Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Introduction

[2] Le présent appel porte sur une décision rendue le 18 février 2015 par la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale qui a rejeté la demande de pension d’invalidité de l’appelant parce que celui-ci n’avait pas démontré que son invalidité était grave, au sens du Régime de pensions du Canada (RPC), au moment où sa période minimale d’admissibilité (PMA) a pris fin le 31 décembre 2010. La permission d’en appeler a été accordée le 10 juillet 2015 au motif que la DG pourrait avoir commis une erreur en rendant sa décision.

Aperçu

[3] L’appelant a présenté une demande de prestations d’invalidité aux termes du RPC en novembre 2010. Il a déclaré avoir obtenu un diplôme d’études secondaires et avoir travaillé une grande partie de sa vie adulte comme charpentier dans le secteur de la construction. En 1999, il a subi de multiples fractures après être tombé d’une échelle au cours d’un accident en milieu de travail. Il s’est rétabli, mais il a conservé des douleurs chroniques, ce qui lui a demandé d’exécuter des tâches plus légères. En novembre 2008, il a été impliqué dans un accident de voiture et il ne travaille plus depuis ce moment.

[4] L’appelant était âgé de 43 ans à la date de fin de la PMA. Dans le questionnaire accompagnant sa demande de RPC, l’appelant a signalé de nombreuses limitations fonctionnelles, y compris l’incapacité de s’asseoir, de se tenir debout ou de marcher pendant des périodes prolongées. Le fait de lever et transporter des objets lui a causé des douleurs et des tensions au cou, et il avait perdu une grande partie de sa souplesse. Il a souffert de maux de tête et a signalé des troubles de la mémoire et de concentration. Il a consulté de nombreux spécialistes et il a été trait par un grand nombre de ceux-ci, mais il n’y a eu aucune amélioration notable en ce qui concerne ses douleurs ou sa fonctionnalité.

[5] À l’audience devant la DG en février 2015, l’appelant a déclaré que les douleurs régissent sa vie quotidienne. Il est sensible au bruit et à la lumière, et il dort mal. Il a reçu des services d’orientation professionnelle pendant un an. Il a pris des antidépresseurs, mais il a trouvé qu’ils amélioraient peu son humeur. Il a reçu des séances de counselling en matière de gestion de la douleur et des injections épidurales qui ont eu peu d’effet.

[6] Dans sa décision datée du 18 février 2015, la DG a conclu que l’invalidité de l’appelant ne respectait pas la norme applicable au chapitre de la gravité, en partie parce qu’il n’a pas atténué ses problèmes de santé mentale et ses douleurs chroniques connexes en suivant le traitement recommandé.

[7] Le 12 mai 2015 ou vers cette date, l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale en prétendant que de nombreuses erreurs avaient été commises par la DG. Le 10 juillet 2015, la DA a accordé la permission d’en appeler au motif que la DG pourrait avoir :

  1. a tiré une conclusion de fait erronée selon laquelle [traduction] « la plupart des médecins » qui ont évalué l’appelant ont suggéré qu’il consulte un psychologue et qu’il prenne des médicaments anxiolytiques et antidépresseurs;
  2. a tiré une conclusion de fait erronée selon laquelle l’appelant a refusé le traitement alors que, en fait, il a suivi des séances de counselling au moment où cette forme de thérapie était disponible;
  3. a commis une erreur de droit et de fait en obligeant l’appelant à atténuer ses incapacités même s’il y avait des circonstances atténuantes qui auraient pu expliquer son échec en matière de suivi du traitement, y compris le fait qu’il n’était pas au courant des recommandations médicales particulières.

[8] Le 7 avril 2016, la DA a décidé d’instruire la cause sur le fondement du dossier documentaire pour les motifs suivants :

  1. la complexité des questions en litige;
  2. le fait que l’appelante ou les autres parties étaient représentées;
  3. le besoin, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[9] Les observations de l’appelant ont été énoncées dans la demande de permission d’en appeler et dans l’avis d’appel déposé le 12 mai 2015. D’autres observations ont été présentées le 23 août 2015. Les observations de l’intimé ont été déposées auprès de la DA le 24 août 2015.

