grave et prolongée le ou avant le 30 septembre 2012, le mois avant qu’il commence à recevoir ses prestations de pension de retraite anticipées.

Il est clair que l’appelant est actuellement incapable de travailler [Non souligné dans l’original.] Toutefois, la preuve n’établit pas que l’appelant avait une invalidité grave et prolongée le ou avant le 30 septembre 2012. Ses symptômes ont débuté en mai 2012, et il a continué à travailler jusqu’au 26 octobre 2012. Le rapport médical du Dr Hart daté du 6 décembre 2012 indiquait qu’il n’a commencé à traiter l’appelant qu’en novembre 2012, et que son pronostic était fonction de la réaction de l’appelant au traitement. Malheureusement, l’appelant avait finalement besoin d’une laryngectomie totale, de la réparation du lambeau pectoral, d’une reconstruction et du placement d’une fistule trachéo-oesophagienne, mais ces interventions ne sont pas survenues avant décembre 2013. Le Tribunal conclut que l’appelant n’avait pas d’invalidité grave et prolongée le ou avant le 30 septembre 2012, soit le mois avant qu’il commence à recevoir des prestations de pension de retraite anticipées…

L'appel est rejeté.

Les nouveaux faits

[24] Le rapport daté du 12 février 2015 du Dr Moustafa Adams indiquait qu’il a reçu le demandeur lors de trois visites : le 5 août 2012, le 9 septembre 2012 et le 3 octobre 2012. Il a rapporté que l’appelant avait de la difficulté à déglutir et une voix enrouée chronique. Il a aiguillé le demandeur vers le Dr Seemann, un otorhinolaryngologiste, qui a fait une endoscopie par crainte d’un carcinome squameux; il a ensuite effectué une quadroscopie, une biopsie du larynx, et une amygdalectomie du côté droit le 4 septembre 2012. Le diagnostic postopératoire était un carcinome squameux touchant le larynx et les amygdales du côté droit.

[25] Le rapport du Dr Seemann daté du 13 septembre 2012 indiquait qu’il a reçu le demandeur au sujet d’une dysphagie, de douleurs à la gorge, et de sa voix enrouée. Le demandeur a déclaré qu’il avait pris connaissance de douleurs à la gorge vers le mois de mai 2012; que la qualité de sa voix s’est détériorée; qu’il est atteint d’une dysphagie de plus en plus marquée au cours du dernier mois; qu’il a perdu du poids au cours des derniers mois; qu’il a de la difficulté à avaler la nourriture solide, mais qu’il peut avaler des fluides; et qu’il a également remarqué des douleurs à son oreille droite.

[26] L’historique et le rapport physique dressés par le Dr Moustafa Adams indiquent que l’intervention chirurgicale proposée est une quadroscopie et une biopsie de la partie de droite du larynx. Les maladies antérieures du demandeur comprenaient le glaucome et peut-être une BPCO.

[27] Les rapports de tomodensitogramme du cou du 14 septembre 2012 révèlent un historique clinique de carcinome squameux du larynx.

[28] Le rapport opératoire du Dr Seemann daté du 14 septembre 2012 confirme que le demandeur a subi une quadroscopie, une biopsie du larynx, et une amygdalectomie du côté droit. Le diagnostic préopératoire et postopératoire était un carcinome squameux touchant le larynx et les amygdales du côté droit.

[29]    L’avis de médecin relatif à l’admission daté du 14 septembre 2012 indique un diagnostic de carcinome squameux des amygdales du côté droit.

Témoignage de vive voix

[30] Le témoignage de vive voix a surtout été donné par la femme du demandeur, R. D., car le demandeur doit parler à l’aide d’un larynx électronique. Le demandeur est d’abord allé rencontrer le Dr Moustafa Adams en août 2012 parce que sa gorge était endolorie, parce qu’il ne pouvait parler (la femme du demandeur a dit qu’elle ne pouvait l’entendre au téléphone), et parce qu’il avalait des aliments avec difficulté. Il a été orienté vers le Dr Seemann qui a diagnostiqué un cancer de la gorge le 12 septembre 2012. Le demandeur a ensuite rencontré l’équipe d’oncologie en Alberta.

