Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Introduction

[2] Le présent appel porte sur une décision de la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal), qui a refusé la demande de pension d’invalidité de l’appelant au motif qu’il n’a pas prouvé que son invalidité était grave à la date de sa période minimale d’admissibilité (PMA) pour l’application du Régime de pensions du Canada (Loi). La permission d’en appeler a été accordée au motif que la DG pourrait ne pas avoir observé un principe de justice naturelle quand elle a refusé d’admettre de la documentation supplémentaire sur laquelle l’appelant souhaitait se fonder.

Aperçu

[3] L’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en septembre 2010. Il a indiqué qu’il avait travaillé dans l’industrie de la construction pour de nombreuses années avant de travailler à forfait comme conseiller spirituel pour le Service correctionnel du Canada. Il a affirmé ne pas avoir travaillé depuis juin 2009, depuis que sa douleur au dos et son inflammation articulaire l’empêchaient de continuer à remplir ses fonctions.

[4] L’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC en septembre 2010, qui a été refusée par l’intimé initialement et après révision au motif qu’il n’était pas atteint d’une invalidité qui l’empêchait régulièrement de détenir une occupation véritablement rémunératrice, conformément à l’alinéa 42(2)a) de la Loi. En novembre 2011, l’appelant a interjeté appel de la décision devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR) et une audience a été prévue le 12 septembre 2012 devant trois membres du tribunal de révision du RPC. Cette audience a été ajournée, dans l’attente de renseignements supplémentaires de la part de l’Agence du revenu du Canada (ARC) concernant les gains de l’appelant et des précisions sur l’utilisation qu’a fait l’intimé de certains codes dans ses documents d’évaluation interne.

[5] Le 1er avril 2013, l’appel a été transféré du BCTR à la DG du Tribunal en vertu de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable.

[6] À l’audience tenue devant la DG le 25 novembre 2014, l’appelant a parlé de sa scolarité et de ses antécédents de travail. Il a également présenté une preuve concernant ses blessures et le traitement qu’il a suivi. Il a indiqué à la DG que, malgré l’opération, la physiothérapie et les médicaments, sa douleur ne s’était pas atténuée depuis la fin de sa PMA le 31 décembre 2006. Il considérait que l’emploi qu’il a occupé après cette date était une tentative ratée dans le milieu du travail.

[7] Dans sa décision datée du 17 décembre 2014, la DG a conclu que l’appelant n’avait pas pu travailler pendant une période qui avait suivi son opération au dos, mais que ses gains entre 2001 et 2003 avaient démontré qu’il avait recouvré son aptitude au travail. Le manque de preuve médicale entre 2001 et 2006 était [traduction] « dérangeante », et il avait enregistré des gains considérables en 2008-2009, bien après la fin de sa période d’admissibilité. Au bout du compte, la DG n’avait pas été convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant était atteint d’une invalidité grave à la date de sa PMA.

[8] Le 23 janvier 2015, l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel (DA) du Tribunal, alléguant de nombreuses erreurs commises par la DG. La DG a posé une série de questions par écrit à l’appelant, auxquelles il a répondu dans une longue observation déposée en date du 24 février 2015. Le 2 juin 2015, la DA a accordé la permission d’en appeler sur le fondement unique que la DG pourrait avoir commis un manquement au principe de justice de justice naturelle en refusant la demande de la représentante de l’appelant (représentante) d’admettre de la documentation supplémentaire à l’audience. À ce moment-là, la DA avait invité les parties à présenter d’autres observations sur cette affaire.

[9] Le 15 juillet 2015, la représentante a déposé des observations écrites. L’intimé a présenté ses observations le 24 juillet 2015.