Droit applicable

[10] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Norme de contrôle

[11] Jusqu’à tout récemment, il était convenu que les appels interjetés devant la DA étaient régis par les normes de preuve établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 1. Dans les affaires portant sur de prétendues erreurs de droit ou une prétendue omission d’observer des principes de justice naturelle, il a été conclu que la norme applicable était celle de la décision correcte, ce qui reflète un seuil de déférence inférieur auquel un tribunal administratif, souvent comparé à une cour de première instance, est tenu de se conformer. Dans les affaires où on prétend que des conclusions de fait erronées ont été tirées, il a été conclu que la norme à appliquer est celle de la décision raisonnable, qui correspond à une décision où on hésite à intervenir dans les conclusions tirées par l’organe responsable en entendant un témoignage factuel.

[12] Dans l’arrêt Canada (MCI) c. HurglicaNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche en concluant que les tribunaux administratifs ne devraient pas utiliser les normes de contrôles ayant été conçues aux fins d’applications par les cours d’appel. Les tribunaux  administratifs doivent plutôt examiner en premier lieu leurs lois constitutives aux fins d’orientation pour déterminer leur rôle.

Questions en litige

[13] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. Quelle norme de contrôle, le cas échéant, s’applique pour examiner les décisions de la DG?
  2. la DG a-t-elle tiré une conclusion de fait erronée selon laquelle [traduction] « la plupart des médecins » qui ont évalué l’appelant ont suggéré qu’il consulte un psychologue et qu’il prenne des médicaments anxiolytiques et antidépresseurs?
  3. la DG a-t-elle tiré une conclusion de fait erronée selon laquelle l’appelant a refusé les soins de santé mentale recommandés?
  4. la DG a-t-elle commis une erreur de droit et de fait en ne tenant pas compte de facteurs expliquant la raison pour laquelle l’appelant n’a pas reçu les soins de santé mentale recommandés?

Observations

(a) Quelle est la norme de contrôle judiciaire appropriée?

[14] Les observations de l’appelante et de l’intimé à l’égard de cette question ont été présentées avant la publication de l’arrêt Huruglica le 29 mars 2016.

[15] L’appelant a appuyé l’approche prévue dans l’arrêt Dunsmuir en demandant que la norme de contrôle de la décision raisonnable soit adoptée sur des questions de fait, mixte de fait et de droit, et de droit se rapportant à la loi constitutive du tribunal. Une gamme d’issues acceptables étaient possibles et pouvaient se justifier au regard des faits et du droit.

[16] Les observations de l’intimé mentionnent en détail les normes de contrôle et leur applicabilité en l’espèce pour conclure qu’une norme de décision correcte devait être appliquée aux erreurs de droit, et la norme de la décision raisonnable doit être appliquée aux erreurs de fait et aux erreurs mixtes de fait et de droit.

(b) La DG a-t-elle commis une erreur en concluant que [traduction] « la plupart des médecins » ont recommandé du counselling et des médicaments?

[17] L’appelant soutient que la DG a commis une erreur en concluant que [traduction] « la plupart des médecins » ont recommandé du counselling, alors que seulement deux fournisseurs de soins de soins de santé (l’un d’eux n’était pas un médecin) ont suggéré du counselling psychologique et l’essai de médicaments anxiolytiques et antidépresseurs. Le Dr Capstick et le Dr Ogbinosa ont simplement suggéré le traitement; ils n’ont pas déclaré que l’appelant [traduction] « devrait » suivre une thérapie psychologie ou qu’il pourrait en bénéficier ou qu’il en bénéficierait. Il était déraisonnable de la part de la DG de considérer les commentaires de ces deux médecins comme des recommandations alors qu’il s’agissait simplement de suggestions. La seule recommandation évidente a été formulée par Mary Kemp, physiothérapeute. Elle a écrit au Dr Ogbinosa avant décembre 2010 et elle a [traduction] « recommandé » une évaluation psychologique. Mme Kemp n’est pas médecin, et les problèmes de santé mentale ne sont pas de son domaine d’expertise.

