Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le présent appel porte sur une décision rendue le 13 avril 2015 par la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale qui a rejeté la demande de pension d’invalidité de l’appelant parce que celui-ci n’avait pas démontré que son invalidité était grave et prolongée, au sens du Régime de pensions du Canada (RPC), en avril 2009 ou vers cette période, à savoir le mois avant que sa pension de retraite soit devenue payable.

[2] Le 26 mai 2015, la division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale a accordé à l’appelant la permission d’en appeler au motif que la division générale (DG) aurait pu commettre une erreur dans sa décision en n’observant pas un principe de justice naturelle.

Contexte et historique de l’instance

Demandes de prestations d’invalidité aux termes du RPC

[3] L’appelant a présenté une demande de prestations d’invalidité aux termes du RPC le 20 avril 2010. La demande a été remplie et signée par sa fille et représentante autorisée, « S. N. B. » résidant au 100, X X X, bureau X, X (Ontario) (p. GT1-25).

[4] L’intimé a refusé la demande de pension d’invalidité aux termes du RPC de l’appelant le 24 septembre 2010. Il a souligné que l’appelante recevait une pension de retraite aux termes du RPC depuis mai 2009. Il a informé l’appelant que le RPCne permet pas à une personne de recevoir une pension de retraite anticipée et des prestations d’invalidité en même temps. L’intimé a informé l’appelant que ses problèmes de santé auraient dû l’empêcher de détenir une occupation véritablement rémunératrice en avril 2009, à savoir le mois où il a commencé à toucher une pension de retraite anticipée aux termes du RPC. L’intimé a conclu à la suite d’un examen des renseignements et des documents versés au dossier qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements démontrant que les limitations de l’appelant l’empêchaient de faire un certain type de travail (p.GT1-12).

[5] Le 13 décembre 2010, l’appelant a demandé une révision de la décision de l’intimé. Dans la décision découlant de la révision datée du 1er avril 2011, l’intimé a refusé la demande de pension d’invalidité de l’appelant. Cette fois, l’intimé a informé l’appelant qu’il ne jugeait pas que l’appelant souffrait d’une invalidité grave et prolongée au sens du RPC (p. GT1-21).

Appel devant le tribunal de révision du RPC

[6] Le 12 mai 2011, la représentante de l’appelant a interjeté appel de la décision découlant la révision de l’intimé. Il souhaitait bénéficier d’une date d’appel anticipée. La lettre a été rédigée sur du papier à en-tête de « N.K. Bhatia Legal Serivces [sic], cabinet situé au 100, X X X, bureau X, X (Ontario). La représentante a signé la lettre en tant que « N. (S.) B.  » (p. GT1- 5).

[7] Le 23 novembre 2011, N. B., du cabinet N.K. Bhatia Legal Serivces [sic], a écrit au Bureau du Commissaire des tribunaux de révision pour lui communiquer un changement d’adresse. La nouvelle adresse entrée en vigueur le 30 novembre 2011 serait le 2800, X X, bureau X, X (Ontario). Le représentant a signé la lettre en tant que « N. (S.) B.  » (p. GT1-149).

[8] Le 21 décembre 2011, le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision a confirmé qu’une audience devant un tribunal de révision du Régime de pensions du Canada (l’organe précédant la DG) était prévue pour le 16 mai 2012.

[9] Au début de 2012, la représentante de l’appelant a rédigé un mémoire dans lequel elle a énoncé ses observations. Elle a signé le mémoire en tant que « S. N. B. » (p. GT1‑118).).

[10] Le 16 mai 2012, une audience a eu lieu devant un tribunal de révision du RPC. Toutefois, ce tribunal a ajourné l’audience pour le motif que l’appelant venait apparemment tout juste de retenir les services d’un nouveau représentant. Le dossier d’ajournement révèle que l’appelant avait déclaré au Tribunal de révision que son nouveau représentant avait besoin de temps pour préparer l’audience et pour obtenir les documents manquants (p. GT1-96).

[11] Il n’existe pas d’information consignée concernant la question de savoir si l’appelant a fourni le nom et les coordonnées de son nouveau représentant à l’audience devant le Tribunal de révision le 16 mai 2012.

Transfert au GD de la sécurité sociale

[12] Le 1er avril 2013, l’appel a été renvoyé au Tribunal de la sécurité sociale du Canada.

