Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] La demanderesse souhaite obtenir la permission d’appeler de la décision rendue par la division générale le 24 août 2015. La division générale avait au départ prévu une audience par vidéoconférence le 16 février 2015, mais l’instance a été ajournée, car une question a été soulevée au sujet des services d’interprétation, et l’affaire a été instruite sous forme de questions et réponses le 25 mars 2015. La division générale a conclu que la demanderesse n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, après avoir statué que son invalidité n’était pas « grave » en date de la fin de sa période minimale d’admissibilité, qui est survenue le 31 décembre 2013. Le représentant de la demanderesse, un parajuriste, a déposé une demande de permission d’en appeler le 25 novembre 2015. Pour accueillir cette demande, je dois être convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Question en litige

[2] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Observations

[3] Le représentant de la demanderesse soutient que la division générale a commis les nombreuses erreurs suivantes :

  1. elle n’a pas observé le principe de justice naturelle ou autrement outrepassé sa compétence ou refuser de l’exercer. Plus particulièrement, le représentant soutient que la demanderesse devrait avoir droit à une [traduction] « audience en direct » dans le cadre de laquelle elle aurait eu l’occasion de clarifier sa preuve, car les questions et réponses l’ont placé dans une [traduction] « situation très désavantageuse pour présenter sa demande de manière adéquate et efficace ».
  2. elle a commis une erreur de droit dans sa décision, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier. Plus particulièrement, le représentant laisse entendre que la division générale n’a pas appliqué correctement les principes établis dans l’arrêt Villani c. Canada (PG), 2001 CAF 248, car elle n’a pas tenu compte de façon appropriée du niveau de scolarité ou du manque d’aptitudes linguistiques ou d’expérience.
  3.  elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[4] Le représentant de la demanderesse soutient que la preuve appuie de manière accablante la conclusion selon laquelle la demanderesse est invalide au sens du Régime de pensions du Canada. Il souligne que la demanderesse souffre d’invalidité physique et psychologique et qu’elle a de nombreuses limitations. Le représentant souligne que le médecin de famille de la demanderesse est d’avis qu’elle souffre d’invalidités importantes, qu’elle n’est pas capable de rester debout, qu’elle ne peut pas marcher plus de 50 mètres sans se reposer, qu’elle a un mauvais sommeil et qu’elle est toujours fatiguée et incapable de faire des tâches ménagères ou des tâches d’entretien. Le représentant déclare qu’il existe un avis médical selon lequel la demanderesse pourrait souffrir de fibromyalgie et que, malgré un traitement, elle n’a pas constaté une amélioration appréciable de son état de santé global. Le représentant affirme que la demanderesse n’est pas capable de suivre certaines recommandations de traitement, comme une clinique de la douleur, en raison de difficultés financières. La demanderesse est également sensible aux médicaments pharmacologiques. Par conséquent, elle n’est pas capable de prendre des antidépresseurs. Au lieu de cela, la demanderesse participe à des séances de psychothérapie. Elle n’est pas considérée comme une candidate pour une chirurgie et elle aurait été informée que sa maladie verticale lombaire risque de se détériorer sans cette chirurgie. Le représentant souligne également que la demanderesse a été considérée comme admissible au crédit d’impôt fédéral pour personnes handicapées. Finalement, le représentant fait remarquer que la demanderesse est analphabète, ce qui entraîne, en combinaison avec sa dépression, une faible capacité de concentration et d’autres problèmes, rend la conservation d’emploi presque impossible. Le représentant de la demanderesse soutient que l’ensemble de la preuve confirme une invalidité grave et prolongée.

[5] Le défendeur n’a présenté aucune observation écrite relativement à cette demande de permission d’en appeler.

Analyse

[6] Au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] Avant de pouvoir accorder une permission d’en appeler, il me faut être convaincue que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel admissibles et que l’appel a une chance raisonnable de succès. La Cour fédérale du Canada a récemment confirmé cette approche dans Tracey c. Canada (Procureur général), (2015) CF 1300.

(a) Justice naturelle

[8] Comme mon collègue Pierre Lafontaine l’a décrit dans les décisions D.P. c. Commission de l’assurance-emploi du Canada et D.R.A. Holdings Ltd, 2015 TSSDA 1161, les principes de justice naturelle servent à s’assurer que les parties dans les affaires dont est saisi un tribunal judiciaire ou quasi judiciaire reçoivent un avis de convocation adéquat et ont toutes les possibilités raisonnables de présenter leur cause, et que la décision rendue est impartiale ou qu’il n’y a pas de crainte raisonnable ou apparence de partialité.

[9] En l’espèce, le représentant de la demanderesse prétend que celle-ci s’est vu refuser la possibilité de présenter sa cause de façon équitable et efficace, ce qui a entraîné des lacunes et des ambiguïtés dans la preuve.