[18] L’intimé soutient que la DG a effectué un examen détaillé de la preuve médicale et documentaire et du témoignage de vive voix qui ont été portés à sa connaissance. Aucune conclusion de fait erronée n’a été tirée. La décision comprend un examen et un résumé de la preuve médicale de six médecins et d’un physiothérapeute aux paragraphes 10 à 19. Dans ce résumé, la DG a mentionné que quatre des sept professionnels de la santé ayant pris part au traitement de l’appelant entre 2008 et 2010 ont conclu que l’anxiété et la dépression sous-jacentes ont joué un rôle dans les symptômes observés chez l’appelant. De plus, le membre de la DG a souligné que, selon le Dr Capstick, les symptômes de l’appelant en 2009-2010 n’étaient pas liés aux symptômes de ses blessures subies à la suite de son accident de voiture. Trois des médecins et la physiothérapeute ont recommandé de recourir aux médicaments anxiolytiques et antidépresseurs, de diriger l’appelant vers du counselling et d’évaluer son trouble d’anxiété. La majorité des professionnels des soins de santé ont recommandé une certaine forme de traitement pour les problèmes d’anxiété et de dépression de l’appelant.

(c) La DG a-t-elle commis une erreur en concluant que l’appelant a refusé le traitement?

[19] L’appelant soutient que la DG a commis une erreur en concluant qu’il a refusé le traitement alors qu’il a en fait accepté la thérapie dès qu’elle était offerte. Il est évident que le Dr Capstick et le Dr Javidan ont laissé le Dr Ogbinosa tenir compte de leurs suggestions, mais le médecin de famille a déclaré dans son rapport du 5 novembre 2010 que les seules consultations ou examens médicaux à venir (GD1-47) étaient une clinique de traitement de la douleur et des injections de botox. Il est déraisonnable de jeter le blâme sur l’appelant parce que son médecin de famille ne l’a pas dirigé vers un psychologue. Il est manifestement déraisonnable de reprocher à l’appelant de ne pas être au courant des suggestions et des recommandations formulées par son médecin ou son avocat, particulièrement étant donné que rien ne démontre qu’il était au courant de celles-ci. À l’audience, la DG n’a pas demandé à l’appelant s’il était au courant des suggestions figurant dans ces rapports.

[20] L’intimé soutient que la DG a été raisonnable en tirant la conclusion selon laquelle l’appelant n’a pas atténué sa maladie. La DG a souligné que la physiothérapeute, Mme Kemp, a parlé à l’appelant du recours aux services d’un psychologue, et l’appelant a répondu qu’il préférait participer à une clinique de gestion de la douleur. Dans son témoignage, l’appelant a souligné qu’il a pris part à un programme en 12 étapes au lieu de prendre des antidépresseurs. Il a également déclaré que la seule raison pour laquelle il ne voulait pas essayer de nouveaux antidépresseurs, comme l’a suggéré son médecin, était parce que les derniers n’avaient pas fonctionné. De plus, la DG a souligné que l’appelant a reçu un diagnostic de trouble bipolaire en 1996 avec lequel il était en désaccord, mais qu’il n’a pas cherché à obtenir un second avis au sujet de ce diagnostic ni un traitement ou un suivi concernant d’autres problèmes de santé mentale.

(d) La DG a-t-elle commis une erreur en ignorant les circonstances atténuantes expliquant l’omission de l’appelant à subir le traitement?

[21] Dans ses observations, l’appelant laisse entendre que la DG a commis une erreur de droit et de fait en ne tenant pas compte des circonstances excusant l’omission de l’appelant à suivre le traitement en santé mentale recommandé par ses médecins. Pour soulever cet argument, l’appelant a cité la décision MRHDC c. A.B.RNote de bas de page 3 de la défunte Commission d’appel des pensions concernant le principe selon lequel un demandeur ne peut pas être blâmé pour l’omission de traitement s’il existe des raisons valides.

