Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] La demanderesse souhaite obtenir la permission d'en appeler de la décision rendue par la division générale le 17 août 2015. La division générale a déterminé que la demanderesse n’était pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, après avoir conclu que son invalidité n’était pas « grave » à la fin de sa période minimale d’admissibilité du 31 décembre 2007. La demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler le 23 novembre 2015 et des observations supplémentaires le 5 février 2016, ces dernières ayant été fournies en réponse à une demande du Tribunal de la sécurité sociale pour clarifier les moyens d'appel. Pour accorder cette permission à la demanderesse, je dois être convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Question en litige

[2] Est-ce que l’appel a une chance raisonnable de succès pour au moins un des motifs cités par la demanderesse ?

Observations

[3] La demanderesse allègue que la division générale a commis des erreurs de droit et a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de façon arbitraire ou abusive sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[4] Le Tribunal de la sécurité sociale a fourni une copie des documents portant sur la demande au défendeur. Cependant, le défendeur n’a présenté aucune observation.

Analyse

[5] Les motifs d'appel doivent correspondre à au moins un des moyens d'appel énumérés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), et l'appel doit avoir une chance raisonnable de succès pour que la permission ne puisse être accordée. La Cour fédérale a mis en application cette approche dans l'affaire Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300 et plus récemment dans l'affaire Canada (Procureur général) c. O’Keefe, 2016 CF 503. Selon le paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] La demanderesse a soulevé deux moyens d’appel.

a) Erreur de droit

[7] La demanderesse soutient que la division générale a commis une erreur dans son interprétation et son application du critère juridique pour une invalidité « grave » en vertu de l'article 42 du Régime de pensions du Canada, lorsqu'elle a conclu que la demanderesse était en mesure d'exercer une occupation véritablement rémunératrice régulière dans les domaines du commerce au détail ou du service. La demanderesse avance que la preuve devant la division générale indique qu'elle souffre de diverses conditions médicales qui l'ont forcée à démissionner de son emploi de commis au commerce de détail/service et qu'elle a été dans l'impossibilité de retourner travailler en raison de douleurs. La demanderesse souligne qu'elle a témoigné qu'elle ne savait pas à quel moment elle serait mieux et serait en mesure d'avoir un horaire régulier, même si elle ne travaillait que quelques jours par semaine, en raison de la nature imprévisible de son invalidité. La demanderesse soutient que la jurisprudence a établi que la prévisibilité est le bien-fondé même de la « régularité » au sens du Régime de pensions du Canada. Elle cite les affaires Chandler c. MDRH (25 novembre1996), CP4040, p. 6 et Gallant c. MDRH (25 juin 1998) CP00612, pp. 2 à 3.

[8] Essentiellement, la demanderesse suggère que la division générale n'a pas évalué de façon appropriée la gravité de son invalidité, puisqu'elle aurait dû également considérer si elle était en mesure de se présenter au travail de façon prévisible. Elle soutient que si elle ne pouvait pas se présenter au travail de façon prévisible dans les domaines du commerce au détail ou de service, elle ne rencontrait alors pas la composante régulière du critère de la gravité, selon laquelle elle serait en mesure d'exercer une occupation véritablement rémunératrice sur une base régulière. La demanderesse a invoqué deux décisions de la Commission d'appel des pensions. Elle n'a cité aucune autorité ayant un grand pouvoir de persuasion ou toute autre autorité à laquelle je suis liée.

[9] Dans l'affaire Chandler, la Commission d’appel des pensions a écrit ceci :

Il peut être considéré applicable seulement lorsqu’un fondement de preuve crédible peut être établi, qui démontre clairement, aux yeux de la Commission, qu’il y a ce degré d’interruption prévisible d’un horaire de travail établi par un employeur raisonnable et compréhensif, rendant la personne non employable.

[10] La demanderesse allègue avoir témoigné qu'elle fut forcée de démissionner de son emploi et qu'elle fut incapable de retourner travailler en raison de la nature imprévisible de ses douleurs. La division générale a pris note de ses éléments de preuve à cet égard lorsqu'elle a écrit au paragraphe 33 :

[traduction]

[33] Elle ne croit pas pouvoir répondre aux exigences d'un emploi, même à temps partiel. Certains jours sont meilleurs que d’autres, mais les mauvaises journées sont imprévisibles. Elle serait incapable de suivre un horaire. Elle n'a pas de bonnes journées - uniquement de « bons moments, peut-être ». Elle ne peut plus finir des tâches ou s'engager à faire quoi que ce soit.

