Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’affaire est renvoyée à la division générale, et un nouvel examen sera effectué par un différent membre.

Introduction

[3] Le 8 décembre 2015, la division d’appel a accordé à l’appelante la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale qui lui refusait une prorogation de délai pour le dépôt de son avis d’appel.

[4] La division d’appel a accordé la permission d’en appeler sur le fondement que la division générale pourrait ne pas avoir tenu compte de l’intérêt de la justice dans sa décision sur la question de l’octroi d’une prorogation pour déposer l’avis d’appel.

Contexte

[5] L’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). L’intimé a rejeté sa demande dans sa décision initiale et lors de la révision. La décision de révision a été rendue le 24 octobre 2013. Le 29 avril 2014, l’appelante a transmis au Tribunal un avis d’appel incomplet, après les délais impartis. L’appelante a expliqué le retard du dépôt en affirmant avoir [traduction] « mal classé ses documents ». Le Tribunal a demandé à l’appelante de déposer un appel complet et de fournir une explication pour sa demande tardive au plus tard le 22 juin 2015. L’appelante n’a pas donné suite à la demande du Tribunal.

[6] La décision de la division générale reposait sur deux points : l’appelante avait omis de fournir une explication satisfaisante au dépôt tardif de son avis d’appel et elle n’avait pas démontré une intention constante de poursuivre son appel.

Observations

[7] La division d’appel a reçu les observations de l’intimé, tandis que l’appelante a choisi de s’appuyer sur les documents médicaux qui ont été présentés pour l’affaire. L’essentiel des observations de l’intimé concerne le fait que la division générale n’a pas commis d’erreur pour en arriver à sa décision. Le représentant de l’intimé a fait valoir que d’après l’arrêt Canada (ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, quatre facteurs, communément appelés les facteurs de GattellaroNote de bas de page 1 , sont à considérer comme moyens d’assurance que la considération fondamentale de rendre la justice entre les parties est abordée.

Question en litige

[8] L’appel soulève les questions suivantes :

  1. Est-ce que « l’intérêt de la justice » constitue un critère séparé des quatre facteurs cités dans l’affaire Gattellaro?
  2. Est-ce que la division générale a omis de considérer l’intérêt de la justice en refusant de proroger le délai pour permettre le dépôt de l’avis d’appel? Dans l’affirmative, s’agit-il d’une erreur de droit?

Droit applicable

[9] Les trois moyens d’appel sont énoncés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, (Loi sur le MEDS) :

58(1) Moyens d’appel

  1. a. La division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c. La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Analyse

Est-ce que « l’intérêt de la justice » constitue un critère à considérer pour décider si la prorogation du délai devrait être accordée?

[10] Dans de récentes décisions, la division d’appel était d’avis que pour décider si la prorogation du délai devrait être accordée, la division générale doit démontrer que l’intérêt de la justice a été évalué, sans quoi la division générale pourrait avoir commis une erreur de droit. D’ailleurs, il s’agit du fondement sur lequel la permission d’en appeler a été accordée en l’espèce. Les observations du représentant de l’intimé indiquent qu’il serait peut-être pertinent d’élaborer davantage cette position.

[11] Dans Gattellaro, la Cour d’appel fédérale a établi qu’un décideur doit aborder les quatre éléments suivants pour décider d’une demande de prorogation d’un délai :-

  1. il y avait et il y a encore, de la part de l’appelante, une intention persistante de poursuivre l’appel;
  2. l’objet de l’appel révèle une cause défendable;
  3. l’appelante pouvait-elle raisonnablement expliquer le retard;
  4. l’intimé subirait-il un préjudice si la prorogation du délai était accordée?

[12] Dans l’arrêt Hogervorst, le juge Létourneau s’exprimant pour la cour a soulevé que le critère susmentionné [traduction] « ne va pas à l’encontre de la déclaration formulée par la Cour il y a plus de vingt (20) ans dans l’arrêt Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263, selon laquelle l’aspect fondamental à prendre en considération dans une demande de prorogation de délai consiste à s’assurer que justice est faite entre les parties. »

[13] Le juge Létourneau a aussi affirmé que le critère « sert d’appui à l’application de cet aspect fondamental » et « qu’une prorogation de délai peut être accordée même si l’un des volets du critère n’est pas respecté ». La division d’appel conclut que ces affirmations ne sont pas contradictoires à celles faites dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, où la Cour d’appel fédérale a décrit le rôle des facteurs de Gattellaro selon les termes suivants [traduction] :-