[22] L’appelant a donné plusieurs raisons justifiant sa décision de ne pas prendre de psychotropes supplémentaires ou de chercher à obtenir du counselling psychologique. Celles-ci comprennent :

  • Il n’était pas au courant de certaines des recommandations étant donné qu’il se fiait à son médecin de famille pour la production de prescription et les références.
  • Le counselling psychologique n’était offert qu’à une distance importante de la résidence de l’appelante et il n’était pas couvert par le régime d’assurance-maladie de la Colombie-Britannique.
  • Il avait essayé de prendre des antidépresseurs auparavant, mais il trouvait qu’ils ne fonctionnaient pas.

[23] Dans ses observations, l’intimé n’a pas abordé particulièrement l’allégation de l’appelant selon laquelle la DG n’a pas tenu suffisamment compte des motifs pour lesquelles il n’aurait pas reçu un traitement psychologique. Cependant, il a mis l’accent sur la preuve selon laquelle l’appelant a préféré prendre part à une clinique de la gestion de la douleur et à un programme en 12 étapes au lieu de suivre les recommandations de consulter un psychologue et de prendre davantage d’antidépresseurs.

Analyse

(a) Norme de contrôle

[24] Bien que l’arrêt Huruglica concerne une décision qui émanait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle a des répercussions sur d’autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’importation de principes de contrôle judiciaires, comme il a été mentionné dans l’arrêt Dunsmuir, vers les tribunes administratives était inappropriée, car celles-ci pourraient refléter des priorités législatives autres que l’impératif constitutionnel de préserver la primauté du droit. [Traduction] « Il ne suffit pas d’assumer que la chose étant jugée comme la meilleure politique pour les cours d’appel s’applique également à des cours d’appel administratives particulières. »

[25] Cette situation mène la Cour à déterminer du critère approprié qui découle entièrement de la loi dominante d’un tribunal administratif :

[...] la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] qui doivent être lus au regard de leur contexte global, selon leur sens grammatical et ordinaire, et en harmonie avec l’économie de la LIPR et son objet [Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., (Toronto : Butterworths, 1983)]. L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [Section d’appel des réfugiés].

[26] La répercussion en l’espèce est que les normes de la décision raisonnable ou de la décision correcte ne s’appliqueront pas sauf si ces mots ou des variantes sont précisément compris dans la loi fondatrice. En appliquant cette approche à la LMEDS, il faut noter que les alinéas 58(1)a) et 58(1)b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements au principe de justice naturelle, ce qui donner à penser que la DA ne devrait pas faire preuve de déférences à l’égard des interprétations de la DG.

[27] Le mot « déraisonnable » ne se trouve nulle part dans l’alinéa 58(1)c), qui porte sur les conclusions de fait erronées. Le critère contient plutôt les qualificatifs « abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme on laisse entendre dans l’arrêt Huruglica, on doit accorder à ces mots leur propre interprétation, mais la formulation donne à penser que la DA doit intervenir si la DG fonde sa décision sur une erreur qui est clairement flagrante ou opposée au dossier.

(b) [Traduction] « La plupart des médecins »

[28] Au paragraphe 31 de la décision, la DG a conclu que [traduction] « de nombreux médecins » ont suggéré une évaluation et un traitement pour les problèmes de santé mentale de l’appelant. Au paragraphe 33, on laisse entendre que [traduction] « la plupart des médecins » avaient suggéré des médicaments antidépresseurs et anxiolytiques et des consultations avec un psychologue aux fins d’évaluation et de traitement. La DG n’a pas précisé les médecins auxquels elle faisait référence un utilisant l’expression « la plupart ».

[29] Une enquête auprès des fournisseurs de traitement et des évaluateurs ayant formulé des recommandations en matière de santé mentale a mené à la liste de documents suivante :