[31] Le demandeur a vécu et travaillé au Nouveau-Brunswick jusqu’à ce qu’il déménage en Alberta en juin 2012 pour trouver un meilleur emploi. Sa femme et sa famille sont demeurées au Nouveau-Brunswick. En Alberta, il a travaillé dans le domaine de la maintenance extérieure au West Edmonton Mall. Il est devenu de plus en plus faible et en septembre, il ne pouvait plus manger. Il prenait du Ensure parce qu’il lui était impossible de déglutir. Il perdait des forces et a été affecté à des travaux plus légers, qui consistaient notamment à conduire d’autres employés sur le site du centre commercial. Il ne pouvait accomplir aucune des tâches. Celles-ci étaient exécutées par les autres employés.

[32] Ils lui ont permis de rester jusqu’à ce qu’il ait accumulé assez d’heures pour être admissible à des prestations de maladie de l’assurance-emploi. Il a continué à travailler jusqu’au 26 octobre, date à laquelle il est retourné vivre au Nouveau-Brunswick pour entreprendre des traitements. La conversation téléphonique entre un représentant de Service Canada et le superviseur du demandeur en Alberta n’aborde pas le fait qu’il a exercé des tâches plus légères comme conduire les autres employés sur le site du centre commercial.

[33] Ils ont décidé d’obtenir les documents médicaux de l’Alberta après que le demandeur se soit fait refusé des prestations d’invalidité. Ils ne comprenaient pas pourquoi il a essuyé un refus étant donné que le demandeur avait nettement une invalidité grave. Ils ne croyaient pas que les choses deviendraient aussi compliquées. Les documents ont été présentés pour leur compte par Tilly O’Neill Gordon, leur député, et ils ont compris qu’ils n’ont pas été acceptés parce qu’ils ont été soumis après l’échéance du dépôt. Ils ont suivi le conseil de M. O’Neill-Gordon au sujet des procédures d’appel de la décision du Tribunal.

Observations

[34] Voici les observations du demandeur :

  1. L’exclusion des rapports médicaux qui sont des faits nouveaux est injuste et impose un fardeau injuste pour lui.
  2. Les rapports prouvent qu’il a été traité pour un carcinome squameux en août 2012 et qu’il a reçu en septembre 2012 un diagnostic de carcinome squameux touchant le larynx et les amygdales du côté droit.
  3. Il a fait tout ce qu’il pouvait pour soumettre les renseignements appropriés concernant sa demande de prestations d’invalidité au titre du RPC.
  4. Il ne pouvait aucunement reprendre le travail dans son état. Il a subi de la chimiothérapie et de la radiothérapie pour un cancer de la gorge et s’alimente au moyen d’une sonde gastrique. Il a subi une laryngectomie totale le 6 décembre 2013 et ne peut parler qu’au moyen d’un larynx électronique.
  5. Le demandeur a déposé des rapports additionnels du Dr Allain, son médecin de famille, en date du 17 décembre 2014 et du Dr McNeill, otolaryngologiste, en date du 18 décembre 2015, qui confirment son invalidité grave et son incapacité de travailler pour le restant de ses jours.

[35] Voici les observations de l’intimé :

  1. La preuve à l’appui de la demande relative aux nouveaux faits n’établit pas de nouveaux faits au sens de la Loi sur le MEDS.
  2. La décision du Tribunal est chose jugéesauf si l’affaire peut être rouverte sur la base de faits nouveaux.
  3. Permettre à des demandeurs dont la demande a été rejetée de se faire entendre de nouveau sur la base d’un critère dilué au vu de nouveaux faits minerait l’intégrité du processus d’appel du RPC et le principe de la finalité.
  4. Les renseignements soumis par le demandeur à titre de nouveaux faits étaient connus par lui au moment de la décision du Tribunal, et il n’y a pas de preuve sur les mesures qu’il a prises à ce moment-là pour trouver ces renseignements.
  5. Les renseignements au dossier révèlent que le demandeur a continué de travailler de façon satisfaisante à son lieu d’emploi jusqu’au 26 octobre 2012.
  6. Comme la preuve révèle que le demandeur a démontré sa capacité de travailler après qu’il ait été admissible pour la dernière fois à des prestations d’invalidité au titre du RPC le 30 septembre 2012, il ne peut être considéré comme invalide à la fin de septembre 2012.

