Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Introduction

[2] Il s’agit d’un appel d’une décision rendue par la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale de rejeter de façon sommaire l’appel de l’appelant relatif à des prestations d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada (RPC)au motif que l’appelant n’a pas cotisé suffisamment pour répondre aux exigences relatives à la période minimale d’admissibilité (PMA). La DG a rejeté l’appel parce qu’elle n’était pas convaincue qu’il avait une chance raisonnable de succès.

[3] Il n’est pas nécessaire de demander la permission d’interjeter appel en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), parce qu’un rejet sommaire de la part de la DG peut faire l’objet d’un appel de plein droit.

[4] Les deux parties ont déposé des observations par écrit. Comme il a été établi qu’il n’est pas nécessaire d’entendre davantage les parties, une décision doit être rendue, comme l’exige l’alinéa 37a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Aperçu

[5] L’appelant a présenté une demande de prestations d’invalidité aux termes du RPC en mai 2013. Il a déclaré qu’il a été employé pour la dernière fois à titre de pêcheur saisonnier en mai 2012 et qu’il était invalide depuis cette période parce qu’il avait subi une blessure en milieu de travail en 2007. L’intimé a refusé sa demande à l’étape initiale et à celle de la révision au moyen de lettres datées du 28 août 2013 et du 3 décembre 2013 respectivement.

[6] Le 16 décembre 2013, l’appelant a interjeté appel de ces refus devant la DG. Dans une décision datée du 11 juin 2015, la DG a rejeté de façon sommaire l’appel de l’appelant au motif qu’il n’avait pas suffisamment touché un revenu et cotisé pour établir une PMA.

[7] Le 15 juillet 2015, l’appelant a interjeté appel de la décision de rejet sommaire devant la division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale en prétendant que la DG avait commis des erreurs. Le 7 avril 2016, la DA a conclu qu’une audience de vive voix n’était pas nécessaire et que l’appel serait instruit sur le fondement du dossier documentaire pour les motifs suivants :

  1. Le dossier est complet et ne nécessite aucune clarification.
  2. Le mode d’audience respectait les exigences du Règlement du Tribunal de la sécurité sociale à savoir qu’il doit procéder de façon la plus informelle et expéditive que le permettent les circonstances, l’équité et la justice naturelle.

[8] Les observations de l’appelant ont été énoncées dans son avis d’appel daté du 15 juillet 2015. Les observations de l’intimé ont été reçues le 31 août 2015. L’appelant a communiqué 76 pages de documents médicaux le 16 septembre 2016 et une décision du Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail le 14 décembre 2015. Dans une lettre datée du 9 mars 2016, l’intimé s’est objecté à une admission potentielle de documents présentés tardivement et ce qu’il considérait comme une tentative de faire instruire de nouveau sa cause sur le fond. L’appelant a répondu au moyen d’une lettre datée du 16 mars 2016.

Droit applicable

[9] Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Selon l’alinéa 44(2)a) du RPC, afin d’être admissible pour des prestations d’invalidité, une personne doit avoir suffisamment cotisé au cours de quatre des six dernières années ou trois des six dernières années si le demandeur a moins de 25 années de contributions valides.

[11] Le paragraphe 44(2.1) du RPC prévoit la possibilité d’une PMA en fonction de contributions calculées au pro rata :

(2.1) Pour le calcul de la période minimale d’admissibilité du cotisant visé au sous-alinéa (1)b)(ii), à l’égard de l’année au cours de laquelle il aurait été considéré comme étant devenu invalide et où ses gains non ajustés ouvrant droit à pension sont inférieurs à l’exemption de base de l’année pertinente pour cette année, le montant de son exemption de base est égal à la proportion du montant de l’exemption de base de l’année que représente, par rapport à douze, le nombre de mois dans l’année qui, en raison d’une invalidité, n’auraient pas été exclus de la période cotisable.

Norme de contrôle

[12] Jusqu’à tout récemment, il était convenu que les appels devant la DA étaient régis par les normes de preuve énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 1 par la Cour suprême du Canada.Dans les affaires concernant de prétendues erreurs de droit ou la prétendue omission d’observer des principes de justice naturelle, il a été conclu que la norme applicable était celle de la décision correcte, qui correspond ainsi à un seuil de déférence inférieur à celui dont est tenu de répondre un tribunal administratif de premier niveau. Dans les affaires où on prétend que des conclusions de fait erronées ont été tirées, il a été conclu que la norme à appliquer est celle de la décision raisonnable, ce qui illustre une hésitation à intervenir dans les conclusions tirées par l’organe chargé d’entendre le témoignage factuel.

