Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le demandeur souhaite interjeter appel de la décision rendue par la division générale (DG) le 5 novembre 2015. La DG a tenu une audience en personne le 13 octobre 2015 et a déterminé que le demandeur n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (Loi) après avoir conclu que son invalidité n’était pas « grave » au moment où sa période minimale d’admissibilité a pris fin, le 31 décembre 2013. Le 26 janvier 2016, le représentant du demandeur a déposé une demande de permission d’en appeler, invoquant de nombreux motifs d’appel et fondements juridiques. Pour accueillir cette demande, je dois être convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable

[2] Comme le prescrivent les paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel (DA) sans permission et la DA accorde ou refuse cette permission.

[3] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[4] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prévoit que « la [DA] rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

Question en litige

[5] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Observations

Conclusions de fait erronées

[6] Le représentant du demandeur fait valoir que la DG a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive et arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance :

  1. Aux paragraphes 33 et 35 de sa décision, la DG a conclu à tort que le demandeur n’avait jamais été recommandé à un spécialiste et n’avait jamais pris de médicaments pour sa douleur au dos, conclusions d’après lesquelles la DG a plus tard tiré des conclusions défavorables;
  2. Au paragraphe 32 de sa décision, la DG a conclu à tort que les interventions chirurgicales du demandeur avaient été réussies et qu’il avait récupéré de chacune de ces interventions;
  3. Au paragraphe 35 de sa décision, la DG a conclu à tort que les traitements étaient parvenus à faire rétrécir la tumeur hypophysaire du demandeur, écartant une preuve manifeste voulant que la tumeur avait véritablement grossi;
  4. La DG s’est contredite lorsqu’elle a reconnu que les maux de tête et les étourdissements étaient des facteurs invalidants ayant amené le demandeur à perdre son permis de conduire (paragraphe 31), mais qu’elle a conclu en dépit de cela qu’il ne souffrait pas d’une invalidité grave en vertu des exigences prescrites par la Loi.

Erreurs de droit

[7] Le représentant du demandeur soutient que la DG a commis des erreurs de droit dans sa décision, que celles-ci ressortent ou non à la lecture du dossier :

  1. La DG n’a pas appliqué Garrett c. CanadaNote de bas de page 1 en ne tenant pas compte des facteurs énoncés dans VillaniNote de bas de page 2 et en ne les appliquant pas;
  2. La DG n’a pas appliqué Bungay c. CanadaNote de bas de page 3 en ne tenant pas compte adéquatement de toutes les affections du demandeur et de leur incidence collective sur sa capacité fonctionnelle;
  3. La DG n’a pas appliqué D’Errico c. CanadaNote de bas de page 4puisqu’elle n’a pas tenu compte de la dimension « régulière » qui fait partie du critère relatif au caractère grave de l’invalidité.

Analyse

[8] Pour que la permission d’en appeler soit accordée, il faut qu’un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel soit présenté : Kerth c. CanadaNote de bas de page 5. La Cour d’appel fédérale a établi qu’une cause défendable en droit revient à déterminer si un appel a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. CanadaNote de bas de page 6.

[9] Pour accorder la permission d’en appeler, je dois être convaincu que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens précités et que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Conclusions de fait erronées

Traitement de la douleur lombaire

[10] Le demandeur soutient que la DG a conclu à tort que sa douleur au dos n’était pas grave au point de l’empêcher de détenir toute occupation véritablement rémunératrice puisqu’il n’avait jamais été recommandé à un spécialiste ou pris de médicaments pour celle-ci.

[11] Le demandeur conteste les constatations de fait du membre de la DG ainsi que les conclusions qu’il a fondées sur ces faits. Voici ce que la DG a indiqué au paragraphe 33 de sa décision :

[Traduction]

Le Tribunal conclut que l’appelant est atteint d’une douleur au dos; cependant, la preuve montre clairement que quoique l’appelant ait indiqué que sa douleur au dos le faisait souffrir, il est capable de

travailler avec cette douleur et depuis ce temps il n’a pas cherché à obtenir des conseils ou des traitements supplémentaires de la part de son médecin de famille, ou demandé d’être recommandé à un spécialiste. Le Tribunal note aussi que l’appelant ne prend aucun médicament qui l’aiderait avec sa douleur au dos […]

[12] Au paragraphe 35 de sa décision, la DG a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

Il ne prend présentement aucun médicament pour apaiser sa douleur au dos et il était capable de travailler jusqu’à ce qu’il cesse de travailler en raison de sa tumeur hypophysaire.

[13] Le demandeur allègue avoir décrit sa consommation d’Oxycocet pour sa douleur au dos dans son témoignage, dans le cadre duquel sa crédibilité n’a pas été remise en question. À l’appui de son allégation, il fait référence à une partie précise de l’enregistrement de l’audience. Je n’ai pas encore écouté l’enregistrement, mais si son contenu est conforme aux allégations du demandeur, il permettrait de soutenir une cause défendable.