[10] Le 8 avril 2016, la DA a déterminé qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience orale pour les raisons suivantes :

  1. Le dossier était complet et ne nécessitait aucune clarification;
  2. Le mode d’audience respectait les exigences du Règlement du Tribunal de la sécurité sociale (Règlement), à savoir qu’il faut procéder de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[11] La DA a donc décidé qu’il était préférable de procéder au moyen de questions et de réponses écrites dans le cadre de cet appel. La DA a posé les questions suivantes à l’appelant :

[Traduction]

  1. De quelle manière la DG, en refusant d’admettre les observations écrites de la représentante, a-t-elle commis un manquement au principe de justice naturelle? Veuillez présenter la jurisprudence à l’appui de votre position, le cas échéant.
  2. Comment les observations écrites appuient-elles votre allégation voulant que la PMA n’a pas été établie correctement?
  3. Vos observations écrites touchent-elles d’autres questions qui n’ont pas suffisamment été explorées durant l’audience en raison du refus de la DG de les admettre? Si cela est le cas, de quelles questions s’agit-il? Si la DG avait admis ces observations écrites et tenu compte de ces questions, celles-ci auraient-elles eu une incidence considérable sur la décision qu’elle a rendue par la suite?

[12] L’appelant et sa représentante ont répondu au moyen d’une lettre datée du 27 avril 2016.

Droit applicable

[13] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Norme de contrôle

[14] Jusqu’à récemment, il était accepté que les appels devant la DG étaient régis par les normes de contrôle énoncées par la Cour Suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 1. Il a été établi que, dans les affaires où une erreur de droit ou un manquement à la justice naturelle est allégué, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, qui suppose un degré de déférence inférieur à celui qui est présumé être accordé à un tribunal administratif de première instance. Pour des affaires où des conclusions de fait erronées sont alléguées, il a été établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, qui reflète une hésitation à s’ingérer dans les conclusions de l’instance responsable d’instruire la preuve factuelle.

[15] Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. HuruglicaNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche et a établi que les tribunaux administratifs ne devraient pas utiliser des normes de contrôle qui ont été conçues pour être appliquées par les cours d’appel. Les tribunaux administratifs doivent plutôt se référer d’abord à leurs lois constitutives pour déterminer leur rôle.

Questions en litige

[16] Les questions dont je suis saisi sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable à la révision de décisions de la DG?
  2. La DG a-t-elle commis un manquement au principe de justice naturelle en refusant d’admettre les observations écrites de la représentante durant l’audience?
  3. S’il s’avère que la DG a erré, quelles réparations convient-il de fournir?

Observations

a) Quelle est la norme de contrôle applicable?

[17] Dans ses observations, la représentante de l’appelant n’a pas abordé la question des normes de contrôle. L’intimé a déposé des observations à ce sujet, mais avant que la décision Huruglica ait été rendue le 29 mars 2016.

[18] Dans ses observations, l’intimé a discuté de façon très détaillée des normes de contrôle et de leur application dans le cadre de cet appel, et a conclu qu’il faut appliquer la norme de la décision correcte aux erreurs de droit et la norme de la décision raisonnable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit. En l’espèce, la seule question consiste à déterminer si la DG a commis une erreur de droit en exigeant que l’appelant satisfasse à une norme de preuve plus élevée que celle de la prépondérance des probabilités. L’intimé soutient qu’il s’agit d’une question de droit et que la norme de la décision correcte doit être appliquée.

b) La DG a-t-elle commis un manquement à la justice naturelle en refusant d’admettre la preuve présentée?

[19] L’appelant et sa représentante soutiennent que la DG aurait dû accepter les documents qu’ils ont tenté de déposer durant l’audience. La représentante allègue qu’elle est plus efficace lorsqu’elle peut lire et consulter des documents en présentant des observations orales, particulièrement étant donné qu’elle a reçu un diagnostic de trouble d’apprentissage. L’appelant allègue qu’il a été [traduction] « déstabilisé » après que la DG ait jugé que ses observations écrites n’étaient pas admissibles, et que sa capacité à demeurer attentif, déjà affectée par la douleur chronique et les médicaments d’ordonnance, avait été amoindrie encore davantage.

[20] La représentante allègue aussi qu’il avait été discuté assez longuement au début de l’audience de la question d’admettre ces documents, mais que le membre de la DG a seulement mis en marche l’enregistreur plus tard. Une part considérable de l’instance n’a donc pas été enregistrée, notamment les observations qu’elle a pu présenter concernant l’admissibilité des documents.