[13] Le 1er avril 2014, le Tribunal de la sécurité sociale a écrit à N. B., de N.K. Bhatia Legal Services, au 2800, X X, bureau X, X (Ontario), pour l’informer du détail des prochaines étapes du processus d’appel. Le Tribunal de la sécurité sociale n’a pas envoyé d’exemplaire de sa lettre du 1er avril 2014 directement à l’appelant. Il était mentionné dans cette lettre que les parties pourraient continuer de déposer de nouveaux documents ou observations jusqu’à ce qu’elles reçoivent un avis contraire à ce sujet.

[14] L’appel a été confié à un membre de la DG en juillet 2014.

[15] Le membre de la DG a décidé de fonder sa décision sur les documents déposés. Les motifs pour lesquels il a procédé de la sorte sont exposés dans l’avis d’audience daté du 4 septembre 2014, et adressé et livré à N. B. de N.K. Bhatia Legal Services, au 2800, X X, bureau X, X (Ontario). La lettre datée du 4 septembre 2014 ne semble pas avoir été aussi envoyée directement à l’appelant.

[16] La DG a jugé l’affaire en se fondant sur les documents déposés et elle a rendu une décision le 13 avril 2015. Le 14 avril 2015, la décision a été envoyée à l’appelant, à N. B. et à l’intimé.

[17] Ni l’une ni l’autre des parties n’a déposé de documents entre le 4 septembre 2014 et le 14 avril 2015.

Demande de permission d’en appeler devant la DA

[18] Le 25 mai 2015, S. B., du cabinet d’avocats C. B., situé au 450, X X X, bureau A, à Mississauga (Ontario), a écrit au Tribunal de la sécurité sociale pour accuser réception de la lettre datée du 14 avril 2015. Elle a confirmé que son client n’avait pas eu la possibilité de présenter sa cause lors d’une audience et qu’ils en appelleraient de la décision pour cette raison-là. Elle a aussi écrit ce qui suit : [traduction] « J’ai fait un suivi à plusieurs reprises pour demander la tenue d’une audience et la seule réponse que j’ai reçue, c’est la lettre susmentionnée que vous m’avez envoyée pour rejeter la demande de mes clients [sic] ». Elle a demandé qu’on lui explique pourquoi aucune date d’audience n’avait été communiquée à son client.

[19] La lettre datée du 25 mai 2015 semble constituer la première communication que S. B. de C. B. a eue avec le Tribunal de la sécurité sociale. Hormis les observations verbales présentées par l’appelant à l’audience devant le Tribunal de révision du RPC le 16 mai 2012, rien dans le dossier du Tribunal de la sécurité sociale ne démontre que N. B., de N.K. Bhatia Legal Services, au 2800, X X, bureau X, X (Ontario), avait cessé d’agir pour le compte de l’appelant, ou que S. B., de C. B., l’avait déjà représenté, avant l’envoi de la lettre datée du 25 mai 2015.

[20] Un examen du dossier documentaire du Tribunal de la sécurité sociale ne contient aucune mention d’une quelconque correspondance ou communication de l’appelant, de N. B., de N.K. Bhatia Legal Services, au 2800, X X, bureau X, X (Ontario), ou de S. B., de C. B., qui aurait eu lieu entre le 16 mai 2012 et le 25 mai 2015.

[21] La demande de permission d’en appeler a été confiée à un membre de la DA. Le 2 juin 2015, le Tribunal de la sécurité sociale a écrit à S. B., de C. B., pour l’aviser que la demande de permission d’en appeler devait être faite dans la forme et de la manière prescrites.

[22] Le 3 juin 2015, S. B., de C. B., a écrit à nouveau au Tribunal de la sécurité sociale pour lui demander une réponse à sa lettre du 25 mai 2015.

[23] Le 11 juin 2015, le Tribunal de la sécurité sociale a envoyé un courriel à S. B., de C. B., en réponse à la demande de renseignements sur la forme de l’audience qui aurait lieu devant la division générale. Le Tribunal de la sécurité sociale a joint à ce courriel un exemplaire de la lettre datée du 4 septembre 2014, dans laquelle la division générale avait indiqué qu’elle rendrait une décision fondée sur les documents déposés auprès le Tribunal de la sécurité sociale. Il a été rappelé à Mme S. A. B. que la demande de permission d’en appeler devait être présentée dans la forme et de la manière prescrites.

[24] S. B., de C. B., a tout de suite répondu au Tribunal de la sécurité sociale par courriel. Elle s’est exprimée en ces termes :

[traduction]
La lettre qui a été renvoyée en 2014 et que vous avez jointe a été envoyée à la mauvaise adresse. Je n’ai jamais habité à cette adresse-là et je ne comprends donc pas pourquoi la lettre y a été envoyée (ce qui explique que je ne l’aie pas reçue).