  • Un rapport daté du 6 avril 2009 par Mary Kemp, physiothérapeute et ergothérapeute, à l’intention du Dr Igbinosa dans lequel elle a recommandé une [traduction] « aide psychologique pour ses frustrations, sa douleur et son niveau d’invalidité perçu ». Mme Kemp a souligné que l’appelant préférait plutôt participer à un programme sur la douleur chronique.
  • Un rapport de consultation daté du 29 octobre 2009 par le Dr J.R. Capstick, anesthésiste, suggère à l’appelant d’essayer un antidépresseur tricyclique ou un inhibiteur spécifique du recaptage de la sérotonine pour ce qui semblait être une combinaison d’anxiété et de dépression. Le Dr Capstick a également suggéré de diriger l’appelant vers des soins de santé mentale pour suivre une thérapie et évaluer son trouble d’anxiété.
  • Un rapport de consultation daté du 7 avril 2010 et produit par le Dr M. Javidan, neurologue, où il est suggéré que l’appelant prenne du clonazépam pour traiter son anxiété. Le Dr Javidan pensait également que l’appelant pourrait bénéficier d’une référence vers un psychologue.
  • Un rapport de consultation daté du 19 août 2010 et produit par le Dr Alan Berkman, anesthésiste, qui suggère que l’appelant pourrait bénéficier d’un médicament régulateur, comme Cymbalta, mais il a précisé clairement que cette décision revenait au médecin de famille.
  • Un rapport médicolégal daté du 5 juin 2012 et produit par le Dr Berkman a recommandé des options de traitement, y compris une thérapie comportementale et cognitive, une médication continue, une formation sur la mémoire et probablement une formation professionnelle.
  • Dans un autre rapport médico-légal daté du 3 février 2013, le Dr Berkman a de nouveau recommandé du counselling psychologique pour aider le demandeur à composer avec sa douleur; il n’était pas indiqué que cette recommandation visait à traiter la dépression ou l’anxiété de l’appelant.
  • Le 28 février 2014, le Dr Berkman a indiqué qu’il avait recommandé au demandeur de communiquer avec le psychologue de la clinique interdisciplinaire de gestion de la douleur de l’hôpital général régional de X, mais que les problèmes de mémoire du demandeur avaient fait en sorte qu’il avait manqué beaucoup de rendez-vous.
  • En novembre 2014, Jen Mazur, un psychologue agréé, suggère fortement que le demandeur subisse une évaluation neuropsychologique afin d’obtenir un portrait global de ses forces et de ses lacunes. (p. GT10-6).

[30] Tout d’abord, j’écarte l’argument de l’appelant selon lequel il y a une distinction importante entre une suggestion et une recommandation. Dans les rapports médicaux, ces mots sont fréquemment utilisés de façon interchangeable, et, si un fournisseur de traitement suggère une thérapie particulière, il est impossible de déclarer qu’il ou elle ne fait que mentionner que cela devrait être effectué.

[31] Ensuite, je suis d’accord avec l’appelant que la recommandation d’aide psychologique de Mary Kemp devrait être ignorée, car elle formulait un commentaire sur un sujet ne faisant pas partie de son expertise en tant que physiothérapeute. Cela dit, contrairement à l’allégation de l’appelant, il y a plus qu’un seul praticien qui a suggéré que l’appelant bénéficierait d’un traitement en santé mentale : le Dr Capstick, le Dr Javidan et le Dr Berkman ont tous recommandé un suivi psychologique ou la prescription de psychotropes, et le Dr Igbinosa a mentionné une prescription antérieure d’un antidépresseur, à savoir Effexor, que l’appelant a cessé de prendre.

[32] Le traitement reçu après la PMA est pertinent dans une évaluation de la gravité d’une prétendue invalidité (tout comme le traitement non reçu après la PMA) s’il existe des signes d’un trouble invalidant non diagnostiqué ou non traité au cours de la période d’admissibilité. Le dossier fait état qu’au moins quatre praticiens ont formulé des recommandations au sujet de la santé mentale de l’appelant, soit avant soit après la PMA. La question de savoir si on peut les qualifier comme étant [traduction] « nombreuses » est une question de jugement, mais je ne crois pas que cela peut être considéré raisonnablement comme une erreur, et certainement pas une erreur arbitraire ou abusive ou commise sans avoir tenu compte du dossier. On peut dire la même chose au sujet de l'utilisation du mot [traduction] « plupart ». Une majorité des médecins de l’appelant, et certainement une majorité de ceux aptes à offrir des évaluations psychologiques, ont formulé des recommandations sur la santé mentale de l’appelant.