[21] L’appelant soutient que, puisque la DG a refusé d’admettre les documents, on l’a privé injustement d’une occasion de pleinement plaider sa cause, et ce de deux façons importantes :

  1. La DG n’a pas tenu compte de renseignements importants sur le système de codage de la Classification internationale des maladies (CIM), qui est utilisé par les médecins pour évaluer la gravité d’une invalidité;
  2. Durant les remarques préliminaires, le membre de la DG a établi que la PMA était le 31 décembre 2006, date que l’appelant et sa représentante ont contestée. Ils voulaient soutenir que cette conclusion était erronée puisque l’appelant avait enregistré des gains en 2007, 2008 et 2009 (comme le confirment les évaluations de l’ARC pour les deux dernières années), mais le membre de la DG n’a pas admis d’observations sur cette question. L’appelant allègue qu’il n’existe pas de trace de cette conversation puisqu’elle s’est également déroulée avant que l’enregistreur soit mis en marche.

[22] L’appelant soutient également que son appel a été forcé de suivre un processus qui est injuste et contraire aux principes de justice naturelle. Il a déjà plaidé sa cause en entier devant un tribunal constitué de trois membres en septembre 2012, durant une audience qui avait été ajournée pour permettre de présenter des observations supplémentaires sur la CIM et des gains additionnels révélés dans le cadre d’une vérification menée par l’ARC. L’appelant allègue qu’on ne lui avait jamais dit à la première audience que l’instance et le format étaient sujets à changement. Après une longue attente, les parties ont été convoquées pour une audience de novo devant un seul membre de la DG, qui n’avait pas les connaissances, l’expertise et la formation que les membres du tribunal original cumulaient.

[23] L’intimé soutient que la DG n’a pas commis de manquement à la justice naturelle quand elle a refusé d’admettre en preuve les 40 pages d’observations écrites, puisque ces observations ne constituent pas une preuve, comme l’a déjà conclu la DA dans sa décision relative à la demande de permission d’en appeler. Ces éléments ne sont pas vraiment des observations, mais plutôt des notes préparées par la représentante pour l’aider dans la présentation de ses arguments oraux. De plus, l’appelant n’a pas allégué qu’on l’avait privé d’une chance de présenter des observations orales qu’il souhaitait présenter durant l’audience. La DG n’a pas commis de faute si la représentante n’a pas voulu présenter tous les arguments contenus dans ses notes.

[24] L’intimé soutient aussi qu’aucune preuve ne montre que la représentante ait soulevé des questions de justice à l’audience devant la DG ou qu’elle ait autrement contesté le refus du membre d’admettre en preuve ses notes d’allocution. L’appelant n’a donc pas droit de soulever ce motif pour la première fois à l’appel puisqu’il est considéré comme la renonciation implicite à tout manquement présumé. Il est de jurisprudence constante qu’un manquement à la justice naturelle doit être soulevé dès que possible. Si aucun manquement à l’équité procédurale n’est allégué durant l’audience, on considère que la partie faisant l’allégation a fourni la renonciation implicite à toute injustice ou à tout manquement présumé.Note de bas de page 3

[25] Enfin, la DG a conclu et la DA a confirmé que l’appelant s’était livré à une occupation véritablement rémunératrice après sa PMA. Cette conclusion rend le présent appel caduc puisqu’un requérant ne peut pas détenir une occupation véritablement rémunératrice et, à la fois, être admissible à une pension d’invalidité du RPC. En l’espèce, la PMA de l’appelant est en date de décembre 2006, mais il a fondé son entreprise de prestation de conseils spirituels en février 2007 et a travaillé pour le Service correctionnel du Canada d’avril 2007 à juillet 2009, date à laquelle il a arrêté de travailler en raison d’une maladie.

c) Quelles réparations faut-il fournir?

[26] L’appelant demande à la DA d’annuler la décision de la DG et de lui accorder une pension d’invalidité du RPC. L’intimé demande que la décision de la DG soit confirmée.