[25] S. B., de C. B., a confirmé que son adresse était le 450, X X X, bureau X, X (Ontario). Elle n’a par ailleurs aucunement traité du contenu principal de la lettre datée du 4 septembre 2014.

[26] Le 16 juin 2015, S. B., de C. B., a écrit au Tribunal de la sécurité sociale. Elle a joint à cette correspondance un exemplaire d’une demande de permission d’en appeler remplie par son client. Elle a indiqué que l’original de la demande serait envoyé par la poste. Le Tribunal de la sécurité sociale a ensuite reçu cet original le 18 juin 2015.

[27] Dans la demande de permission d’en appeler, l’appelant a écrit à la main les prénoms de ses représentantes, soit « N. / D. », ainsi que leurs noms de famille, soit « B. /C. », toutes deux de la « C. B. Professional Corporation » au 450, X X X, bureau X, X (Ontario).

[28] Dans une décision datée du 6 juillet 2015, la DA a accordé la permission d’en appeler au seul motif que l’appelant avait soulevé une cause défendable selon laquelle la DG avait manqué à un principe de justice naturelle en ne donnant pas un avis adéquat concernant l’audience sur la foi du dossier ou les échéances de dépôt connexes. Le membre de la DA a également invité les parties à abordr diverses questions soulevées dans le dossier et de fournir des observations écrites sur le mode d’audience.

[29] Le 19 août 2015, l’intimé a présenté des observations écrites (p. AD2-1) qui font valoir que la DG n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle. Il est également soutenu que l’appel devrait être instruit sans audition orale et sur la foi du dossier écrit seulement.

[30] S. B. a reconnu les observations de l’intimé dans un courriel daté du 19 septembre 2015. Le 13 octobre 2015, la DA a reçu une télécopie de la part de Dave Raeana, d’Alexander, Rawana Paralegal Services, pour l’informer qu’il représentait maintenant l’appelant. Il a demandé que l’échéance concernant le dépôt d’observations soit reportée du 15 octobre 2015 au 30 décembre 2015 afin de lui donner suffisamment de temps pour examiner le dossier et rédiger une observation. En guise de réponse, le membre de la DA a approuvé un report de la date d’échéance, mais seulement jusqu’au 1er décembre 2015.

[31] Le 9 décembre 2015, le nouveau représentant de l’appelant a communiqué des observations écrites accompagnées d’un rapport d’évaluation de la douleur chronique daté du 3 décembre 2013 et produit par le Dr Stephen Brown, anesthésiste et spécialiste de la douleur associé à l’Université de Toronto. M. Rawana a déclaré qu’il était satisfait de tenir l’audience par vidéoconférence et qu’il aurait été sous la fausse impression que l’intimé avait accepté de prendre part à une audition orale.

[32] Le 16 décembre 2015, l’intimé a présenté une lettre pour s’opposer à l’admission des observations de l’appelant au motif qu’elles avaient été présentées après l’échéance précisée et qu’aucune circonstance exceptionnelle n’a été établie.

[33] Le 7 avril 2016, la DA a mis au rôle l’audience relative à l’appelant sur la foi du dossier documentaire pour les motifs suivants :

  1. la complexité des questions en litige;
  2. le fait que l’appelant ou les autres parties étaient représentés;
  3. le besoin, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Droit applicable

[34] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Norme de contrôle

[35] Jusqu’à récemment, on reconnaissait que l’application de la norme de contrôle aux appels à la division d’appel était régie par les critères énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 1.Dans les affaires traitant d’erreurs présumées de droit ou de manquements à un principe de justice naturelle, la norme applicable était celle de la décision correcte, faisant état d’un seuil inférieur de déférence devant être montré envers un tribunal administratif qui est souvent comparé à une cour de première instance. Dans les affaires où on prétend que des conclusions de fait erronées ont été tirées, il a été conclu que la norme à appliquer est celle de la décision raisonnable, qui correspond à une décision où on hésite à intervenir dans les conclusions tirées par l’organe responsable en entendant un témoignage factuel.

[36] Dans l’arrêt Canada (MCI) c. HuruglicaNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche en concluant que les tribunaux administratifs ne devraient pas avoir recours à des normes de contrôle ayant été conçues aux fins d’application dans les cours d’appel. Les tribunaux administratifs devraient plutôt se fier en premier lieu sur leur loi constitutive pour déterminer leur rôle.

