Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Parties

  • Appelant : R. B.
  • Représentante de l’appelant : Juliana Dalley et Amita Vulimir (avocate)
  • Représentante de l’intimé : Julia Betts (avocate)

Aperçu

[1] Il s'agit de l'appel d'une décision de la division générale rendue le 27 juillet 2015 concernant la demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada présentée par l’appelant. La division générale a conclu que l'appelant n'était pas admissible à une pension d'invalidité du Régime de pension du Canada puisqu'il n'a pas été établi que son invalidité était considérée comme « grave » à la fin de sa période minimale d'admissibilité, le 31 décembre 1999, ou avant cette date, ni qu'il était devenu invalide durant la période au cours de laquelle ses cotisations ont été calculées au prorata.

[2] L'appelant a présenté une demande de permission d’en appeler de la décision de la division générale au motif que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle, ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence, et qu'elle a rendu une décision entachée d'une erreur de droit. Le 21 décembre 2015, j'ai accordé la permission d'en appeler puisque j'étais convaincue que l'appel avait des chances raisonnables de succès.

[3] Comme il a été établi qu’il n’est pas nécessaire d’entendre davantage les parties, une décision doit être rendue, comme l’exige l’alinéa 37a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Bref historique des procédures

[4] Les faits pertinents sont exposés ci-dessous.

[5] Le 9 juin 2015, quelques jours avant l'audience devant la division générale du 12 juin 2015, l'intimé a déposé une annexe auprès du Tribunal de la sécurité sociale en réponse aux observations de l'appelant déposées le 29 mai 2015.

[6] Le Tribunal de la sécurité sociale avait informé les parties, dans l'avis d'appel, que toutes les observations devaient être déposées au plus tard le 30 mai 2015, et que les parties auraient l'occasion de répondre au plus tard le 10 juin 2015. Le Tribunal de la sécurité sociale a aussi informé les parties qu'une copie de tous les nouveaux documents serait remise aux autres parties, à qui l'occasion serait donnée de répondre.

[7] Les parties n'ont pas tardé à déposer leurs observations respectives. Toutefois, étant donné le court délai entre la date du dépôt et la date de l'audience, l'appelant n'a pas reçu l'annexe déposée par l'intimé, ni avant ni pendant l'audience. En effet, l'appelant n'était pas au courant de l’existence de l'annexe qu'avait préparée l'intimé jusqu'à ce que l'audience soit terminée et que sa représentante en reçoive copie par la poste le 16 juin 2015.

[8] Après avoir reçu copie de l'annexe, la représentante de l'appelant a écrit au Tribunal de la sécurité sociale le 26 juin 2015 pour demander à la division générale soit de ne pas tenir compte de l'annexe, soit de prendre en considération la lettre de l'appelant en réponse aux questions soulevées par l'annexe.

[9] La division générale a rendu sa décision le 7 juillet 2015, avant d'avoir reçu la demande du 26 juin 2015 de l'appelant.

Décision de la division générale

[10] La division générale a précisé, aux paragraphes 21, 20, 22, 30 à 37 et 42 à 47 et 38 à 41 de sa décision, les éléments de preuve relatifs à l'emploi de l'appelant et à ses revenus pour les années 2002, 2008 et 2009.

[11] Pour déterminer si l’invalidité de l'appelant pouvait être considérée comme grave au sens du Régime de pensions du Canada, la division générale a examiné si l'appelant avait manifesté une capacité résiduelle à travailler après la fin de la période minimale d’admissibilité. La division générale a tiré un certain nombre de conclusions au sujet de l'emploi de l'appelant et de ses revenus pour les années 2008, 2009, mais n'a pas traité de l'année 2002 dans son analyse. Selon la division générale, l'appelant était en mesure d'accomplir ses tâches essentielles et n'avait besoin d'aucun accommodement sur les lieux de travail pour témoigner de la bienveillance de son employeur. La division générale est aussi d'avis que l'appelant aurait pu conserver son emploi d'octobre 2008 à juillet 2009, et que cet emploi a pris fin pour des raisons autres que son état de santé. La division générale est d'avis que l'appelant « a conservé une capacité de travailler résiduelle après la fin de sa période minimale d’admissibilité, en décembre, et après la fin de sa période minimale d'admissibilité calculée au prorata, en février 2000 », et donc qu'il n'était pas gravement invalide au sens du Régime de pensions du Canada.