[11] La division générale a indiqué que la douleur de la demanderesse a commencé de façon graduelle aux environs de 2005, mais il n'est pas clair si la douleur s'est empirée progressivement à un point tel qu'elle croyait être incapable ou qu'elle était incapable de suivre un horaire à la fin de sa période minimale d'admissibilité. Bien que la division générale a accepté le fait que la demanderesse est aux prises avec une certaine mesure de douleur et dépression, elle conclut que la principale raison pour laquelle la demanderesse a quitté son emploi en mars 2007 n'était pas reliée à ses douleurs, mais plutôt au fait que son mari avait décidé de déménager. Jusqu'à ce moment, elle avait souffert d'une augmentation de sa douleur dorsale, mais la division générale était d'avis qu'elle n'avait pas quitté son emploi pour cette raison en particulier. Il semble que la division générale fut convaincue, en se fondant sur les éléments portés à sa connaissance, qu'il y avait suffisamment de « fondement de preuve crédible » pour établir un « degré d'interruption prévisible d’un horaire de travail établi par un employeur raisonnable et compréhensif, rendant la personne non employable » dans les circonstances. S'il y avait eu d'autres éléments de preuve, comme un témoignage corroborant de ses collègues de travail ou de son employeur, ou des preuves documentaires démontrant les absences sporadiques de son emploi, ceci aurait pu fournir un fondement de preuve crédible suffisant. Je ne suis pas convaincue que l'appel a une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

b) Conclusion de fait erronée

[12] Pour qu’une conclusion de fait soit considérée comme erronée aux termes du paragraphe 58(1) de la LMEDS, il faut que la division générale ait fondé sa décision sur cette conclusion de fait erronée et que cette conclusion de fait erronée ait été tirée par la division générale de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[13] La demanderesse affirme que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée selon laquelle elle a quitté son emploi de commis en raison du déménagement de sa famille et qu'elle n'y est pas retournée parce qu'elle ne se sentait pas bien. La demanderesse a soumis que les éléments de preuve démontrent que son déménagement « n'était pas la raison pour laquelle elle avait démissionné et n'était pas retournée au travail ». Elle fait valoir que son déménagement n'était pas relié du tout et qu'en fait, son employeur avait une politique de réaffectation qui permettait aux employés de se réaffecter à un autre endroit, pourvu qu'ils retournent travailler dans un délai d'un an. La demanderesse soutient qu'elle avait témoigné qu'elle avait décidé de prendre quelques mois de congé en raison de sa douleur, et qu'elle déciderait ultérieurement de son retour au travail. La demanderesse soutient également qu'il n'y avait aucun élément de preuve au dossier qui appuierait raisonnablement la conclusion du Tribunal selon laquelle elle aurait pu retourner travailler.

[14] La division générale s'est servie d'une partie du témoignage de la demanderesse au paragraphe 31. Elle a indiqué que la demanderesse avait pensé quitter son emploi au magasin à grande surface de X en raison de douleurs au dos croissantes. Elle a considéré la demande de son employeur pour être relocalisée au magasin de X, mais « fut déçue d'apprendre que son superviseur n'allait pas être transféré comme prévu originalement. De plus, elle souffrait tellement de douleurs, qu'elle ne croyait pas pouvoir accepter leur offre ». Le résumé de la division générale selon lequel elle a considéré quitter son emploi en raison de douleurs au dos et qu'elle ne pût considérer la demande de son employeur de transférer de lieu de travail en raison des niveaux de douleur qu'elle ressentait, semblent concorder avec ce que la demanderesse considère comme étant ses éléments de preuve.

[15] Dans son analyse, la division générale ne mentionne pas les niveaux de douleur de la demanderesse, lorsqu'elle décrit les raisons pour lesquelles elle a quitté son emploi. En ce qui a trait à cette question, la division générale a écrit :

[traduction]

... Une des raisons majeures pour lesquelles l'intimé a refusé sa demande d'invalidité était parce qu'il semblait qu'elle avait quitté son emploi [sic] au magasin grande surface, non principalement en raison de douleurs ou de dépression, mais parce que son mari avait décidé de déménager à Chlliwack. L'histoire de C. G. prescrit clairement que le déménagement de X, où elle avait un réseau de soutien social, a laissé la [demanderesse] dans un état d'isolation, mais que sa dépression était situationnelle, résultant de facteurs externes qu'elle peut partiellement contrôler. Dans son témoignage, elle suggère qu'elle aurait peut-être occupé le poste au magasin à grande surface de X, si son superviseur de X avait suivi son projet initial de se réaffecter dans la petite collectivité.

[16] La référence au fait que la décision du mari de la demanderesse de se réaffecter à X semble représenter la compréhension de la division générale quant à la raison pour laquelle l'intimé avait refusé la demande de pension d'invalidité de la demanderesse, plutôt que les propres conclusions de la division générale. Toutefois, ni la décision initiale ni la décision de révision de l'intimé (GT1-18 à GT1-20 et GT1-05 à GT1-07) n’expliquent pourquoi la demanderesse aurait quitté son emploi au magasin à grande surface.