Questions en litige

[37] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. Quelle norme de contrôle s’applique pour examiner les décisions de la DG?
  2. La DG a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en tenant une audience sans donner un avis adéquat?

Observations

[38] La demande de permission d’en appeler de l’appelant était fondée sur l’allégation selon laquelle il avait droit à une audience en personne en vertu de la LMEDS. La DA a conclu que ce motif n’avait aucune chance raisonnable de succès, mais elle a néanmoins accordé la permission d’en appeler parce qu’il semblait y avoir une cause défendable selon laquelle l’appelant n’avait pas reçu un avis relativement à l’audience devant la DG et selon laquelle il n’a donc pas eu l’occasion de présenter sa cause dans son ensemble. Les communications ultérieures de l’ancienne représentante de l’appelant ont précisément laissé entendre que ni elle ni son client n’a reçu l’avis d’audience de la DG daté du 4 septembre 2014.

[39] Les observations produites par M. Rawana, le nouveau représentant de l’appelant, n’ont pas abordé la raison pour laquelle l’appel a été accueilli. Sa lettre datée du 7 décembre 2015 a plutôt fait mention du rapport d’évaluation du Dr Brown en faisant valoir que l’appelant souffrait d’une invalidité grave et prolongée qui l’ont rendu incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. De plus, M. Rawana n’a présenté aucune observation au sujet de la norme de contrôle que doit appliquer la DA ou du degré de retenue dont elle doit faire preuve à l’égard des décisions de la DG.

[40] Dams ses observations du 19 août 2015, l’intimé a fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve documentaire ou preuve par affidavit pour appuyer l’affirmation selon laquelle un avis d’audience n’a pas été envoyé par la DG à la représentante de l’appelant autorisée par la loi ou que l’avis n’a pas été reçu par celle-ci. L’intimé a également soutenu que, en fait, la preuve documentaire versée au dossier a démontré que la DG a envoyé un avis d’audience à l’adresse la plus récente du représentant de l’appelant, qu’aucune preuve n’a été versée afin de démontrer que le représentant de l’appelant a présenté un formulaire de changement de coordonnées et qu’il n’y a aucune preuve démontrant qu’un tel formulaire a été ignoré. Toute omission d’informer le Tribunal de la sécurité sociale d’un changement de coordonnées ne correspond pas à une inobservation de la justice naturelle et ne démontre pas que la DG a commis une erreur ou que l’intervention de la DA est justifiée.

[41] Les observations de l’intimé ont été présentées avant la publication de l’arrêt Huruglica en mars 2016. Les observations abordaient en détail les normes de contrôle et leur applicabilité en l’espèce. Il était conclu que la norme de la décision correcte devait être appliquée dans le cadre d’une prétendue inobservation d’un principe de justice naturelle.

Analyse

(a) Norme de contrôle

[42] Bien que l’arrêt Huruglica concerne une décision qui émanait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle a des répercussions sur d’autres tribunaux administratifs. En l’espèce, la Cour d’appel fédérale est d’avis qu’il n’était pas approprié d’importer les principes de contrôle judiciaire, tels qu’ils sont énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c. New BrunswicNote de bas de page 3, aux instances administratives puisque ces dernières peuvent avoir des priorités autres que l’impératif constitutionnel de préserver la prépondérance de l’État de droit. [Traduction] « Il ne suffit pas d’assumer que la chose étant jugée comme la meilleure politique pour les cours d’appel s’applique également à des cours d’appel administratives particulières. »

[43] Cette situation mène la Cour à déterminer du critère approprié qui découle entièrement de la loi dominante d’un tribunal administratif :

[...] la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] qui doivent être lus au regard de leur contexte global, selon leur sens grammatical et ordinaire, et en harmonie avec l’économie de la LIPR et son objet [Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., (Toronto : Butterworths, 1983)]. L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [Section d’appel des réfugiés].

[44] La répercussion en l’espèce est que les normes de la décision raisonnable ou de la décision correcte ne s’appliqueront pas sauf si ces mots ou des variantes sont précisément compris dans la loi fondatrice. En appliquant cette approche à la LMEDS, il faut noter que les alinéas 58(1)a) et 58(1)b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements au principe de justice naturelle, ce qui donner à penser que la DA ne devrait pas faire preuve de déférences à l’égard des interprétations de la DG.