Analyse

[36] Le demandeur doit prouver selon la prépondérance des probabilités que la preuve qu’il a présentée satisfait au critère des faits nouveaux et essentiels.

[37]    En vertu de l’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le MESD, le Tribunal peut annuler ou modifier toute décision qu’il a rendue relativement aux prestations d’invalidité au titre du RPC si des faits nouveaux et essentiels qui, au moment de l’audience, ne pouvaient être connus malgré l’exercice d’une diligence raisonnable lui sont présentés. C’est ce que l’on appelle souvent le « critère de la possibilité de découvrir ».

[38] La possibilité de découvrir implique que la preuve existait au moment de l’audience initiale. Sinon, toute preuve présentée après l’audience initiale pourrait être jugée comme une preuve qui n’aurait pu être découverte.

[39] De plus, on doit raisonnablement s’attendre à ce que les faits nouveaux et essentiels affectent le résultat de l’audience précédente. C’est ce que l’on appelle souvent le « critère du caractère substantiel ».

[40] Dans la présente affaire, un fait nouveau et essentiel est un fait qui existait le 18 mars 2015 mais qui n’aurait pu être découvert à ce moment-là par le demandeur par l’exercice de la diligence raisonnable. Ce doit également être un fait dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’il établisse son invalidité le ou avant le 30 septembre 2012.

[41] Le juge Sharlow, dans la décision de la Cour d’appel fédérale rendue dans Kent c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 420, a déclaré que dans une demande de réexamen d'une décision se rapportant au droit à des prestations selon le Régime de pensions du Canada, le critère permettant de dire s'il y a ou non des faits nouveaux devrait être appliqué d'une manière qui soit suffisamment souple pour mettre en équilibre d'une part l'intérêt légitime du ministre dans le caractère définitif des décisions et la nécessité d'encourager les requérants à mettre toutes leurs cartes sur la table dès que cela leur est raisonnablement possible et, d'autre part, l'intérêt légitime des requérants, qui sont en général autoreprésentés, à ce que leurs réclamations soient évaluées au fond, et d'une manière équitable. Selon moi, ces considérations requièrent en général une approche libérale et généreuse lorsqu'on se demande s'il y a eu diligence raisonnable et si les faits nouveaux sont de nature substantielle.

[42] Cette approche est cohérente avec la décision de la Cour d’appel fédérale dans Villani c. Canada (Procureur général) 2001 CAF 248, qui établit que le RPC est une loi attributrice de prestations qui devrait être interprétée de manière libérale et généreuse. En cas de doute, le libellé de la loi devrait être interprété en faveur du requérant.

Le critère de la possibilité de découvrir

[43] Le Tribunal est convaincu que les faits nouveaux satisfont au critère de la possibilité de découvrir.

[44] L’appelant n’était pas représenté et avait de la difficulté à comprendre pourquoi il se faisait refuser des prestations d’invalidité au titre du RPC étant donné qu’il était clair qu’il était incapable de continuer à travailler. Les observations de l’intimé en date du 20 janvier 2015 lui ont été communiquées le 23 janvier 2015. Le Tribunal a noté que les observations de l’intimé ont été déposées après la période de dépôt du 2 janvier 2015 énoncée dans l’avis d’audience. Il ne pourrait être considéré qu’il s’agit de documents en réponse, car le demandeur n’avait pas déposé de documents pendant la période de dépôt. Ces observations (voir les paragraphes 18 et 19, qui précèdent) précisaient que l’intimé a reconnu que l’appelant était invalide en octobre 2012, et qu’il s’est fait refuser des prestations d’invalidité parce qu’il n’avait pas établi qu’il était invalide à la fin de septembre 2012.

