Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

[1] La demanderesse demande l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) rendue le 13 janvier 2016. La DG a rejeté sa demande de prestations d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada, car elle a conclu que la demanderesse n’était pas atteinte d’une invalidité « grave » à la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), le 31 décembre 2009.

[2] La demanderesse estime que la division générale a commis une erreur dans l’évaluation de la gravité de son invalidité. Le représentant de la demanderesse soutient que la division générale n'a pas observé un principe de justice naturelle, a commis une erreur de droit et a tiré des conclusions de fait erronées. Pour obtenir gain de cause, la demanderesse doit démontrer que l’appel a une chance raisonnable de succès.

[3] Bien que certains documents du dossier soient en français, la décision de la DG est en anglais, la demanderesse a déposé sa demande de permission d’en appeler (la « demande ») en anglais, et son représentant a écrit au Tribunal de la sécurité sociale dans cette même langue.

[4] La demanderesse a présenté une demande à la division d’appel (DA) du Tribunal le 12 avril 2016, dans le délai de 90 jours prescrit.

Observations

[5] La demanderesse demande la permission d’en appeler pour les motifs suivants :

  1. La DG n'a pas observé un principe de justice naturelle en ne tenant pas une audience en personne, en fondant sa décision sur une évaluation du caractère subjectif d'une preuve médicale par rapport à son caractère objectif et en ne tenant pas compte d'une analyse subjective de l'état de santé de la demanderesse.
  2. La DG a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des affections invalidantes de la demanderesse ni des principes énoncés dans l'arrêt Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, en supposant que la demanderesse était capable de trouver ou de conserver un emploi, en omettant d'appliquer correctement les principes énoncés dans l'arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 FCA 248, en faisant référence, à tort, à la preuve émanant du Dr Meng comme étant une preuve objective et à celle émanant du Dr Yeats comme étant une preuve subjective, et en préférant l'une à l'autre compte tenu de cette qualification, et finalement, en appliquant, dans son analyse, le mauvais critère au sujet de l’ « incapacité grave ».
  3. La division générale a tiré des conclusions de fait erronées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance en ne tenant pas compte de l'état de santé psychologique invalidant de la demanderesse (présent avant 2009) et en faisant référence uniquement à son état de santé physique (un accident vasculaire cérébral en 2010).

[6] La division d'appel n'a pas demandé à l'intimé de présenter des observations au sujet de la demande.

Droit applicable

[7] Bien que la demande de permission d’en appeler soit le premier obstacle que le demandeur doive franchir, et que cet obstacle n’est pas aussi important que celui qu’il devra surmonter à l’audition de l’appel sur le fond, le demandeur doit démontrer que sa cause est défendable ou soulever un moyen de défense susceptible de lui faire obtenir gain de cause en appel : Kerth c. Canada (ministre du Développement des ressources humaines) [1999] A.C.F. no 1252 (CF). Dans l’arrêt Canada (ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 4, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si le défendeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique.

[8] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Analyse

[9] Pour que j'accorde une permission d’appeler, la demanderesse doit me convaincre que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel admissibles et qu'au moins un de ces motifs confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[10] Les moyens invoqués par la demanderesse se divisent en quatre catégories : (1) La DG n'a pas tenu une audience en personne, mais a jugé l'affaire sur la foi du dossier et a fondé sa décision en partie sur l’évaluation d’une preuve subjective par rapport à une preuve objective; (2) la DG n'a pas appliqué à juste titre la jurisprudence aux faits; (3) la DG a préféré s'appuyer sur des éléments de preuve médicale plutôt que sur une autre preuve médicale, au motif que la première est objective et la seconde, subjective; (4) la DG n'a pas tenu compte de l'état de santé psychologique de la demanderesse même si une preuve abondante de la dépression de la demanderesse et de son état psychologique invalidant a été soumise à la fin de la période minimale d'admissibilité de la demanderesse, ou avant ce moment.

[11] Pour ce qui est du premier moyen (1), la DG a déclaré :

[2] Cet appel a été instruit sur la foi du dossier pour les raisons suivantes :

  1. le membre a établi qu’une autre audience n’était pas nécessaire.
  2. les questions qui font l’objet du présent appel ne sont pas complexes;
  3. l’information au dossier est complète et ne nécessite aucune clarification.
  4. la crédibilité n’est pas un enjeu principal.
  5. le mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent.

[12] La décision de la division générale a fait référence aux extraits de la preuve médicale au dossier qu'elle jugeait les plus pertinents. La DG déclare, au paragraphe 32 :

[32] Le Tribunal a déterminé que la preuve médicale émanant du Dr Yeats était subjective et que celle émanant du Dr Meng était objective. Le 15 décembre 2014, le Dr Yeats a rédigé une lettre dans laquelle il indiquait que l'appelante était incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice depuis 2006 en raison de sa dépendance à l'alcool et de son état de santé physique attribuable à son accident d'auto du 6 juin 2008. Dans son questionnaire relatif aux prestations d’invalidité du RPC, que l’intimé a estampillé le 3 juillet 2012, l'appelante a indiqué qu'elle était incapable de travailler en raison de l'accident vasculaire cérébral qu'elle a subi le 9 octobre 2010. Elle a aussi mentionné qu'elle avait cessé de travailler chez Microsoft en 2006 parce qu'elle avait été congédiée. Son état de santé n'a jamais été mentionné comme motif de son départ. Le 15 janvier 2009, le Dr Meng a noté que l'appelante semblait bien se porter à la suite de son accident d'auto le 6 juin 2008, elle qui ne se plaignait que de raideur au cou.