Analyse

a) Norme de contrôle

[27] Même si Huruglica porte sur une décision provenant de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle a une incidence sur celles d’autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a établi qu’il n’était pas approprié de puiser dans les principes du contrôle judiciaire, comme le prescrit Dunsmuir, dans le cadre d’instances administratives, puisque celles-ci peuvent refléter des priorités législatives qui différèrent de l’impératif constitutionnel de préserver la primauté du droit. « […] on ne doit pas simplement présumer que ce qui était réputé être la politique la plus appropriée pour les juridictions d’appel vaut également pour certains organismes administratifs d’appel.

[28] Cette prémisse mène la Cour à déterminer le critère approprié comme découlant entièrement de la loi constitutive d’un tribunal administratif :

[…] la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L'interprétation de la loi appelle l'analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] […] et son objet […]. L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [Section d’appel des réfugiés].

[29] Cela signifie que, à moins que les normes de la décision raisonnable ou de la décision correcte ou des variantes de ces termes soient spécifiquement employées dans la loi constituante, celles-ci ne seront pas appliquées. Si l’on applique cette approche à la Loi sur le MEDS, on remarque que les alinéas 58(1)a) et b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements à la justice naturelle, ce qui laisse croire que la DA n’a pas besoin de faire preuve de déférence à l’égard des interprétations de la DG.

[30] Le mot « raisonnable » ne figure pas dans le libellé de l’alinéa 58(1)c), qui touche les conclusions de fait erronées. Le critère énoncé, cependant, contient les syntagmes qualificatifs « abusive ou arbitraire » et « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme le suggère Huruglica, il interpréter ces mots pour ce qu’ils sont, mais les ternes employés laissent croire que la DA doit intervenir si la DG a fondé sa décision sur une erreur qui est manifestement scandaleuse ou qui contredit le dossier.

b) Refus d’admettre des documents

[31] Dans le cadre de cet appel, la question principale touche l’allégation voulant que la DG ait refusé d’admettre un ensemble de documents que l’appelant et sa représentante ont tenté de déposer soit avant ou durant l’audience en personne tenue le 25 novembre 2014. Cet ensemble de documents, portant le numéro AD1A, est constitué de 40 pages de texte dactylographié et d’un document de 4 pages intitulé [traduction] « CIM-9 Codes pour la médecine familiale 2011-12 : la longue liste de la FPM » (ICD-9 Codes for Family Medicine 2011-12: The FPM Long List). Comme l’indique la décision relative à la demande de permission d’en appeler, le texte de la représentante, qui comprend ses arguments et ses résumés de certains dossiers médicaux, ne peut être qualifié de preuve et peut mieux être décrit comme contenant des arguments. Les codes de la CIM avaient déjà été déposés le 30 septembre 2013 et avaient été fournis au tribunal de révision du RPC et à la DG avant leurs audiences respectives.

[32] J’ai examiné soigneusement l’enregistrement de l’audience tenue le 25 novembre 2014 devant la DG. Je n’ai rien entendu qui indique que l’appelant ou la représentante ait essayé de déposer un ensemble de documents ou que la DG ait refusé de l’admettre. L’enregistrement révèle qu’aucune préoccupation n’a été soulevée de leur part relativement à une instruction injuste de l’affaire. En même temps, aucune mention n’est faite des documents ni de la tentative infructueuse de les soumettre. Malgré tout, je suis prêt à croire l’allégation de l’appelant voulant que cette question ait été abordée durant une discussion préliminaire ayant précédé la mise en marche de l’enregistreur par le membre de la DG.

[33] Comme je l’ai déjà mentionné, la DG était déjà saisie des codes de la CIM; son refus de les admettre durant l’audience n’est donc pas en litige dans cet appel. Il reste à déterminer si la DG a, en refusant d’admettre les observations écrites de la représentante juste avant le début de l’audience, commis un manquement à un principe de justice naturelle.