(c) Refus de traitement

[33] L’absence de traitement peut être considérée comme une preuve que les blessures d’un prestataire sont moins que graves, mais également comme une omission d’atténuer son incapacité. L’atténuation est définie comme l’acte de réduire la gravité ou la douleur d’une perte. Selon la définition du RPC, la doctrine de l’atténuation impose une obligation positive de prendre des démarches actives pour retrouver sa fonctionnalité, habituellement en suivant les recommandations des médecins. Le refus d’agir ainsi autorise un décideur à tirer une conclusion selon laquelle le prestataire aurait pris du mieux s’il avait accepté le traitement.

[34] Un examen de la décision, particulièrement la section de trois pages intitulée « Analyse », a permis clairement de constater que la DG a fondé une grande partie de son refus de la demande de l’appelant sur ce qu’elle a conclu comme étant le refus de l’appelant de suivre les conseils d’ordre médical :

[traduction]

[31] Le Tribunal doit se demander si le refus de l’appelante de suivre un traitement est déraisonnable ou non, et quel impact ce refus peut avoir sur l’état d’incapacité de l’appelante, dans le cas où le refus est déraisonnable.

[31] Le Tribunal estime qu’il était déraisonnable pour l’appelant de ne pas suivre les suggestions qu’il a reçues quant à la prise de médicaments anxiolytiques et antidépresseurs et à la consultation d’un psychologue afin d’être évalué et traité.

[32] Si l’appelant avait suivi les recommandations en matière de traitement en santé mentale, à savoir la référence à un psychologue, la thérapie comportementale et cognitive et les médicaments, il aurait pu avoir une meilleure capacité, particulièrement étant donné que l’évaluation a inscrit la dépression et l’anxiété comme l’un des obstacles à l’emploi.

[33] Le Tribunal estime que l’appelant n’est pas incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice parce qu’il n’a pas pris les mesures d’atténuation nécessaires en suivant les traitements qui étaient à sa disposition pour le problème de santé mentale en lien avec ses douleurs chroniques, alors que la plupart des médecins qui l’ont évalué ont formulé une recommandation à cet égard.

Pour faire valoir qu’un demandeur de pension d’invalidité aux termes du RPC doit effectuer toutes les options de traitement recommandées, la DG a correctement cité l’arrêt Lalonde c. CanadaNote de bas de page 4, même si ce principe a déjà été énoncé de manière plus complète dans d’autres affairesNote de bas de page 5. La question dont je suis saisie est celle de savoir si la DG a eu raison de conclure que l’appelant a [traduction] « refusé » de suivre les conseils d’ordre médical.

[35] Bien que la DG ait conclu que l’appelant a refusé le traitement, sa décision n’a pas précisé la façon dont il a rejeté une recommandation d’ordre médical. Lorsque j’examine des exemples particuliers dans le dossier de preuve qui documentent le refus de l’appelant de suivre les recommandations d’ordre médical, je n’y trouve rien.

[36] La DG a souligné que l’appelant a été hospitalisé en raison d’un trouble bipolaire en 1996 même s’il n’a pas été d’accord avec ce diagnostic. Cela n’équivaut pas en soi à un refus d’accepter le traitement. La DG a conclu que, en 2009, l’appelant avait été brièvement traité au moyen d’une dose de départ d’Effexor, ce qui a pris fin en raison d’un manque d’efficacité, mais rien ne démontre qu’on lui a offert ou qu’il a refusé d’autres doses ou des prescriptions ultérieures de médicaments anxiolytiques ou antidépresseurs. À l’audience, l’appelant a déclaré qu’il préférait lutter contre l’anxiété et la dépression au moyen d’un programme en 12 étapes, mais rien ne laissait entendre qu’il avait écarté le counselling psychologique.

[37] En clair, je ne remets pas en question le pouvoir de la DG d’évaluer la gravité selon le nombre et le type de thérapies recommandées par les fournisseurs de traitement. Cependant, je dois me ranger du côté des observations de l’appelant selon lesquelles il n’avait jamais été critiqué explicitement dans le dossier médical qu’il avait été à l’encontre des conseils d’ordre médical. Rien ne démontre dans la preuve, orale ou écrite, que l’appelant a déjà refusé un traitement. Il a déclaré avoir essayé de suivre toutes les recommandations de ses médecins. Même s’il a déclaré croire que le programme en 12 étapes et la clinique de gestion de la douleur chronique étaient les meilleures stratégies pour lui, il n’a jamais refusé d’autres traitements. La preuve démontre que le demandeur a éventuellement tiré profit du counselling lorsque cette forme de thérapie a été mise à sa disposition.