[45] Le mot « déraisonnable » ne se trouve nulle part dans l’alinéa 58(1)c), qui porte sur les conclusions de fait erronées. Le critère contient plutôt les qualificatifs « abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme on laisse entendre dans l’arrêt Huruglica, on doit accorder à ces mots leur propre interprétation, mais la formulation donne à penser que la DA doit intervenir si la DG fonde sa décision sur une erreur qui est clairement flagrante ou opposée au dossier.

(b) Avis

[46] L’appelant nie avoir reçu un avis selon lequel la DG était sur le point de tenir une audience sur la foi du dossier et il n’a pas ainsi eu l’occasion de présenter sa cause dans son ensemble avant que la décision soit rendue le 15 avril 2015.

[47] Je conviens que, si l’appelant et son représentant n’étaient pas au courant de l’avis d’audience daté du 4 septembre 2014, ils auraient pu être désavantagés, et ce même dans le cadre d’une audience qui n’exigeait pas la comparution d’une partie. C’est le cas même s’il y a eu amplement de temps pour présenter des documents ou des observations supplémentaires. En effet, trois années se sont écoulés depuis l’audience infructueuse du tribunal de révision du RPC en mai 2012 jusqu’à la date où la DG a rendu sa décision. Au cours de cette période, ni l’appelant ni son représentant à l’époque n’a versé un document au dossier. Néanmoins, sans avis pour les informer de l’audience sur la foi du dossier, l’appelant et son représentant n’ont pas eu l’occasion de présenter une preuve documentaire ou des observations écrites [traduction] « à la dernière minute ».

[48] Je suis donc saisi de deux questions : (i) la représentante de l’appelant a-t-elle reçu un avis d’audience; (ii) si non, a-t-elle respecté son obligation statutaire d’informer la DG d’un changement de coordonnées?

[49] Avant que je tente de répondre à ces questions, je tiens à aborder l’élément d’ambigüité dans le dossier concernant l’identité du premier répétitive autorisée de l’appelant, qui serait également sa fille. Pendant la longue période de ce processus, son nom et son adresse ont été ainsi inscrits :

  • S. N. B. de NK B. Legal Services, cabinet situé au 100, X X X, bureau X, X (Ontario) (selon la lettre datée du 12 mai 2011 à la p. GT1-05 visant à interjeter appel du refus découlant de la révision de l’intimé devant le tribunal de révision du RPC);
  • N. (S.) B.  de NK B. Legal Services, cabinet situé au 2800, X X, bureau X, X (Ontario) (selon l’avis de changement d’adresse présenté le 23 novembre 2011 et figurant à la p. GT1-149);
  • S. B. (ou bien N. B.), de C. B. Professional Corporation, cabinet situé au 450, X X X, bureau X, X (Ontario).

Selon le dossier, ni l’appelant ni sa représentante n’a communiqué avec le Tribunal dans les trois années qui se sont écoulées depuis l’audience du tribunal de révision du RPC en mai 2012 jusqu’à la date où la DG a rendu sa décision. Bien que l’audience précédente ait été ajournée parce que l’appelant souhaitait engager un nouveau représentant, le dossier ne fait état d’aucun changement concernant le représentant autorisé de l’appelant pendant la période de trois ans.

[50] Comme il a été mentionné dans la décision relative à la permission d’en appeler, la signature de S. N. B. du 100, X X X à la demande de prestations d’invalidité (p. GT1-28) ressemble à la signature de S. B. du 450, X X X dans la correspondance figurant aux p. AD1-1 et AD1A-1. De plus, les noms « S. B. » ou « S. N. B. » ne sont pas inscrits au répertoire des avocats et des techniciens juridiques du Barreau du Haut-Canada. Une personne dénommée « N. K. B. » y est répertoriée à titre de technicienne juridique travaillant au cabinet C. B. Professional Corporation, dont l’établissement d’affaires est situé au 450, X X X, bureau X, X (Ontario).

[51] Compte tenu de ce qui précède, il peut y avoir un certain doute quant au fait que l’appelant a été représenté par une seule personne durant l’ensemble de l’instance jusqu’au remplacement le 13 octobre 2015.