[45] Il était raisonnable que le demandeur tente alors d’obtenir les rapports médicaux de l’Alberta, ce qu’il n’avait pas jugé nécessaire de faire jusqu’alors. Comme le rapport du Dr  Moustafa Adams renfermant les documents médicaux de l’Alberta est daté du 12 février 2015 (soit dans les trois semaines suivant la réception des observations de l’intimé par l’appelant), le Tribunal est convaincu que le demandeur a fait preuve de diligence raisonnable pour obtenir les rapports. Avant de recevoir les observations du ministre, il n’estimait pas que les rapports étaient importants. On ne sait pas précisément à quelle date le demandeur a reçu ces rapports (quoique ce doive être après le 12 février 2015) et son représentant les a déposés au Tribunal le 23 mars 2015, soit cinq jours après la décision.

[46] Le Tribunal a été guidé par la décision Kent, précitée, et est convaincu que l’appelant a fait preuve de diligence raisonnable pour obtenir les rapports médicaux de l’Alberta et qu’ils n’avaient pas été soumis au Tribunal lorsqu’il a rendu sa décision initiale.

Le critère du caractère substantiel

[47] Le Tribunal est également convaincu que les faits nouveaux satisfont au critère du caractère substantiel, car on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’ils aient affecté les résultats de la décision initiale.

[48]  Le Tribunal reconnaît que le membre du Tribunal initial connaissait le diagnostic donné au demandeur et le traitement suivi en Alberta lorsqu’elle a rendu la décision initiale; toutefois, c’est la capacité de travailler et non le diagnostic de la maladie qui détermine si l’invalidité est grave (Klabouch c. Canada (Ministre du Développement social), 2008 CAF 33).

[49] Les rapports sur les faits nouveaux confirment le diagnostic et le traitement et exposent la preuve de la détérioration de l’état du demandeur qui a vraisemblablement affecté sa capacité de travailler en date de septembre 2012. Le rapport du Dr Moustafa Adams daté du 12 février 2015 indique qu’en septembre 2012, l’appelant avait de la difficulté à déglutir et une voix enrouée chronique. Le rapport du Dr Seemann daté du 13 septembre 2012 révèle que les problèmes invalidants comprennent la dysphagie, des douleurs à la gorge et une voix enrouée; que l’appelant avait constaté de la douleur à sa gorge dès le mois de mai; que la qualité de sa voix se détériorait; qu’il avait de plus en plus de dysphagie; qu’il avait de plus en plus de difficulté à avaler des aliments; et qu’il avait également constaté de la douleur dans son oreille droite.

[50] Le Tribunal est convaincu que si le membre du Tribunal initial avait été au courant de l’ampleur possible de la détérioration de l’état du demandeur en septembre 2012, ça aurait vraisemblablement influencé sa décision de rendre une décision sur la foi du dossier plutôt que de tenir une audience comportant des témoignages de vive voix. Dans l’avis d’audience (voir le paragraphe 16, qui précède), le Tribunal a indiqué que l’on a décidé initialement de procéder sur la foi du dossier parce que les questions portées en appel ne sont pas complexes et parce qu’il ne manquait pas de renseignements dans le dossier et que des précisions n’étaient pas nécessaires. L’avis indique également que le membre du Tribunal peut décider qu’une audience est requise selon les renseignements additionnels qui sont reçus.

[51] La détérioration de l’état de l’appelant en septembre comme en font foi les rapports sur les faits nouveaux indique que les questions sont complexes. Elle révèle également qu’il manque de l’information et que des précisions sont nécessaires relativement à la détérioration de l’état du demandeur et aux renseignements sur son emploi continu pour une très courte période postérieure à septembre 2012. On peut raisonnablement s’attendre à ce que le membre du Tribunal qui aurait été au courant de ces rapports sur les faits nouveaux aurait réexaminé sa décision quant à la forme d’audience et opté pour une audience avec témoignages de vive voix. Le membre du Tribunal aurait alors entendu des témoignages de vive voix qui étaient disponibles à cette audience.