[62] Ces principes orientent la Cour et l’aident à déterminer si l’octroi d’une prorogation de délai est dans l’intérêt de la justice (Grewal, ci-dessus, aux pages 277 et 278). L’importance de chacun de ces facteurs dépend des circonstances de l’espèce. De plus, il n’est pas nécessaire de répondre aux quatre questions en faveur du requérant. Ainsi, « une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante » (Grewal, à la page 282). Dans certains cas, surtout dans ceux qui sortent de l’ordinaire, d’autres questions peuvent s’avérer pertinentes. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice (voir, de façon générale, l’arrêt Grewal, aux pages 278 et 279; Canada (ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41 (CanLII), au paragraphe 33; Huard c. Canada (Procureur général), 2007 CF 195 (CanLII), 89 Admin LR (4th) 1).

[14] L’affaire Larkman semble soulever une ambiguïté concernant le statut de « l’intérêt de la justice » dans l’évaluation d’une demande de prorogation de délai.

[15] La Cour d’appel fédérale a établi au paragraphe 85 de la décision Larkman que [traduction] « le facteur primordial est celui de savoir s’il est dans l’intérêt de la justice », et le juge Stratas a tiré des conclusions en lien avec chacun des quatre facteurs de Gattellaro avant d’évaluer « l’intérêt de la justice ». Il a conclu que le caractère atypique du cas présenté par Larkman nécessitait une approche moins rigide quant au délai de trente jours pour présenter une demande de contrôle judiciaire dans le but de répondre à la condition de l’intérêt de la justice. Le juge Stratas a posé la question suivante [traduction]

[90] « La question se résume à ce qui suit. Est-il dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation de délai demandée et de permettre l’introduction de la demande de contrôle judiciaire projetée? » Note de bas de page 2

[16] Selon la division d’appel, cette question semble imposer « l’intérêt » comme une évaluation complètement indépendante.

[17] Après avoir tiré cette conclusion, la division d’appel se tourne vers les autres questions en litige dans cet appel.

Est-ce que la division générale a omis de considérer l’intérêt de la justice en refusant de proroger le délai pour permettre le dépôt de l’avis d’appel? Dans l’affirmative, s’agit-il d’une erreur de droit?

[18] Comme il a déjà été dit, la division générale mentionne l’intérêt de la justice dans le dernier paragraphe de sa décision. Toutefois, la décision ne traite pas de la question à savoir s’il serait dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation du délai compte tenu des faits du cas en l’espèce. Par conséquent, la réponse à la première question est « oui ». Du point de vue de la division d’appel, la division générale a commis une erreur de droit parce que l’arrêt Larkman exige qu’elle se demande s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation du délai.

Les circonstances du cas en l’espèce

[19] La division générale a conclu que l’appelante n’avait pas démontré une intention persistante de poursuivre l’appel et qu’elle n’a pas répondu à la demande d’information supplémentaire du Tribunal dans un délai raisonnable. Ce pourrait bien être défendu que même si la division générale s’était demandé s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation du délai, ces constatations auraient pu mener à la même conclusion. Toutefois, au nom de l’appelante, un parent a présenté que la conduite de l’appelante s’explique par le fait qu’elle souffre d’un trouble dépressif majeur depuis environ trois ans. En effet, le rapport médical remis par le médecin de famille de l’appelante mentionne un trouble dépressif majeur et une psychose parmi ses affections incapacitantes (GD1-62), et il y a quelques éléments de preuve indiquant qu’elle a été traitée pour ces troubles.

[20] L’appelante fait aussi valoir que son avis d’appel a été présenté avec seulement sept jours de retard. Toutefois, puisqu’elle n’a jamais présenté une demande complète, la division d’appel conclut que cet argument est peu convaincant.

[21] La division d’appel pose une question semblable à celle du juge Stratas dans l’arrêt Larkman : « Est-il dans l’intérêt de la justice que l’appel soit accueilli et que la prorogation du délai soit accordée? » Prenant en considération les circonstances du cas en l’espèce, c’est-à-dire la présence de la preuve que l’appelante souffre de troubles mentaux, et que ces troubles mentaux ont causé le dépôt tardif, la division d’appel conclut qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accueillir l’appel et de proroger le délai du dépôt de l’appel à la division générale.

[22] Par conséquent, l’appel est accueilli.

Conclusion

[23] Conformément à l’article 59 de la Loi sur le MEDS, la division d’appel conclut qu’il y a lieu de renvoyer l’affaire à la division générale pour un nouvel examen fait par un différent membre parce qu’il n’y a pas eu de décision rendue sur le fond de l’appel.

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