Décision quant à la permission d’en appeler

[12] J'ai accordé la permission d'en appeler pour deux motifs, à savoir :

  1. L’appelant peut ne pas avoir bénéficié d'un processus d'audience équitable et en bonne et due forme et donc, qu'il y ait eu manquement à l'équité procédurale lorsque l'appelant n'a pas reçu l'annexe de l'intimé en temps opportun. La division générale n'a pris aucune mesure pour remédier au manquement.
  2. La division générale peut avoir commis une erreur de droit en déclarant que la période minimale d'admissibilité de l'appelant calculée au prorata prenait fin en janvier 2000.

Questions en litige

[13] Les questions dont je suis saisie sont les suivantes :

  1. La division générale a-t-elle omis d'observer un principe de justice naturelle ou a-t-elle autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence en ne vérifiant pas que l'appelant ait reçu copie de l'annexe déposée par l'intimé ?
  2. La division a-t-elle, au moment de rendre sa décision, commis une erreur de droit en déterminant qu'une des questions dont elle était saisie consistait à savoir si la période minimale d'admissibilité calculée au prorata remontait à janvier 2000 ?
  3. Si la division générale n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence, ou si elle a commis une erreur de droit, quelle est le règlement approprié de l’affaire ?

Observations

[14] La représentante soutient que la division générale n'a pas divulgué la preuve et les observations déposées par l'intimé avant l'audience de vive voix et, malgré qu'elle ait été avertie de cet accroc aux procédures, n'a pris aucune mesure pour remédier au préjudice causé à l'appelant par cette absence de divulgation en temps opportun. Elle soutient également que la division générale n'a pas donné l'occasion à l'appelant de demander un ajournement ou de répondre aux nouveaux éléments de preuve et aux nouvelles observations. Selon la représentante, l'appelant n'a pas, en somme, eu droit à une audience équitable et en bonne et due forme devant la division générale. La représentante de l’appelant n’a soumis aucune observation au sujet de la question de proportionnalité.

[16] La représentante de l'intimé soutient que la décision de la division générale n'indique pas clairement si cette dernière s'est appuyée sur les observations figurant à l'annexe déposée par l'intimé le 9 juin 2015. L'intimé soutient que si la division générale s'est appuyée sur l'annexe en rendant sa décision, l'appelant s’est vu refuser le droit d'y répondre, ce qui constitue un manquement à un principe de justice naturelle. L'intimé reconnaît que dans les circonstances, l'appel devrait être accueilli et l'affaire devrait être renvoyée à la division générale pour un nouvel examen.

[17] Par contre, la représentante de l'intimé soutient que si la division générale ne s'est pas appuyée sur le contenu de l'annexe, l'appelant ne s'est pas vu refuser le droit d'y répondre dans ce cas, et la division générale n'a donc pas fait défaut d'observer un principe de justice naturelle.

[18] La représentante de l’intimé reconnaît que la division générale a commis une erreur en mentionnant, au paragraphe 7 de sa décision, que l'appelant pouvait bénéficier d'une période minimale d'admissibilité calculée au prorata s'il parvenait à établir qu'il était invalide en janvier 2000. Elle mentionne cependant que cette affirmation constitue tout simplement « une erreur malheureuse », qui n’a aucun effet sur l'issue de l'affaire puisque la date exacte a été citée ailleurs dans la décision.

[19] Selon la représentante de l'intimé, à moins que la division générale se soit appuyée sur l'annexe déposée par l'intimé, la décision est raisonnable et la division d'appel ne devrait pas intervenir. Selon elle, l'appel devrait être rejeté.