[38] Pour ces motifs, j’estime que la DG n’avait aucun fondement pour conclure que l’appelant n’a pas suivi le traitement en santé mentale recommandé par ses médecins.

(d) Circonstances atténuantes

[39] Bien que l’appelant n’ait pas refusé le traitement en santé mentale recommandé, il est toutefois véridique qu’il ne les a pas reçus, et la DG fonde une grande partie de sa décision sur ce fait. Les questions qui demeurent sont les suivantes : (i) s’il existe une disposition dans la loi qui oblige la DG à tenir compte de circonstances atténuantes qui expliquaient ou excusaient une omission de recevoir un traitement; (ii) si ces circonstances existaient en l’espèce; (iii) le cas échéant, si la DG a ignoré son obligation de tenir compte de ces circonstances.

[40] Dans l’arrêt Lalonde, l’affaire citée par la DG à l’appui du principe d’atténuation, la Cour d’appel fédérale a statué ce qui suit :

Le contexte « réaliste » suppose aussi que la Commission se demande si le refus de Mme Lalonde de suivre un traitement de physiothérapie est déraisonnable ou non, et quel impact ce refus peut avoir sur l’état d’incapacité de Mme Lalonde, dans le cas où le refus est déraisonnable

[41] Le concept clé en l’espèce est celui de la décision raisonnable. Même s’il a été établi qu’un prestataire n’a pas reçu le traitement recommandé, le décideur doit quand même mener une enquête sur la question de savoir s’il existe une bonne raison justifiant cette omission ou à tout le monde examiner de façon équitable la preuve dont il dispose à cet égard.

[42] En l’espèce, l’appelant soutient que les facteurs suivants ont joué un rôle dans son omission de recevoir le traitement pour ses problèmes psychologiques :

  • Les rapports du Dr Capstick, du Dr Javidan et du Dr Berkman sont tous à l’intention du Dr Igbinosa, le médecin de famille de l’appelant, et celui-ci n’était pas au courant de leurs recommandations en matière de traitement.
  • Il s’est fié à son médecin de famille pour mettre en œuvre les recommandations des spécialistes, et, si le Dr Igbinosa a omis de le faire, il ne peut pas en porter le blâme.
  • Le counselling psychologique n’était pas offert dans sa région, et les services de santé de la Colombie-Britannique ne couvraient pas ce service. Deux de ces facteurs pourraient avoir joué un rôle dans la décision du Dr Igbinosa de ne pas diriger l’appelant vers le counselling psychologique.
  • Lorsqu’il a pris un antidépresseur par le passé, l’appelant n’a constaté aucune amélioration et il a souffert d’effets secondaires. Le Dr Igbinosa n’a pas jugé approprié de prescrire des médicaments de rechange.

[43] Dans sa décision, la DG ignore grandement ces facteurs en abordant seulement les effets secondaires prétendus et le manque d’efficacité de l’essai d’Effexor par l’appelant. À l’audience, la DG a questionné l’appelant sur cet essai et elle a conclu que la dose de départ était inadéquate pour traiter le trouble de stress post-traumatique, l’anxiété et la dépression de l’appelant. Après avoir examiné la preuve documentaire et écouté les extraits pertinents de l’enregistrement de l’audience, je ne constate aucune preuve selon laquelle l’appelant s’est vu prescrire tout autre antidépresseur après l’essai infructueux d’Effexor et j’estime qu’il était dans son droit de conclure à partir de ce fait que l’incapacité psychologique de l’appelant était moins que grave. Cependant, je demeure incertain quant à la raison pour laquelle le Dr Igbinosa a mis fin à l’Effexor et pour laquelle il a refusé de prescrire d’autres antidépresseurs. Était-ce parce qu’il ne croyait pas qu’ils étaient nécessaires étant donné les problèmes de santé de l’appelant ou était-ce parce que l’appelant lui a dit qu’il n’en voulait plus? Le membre de la DG n’a pas poursuivi ce questionnement à l’audience et elle n’a pas enquêté sur la raison pour laquelle l’appelant n’a pas reçu du counselling opportun d’un psychologue, comme il avait été recommandé par les spécialistes.