[34] Je vais commencer en soulignant que l’appelant et sa représentante ont bénéficié de multiples occasions pour déposer des observations. Cet appel est en cours, d’une manière ou d’une autre, depuis novembre 2011, soit trois ans avant l’audience devant la DG. Conformément à l’alinéa 27(1)a) Règlement, les parties peuvent déposer des documents ou observations supplémentaires dans les 365 jours suivant la date du dépôt de l’appel. En théorie, ni la Loi sur le MEDS ni le Règlement n’empêche spécifiquement une partie de déposer des documents ou des observations supplémentaires après le délai de 365 jours suivant la date du dépôt de l’appel. Au moment où cette affaire a été instruite par la DG, le Tribunal avait l’habitude de laisser les parties déposer d’autres documents et observations jusqu’à une date prévue ou dans les 30 jours de la date prévue d’une audience, sous réserve du pouvoir discrétionnaire du membre. En l’espèce, le Tribunal a informé les parties, dans une lettre datée du 25 juillet 2014, qu’elles avaient jusqu’au 26 septembre 2014 pour déposer des documents ou des observations supplémentaires. La représentante a profité de cette occasion pour déposer des documents supplémentaires le 25 août 2014, mais n’a pas déposé les observations qu’elle a tenté de faire admettre durant l’audience de l’appel.

[35] J’estime que la DG a fait usage de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a refusé d’admettre un texte de 40 pages et, ce faisant, elle n’a enfreint aucune règle d’équité procédurale. Je vais maintenant déterminer si la DG a, dans la façon dont elle a mené l’audience, agi de manière contraire aux principes de justice naturelle.

[36] Dans la demande de permission d’en appeler et ses réponses aux questions de la DA, la représentante a allégué que la conduite de la DG l’a empêchée de présenter des observations de manière appropriée et efficace durant l’audience. Elle a dit qu’elle était plus efficace lorsqu’elle peut lire et consulter des documents en présentant ses observations orales. L’appelant et sa représentante allèguent qu’ils avaient été troublés par le refus de la DG d’admettre les observations écrites que leur concentration avait été amoindrie durant l’audience, les laissant démunis pour plaider et défendre leur cause.

[37] Je ne comprends pas encore très bien pourquoi il fallait déposer les observations écrites auprès de la DG pour que la représentante soit capable de les lire et de les consulter en présentant ses observations orales. De toute façon, les observations écrites comptent environ 7 000 mots, et si la représentante avait l’intention de les lire mot pour mot, cet exercice aurait nécessité, je l’estime, environ une heure ou encore plus, ce qui aurait laissé peu de temps, compte tenu des 90 minutes qui sont accordées, pour les remarques préliminaires et pour que l’appelant puisse lui-même poser des questions.

[38] En dépit du refus de la DG d’admettre les observations écrites et des restrictions compte tenu du temps alloué, j’estime qu’il n’existe aucune preuve voulant que l’appelant et sa représentante aient été privés d’une occasion de présenter pleinement leur cause. Au cours d’une audience qui a duré 80 minutes (mise à part la portion initiale qui, apparemment, n’a pas été enregistrée), la représentante a présenté ses observations écrites, en a lu certaines parties, en a paraphrasé d’autres et a périodiquement échangé avec le membre de la DG, pour mettre au clair certains points et mettre l’accent sur d’autres. D’après ce que j’ai écouté, la représentante semblait détendue, participer et maîtriser sa présentation. Durant la majeure partie de l’enregistrement, on peut entendre la représentante présenter ses observations. L’appelant ne parle que très peu, mais répond aux questions que pose le membre de la DG. Le membre de la DG n’a jamais interrompu la représentante, et ne l’a pas pressé à terminer ou à écourter ses observations. À la fin de l’audience, la représentante n’a pas demandé du temps supplémentaire pour pouvoir présenter d’autres remarques. Enfin, toutes les questions importantes ayant été soulevées dans les observations écrites semblent avoir été abordées durant l’audience.