[13] Dans l’arrêt Canada (MCI) c. HuruglicaNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche en concluant que les tribunaux administratifs ne devraient pas avoir recours à des normes de contrôle ayant été conçues aux fins d’application dans les cours d’appel. Les tribunaux administratifs doivent plutôt consulter d’abord leurs lois constitutives aux fins d’orientation pour déterminer leur rôle.

Questions en litige

[14] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. Quelle norme de contrôle s’applique pour examiner les décisions de la DG?
  2. La DG a-t-elle commis une erreur en rejetant de façon sommaire la demande de l’appelant au motif qu’il n’avait pas cotisé suffisamment au RPC afin d’établir une PMA?
  3.  La DA peut-elle examiner une preuve documentaire supplémentaire présentée par l’appelant?

Observations

[15] L’appelant n’a présenté aucune observation sur la norme de contrôle appropriée ou le niveau de déférence que la DA est tenue d’appliquer à l’égard des décisions rendues par la DG. Il a déclaré qu’il était invalide et dans l’impossibilité de travailler au titre des dispositions du RPC et il a prétendu que la DG a commis des erreurs de droit et de fait en refusant sa demande.

[16] Les observations de l’intimé quant à la norme de preuve ont été présentées avant la publication de l’arrêt Huruglica, qui a eu lieu le 29 mars 2016. Les observations de l’intimé mentionnent en détail les normes de contrôle et leur applicabilité en l’espèce pour conclure qu’une norme de décision correcte devait être appliquée aux erreurs de droit, et la norme de la décision raisonnable doit être appliquée aux erreurs de fait et aux erreurs mixtes de fait et de droit.

[17] L’intimé a ensuite reconnu que la DG a commis une erreur de droit et de fait et que sa décision de rejeter de façon sommaire la demande de l’appelant était déraisonnable. Il a soutenu que la date potentielle de fin de PMA calculée au pro rata de l’appelant était établie à juillet 2010 et que la DG doit également évaluer la question de savoir si l’appelant est devenu invalide entre janvier et juillet 2010 avant de conclure qu’il ne respectait pas les exigences relatives à la cotisation selon l’alinéa 44(1)b) du RPC. L’intimé recommande que la DA renvoie l’affaire à la DG aux fins de réexamen au cours d’une nouvelle audience.

Analyse

(a) Norme de contrôle

[18] Bien que l’arrêt Huruglica concerne une décision qui émanait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle a des répercussions sur d’autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’importation de principes de contrôle judiciaires, comme il a été mentionné dans l’arrêt Dunsmuir, vers les tribunes administratives était inappropriée, car celles-ci pourraient refléter des priorités législatives autres que l’impératif constitutionnel de préserver la primauté du droit. [Traduction] « Il ne suffit pas d’assumer que la chose étant jugée comme la meilleure politique pour les cours d’appel s’applique également à des cours d’appel administratives particulières. »

[19] Cette situation mène la Cour à déterminer du critère approprié qui découle entièrement de la loi dominante d’un tribunal administratif :

[...] la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] qui doivent être lus au regard de leur contexte global, selon leur sens grammatical et ordinaire, et en harmonie avec l’économie de la LIPR et son objet [Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., (Toronto : Butterworths, 1983)]. L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [Section d’appel des réfugiés].

[20] La répercussion en l’espèce est que les normes de la décision raisonnable ou de la décision correcte ne s’appliqueront pas sauf si ces mots ou des variantes sont précisément compris dans la loi fondatrice. En appliquant cette approche à la LMEDS, il faut noter que les alinéas 58(1)a) et 58(1)b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements au principe de justice naturelle, ce qui donner à penser que la DA ne devrait pas faire preuve de déférence à l’égard des interprétations de la DG.

[21] Le mot "déraisonnable" ne se trouve nulle part dans l’alinéa 58(1)c), qui porte sur les conclusions de fait erronées. Le critère contient plutôt les qualificatifs "abusive ou arbitraire" ou "sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance". Comme on laisse entendre dans l’arrêt Huruglica, on doit accorder à ces mots leur propre interprétation, mais la formulation donne à penser que la DA doit intervenir si la DG fonde sa décision sur une erreur qui est clairement flagrante ou opposée au dossier.

