Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Introduction

[2] Le présent appel porte sur une décision rendue par la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale qui a rejeté la demande de pension d’invalidité de l’appelante parce que cette dernière n’avait pas démontré que son invalidité était grave, au sens du Régime de pensions du Canada (RPC), au moment où sa période minimale d’admissibilité (PMA) a pris fin le 31 décembre 2010. La permission d’en appeler a été accordée le 22 septembre 2015 au motif que la DG pourrait avoir commis une erreur en rendant sa décision.

Aperçu

[3] L’appelant a présenté une demande de prestations d’invalidité aux termes du RPC en septembre 2010. Elle a déclaré qu’elle était employée à titre de préposée aux services de soutien à la personne dans une maison de retraite jusqu’en juillet 2008, au moment où une série de blessures au dos liées au travail ont forcé l’appelant à quitter son emploi. Elle affirme qu’elle a été incapable de travailler depuis ce moment..

[4] À l’audience devant la DG en février 2015, l’appelante a témoigné au sujet de sa scolarité et de ses antécédents professionnels. Elle a également présenté une preuve au sujet de ses blessures et du traitement qu’elle reçoit. Elle a affirmé à la DG que, malgré la physiothérapie et les médicaments, il n’y a eu aucune amélioration par rapport à ses douleurs et que son état de santé est un [traduction] « gâchis ».

[5] Dans sa décision datée du 11 mars 2015, la DG a conclu que l’appelante avait la capacité de travailler avec des limitations. Elle a également conclu que l’appelante n’avait pas atténué son invalidité en faisant des efforts suffisants pour chercher d’autres emplois.

[6] Le 11 juin 2015, l’appelante a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale en prétendant que de nombreuses erreurs avaient été commises par la DG. Le 22 septembre 2015, la DA a accordé la permission d’en appeler au motif que la DG pourrait avoir commis une erreur de droit en appliquant la mauvaise norme de preuve lorsqu’elle a déclaré qu’un [traduction] « certain doute » persistait quant à la gravité des symptômes de l’appelante. Le 8 avril 2016, la DA a décidé qu’une audience de vive voix n’était pas nécessaire et que l’appel serait instruit sur le fondement du dossier documentaire pour les motifs suivants :s:

  1. Le dossier est complet et ne nécessite aucune clarification.
  2. Le mode d’audience respectait les exigences du Règlement du Tribunal de la sécurité sociale à savoir qu’il doit procéder de façon la plus informelle et expéditive que le permettent les circonstances, l’équité et la justice naturelle.

[7] Les observations de l’appelant étaient énoncées dans la demande de permission d’en appeler et dans l’avis d’appel. Son représentant a présenté des observations supplémentaires le 6 novembre 2015. Les observations de l’intimé ont été également déposées le 6 novembre 2015.

Droit applicable

[8] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) La DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence.
  2. b) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Norme de contrôle

[9] Jusqu’à tout récemment, il était accepté que les appels devant la DA étaient régis par les normes de contrôles établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 1.Dans les affaires concernant de prétendues erreurs de droit ou une prétendue omission d’observer des principes de justice naturelle, il a été conclu que la norme applicable est celle de la décision correcte, ce qui représente un seuil de déférence inférieur à appliquer à un tribunal administratif de premier échelon. Dans les affaires où on prétend que des conclusions de fait erronées ont été tirées, il a été conclu que la norme à appliquer est celle de la décision raisonnable, qui correspond à une décision où on hésite à intervenir dans les conclusions tirées par l’organe responsable d’entendre le témoignage factuel.

[10] L’arrêt Canada (MCI) c. HuruglicaNote de bas de page 2 de la Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche en statuant que les tribunaux administratifs ne doivent pas avoir recours à des normes de contrôle ayant été conçues pour être appliquées par les cours d’appel. Les tribunaux administratifs doivent plutôt examiner leurs lois constitutives d’abord aux fins d’orientation pour déterminer leur rôle.

Questions en litige

[11] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. Quelle norme de contrôle s’applique pour examiner les décisions de la DG?
  2. La DG a-t-elle commis une erreur de droit en imposant un fardeau de la preuve élevé inapproprié sur l’appelant?
  3. S’il est conclu que la DG a commis une erreur, quelles sont les réparations appropriées?

Observations

a) Quelle norme de contrôle doit être appliquée?

[12] Les observations par l’appelante et l’intimé à l’égard de cette question ont été présentées avant la publication de l’arrêt Huruglica le 29 mars 2016.