Droit applicable

[20] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de lEmploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Analyse

(a) Question 1 - Justice naturelle

[21] La représentante de l'intimé se dit prête à accepter qu'il y ait eu manquement aux principes de justice naturelle, en autant que la division générale ait pris en considération les observations figurant à l'annexe.

[22] Les observations figurant à l'annexe (GT81-GT8-6) portent sur l'emploi de l'appelant en 2002. L'intimé a répondu aux observations de l'appelant selon lesquelles on ne devrait pas tenir compte de ses revenus en 2002 et on devrait les considérer comme le résultat d'une activité professionnelle pour un organisme de bienfaisance. L'intimé a montré du doigt le questionnaire de l'appelant pour les prestations d'invalidité dans lequel l'appelant a mentionné qu'il avait travaillé comme concierge à temps plein, de 1987 à 2002. Tandis que l'appelant a été affecté à des tâches légères, l'intimé ajoute dans l'annexe que tous les employeurs ont l’obligation légale de prendre des mesures d’adaptation raisonnables pour un employé. L'intimé a également fourni deux relevés d'emploi : un premier relevé relatif à un emploi que l’appelant a occupé de mars 2001 à septembre 2002, et un second relevé pour un emploi occupé d'octobre 2008 à juillet 2009.

[23] Selon la représentante de l'intimé, pour qu'il y ait manquement à l'équité procédurale, on doit retrouver un indice selon lequel la division générale s'est appuyée sur l'annexe. La division générale ne semble pas avoir fondé sa décision sur l'ensemble des observations figurant à l'annexe puisqu'on ne retrouve aucune référence à l'emploi de 2002 de l'appelant dans son analyse. Il est peut-être moins évident de savoir si la division générale s'est appuyée une quelconque portion du contenu de l'annexe ou sur le registre des gains relatifs à l'emploi qu'occupait l'appelant de 2008 à 2009.

[24] Les observations de l'intimé ne tiennent pas compte pour autant de la possibilité à laquelle font référence les observations de l'appelant selon lesquelles en ayant reçu une copie de l'annexe, l’appelant aurait pu y répondre « en offrant un témoignage et des observations plus pointues et plus détaillées pour expliquer en quoi son emploi en 2008 et 2009 n’était pas révélateur d’une capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice ». L'annexe aurait pu inciter l'appelant à se concentrer sur des aspects différents, ou à changer sa stratégie et sa préparation en vue de l'audience. L'appelant aurait pu demander un ajournement et, en fin de compte, il aurait pu présenter d'autres éléments de preuve et appeler d'autres témoins. Il aurait pu faire tout ça pour traiter de la question de ses capacités en 2008 et 2009. Et, s'il s'était livré à cet exercice, la division générale aurait pu tirer d'autres conclusions au sujet de la nature de son emploi en 2008 et en 2009.

[25] La question de savoir si la division générale s'est appuyée sur le contenu de l'annexe de l'intimé n'est pas pertinente puisque cette annexe aurait pu avoir des retombées sur l'appel d'autres façons. La division générale aurait dû s'assurer que les parties avaient en leur possession le dossier de la cour dans sa totalité, mais elle ne l'a pas fait. (Dans le respect des bonnes pratiques, les représentants des parties devraient favoriser l'échange de documents, particulièrement lorsque des documents sont produits à l'approche de la date d'audience.)

[26] La représentante de l'appelant a fait référence à l'arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur General), 2002 CSC 75, au paragraphe 40. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a indiqué qu'en règle générale, le droit d’une partie d’obtenir une audience équitable emporte celui de prendre connaissance de la preuve de la partie adverse afin de pouvoir répondre à tout élément préjudiciable à sa cause et apporter des éléments de preuve au soutien de celle-ci. En l'espèce, en étant privé de l'annexe, l'appelant était probablement privé de l'occasion de prendre connaissance de tous les arguments avancés contre lui. Dans les circonstances, il serait faux de dire que l'appelant a profité d'une audience équitable.