(b) Rejet sommaire

[22] Dans sa décision, la DG a bien mentionné les exigences relatives à la cotisation selon l’alinéa 44(1)b) du RPC. Cependant, la décision ne contient aucune référence à la possibilité d’une date de fin de PMA calculée au pro rata établie le 31 juillet 2010. Au paragraphe 14, la DG a déclaré de façon erronée que l’appelant avait suffisamment cotisé en 2004, 2005, 2007, 2009 et 2012 et elle a conclu que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès pour la raison suivante : "Aucune combinaison de ces années ne serait admissible conformément à l’alinéa 42(2)a). En d’autres mots, l’appelant n’a pas suffisamment cotisé pour respecter les exigences relatives à la PMA."

[23] Après examen du dossier de preuve, je dois souscrire à l’avis de l’intimé selon lequel la DG a commis une erreur en rendant sa décision. Tout d’abord, elle a inclus à tort les années 2004 et 2012 parmi celles ayant des cotisations valides, mais elle n’a établi aucune PMA. Toutefois, l’erreur la plus importante a été de ne pas tenir compte de la disposition relative au calcul au pro rata du paragraphe 44(2.1), à savoir le seul moyen disponible selon la loi pour que l’appelant puisse établir une PMA.

[24] Selon le sommaire des cotisations figurant à la page GD8-48), l’appelant compte seulement trois années de revenus supérieurs à l’exemption de base en cas d’invalidité au cours de sa période de cotisation (2005, 2007 et 2009). De plus, l’appelant a des revenus inférieurs à l’exemption de base de l’année en 2003, 2008 et 2008, et des revenus inférieurs à l’exemption de base en matière d’invalidité en 2004 et 2012. Selon ces cotisations, l’appelant ne respecte pas les exigences de 4/6 ou de 3/6. Par conséquent, il n’a pas suffisamment de cotisations pour être admissible selon les alinéas 44(1)b) et 44(2)a) du RPC.

[25] Cependant, l’appelant a une date potentielle de PMA calculée au pro rata établie au 31 juillet 2010 selon ses revenus de 2010 inférieurs au seuil. L’intimé a appliqué la formule prévue au paragraphe 44(2.1) à ces revenus et a conclu que l’appelant pourrait jouir d’une période d’admissibilité prolongée, examen souligné dans la décision originale et la décision découlant de la révision qui semble avoir été ignoré par la DG. Celle-ci aurait dû évaluer la question de savoir si l’appelant est devenu invalide entre le 1er janvier 2010 et le 31 juillet 2010 avant de conclure qu’il ne respectait pas les exigences relatives aux cotisations selon l’alinéa 44(1)b) du RPC.

[26] Accessoirement, le sommaire des cotisations versé dans mon dossier ne précise pas la quantité de ces revenus inférieurs au seuil pour 2010. Je n’ai donc pas été capable de confirmer le calclul de l’intimé donnant le 31 juillet comme date de fin de PMA calculée au pro rata. Néanmoins, il ne fait aucun doute que l’appelant avait une certaine mesure de revenus en 2010 à laquelle la DG n’a pas appliqué la disposition relative au calcul au pro rata. Il serait utile que ces revenus pour 2010 soient offerts avant une audience ultérieure devant la DG.

(c) Autres documents

[27] En présentant d’autres éléments de preuve documentaire, le demandeur semble demander à la DA d’en tenir compte en substituant le rejet sommaire par une décision favorable. Il m’est impossible de faire cela étant donné la portée étroite du paragraphe 58(1) de la LMEDS. La DA n’a pas la compétence de rendre une décision sur le fond de l’affaire. Une fois qu’une audience a pris fin, il y a très peu de raisons qui justifieraient de soulever d’autres points ou des points nouveaux.

[28] Cependant, comme je renverrai la question devant la DG en vue d’une nouvelle audience, l’appelant aura l’occasion de présenter à nouveau ces documents et tout document supplémentaire qu’il juge pertinent dans le cadre de sa demande.

Conclusion

[29] Pour les motifs susmentionnés, il est fait droit à l’appel, et l’affaire est renvoyée à la DG aux fins de réexamen complet de la question de savoir si l’appelant peut être réputé invalide au sens du RPC. Pour éviter tout risque de crainte de partialité, l’affaire devrait être confiée à un différent membre de la DG.

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