[52] Le Tribunal conclut que les faits nouveaux auraient vraisemblablement affecté les résultats de la décision initiale.

Détermination de la question des faits nouveaux

[53] Le Tribunal conclut que la preuve établit des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le MEDS.

Invalidité grave et prolongée

[54] Comme le Tribunal a déterminé que la demande relative aux faits nouveaux établit l’existence de nouveaux faits, il faut décider si l’invalidité du demandeur était grave et prolongée en date du 30 septembre 2012.

[55] Dans le cadre de cette décision, le Tribunal a tenu compte de toutes les preuves médicales et des autres documents ayant été soumis au membre du Tribunal initial, des « faits nouveaux », des rapports additionnels du Dr Allain daté du 17 décembre 2014 et du Dr McNeill daté du 18 décembre 2015, ainsi que des témoignages de vive voix.

[56] À cet égard, le Tribunal a noté que l’intimé a reconnu que le demandeur était invalide en date du 26 octobre 2012. Par conséquent, le Tribunal doit d’abord et avant tout décider si son invalidité était devenue grave et prolongée le 30 septembre 2012.

[57] Le Tribunal accepte les témoignages de vive voix au sujet de la détérioration de l’état du demandeur en septembre 2012. Les témoignages de vive voix établissent qu’en septembre 2012, il n’était pas en mesure de parler et pouvait à peine avaler des aliments, il devenait plus faible, et en raison de la dysphagie accrue, il n’était pas en mesure de manger et prenait Ensure. Fait important, cette preuve est cohérente avec les rapports médicaux sur les faits nouveaux et confirme ceux-ci.

[58] Le demandeur s’est vu confier des tâches légères parce qu’il n’était plus capable de faire son travail habituel; ses tâches légères consistaient seulement à conduire les autres travailleurs sur le site parce qu’il ne pouvait exécuter leur travail. Il avait un employeur bienveillant qui lui a permis de garder son emploi pour une courte durée jusqu’à ce qu’il ait accumulé assez d’heures pour pouvoir recevoir des prestations de maladie de l’assurance-emploi. On ne s’attend pas à ce qu’un appelant trouve un employeur philanthrope, coopératif et flexible qui est disposé à prendre des mesures d’adaptation en fonction de ses invalidités : MDRH c. Bennett (10 juillet 1997) CP 4757 (CAP).

[59] On ne devrait pas automatiquement empêcher des personnes d’avoir droit à une pension d’invalidité pour qu’elles continuent simplement à travailler après la fin de leur période minimum d’admissibilité. Les demandeurs ayant des déficiences qui continuent à travailler après la fin de leur période minimum d’admissibilité en vue de rester autonomes sur le plan financier doivent être félicités de l’effort qu’ils font, et non découragés. En définitive, la question à trancher, lorsqu’ils travaillent, est de savoir s’ils ont, en fait, la capacité de détenir régulièrement un emploi véritablement rémunérateur : Stanziano c. Ministre du Développement des ressources humaines (novembre 2002), CP17926 (CAP) 

[60] Le demandeur occupait un poste à court terme créé expressément pour lui par un « employeur philanthrope, coopératif et flexible » pour lui permettre d’être admissible à des prestations de maladie de l’assurance-emploi. Le Tribunal est convaincu que le fait que le demandeur a continué à travailler pendant une très courte période après le 30 septembre 2012 ne constituait pas une preuve de sa capacité continue de détenir régulièrement un emploi véritablement rémunérateur.

[61] Le Tribunal conclut que le demandeur a établi, selon la prépondérance des probabilités, une invalidité grave conformément aux critères du RPC.

Conclusion

[62] Le Tribunal conclut que le demandeur avait une invalidité grave et prolongée en septembre 2012, lorsque son état s’est détérioré. Conformément à l’article 69 du RPC, les paiements doivent commencer quatre mois après la date à laquelle le requérant devient invalide. Les paiements débutent en janvier 2013.

[63] La demande relative aux faits nouveaux est acceptée et l’appel est accueilli.

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