Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] La demanderesse souhaite obtenir la permission d’en appeler à l’encontre de la décision rendue par la division générale (DG) le 28 octobre 2015. La DG a tenu une audience en personne le 14 septembre 2015 et a déterminé que la demanderesse n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) après avoir conclu que son invalidité n’était pas « grave » avant sa période minimale d’admissibilité (PMA), le 31 décembre 2017. Le 15 janvier 2016, le représentant de la demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler, avançant de nombreux moyens d’appel et s’appuyant sur divers points de jurisprudence. Pour accueillir cette demande, je dois être convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable

[2] Tel qu’il est stipulé aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel (DA) sans permission et la DA accorde ou refuse cette permission.

[3] En vertu du paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[4] Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que « la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

Question en litige

[5] Est-ce que l’appel a une chance raisonnable de succès?

Observations

Conclusions de fait erronées

[6] Le représentant de la demanderesse fait valoir que la DG a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive et arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance :

  1. Au paragraphe 42 de sa décision, la DG a incorrectement identifié Dr Ira Michael Price comme un rhumatologue, plutôt qu’un urgentologue.
  2. Au paragraphe 43 de sa décision, la DG a incorrectement conclu que la demanderesse n’avait pas reçu de prescription pour du cannabis médicinal.
  3. Au paragraphe 44 de sa décision, la DG a incorrectement conclu que la demanderesse ne suivait pas le traitement et qu’aucune observation n’avait été soumise pour expliquer le refus de prendre la médication prescrite.
  4. Au paragraphe 48 de sa décision, la DG a incorrectement énoncé que rien n’indiquait que la demanderesse avait reçu la prescription de médicaments pour gérer ses troubles de santé mentale ou qu’elle avait été dirigée vers un psychiatre.

Erreurs de droit

[7] Le représentant de la demanderesse soutient que la DG a commis une erreur de droit dans sa décision, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier :

  1. Le Tribunal a mal appliqué Gaudet c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 59, en omettant d’admettre qu’il s’agit d’une demande pour inclure des « faits nouveaux » en vertu de l’ancien paragraphe 84(2) du RPC.
  2. Le Tribunal a omis d’appliquer Bungay c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 47, parce qu’il a inégalement évalué toutes les conditions de la demanderesse et leur impact collectif sur son fonctionnement.
  3. Le Tribunal a omis d’appliquer D’Errico c. Procureur général, 2014 CAF 95, parce qu’il n’a pas évalué la dimension de « régularité » du critère relatif à la gravité de l’invalidité.

Analyse

[8] Pour que la permission d’en appeler soit accordée, il faut qu’un motif pouvant donner éventuellement gain de cause à l’appel soit présenté : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252 (CF). La Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si le défendeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63.

[9] Pour que la permission d’en appeler soit accordée, le demandeur doit me convaincre que les motifs d’appel correspondent à l’un des moyens d’appel prévus et que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Conclusions de fait erronées

Identification erronée du Dr Price

[10] La demanderesse soutient que la DG a incorrectement identifié Dr Ira Michael Price, lequel a supposément prescrit du cannabis médicinal à la demanderesse, comme rhumatologue plutôt qu’un urgentologue à X.

[11] Une révision de la preuve documentaire démontre peu de références au Dr Price, et il ne semble pas avoir de documents principaux de lui au dossier. Il est mentionné dans les rapports de Mme R. M. et dans les notes cliniques du Dr Arora comme [traduction] « spécialiste » ou « spécialiste du cannabis », malgré le fait que son domaine de pratique spécialisée n’a jamais été spécifié. Comme il semble que la consultation du Dr Price a été envisagée après que le rhumatologue régulier de la demanderesse a refusé de prescrire du cannabis médicinal, la DG peut avoir présumé que le Dr Price était aussi un rhumatologue. Si tel est le cas, il s’agit d’une erreur compréhensible (pas une qui soit tirée de façon « abusive » ou « arbitraire ») en raison du caractère informel et de l’empressement apparent dans la rédaction de certaines des notes cliniques. De toute façon, cette erreur n’est pas pertinente, et je ne constate pas comment la DG serait arrivée à une conclusion différente si elle avait correctement identifié la spécialité du Dr Price. Comme la DG ne contestait pas un point essentiel que la demanderesse cherchait à prouver — qu’elle s’est tournée vers un spécialiste pour obtenir une prescription de cannabis médicinal — l’erreur ne peut pas être considérée comme ayant été faite « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ».

[12] Je ne constate pas de cause défendable fondée sur ce moyen d’appel.

Conclusion que la demanderesse n’avait pas reçu de prescription pour du cannabis médicinal.

[13] La demanderesse soutient que la DG a incorrectement conclu qu’elle n’avait pas reçu de prescription pour du cannabis médicinal. L’on contestait la déclaration de la DG dans sa décision que : (i) les documents au dossier ne mentionnaient pas de prescription pour du cannabis médicinal; (ii) les Dr Arora et Dr Price ont tous deux refusé de lui prescrire du cannabis médicinal; (iii) d’après les faits précédents, son utilisation de cannabis n’était pas surveillée ou gérée par ses médecins traitants.