[13] La demanderesse est d'avis qu'il y a eu manquement aux principes de justice naturelle. La demanderesse aurait dû avoir la possibilité de comparaître en personne afin que la division générale puisse apprécier le degré subjectif de sa douleur et ses limitations. Fonder une décision sur une catégorisation de la preuve médicale et des autres preuves selon leur caractère objectif ou subjectif est injuste selon l'appelante.

[14] Tout appelant a droit à une audience équitable où il a pleinement l’occasion de présenter son cas à un décideur impartial (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [1999] 2 RCS 817, paragraphes 21-22).

[15] En l'espèce, la demanderesse ne prétend pas que la DG n’était pas impartiale. Elle soutient plutôt qu'elle n'a pas obtenu l'occasion de défendre pleinement sa cause devant la DG.

[16] Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale permet à la section de la sécurité du revenu de la DG de rendre sa décision en se fondant sur les documents et observations déposés, conformément à l'alinéa 28a). La DG a déterminé qu’aucune autre audience n’était nécessaire et a rendu sa décision sur la foi du dossier.

[17] Bien que la demanderesse ait préféré comparaître en personne, pour les motifs qu'elle a mentionnés, cet argument suffit pour donner à l'appel une chance raisonnable de succès. L'article 68 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada énonce les types de documents que doit fournir, à l'intimé et au Tribunal , une personne qui présente une demande de pension d'invalidité. La DG peut donc, lorsque les circonstances le permettent, rendre une décision sur la foi du dossier en ce qui concerne la détermination de l'invalidité. La demanderesse n'a pas donné suffisamment de détails sur le caractère inapproprié d'une décision rendue sur la foi du dossier. Comme dans le cas de la définition de l'aspect objectif ou subjectif de la preuve, cette argumentation figure ci-dessous.

[18] D'après le critère du manquement à un principe de justice naturelle, l'appel n’a pas de chance raisonnable de succès

[19] Cependant, les arguments des catégories (2) et (3) ont une chance raisonnable de succès. Voici ses arguments :

  1. la DG a cité l'arrêt Inclima, mais a conclu que la demanderesse avait une capacité résiduelle d'occuper un autre emploi convenable sans expliquer pourquoi elle était parvenue à cette conclusion.
  2. elle a cité l'arrêt Villani et a mentionné les critères de l'arrêt Villani sans analyser pourquoi les caractéristiques personnelles de la demanderesse ou les circonstances propres à elle influençaient sa capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice.
  3. elle s'est appuyée sur une preuve médicale de préférence à une autre preuve médicale, au motif que la première était objective et la seconde, subjective, mais sans expliquer pourquoi un des rapports médicaux s'avérait une preuve objective et l'autre une preuve subjective.

[20] Quant à l'argument de catégorie (4), la preuve médicale au dossier - les notes de suivi cliniques et le rapport du Dr Yeat, et le rapport du Dr Scully - démontre que la demanderesse éprouvait des problèmes psychologiques, notamment une dépendance à l'alcool et une dépression, jusqu'à sa période minimale d'admissibilité. Cependant, au paragraphe [31], la DG a qualifié la preuve émanant du Dr Yeat selon laquelle la demanderesse avait subi un accident vasculaire cérébral lui ayant causé une invalidité grave en 2010, sans faire référence à son état de santé psychologique. Aussi, la DG n'a pas mentionné la dépression de la demanderesse dans son analyse du caractère "grave" de l'invalidité. Elle a mentionné la dépendance à l'alcool, sans en traiter davantage.

[21] Dans sa décision, la DG analyse les contraintes et les capacités physiques de la demanderesse dans une certaine mesure. Elle traite également de la dépendance à l'alcool dans son résumé de la preuve médicale. Dans Bungay c. Canada (Procureur général) 2011 CAF 47, la Cour d’appel fédérale a conclu que pour déterminer si un demandeur est invalide au sens du Régime de pensions du Canada, tous ses problèmes de santé doivent être pris en considération et non pas seulement le plus important d’entre eux. Je n’arrive pas à déterminer clairement si en l'espèce la division générale a tenu compte de l’effet cumulatif des troubles physiques et psychologiques de la demanderesse.

[22] Dans les circonstances, pour déterminer si la DG a commis une erreur de droit ou une erreur de fait en rendant sa décision, un examen plus approfondi s’impose.

[23] Bien qu’un demandeur n'est pas tenu de prouver les moyens d’appel aux fins d’une demande de permission d’en appeler, il devrait à tout le moins exposer quelques motifs qui correspondent aux moyens d’appel énumérés. En l’espèce, la demanderesse a énoncé un moyen d’appel qui relève de l’un des moyens d’appel énumérés.

[24] Pour ce qui est du moyen voulant qu’il puisse y avoir une erreur mixte de droit et de fait, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[25] La demande est accueillie.

[26] La présente décision qui accorde la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

[27] J’invite les parties à présenter des observations écrites sur la pertinence de tenir une audience et, si elles jugent qu’une audience est appropriée, sur le mode d’audience préférable, et à présenter également leurs observations sur le bien-fondé de l’appel.

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