Récupération postopératoire

[14] Le demandeur soutient que la DG a conclu à tort que les deux interventions chirurgicales de correction de la hernie et les deux mastectomies qu’il a subies avaient été réussies et qu’il avait récupéré de toutes ces opérations sans complications. Le demandeur conteste ses conclusions de fait et cite les commentaires formulés par le Dr Green le 15 avril 2013 ainsi que son propre témoignage à l’appui de son allégation voulant qu’il ressente encore de la douleur et une détérioration dans les zones entourant les incisions qui ont été pratiquées.

[15] Un examen des déclarations de la DG à ce sujet me convainc qu’il n’existe pas de motif d’appel défendable. Voici ce qu’a écrit la DG :

[Traduction]

Rien n’indique, dans la preuve, que l’appelant ait souffert de problèmes relatifs aux interventions chirurgicales et quoiqu’il puisse ressentir une certaine douleur localisée là où les opérations réparatrices ont été pratiquées, aucun renseignement ne suggère que l’appelant a des problèmes l’empêchant de détenir toute occupation véritablement rémunératrice en raison de ses interventions chirurgicales [ …]

[16] Cet extrait, dont le libellé figurait dans la demande de permission d’en appeler, montre que la DG a reconnu les plaintes continues du demandeur concernant une [traduction] « douleur localisée », mais elle a déterminé que le demandeur était quand même capable de travailler. La DG, qui a compétence pour soupeser la preuve, était en droit de tirer cette conclusion, et j’hésiterais à intervenir sur la question du poids qu’elle a accordé à la preuve, puisque ce rôle relève effectivement d’un tribunal administratif dont le mandat est d’évaluer la preuve factuelle.

[17] Pour cette raison, j’estime que ce motif ne confère aucune chance raisonnable de succès à l’appel.

Rétrécissement de la tumeur hypophysaire

[18] Le demandeur soutient que la DG a commis une erreur de fait en déclarant que [traduction] « les traitements administrés à l’appelant pour sa tumeur hypophysaire sont parvenus à [la] faire rétrécir ». En effet, le demandeur a présenté une preuve montrant que la tumeur avait grossi, comme l’indique un rapport du Dr Reddy daté du 27 août 2015 est envoyé à la DG le 28 septembre 2015.

[19] J’estime que ce motif confère à l’appel une chance raisonnable de succès. La DG a noté le témoignage du demandeur dans lequel il avait indiqué que la tumeur avait grossi, mais elle a quand même conclu que les traitements préalables étaient parvenus à la faire rétrécir. Même si la DG avait en sa possession le rapport du Dr Reddy au moment de l’audience, le membre de la DG n’y a pas fait référence dans sa décision. S’il a décidé de ne pas admettre ce rapport parce qu’il avait été présenté après la date d’échéance prévue pour le dépôt des observations (et c’était le cas), le membre n’a tout de même pas mentionné sa décision de procéder ainsi dans ses motifs de décision. Il semble que la DG a fondé sa décision, refusant au demandeur des prestations, au moins en partie sur le rétrécissement supposé de sa tumeur, et si la DG a écarté ou n’a pas tenu compte d’une preuve montrant le contraire, on a au moins affaire à une cause défendable.

Reconnaissance des maux de tête et des étourdissements à titre de facteurs invalidants

[20] Le demandeur allègue que la DG s’est contredite quand elle a reconnu que ses maux de tête et ses étourdissements étaient des facteurs invalidants ayant amené le demandeur à perdre son permis de conduire (paragraphe 31), mais qu’elle a conclu en dépit de cela qu’il ne souffrait pas d’une invalidité grave en vertu des exigences énoncées dans la Loi.

[21] Il semble qu’il existe au moins une cause défendable sur ce motif, d’après une simple lecture des motifs de décision de la DG. Le demandeur est camionneur et la DG a reconnu qu’il a perdu son permis de conduire en raison de maux de tête et d’étourdissements. La DG a considéré ces symptômes comme des [traduction] « facteurs invalidants », mais a quand même conclu, en définitive, que le demandeur n’était pas incapable d’exercer tous les types d’emplois véritablement rémunérateurs. Si la DG a conclu que le demandeur possédait des compétences transférables qui lui permettraient de trouver un autre type d’emploi, il semble qu’elle n’ait pas expliqué comment le demandeur allait travailler avec ses maux de tête et ses étourdissements [traduction] « invalidants ».

Erreurs de droit

Garrett

[22] Le demandeur allègue que la DG n’a pas appliqué Garrett en ne tenant pas compte correctement des facteurs énoncés dans Villani. Si le demandeur reconnaît que la DG a cité Villani, il allègue qu’elle a simplement cité certaines de ses caractéristiques personnelles sans pourtant avoir discuté de leur incidence sur son employabilité dans un contexte « réaliste ».

[23] J’estime que l’appel a une chance raisonnable de succès sur ce motif, puisque celui-ci doit être examiné conjointement au motif, abordé précédemment, voulant que la DG ait commis une erreur en déterminant que les maux de tête et les étourdissements du demandeur étaient des [traduction] « facteurs invalidants », mais en concluant tout de même qu’il était capable de travailler. Au paragraphe 29 de sa décision, le DG a conclu que le demandeur possédait des compétences transférables qui l’aideraient à trouver un différent type d’emploi, mais il semble qu’aucune véritable analyse n’ait été menée pour déterminer comment un individu avec ses antécédents serait capable de le faire tout en étant atteint de symptômes considérés comme [traduction] « invalidants ».