[14] La demanderesse a cité des documents du 19 février 2013 (p. GD4-94) et du 3 juillet 2013 (p. GD4-98) au soutien de son affirmation qu’elle a en effet reçu une prescription de cannabis médicinal, mais un examen détaillé des passages du dossier clinique du Dr Arora démontre qu’elle s’est seulement présentée à un rendez-vous avec le Dr Price. Le dénouement de ce rendez-vous n’est pas clair, et je ne constate pas de confirmation du Dr Price indiquant sa recommandation de cannabis médicinal. Je précise que les notes du 3 juillet 2013 du Dr Arora ne font pas mention de cannabis, mais que l’inscription suivante — la transcription du rapport de progrès de R. M. du 11 juillet — le fait, mais transmet simplement ce que la demanderesse a mentionné à son avocat.

[15] La demanderesse a présumément témoigné en ce sens lors de l’audience, mais le fait que la demanderesse affirme avoir reçu une prescription pour du cannabis médicinal ne signifie pas qu’il en est vrai, et en l’absence d’une confirmation indépendante, la membre de la DG pouvait certainement douter du fait qu’une telle prescription ait existée. Cela dit, je précise que la membre de la DG a carrément déclaré que le Dr Price (lequel elle croyait évidemment être un rhumatologue, comme déjà mentionné) a refusé de prescrire à la demanderesse du cannabis médicinal, et je ne constate pas de preuve au dossier à cet effet.

[16] Pour ce motif, je constate une cause défendable sur ce moyen.

Conclusion de non-respect de la prise des médicaments prescrits

[17] La demanderesse soutient que la DG a commis une erreur de fait en énonçant que la demanderesse a refusé de prendre les médicaments prescrits sans raison, malgré l’existence d’éléments de preuve oraux et écrits démontrant qu’elle prenait ses médicaments prescrits, mais qu’en raison d’effets secondaires débilitants, elle a choisi de cesser la prise des médicaments.

[18] Il est clair d’après le paragraphe 44 de la décision que la DG a conclu que la demanderesse ne respectait pas la prise des médicaments prescrits et qu’aucune observation n’a été faite au sujet de la raison pour avoir refusé de le faire. À première vue, ce dernier semblerait contredire le paragraphe 12 du même document où la membre de la DG a constaté le témoignage de la demanderesse précisant qu’elle a [traduction] « essayé plusieurs médicaments, mais qu’ils causent des maux d’estomac. » Un bref examen de l’enregistrement de l’audience confirme que, comme la demanderesse l’a indiqué, il y a eu discussion au sujet de la raison de la demanderesse pour ne pas avoir toléré les médicaments prescrits.

[19] Je constate une cause défendable fondée sur ce moyen.

Conclusion que la demanderesse n’avait pas été dirigée vers un psychiatre ou reçu la prescription de médicaments psychoactifs

[20] La demanderesse soutient que de véritables erreurs se trouvent au paragraphe 48 de la décision de la DG :

Rien n’indique qu’elle a reçu la prescription de médicaments pour gérer ses troubles de santé mentale ou qu’elle a été dirigée vers un psychiatre pour consultation ou traitement.

[21] Comme la demanderesse le concède, elle n’a jamais consulté un psychiatre et la DG était exacte d’en conclure ainsi, même si, au fil des ans, la demanderesse avait consulté d’autres professionnels en santé mentale. La DG respectait aussi le champ de sa compétence en utilisant cette conclusion de fait pour déterminer et évaluer la gravité de l’invalidité de la demanderesse.

[22] La demanderesse se réfère à plusieurs exemples au dossier d’audience où ses prestataires de soins mentionnent des prescriptions pour du Ativan, du Elavil, du Cymbalta et de l’amitriptyline. À première vue, cette information contredit la conclusion de la DG, et je suis donc convaincue que ce moyen d’appel a une chance raisonnable de succès.

Erreurs de droit

Application erronée de Gaudet

[23] La demanderesse soutient que la DG a mal appliqué Gaudet en citant l’affaire pour discréditer un diagnostic contrairement à une évaluation du fonctionnement. La DG a cité la Cour d’appel fédérale ainsi :

... en l’absence d’éléments de preuve convaincants que le demandeur était invalide au sens du RPC à la date de sa PMA, l’identification en soi d’une condition médicale ne mène pas à l’obtention d’une pension d’invalidité pour le demandeur.

[24] Comme l’affaire Gaudet portait sur une demande pour inclure des « faits nouveaux » (dans ce cas, un diagnostic de fibromyalgie) en vertu de l’ancien paragraphe 84(2) du RPC, elle n’était pas pertinente, comme on l’a soutenu, pour l’article 44 de la demande de prestations du RPC de la demanderesse, dans laquelle le diagnostic était établi bien avant la fin de la PMA.

[25] La demanderesse soutient aussi qu’en appliquant le principe selon lequel Gaudet est censé appuyer, la DG a mal interprété le rapport d’octobre 2012 du Dr Suhail, lequel ne donnait pas simplement un diagnostic de fibromyalgie, mais aussi une discussion pour démontrer comment cette condition influe sur la capacité à travailler du demandeur.