[13] L’appelante a invoqué l’arrêt Dunsmuir en soutenant que, en ce qui concerne les questions de droit relatives à l’interprétation du tribunal de sa propre loi, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable. Pour les questions de fait et les questions mixtes de droit et de fait, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. En l’espèce, la nature de la question est de savoir si la bonne application de la norme de preuve, si cette question est à l’extérieur du cadre législatif du Tribunal de la sécurité sociale et particulière, et particulièrement si l’application du bon critère juridique est fondée sur la norme civile de preuve, à savoir la prépondérance des probabilités. Selon l’arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle de la décision de la DG est celle de la décision correcte. Par conséquent, la DG a eu tort d’appliquer une norme élevée exigeant l’absence de doutes.

[14] Les observations de l’intimé mentionnent en détail les normes de contrôle et leur applicabilité en l’espèce pour conclure qu’une norme de décision correcte devait être appliquée aux erreurs de droit, et la norme de la décision raisonnable doit être appliquée aux erreurs de fait et aux erreurs mixtes de fait et de droit. En l’espèce, la seule question est celle de savoir si la DG aurait commis une erreur de droit en exigeant que l’appelante respecte une norme de preuve supérieure à celle de la prépondérance des probabilités. L’intimé soutient qu’il s’agit d’une question de droit et que la norme de la décision correcte s’applique.

b) La DG a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant la mauvaise norme de preuve?

[15] L’appelante soutient que la DG a commis une erreur de droit en déclarant ce qui suit au paragraphe 33 de sa décision :

Bien que le Tribunal ait noté les importantes préoccupations en matière de santé que l’appelante a actuellement, il a aussi noté que la preuve médicale au dossier laisse subsister quelque doute quant à la gravité de ses symptômes à la fin de [la période minimale d’admissibilité].

[16] L’appelante soutient que les mots « quelque doute » sous-entendent qu’elle devait s’acquitter d’un fardeau de preuve plus stricte que la norme applicable dans les procédures civiles. Pour l’établissement de faits, la norme civile de preuve, selon la prépondérance des probabilités, est la seule façon appropriée de mesurer la preuve. Cela signifie que l’appelante doit prouver qu’il était plus probable que le contraire qu’elle était invalide conformément au RPC. Le fait d’exiger de l’appelante qu’elle prouve sa cause en atténuant « quelque » doute efficacement élève la norme de preuve au critère « au-delà de tout doute raisonnable » exigé dans les instances au criminel. L’appelante s’est fondée sur l’arrêt F.H. c. McDougallNote de bas de page 3 rendu par la Cour suprême du Canada, qui a conclu que l’omission d’un juge de première instance d’appliquer la bonne norme de preuve pour apprécier la preuve équivaut à une erreur de droit. Cette omission pourrait s’exprimer en une présentation erronée explicite de la norme de preuve. Dans cette situation, il sera présumé que la norme incorrecte a été appliquée. De façon subsidiaire, si le juge de première instance présente explicitement la bonne norme de preuve ou s’il ne se prononce pas à cet égard, il sera présumé que la bonne norme a été appliquée.

[17] En l’espèce, bien que la DG ait bien mentionné la norme de preuve au début de sa décision, elle a déclaré par la suite qu’il ne pouvait y avoir aucun doute quant à la gravité des symptômes de l’appelante. De plus, un examen de la façon dont la preuve a été scrutée à la loupe et appréciée démontre que la mauvaise norme a été appliquée. Le fait que la DG a originalement mentionné la bonne norme n’a pas remédié aux défauts de sa décision.

[18] L’intimé soutient que la DG a désigné la bonne norme de preuve aux paragraphes 9, 29 et 34 de sa décision en déclarant qu’elle devait [traduction] « décider s’il est plus probable que le contraire » que l’invalidité de l’appelante était grave et prolongée, que l’appelante devait [traduction] « prouver selon la prépondérance des probabilités » qu’elle souffrait d’une invalidité grave et prolongée et qu’elle n’était pas convaincue [traduction] « selon la prépondérance des probabilités » que l’invalidité de l’appelante était grave.

[19] La DG était clairement sensible à la bonne norme de preuve, mais elle l’a également appliqué en pratique. Même si la formulation utilisée au paragraphe 33 était malheureuse, le reste de la décision de la DG ne mentionne pas qu’elle a appliqué une norme de preuve indûment onéreuse. Aux paragraphes 30 à 37, la DG a analysé la preuve que qui appuyait et n’appuyait pas une conclusion selon laquelle l’invalidité de l’appelante était grave à la PMA. La DG a également cité la jurisprudence pertinente. Elle a mentionné précisément au paragraphe 34 qu’elle a examiné [traduction] « l’ensemble de la preuve et l’effet cumulatif des problèmes de santé de l’appelante ».

c) Quelles sont les réparations appropriées?

[20] En reconnaissance de la gamme des pouvoirs de redressement conférés à la DA par l’article 59 de la LMEDS, l’appelante demande que la décision soit annulée et que la question soit renvoyée à la DG aux fins de réexamen.

[21] L’intimé demande que la décision de la DG soit confirmée.