[52] En ce qui concerne la première question, à savoir celle de savoir si la représentante de l’appelant a reçu l’avis d’audience daté du 4 septembre 2014, la preuve donne fortement à penser que l’avis a été envoyé à l’adresse au dossier. Comme il a été mentionné, Mme S. A. B. a informé le tribunal de révision du RPC de son changement d’adresse au moyen d’une lettre datée du 23 novembre 2011. Bien qu’elle n’ait pas communiqué avec le Tribunal ou la DG au cours des trois années suivantes, les deux organes ont continué d’envoyer la correspondance à l’adresse du 2800, X X, y compris les lettres datées du 1er avril 2014 et du 11 juin 2014 informant l’appelant des prochaines étapes du processus d’appel. Rien ne démontre qu’une des deux lettres a été renvoyée à l’expéditeur.

[53] Conformément paragraphe 12(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS), si une partie omet de se présenter à l’audience, le Tribunal peut procéder en son absence, s’il est convaincu qu’elle a été avisée de la tenue de l’audience. L’avis d’audience du 4 septembre 2014 a été envoyé à l’adresse 2800, X X, au moyen du service Xpresspost de Postes Canada, et les données de suivi indiquent qu’il a été livré avec succès, et accepté et signé par « CARRIE RECEP ». Je présume que la DG s’est fondée sur cette preuve pour décider de poursuivre l’audience.

[54] Je désirais particulièrement lire le courriel de Mme S. A. B. à la DA daté du 11 juin 2015 dans lequel elle a nié avoir reçu l’avis d’audience : [traduction] « La lettre qui a été renvoyée en 2014 et que vous avez jointe a été envoyée à la mauvaise adresse. Je n’ai jamais habité à cette adresse‑là [2800, X X] et je ne comprends donc pas pourquoi la lettre y a été envoyée. » Cette déclaration va totalement à l’encontre de la lettre relative au changement d’adresse du 23 novembre 2011 signée en son nom et elle soulève certainement des questions quant à la crédibilité de la représentante en l’espèce.

[55] Cela démontre également que la décision de la DG est parvenue d’une manière quelconque à Mme S. A. B. même si elle a été envoyée par la poste à la même adresse, à savoir au 2800, X X, où l’avis d’audience antérieur avait été envoyé.

[56] Dans l’ensemble, j’estime qu’il est probable que la représentante de l’appelant à l’époque, S. B., a bel et bien reçu l’avis d’audience daté du 4 septembre 2014. Cela rend ma seconde question, celle de savoir si elle a informé la DG d’un changement d’adresse, sans intérêt pratique. Néanmois, même si l’avis d’audience avait été envoyé à la mauvaise adresse, je n’aurais pas conclu qu’il y a eu manquement à la justice naturelle. L’article 6 du Règlement sur le TSS prévoit explicitement que toute partie doit communiquer sans délai un changement de ses coordonnées. Rien ne prouve que Mme S. A. B. a respecté cette règle lorsqu’elle a déménagé son cabinet du 2800, X X, au 450, X X X. Si l’avis d’audience a bel et bien été envoyé à la mauvaise adresse, elle doit en assumer la responsabilité.

Document supplémentaire

[57] Comme le document a été produit après la décision de rejet, la DG ne disposait pas du rapport du Dr Brown de décembre 2015 au moment de l’audience. En présentant cette nouvelle preuve, le demandeur semble demander à la DA de l’examiner et d’infirmer la décision de la DG en sa faveur. Il m’est impossible de faire cela étant donné la portée étroite du paragraphe 58(1) de la LMEDS. La DA n’a pas la compétence de rendre une décision sur le fond de l’affaire. Une fois qu’une audience a pris fin, il y a très peu de raisons qui justifieraient de soulever d’autres points ou des points nouveaux. Un demandeur pourrait envisager de présenter une demande d’annulation ou de modification d’une décision de la DG. Cela dit, il faudrait que ce demandeur se conforme aux exigences de l’article 66 de la Loi sur le MEDS et des articles 45 et 46 du Règlement sur le TSS. Non seulement il y a des délais et des exigences strictes à respecter pour obtenir gain de cause dans une demande d’annulation ou de modification, mais aussi faut-il que le demandeur démontre que les éventuels faits nouveaux sont essentiels et qu’ils n’auraient pu être connus au moment de l’audience malgré l’exercice d’une diligence raisonnable. Il faudrait aussi qu’une telle demande soit faite à la division qui a rendu la décision en question.

Conclusion

[58] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la DG a eu raison de conclure que l’appelant avait reçu l’avis d’audience sur la foi du dossier et qu’il était justifié d’aller de l’avant sur ce fondement. L’appelant ne m’a pas prouvé que la DG n’a pas observé les principes de justice naturelle pour les raisons prétendues. L’appel est donc rejeté.

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