[44] Si la DG choisit de fonder son refus sur une conclusion de traitement psychologique insuffisant, elle doit être consciente de la réalité dans laquelle la plupart des prestataires dépendent de leurs médecins de famille afin que ceux-ci recommandent un traitement et mettent en œuvre la recommandation de spécialistes. Les prestataires ont tendance à accepter passivement ces recommandations et faire ce que les médecins leur disent de faire. Rien dans la preuve ne laissait entendre que l’appelant a résisté au traitement, et, si le médecin de la famille de l’appelant ne parvenait pas à donner suite aux recommandations de spécialistes ou à prescrire autrement ce que la DG considérait comme un traitement approprié, la DG aurait dû soulever ces questions à l’audience et les aborder dans la décision.

[45] Comme il est souligné dans les observations de l’appelant, les rapports du Dr Capstick, du Dr Javidan et du Dr Berkman (et la lettre de Mary Kemp) étaient à l’intention du Dr Igbinosa ou copiés à son intention. La DG n’a pas demandé à l’appelant s’il était au courant des recommandations selon lesquelles il devait recevoir du counselling psychologique ou, s’il l’était, s’il a pris des mesures de son propre chef pour avoir recours à ce service. La DG disposait d’une preuve que le counselling psychologique n’était pas facilement accessible avant la date de fin de la PMA, comme il a été précisé par le commentaire du Dr Capstick d’octobre 2009 selon lequel un psychologue clinique n’était plus associé à sa clinique. Dans son rapport de février 2013, le Dr Berkman a mention que, au mois d’août de l’année précédente, l’appelant a consulté un psychologue situé à X, qui l’a dirigé vers un psychologue [traduction] « récemment nommé » à X pour lui permettre de raccourcir la distance à parcourir. Il a bel et bien commencé à consulter un psychologue par la suite (dès février 2013), c qui donne à penser qu’il était prêt à recevoir le traitement lorsqu’il lui était recommandé, mais un obstacle aurait pu être la disponibilité de ce service. Cependant, il ne semble pas que la DG a abordé cette question à l’audience, et il ne fait aucun doute qu’il n’y a eu aucune discussion à cet égard dans la décision.

[46] Tout ce qui précède me convainc que la DG n’a pas tenu adéquatement compte des questions de la connaissance et de l’accessibilité avant de rejeter la demande de l’appel pour omission de recevoir le traitement. Il ne s’agissait pas d’une affaire où un prestataire a carrément refusé de suivre le traitement recommandé. La preuve démontre que l’appelant était prêt à faire ce que les médecins lui conseillaient de faire lorsqu’il en était mis au courant. Il a essayé l’Effexor, mais il l’a jugé inefficace. Il a déclaré qu’il a trouvé utiles les cours de gestion de la douleur. Le counselling n’était pas offert à proximité de façon pratique. Une fois les options de traitement offertes, il a eu recours à celles-ci, et la question de savoir si le traitement était offert après la date de fin de la période minimale d’admissibilité ne devrait pas importer.

[47] J’estime que la DG n’a pas tenu compte des circonstances atténuantes pour évaluer si l’omission de l’appelant de recevoir le traitement psychologique était raisonnable, et la jurisprudence donne à penser qu’elle se doit de le faire.

Conclusion

[48] J’accueillerais l’appel au motif de deux moyens : tout d’abord, la DG a commis une erreur de fait sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance en concluant que l’appelant avait [traduction] « refusé » le traitement. Ensuite, la DG a commis une erreur mixte de droit et de fait en ne tenant pas compte de circonstances atténuantes pour l’omission de l’appelante de recevoir un traitement psychologique.

[49] L’article 59 de la LMEDS énonce la réparation que la DA peut accorder pour un appel. En l’espèce, il convient que l’affaire soit renvoyée devant la DG pour une nouvelle audience devant un différent membre de la DG.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.