[17] Il semble que la division générale n'a tiré aucune conclusion spécifique en ce qui a trait à la raison pour laquelle la demanderesse aurait quitté son emploi au magasin à grande surface. Tout au plus, la division générale a examiné comment le déménagement avait eu un impact sur la santé mentale de la demanderesse. Cependant, dans la mesure où la division générale pourrait avoir adopté ce qu'elle a perçu comme les motifs de l'intimé pour rejeter la demande d'invalidité de la demanderesse, ni le déménagement ni son départ du magasin à grande surface de X ne semblent avoir été considérés lorsque la division générale a rendu sa décision, et par conséquent, ce moyen d'appel en particulier ne relève donc pas du paragraphe 58(1) de la LMEDS.

[18] La seconde conclusion de fait prétendument erronée pourrait être considérée comme répondant à la question soulevée dans l'affaire Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, c.-à-d., est-ce que la demanderesse démontre que les efforts qu'elle a déployés envers l'obtention ou le maintien de son emploi n'avaient pas porté fruit en raison de sa condition médicale. La division générale a suggéré que la demanderesse ne s’était pas acquittée de ses obligations à cet égard, lorsque la division générale a écrit : [traduction] « dans son témoignage, elle a suggéré qu'elle aurait pu occuper l'emploi au magasin à grande surface de X, si son superviseur de X avait suivi son projet initial de se réaffecter dans la petite collectivité ».

[19] J’ai écouté de grandes parties de l'enregistrement audio de l'audience devant la division générale. Le membre de la division générale a demandé à la demanderesse pourquoi elle avait quitté son emploi au magasin de grande surface. La demanderesse a répondu comme suit :

La douleur était devenue atroce et je déménageais aussi, pas par choix, mais je n'avais pas à arrêter de travailler en raison du déménagement. Umm. Le magasin à grande surface est aussi à X où je suis déménagée en 2007 et ils ne m'ont pas demandé de démissionner. Ils m'ont demandé de transférer. J'y ai pensé et, à ce moment, ils avaient une politique selon laquelle, même si je démissionnais, je pourrais y retourner à l'intérieur d'un délai d'un an, je peux aussi conserver mon ancienneté et mon salaire. Et parce que j'avais tellement de douleur umm quand j'ai déménagé, et bien j'ai dit que je prendrais quelques mois pour y penser pour voir comment je me sentirais et pour voir comment les choses se dérouleraient et après je déciderais si j'y retourne ou non, ce que, j'ai fait.

Et aussi, la personne que je préfère, un superviseur, avec qui je travaillais à X, il a aussi été transféré à X peu de temps après et j'étais contente. J'ai dit, si je retourne, je sais qu'il y a une gentille personne à cet endroit. Il a aussi transféré à, j'imagine, qu'il a eu une promotion, X. Il était gestionnaire adjoint et après il a eu une promotion comme gestionnaire et a déménagé à X.

...

Je lui rendais visite souvent et lui parlait après à X et j'étais contente de cette situation. Je me suis juste demandé, tranquillement, au fil du temps, comment je pourrais retourner au travail en raison de ma condition. (1:01:00 à 1:03:36 de l'enregistrement)

[20] La conclusion de la division générale selon laquelle la demanderesse n'a pas poursuivi l'emploi au magasin à grande surface de X ne semble pas correspondre aux éléments portés à la connaissance de la division générale. La division générale semble avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, lorsqu'elle a suggéré qu'elle n'a pas poursuivi l'emploi en raison de raisons non reliées à sa condition médicale. Je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès sur ce motif.

[21] La demanderesse allègue qu'il n'y avait aucun élément de preuve devant la division générale qui pourrait raisonnablement appuyer sa conclusion selon laquelle elle aurait pu retourner au travail. La division générale n'a tiré aucune conclusion selon laquelle elle aurait pu retourner au travail. Elle a plutôt déterminé qu'il n'y avait « tout simplement pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que son invalidité était "grave" ». Je ne suis pas convaincue qu’un appel fondé sur ce moyen ait une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[22] La demande de permission d’en appeler est accordée.

[23] J’invite les parties à présenter leurs observations sur la pertinence de tenir une audience, ou si l’appel peut être instruit sur la foi du dossier. Si elles préconisent la tenue d’une audience, les parties devraient présenter des observations sur le mode d’audience à privilégier (c.-à-d. par téléconférence, par vidéoconférence ou tout autre moyen de télécommunication, en personne ou par questions et réponses). Si l’une des parties souhaite demander une forme d’audience autre que par questions et réponses écrites, je la prierais de fournir une estimation du temps nécessaire pour présenter la plaidoirie.

[24] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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