Bungay

[24] Le représentant du demandeur soutient que la DG a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de toutes les affections du demandeur lorsqu’elle a déterminé que ses détériorations n’étaient pas tout à fait graves, soit son importante douleur au dos, ses étourdissements, ses maux de tête et sa douleur à l’épaule droite et au niveau de sa hernie, en plus des effets secondaires de ses médicaments.

[25] La question de savoir si la DG a évalué justement ou logiquement les maux de tête et les étourdissements dont se plaignait le demandeur a déjà été abordée précédemment. Les hernies du demandeur ont été abordées explicitement par la DG au paragraphe 32 de sa décision, et la DG a conclu, d’après la preuve voulant que ses interventions chirurgicales aient été réussies, que tout symptôme résiduel chez le demandeur n’était pas invalidant. Pour ce qui est de la douleur au dos et à l’épaule du demandeur, la DG y a fait allusion dans le résumé des documents de la décision et elle a été discutée de manière plutôt approfondie au paragraphe 33. La DG a évalué si les effets secondaires causés par les médicaments du demandeur entraînaient une quelconque incapacité ou contribuaient à son invalidité, et elle a déterminé que la preuve n’était pas concluante. Si l’évaluation effectuée par la DG sur ces questions ne l’a pas menée à tirer les conclusions souhaitées par le demandeur, mon rôle n’est pas d’apprécier la preuve de nouveau, mais de déterminer si le résultat était acceptable et défendable d’après les faits et le droit. On ne peut pas affirmer que la DG a simplement ignoré certaines des plaintes principales formulées par le demandeur, et pour cette raison j’estime que l’appel n’a pas une chance raisonnable de succès sur ce motif.

D’Errico

[26] Le demandeur soutient que la DG a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’incidence de sa détérioration sur la « régularité » de sa capacité à occuper un emploi, ce que la Cour fédérale a interprété comme signifiant une « période durable ». Il est allégué que la DG n’a pas appliqué le bon critère juridique pour évaluer le caractère grave de l’invalidité alléguée quand elle a déclaré qu’aucun renseignement ne suggérait que le demandeur était incapable de détenir « une » ou « toute » « occupation véritablement rémunératrice ». La DG aurait plutôt dû déterminer si le demandeur était « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice », soit le libellé du sous-alinéa 42(2)a)(i) de la Loi, et tenir compte de la preuve du demandeur voulant qu’il ne était pas un employé fiable.

[27] Le sens du terme « régulièrement » a été abordé dans de nombreuses décisions, et récemment dans l’arrêt Atkinson c. CanadaNote de bas de page 7, dans lequel la Cour d’appel fédérale a affirmé que « la prévisibilité est essentielle pour déterminer si une personne travaille régulièrement au sens du [RPC] ». Si la DG a cité l’article applicable de la Loi et a correctement cité la définition du terme « grave » au paragraphe 5 de sa décision, il semble que le critère juridique ait mal été énoncé au paragraphe 32 (et non au paragraphe 31 comme l’indiquait la demande de permission d’en appeler ) et encore une fois au paragraphe 33. De plus, on pourrait également dire que l’analyse de la DG ne montre aucune véritable tentative d’analyser la dimension de la régularité et la façon dont elle pouvait s’appliquer à la preuve, si l’on présume qu’elle a été fournie, voulant que le demandeur était régulièrement incapable d’occuper un emploi.

[28] Il est défendable que la DG n’ait pas inclus la dimension de la régularité du critère touchant l’invalidité. Pour cette raison, je juge que cet appel a au moins une chance raisonnable de succès sur cette question mixte de droit et de fait.

Conclusion

[29] Comme je l’ai indiqué, la permission d’en appeler est accordée au motif que la DG a pu commettre les erreurs de fait et de droit suivantes :

  1. Conclure que le demandeur n’avait jamais été recommandé à un spécialiste ou pris de médicaments pour sa douleur au dos;
  2. Conclure que les traitements étaient parvenus à faire rétrécir la tumeur hypophysaire du demandeur;
  3. Conclure que les maux de tête et les étourdissements du demandeur étaient des facteurs invalidants l’ayant amené à perdre son permis de conduire, tout en concluant aussi que le demandeur ne souffrait pas d’une invalidité grave;
  4. Ne pas appliquer Garrett en ne tenant pas compte correctement des facteurs énoncés dans Villani;
  5. Ne pas se conformer à D’Errico en n’appliquant pas la dimension de la « régularité » du critère touchant le caractère grave d’une invalidité.

[30] J’invite les parties à présenter des observations concernant le mode d’audience (c’est-à-dire d’indiquer si l’audience devrait avoir lieu par téléconférence, par vidéoconférence, à l’aide d’autres moyens de télécommunication, par comparution ou au moyen de questions et de réponses écrites).

[31] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond de litige.

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