[10] Toutefois, selon la décision de la division générale, la demanderesse et son représentant ont accepté que l’audience se déroule sous forme de questions et réponses lorsqu’il est devenu apparent que les services d’interprétation offerts à la vidéoconférence étaient incompatibles avec les besoins de la demanderesse. La division générale a communiqué un grand nombre de questions au moyen d’une lettre datée du 26 février 2015 et elle a invité les parties à fournir les réponses à l’aide de documents ou d’observations supplémentaires d’ici le 28 mars 2015. Le représentant de la demanderesse a fourni une réponse au Tribunal de la sécurité sociale le 25 mars 2015.

[11] Ni la demanderesse ni son représentant ne conteste le paragraphe 2 de la décision de la division générale selon laquelle ils avaient accepté que l’audience se déroule sous forme de questions et réponses. Étant donné qu’ils ont accepté ce type d’audience, ils ne peuvent pas affirmer maintenant qu’ils se sont vus refuser une audience équitable ni soulever des objections à cette étape. Cela équivaudrait effectivement à du [traduction] « magasinage de mode d’audience ». S’ils avaient des préoccupations sur le mode d’audience, ils auraient dû faire part de ces objections dès qu’ils en auraient eu l’occasion, et ce même si cela aurait entraîné un ajournement de l’instance.

[12] Le représentant de la demanderesse prétend que celle-ci n’a pas eu la possibilité de présenter son cas de manière équitable et efficace, ce qui a entraîné des lacunes et des précisions à apporter dans des aspects de la preuve. Le représentant laisse entendre que, s’il y avait eu une [traduction] « audience en direct », la demanderesse aurait pu fournir des précisions à cette étape. Cela présuppose que la division générale aurait nécessairement demandé des précisions que la demanderesse aurait été en mesure de fournir immédiatement des réponses détaillées à l’audience. Par contre, une audience tenue sous forme de questions et réponses a permis à la demanderesse et à son représentant de recueillir des renseignements et de donner des réponses plus raisonnées, délibérées et détaillées. La demanderesse et son représentant ont eu un mois complet pour préparer et fournir des réponses. Ils n’ont subi aucune limitation quant à la façon dont ils pouvaient présenter la demande de la demanderesse. Les parties ont eu amplement la possibilité de présenter leur demande.

[13] Je ne suis pas convaincue qu’un appel fondé sur ce moyen a une chance raisonnable de succès.

(b) Erreur de droit

[14] Le représentant de la demanderesse soutient que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas appliqué adéquatement les principes établis dans l’arrêt Villani en ne tenant pas compte du niveau de scolarité, du manque de capacités linguistiques ou de l’expérience de vie de la demanderesse.

[15] La division générale a fait référence à l’arrêt Villani aux paragraphes 35 et 36 de sa décision :

[traduction]

[35] De plus, un demandeur doit présenter devant le Tribunal non seulement la preuve médicale à l’appui de sa demande selon laquelle son invalidité est « grave » et « prolongée », mais il doit également présenter la preuve de ses efforts déployés pour obtenir un emploi et prendre soin de sa santé. Dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, au paragraphe 50, il est statué que cette réaffirmation de la méthode à suivre pour définir l’invalidité ne signifie pas que quiconque éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera toujours nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence des possibilités d’emploi.

[36] Selon l’arrêt Villani, la gravité doit être évaluée dans un contexte réaliste. Cela signifie que le Tribunal doit tenir compte de facteurs comme l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie au moment de déterminer si une personne est atteinte d’une invalidité grave.

[16] La division générale a alors passé en revue la situation personnelle de la demanderesse au paragraphe 37 :

[traduction]

[37] L’appelante était âgée de 45 ans lorsqu’elle a arrêté de travailler en juin 2011 en raison d’une dorsalgie. Elle a fait des études primaires et elle travaillait comme manœuvre avant d’arrêter de travailler. Elle a reçu un diagnostic de discopathie générative lombaire et d’arthrite inflammatoire aux genoux, aux hanches et aux chevilles. La demanderesse a des limitations fonctionnelles en position debout (une demi-heure), en position assise (une heure) et pour la conduite de 5 à 15 minutes. Elle éprouve une sensibilité à l’égard des médicaments narcotiques et elle traite ses douleurs à l’aide de Celebrex seulement. Ses modalités de traitement comprenaient la massothérapie et la physiothérapie, mais celles-ci n’auraient pas aidé.