[26] Je suis en accord avec la demanderesse sur le fait que Gaudet est apparu suite à une demande de prestations du RPC différente au cas en l’espèce, mais je ne suis pas d’accord avec la suggestion que ce n’est pas pertinent ici. Le passage cité par la DG réitère un fait établi en droit et constitue une variation de l’expression [traduction] « un diagnostic n’équivaut pas une invalidité », laquelle a été établie dans Klabouch c. Canada (MSD), [2008] CAF 33, et d’autres.

[27] Je ne suis pas convaincue que ce moyen d’appel ait une chance raisonnable de succès.

Omission d’appliquer Bungay

[28] Le représentant de la demanderesse soutient que la DG a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de toutes les conditions de la demanderesse pour conclure que ses troubles ne suffisaient pas pour être qualifiés de graves, plus spécifiquement sa fibromyalgie, sa profonde fatigue, son humeur maussade, son anxiété, ses troubles du sommeil et son syndrome du côlon irritable (SCI), ce dernier lui causant une incontinence fécale.

[29] Je ne partage pas cet avis. En énonçant le témoignage de la demanderesse, la DG a énuméré tous les symptômes précédents et/ou conditions au paragraphe 9 de sa décision. Elle a documenté la description de leur impact sur les capacités de fonctionnement de la demanderesse au paragraphe 10. Les rapports médicaux, dont les évaluations faites par les prestataires de traitement, ont été entièrement résumés, de même que les observations respectives des parties. L’analyse portait sur toutes les plaintes de l’appelante, à différents degrés, et s’appuyait sur des conclusions de fait et tenait compte de certains rapports médicaux considérés comme pertinents.

La DG a explicitement tenu compte du SCI de la demanderesse au paragraphe 53, et a visiblement conclu selon la preuve démontrant le peu de médicamentation, que les symptômes n’étaient pas invalidants. Bien que la discussion de la DG sur cette question était brève et ne soit pas arrivée à la conclusion que la demanderesse aurait préférée, mon rôle n’est pas de réévaluer la preuve, mais de déterminer si le résultat se justifie et se défend au regard des faits et du droit. L’on ne peut dire que la DG a simplement ignoré les plaintes majeures de la demanderesse. Pour cette raison, je ne suis pas convaincue qu’il y ait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

Omission d’appliquer D’Errico

[30] La demanderesse soutient que la DG a commis une erreur de droit parce qu’elle a omis d’évaluer comment sa déficience l’empêchait de régulièrement détenir un emploi, ce que la Cour d’appel fédérale a interprété comme « période durable ». Il est allégué que la membre de la DG a omis de tenir compte de la preuve que la demanderesse n’est pas une employée fiable parce qu’elle ne peut pas travailler selon un horaire.

‏[31] Le concept de « régularité » a été étudié dans nombre de décisions, récemment dans l’arrêt Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, où la Cour d’appel fédérale a statué que « la prévisibilité est essentielle pour déterminer si une personne travaille régulièrement au sens du RPC. » Même si la DG n’a pas inclus une discussion étendue sur la question des déficiences de la demanderesse qui l’empêcheraient d’occuper un emploi véritablement rémunérateur de façon régulière, plusieurs indications dans sa décision laissent croire qu’elle était soucieuse de la norme juridique. Dans les paragraphes 40 et 54, la DG a explicitement fait référence à l’arrêt Villani c. Canada (P.G.), 2001 CAF 248, où l’on reformule le critère de la gravité : incapable de détenir pendant une « période durable » une occupation réellement rémunératrice. Au paragraphe 47, la DG a tenu compte de la condition de la demanderesse dans le contexte de l’« emploi », en se référant à Canada (Procureur général) c. Fink, 2006 CAF 354, où il a été établi que les prestataires doivent démontrer qu’ils souffrent de douleurs ou de malaises qui les empêchent de travailler.

[32] Dans sa conclusion que la demanderesse conservait une capacité de travail au moment de sa PMA, la DG a incorporé le concept de « régularité » dans son évaluation. Pour ce motif, je considère qu’il n’y a pas de cause défendable pour ce moyen.

Conclusion

[33] Comme mentionné, la demande de permission d’en appeler est accordée selon les moyens où la DG semble avoir commis des erreurs de fait :

  1. Conclusion que la demanderesse n’avait pas reçu de prescription pour du cannabis médicinal.
  2. Conclusion de non-respect du traitement et qu’aucune observation n’avait été soumise pour expliquer le refus de prendre la médication prescrite.
  3. Conclusion que rien n’indiquait que la demanderesse avait reçu la prescription de médicaments pour gérer ses troubles de santé mentale ou qu’elle avait été dirigée vers un psychiatre.

[34] J’invite les parties à présenter des observations concernant le mode d’audience (c.-à-d. déterminer si l’audience devrait avoir lieu par téléconférence, par vidéoconférence, à l’aide d’autres moyens de télécommunication, par comparution ou à l’aide de questions et réponses écrites).

[35] La présente décision qui accorde la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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