[27] La représentante de l’appelant a fait valoir que la division générale avait l'occasion de remédier à la situation à la suite de l'audience. La représentante se fonde sur la décision Murray c. Canada (Procureur général), 2011 CF 542 [Murray], dans laquelle la Cour fédérale a déclaré que l’obligation qui incombe à un tribunal d’agir en conformité avec les principes d’équité procédurale ne s’éteint pas lorsque l’audience prend fin et que le tribunal sursoit à statuer. Cependant, cette position présuppose que le membre de la division générale savait, avant de rendre sa décision, que l'appelant n'avait pas reçu copie de l'annexe avant l'audience et que le membre, lui, avait reçu copie de la lettre du 26 juin 2015 de la représentante de l'appelant. En l'espèce, comme l'appelant a établi qu'il a été privé de son droit à une audience équitable, il n'est pas nécessaire de déterminer s'il y a eu manquement aux principes de justice naturelle.

(b) Question 2 : Prorata

[28] L'appelant n'a présenté aucune observation au sujet du calcul proportionnel. Selon la représentante de l'intimé, malgré le fait que la division générale a commis une erreur en déclarant que la période minimale d'admissibilité de l'appelant calculée au prorata prenait fin en janvier 2000, elle s'est par la suite amendée dans le reste de la décision en affirmant que la période établie au prorata prenait plutôt fin en février 2000. Il s'agissait donc d'une simple erreur malheureuse. La représentante de l'intimé a fait valoir que cette situation ne causait aucun effet significatif sur l'issue de l'instance.

[29] Ni l'appelant ni sa représentante n'ont démontré que l'appelant avait été induit en erreur au moment d'accepter janvier 2000 comme date établie au prorata, et qu'il s'était appuyé sur cette date pour établir son invalidité. En effet, la division générale a noté, selon les observations de la représentante de l'appelant, que l'appelant avait affirmé souffrir d'une invalidité grave et prolongée au moins depuis 1998.

[30] Bien que la division générale ait clairement erré en établissant deux dates distinctes auxquelles prenait fin la période minimale d'admissibilité calculée au prorata, rien ne prouve que cette erreur ait eu des répercussions sur les parties. Je suis d'avis que cette question reste théorique.

(c) Question 3 - Réparation demandée

[31] Selon la représentante de l'appelant, en cas de manquement à l'équité procédurale, la réparation appropriée consiste à renvoyer l'affaire à la division générale pour un nouvel examen : Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 RCS 623. Cette décision a été rendue dans le contexte d'une crainte raisonnable de partialité, mais néanmoins, le même principe s'applique. La Cour suprême s'est exprimée en ces termes :

S'il y a eu négation du droit à une audience équitable, la décision subséquente du tribunal ne peut y remédier. La décision d'un tribunal qui a refusé aux parties une audience équitable ne peut être simplement annulable et être validée ensuite par la décision subséquente du tribunal. L'équité procédurale est un élément essentiel de toute audience tenue devant un tribunal. Le préjudice résultant d'une crainte de partialité est irrémédiable. L'audience, ainsi que toute ordonnance à laquelle elle aboutit, est nulle. Dans Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la p. 661, le juge Le Dain, au nom de la Cour, s'est exprimé ainsi:

... j'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèses sur ce qu’aurait pu être le résultat de l’audition.

[32] Je suis d'accord avec le fait qu'un nouvel examen soit la décision appropriée en cas de manquement à l'équité procédurale. Je ne cherche pas à spéculer sur ce qu'aurait été l'issue de l'affaire si l'appelant avait pu prendre connaissance de l'annexe de l'intimé en temps opportun ni ne tente de remédier au manquement à ce stade-ci.

Conclusion

[33] L’appel est accueilli et l'affaire est renvoyée à un nouveau membre de la division générale pour une nouvelle audience.

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