Analyse

a) Norme de contrôle

[22] Bien que l’arrêt Huruglica concerne une décision qui émanait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle a des répercussions sur d’autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’importation des principes de contrôle judiciaire était inappropriée, comme il est établi dans l’arrêt Dunsmuir, dans les tribunaux administratifs, car ceux-ci pourraient refléter des priorités législatives autres que l’impératif constitutionnel de préserver la primauté du droit. [Traduction] « Il ne suffit pas d’assumer que la chose étant jugée comme la meilleure politique pour les cours d’appel s’applique également à des cours d’appel administratives particulières. »

[23] Cette situation mène la Cour à déterminer du critère approprié qui découle entièrement de la loi dominante d’un tribunal administratif :

[...] la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] qui doivent être lus au regard de leur contexte global, selon leur sens grammatical et ordinaire, et en harmonie avec l’économie de la LIPR et son objet [Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., (Toronto : Butterworths, 1983)]. L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [Section d’appel des réfugiés].

[24] La répercussion en l’espèce est que les normes de la décision raisonnable ou de la décision correcte ne s’appliqueront pas sauf si ces mots ou des variantes sont précisément compris dans la loi fondatrice. En appliquant cette approche à la LMEDS, il faut noter que les alinéas 58(1)a) et 58(1)b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements au principe de justice naturelle, ce qui donner à penser que la DA ne devrait pas faire preuve de déférences à l’égard des interprétations de la DG.

[25] Le mot « déraisonnable » ne se trouve nulle part dans l’alinéa 58(1)c), qui porte sur les conclusions de fait erronées. Le critère contient plutôt les qualificatifs « abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme on laisse entendre dans l’arrêt Huruglica, on doit accorder à ces mots leur propre interprétation, mais la formulation donne à penser que la DA doit intervenir si la DG fonde sa décision sur une erreur qui est clairement flagrante ou opposée au dossier.

b) Norme de preuve

[26] L’intimé mentionne correctement que le critère relatif à l’invalidité aux termes du RPC est difficile à respecter. Afin de prouver une invalidité grave et prolongée, les demandeurs doivent démontrer plus qu’une simple incapacité à occuper leur emploi précédent. Ils doivent également prouver qu’ils ne peuvent pas détenir une « occupation véritablement rémunératrice ». Cependant, en mentionnant ce point, l’intimé semble confondre la rigueur exprimée dans le libellé de l’alinéa 42(2)a) avec la norme de preuve accrue. En fait, le niveau de preuve pour respecter le critère du RPC en matière d’invalidité demeure la prépondérance des probabilités, à savoir que l’appelante doit démontrer qu’il est plus probable que le contraire que son invalidité est grave et prolongée.

[27] Cela étant dit, l’intimé m’a convaincu que la bonne norme a bel et bien été appliquée. L’appelante prétend que, en examinant la preuve médicale portée à sa connaissance, la DG a commis une erreur en appliquant une norme de preuve plus stricte lorsqu’elle a indiqué qu’elle avait encore « quelque doute » au paragraphe 33 quant à la gravité des symptômes de la demanderesse. J’accepte que, en surface, cette construction donne une présentation erronée de la norme de preuve, mais il est également véridique que la décision de la DG a bien mentionné la norme de preuve à au moins trois autres occasions :

  1. Au paragraphe 9, elle a écrit ce qui suit : [traduction] « Le Tribunal doit déterminer s’il est probable que l’appelante avait une invalidité grave et prolongée à la date de la PMA ou avant celle-ci. »
  2. Au paragraphe 29, elle a écrit ce qui suit : [traduction] « L’appelante doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2010. »
  3. Au paragraphe 34, elle a écrit ce qui suit : [traduction] « Après examen de l’ensemble de la preuve et de l’effet cumulatif des problèmes de santé de l’appelante, le Tribunal n’est pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante souffre d’une invalidité grave. »

[28] La DG a bien mentionné la norme de preuve plus souvent que le contraire, fait accordant une crédibilité à la position de l’intimé selon laquelle les mots « quelque doute » étaient une simple erreur. Je suis d’accord que l’utilisation de cette expression ne correspond à rien de plus qu’un [traduction] « regrettable lapsus », particulièrement dans le contexte de l’ensemble de la décision où il est évident que la DG était consciente de la bonne norme en analysant activement la preuve, en appréciant les observations de l’appelante par rapport à celles de l’intimé et en examinant les forces et les faiblesses des cas respectifs. Je n’ai rien constaté qui démontre que la DG a refusé la demande de l’appelante en raison de « quelque » doute. Elle a plutôt appliqué la bonne norme en constatant une prépondérance de doute.

c) Réparation

[29] Étant donné que j’estime que la DG a bel et bien appliqué la loi correctement, je confirme sa décision.

Conclusion

[30] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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