[17]  La division générale n’a aucunement mentionné les aptitudes linguistiques de la demanderesse. Celles-ci sont un élément important de sa situation personnelle. Le représentant soutient que cela aurait dû être pris en considération pour évaluer la gravité de l’invalidité. Lorsque l’audience relative à l’appel avait été prévue sous forme d’une vidéoconférence, les services d’un interprète avaient été retenus. Il a été impossible d’instruire l’audience, car la demanderesse parlerait un différent dialecte. Le fait que la division générale ne semble pas avoir tenu compte des aptitudes linguistiques de la demanderesse pourrait soulever la question de savoir si l’évaluation en application de l’arrêt Villani a été effectuée adéquatement.

[18] Cependant, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 49 de l’arrêt Villani :

[...] tant et aussi longtemps que le décideur applique le critère juridique adéquat pour la gravité de l’invalidité – c’est-à-dire qu’il applique le sens ordinaire de chaque mot de la définition légale de la gravité donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i), il sera en mesure de juger d’après les faits si, en pratique, un requérant est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. L’évaluation de la situation du requérant est une question de jugement sur laquelle la Cour hésite à intervenir. (Non souligné dans l’original)

[19] Si la division générale tient compte de la situation personnelle d’un demandeur, il n’y a généralement pas à interférer avec cette évaluation, même si, à première vue, elle ne semble pas être détaillée. En l’espèce, la division générale semble avoir effectué l’analyse requise en application de l’arrêt Villani lorsqu’elle a évalué l’âge, la scolarité et les antécédents professionnels de la demanderesse. À titre de juge des faits, la division générale était la mieux placée pour « juger d’après les faits si, en pratique, un requérant est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice ». Cependant, il n’est pas clair si une preuve a été déposée devant la division générale en ce qui concerne l’étendue du dialecte de la demanderesse à l’écrit ou à l’oral dans sa communauté ou dans son contexte général afin que la division générale puisse trancher la question de savoir si, compte tenu de sa langue, la demanderesse était incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Bien que je tienne compte du fin qu’il ne faut pas interférer avec l’évaluation de la situation d’un demandeur par la division générale, lorsqu’il n’y a aucune référence à l’une des caractéristiques qui définit un demandeur, il peut y avoir une cause défendable, à savoir si l’évaluation effectuée par la division générale respectait le niveau de jugement avec lequel une cour ou un organe d’appel pourrait autrement interférer. Étant donné ce facteur, je suis convaincue en l’espèce que la cause a une chance raisonnable de succès.

(c) Conclusions de fait erronées

[20] Le représentant de la demanderesse soutient que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance. Pour qu’une conclusion de fait soit considérée comme erronée aux termes du paragraphe 58(1) de la LMEDS, il faut que la division générale ait fondé sa décision sur cette conclusion de fait erronée et que cette conclusion de fait erronée ait été tirée par la division générale de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[21] Cependant, le représentant n’a pas cerné une conclusion de fait erronée particulière sur laquelle la division générale aurait fondé sa décision.

[22] Dans l’ensemble, il semble que la demanderesse demande une réévaluation des faits et une nouvelle appréciation de la preuve. Un grand nombre des observations et faits présentés dans la demande de permission d’en appeler reflètent ceux qui avaient été présentés devant la division générale. Certaines de ces observations, comme le fait que la demanderesse s’est vu accorder un crédit d’impôt fédéral pour personnes handicapées, ne sont pas pertinentes en ce qui a trait à la gravité de l’invalidité de la demanderesse au titre du Régime de pensions du Canada. La division générale a abordé ces observations précédemment. Comme la Cour fédérale l’a établi dans Tracey, ce n’est pas le rôle de la division d’appel d’apprécier de nouveau la preuve ou de soupeser de nouveau les facteurs pris en compte par la division générale lorsqu’elle se prononce sur la question de savoir si l’autorisation d’en appeler devrait être accordée ou refusée. Ni la permission ni l’appel n’autorise à intenter de nouveau un recours en justice. Je ne suis pas convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès s’il est fondé sur le moyen selon lequel la division générale n’a pas tenu compte des multiples problèmes de santé et diagnostics de la demanderesse qui ont été énoncés dans les rapports médicaux accompagnant la demande de permission d’en appeler.

Conclusion

[23] J’invite les parties à présenter des observations portant sur la question de savoir si l’analyse effectuée par la division générale en application de l’arrêt Villani est suffisante et si cette question nécessite de la déférence à l’égard de la division générale.

[24] J’invite les parties à présenter également des observations concernant le mode d’audience (c.-à-d. déterminer si l’audience devrait avoir lieu par téléconférence, par vidéoconférence, à l’aide d’autres moyens de télécommunication, par comparution en personne ou à l’aide de questions et réponses écrites). Si une partie demande que l’audience soit tenue autrement qu’au moyen de questions et réponses, je l’invite à m’indiquer un délai provisoire qui s’appliquera à la transmission d’observations.

[25] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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