[39] Contrairement à ce qu’a allégué l’appelant dans ses observations, deux des questions les plus litigieuses ont mérité un examen approfondi durant l’audience. L’enregistrement révèle que la représentante a pu, à deux reprises au moins (à 9 minutes et à 16 minutes), parler du système de codage de la CIM et expliquer sa pertinence par rapport aux incapacités alléguées de l’appelant. Si la représentante prétend que la DG a sommairement décidé, avant que l’enregistrement ait commencé, que la date de la PMA était le 31 décembre 2006, l’enregistrement en question contient pourtant une longue discussion et un débat sur cette question. À 2 minutes de l’enregistrement, le membre de la DG a essayé d’expliquer la manière dont la date de la PMA était établie, mais son explication a été contestée par la représentante qui s’est exprimée comme suit [traduction] : « Quand commence-t-on à compter, à partir de 2009 ou de 2006? » Cette question a été suivie d’une discussion qui a duré trois minutes, quoique la représentante n’a pas été convaincue que le calcul de la PMA était juste. La représentante a fini par accepter de procéder en utilisant le 31 décembre 2006 comme PMA, mais elle a déclaré qu’elle se [traduction] « battrait jusqu’au bout ». La question de la PMA a encore été soulevée à 35 minutes de l’enregistrement, et la représentante a fait savoir de nouveau qu’elle n’était pas d’accord avec la date qui l’avait emporté.

[40] Au bout du compte, je ne peux pas être d’accord que l’appelant et son représentant n’ont pas pu présenter des observations relativement à la PMA durant l’audience. Le dossier montre qu’ils l’ont fait activement, et ils avaient déjà eu, au fil des ans, de nombreuses occasions de produire de nouveaux éléments de preuve concernant les gains et les cotisations admissibles de l’appelant. En fait, ils ont été capables de faire mettre à jour le registre des gains de l’appelant pour qu’il montre des gains et des cotisations admissibles pour 2008-2009, mais ces années en plus n’avaient aucune incidence sur la PMA, et la représentante a plus tard allégué que les contrats de service de l’appelant durant ces années étaient une tentative ratée dans le milieu du travail.

[41] Si la représentante n’était pas d’accord que la date la plus récente à laquelle l’appelant était admissible à une pension d’invalidité est le 31 décembre 2006, la DG avait tout de même le pouvoir, en vertu de la Loi et de la Loi sur le MEDS, de déterminer la date de la PMA en appliquant les faits au droit, après avoir pris connaissance des observations des deux parties. Conformément à l’article 97 de la Loi, une inscription au registre des gains est réputée être exacte lorsque quatre ans se sont écoulés depuis la fin de l’année au cours de laquelle l’inscription a été faite. D’après le registre des gains mis à jour figurant à la page GT8-6, la période de six ans la plus récente au cours de laquelle l’appelant a versé des cotisations valides pendant trois ans s’est terminée le 31 décembre 2006. Je souligne que la période de six ans qui s’est terminée en décembre 2009, incluant les années 2004 à 2009 inclusivement, ne comprenait que deux années durant lesquelles il a versé des cotisations valides. Je suis donc convaincu que le calcul de la PMA effectuée par l’intimé et confirmé par la DG était exact et qu’aucune erreur de fait ou de droit n’a été commise.

[42] À mon avis, la DG a commis une erreur procédurale en ne documentant pas sa décision sur la PMA et la tentative de l’appelant de déposer des documents à la dernière minute. Dans les deux cas, la DG aurait dû prendre note des objections de l’appelant et expliquer pourquoi elle a considéré qu’elles n’étaient pas fondées. La décision de la DG ne laissait paraître aucun indice montrant que l’appelant n’était pas d’accord avec la PMA, et ne contenait aucune explication relative au calcul de la date établie, soit le 31 décembre 2006. La DG n’a pas mentionné son refus d’admettre la documentation présentée après l’échéance prévue à cet effet ni expliqué les raisons de son refus. Comme l’a établi la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. CanadaNote de bas de page 4, dans des cas où la décision revêt une grande importance pour l’individu ou dans des cas où il existe un droit d’appel prévu par la loi, l’équité requiert que des motifs écrits suffisants soient présentés. C’est particulièrement le cas dans une situation, comme en l’espèce, où il n’existe aucune autre trace d’une décision.

[43] Au Tribunal, il est d’usage d’enregistrer les audiences, bien qu’il n’existe aucune obligation de le faire aux termes de la Loi sur le MEDS et du Règlement. Dans S.C.F.P., section locale 301 c. Canada Note de bas de page 5, la Cour suprême a indiqué qu’à moins qu’il existe une obligation juridique d’enregistrer une audience, il n’y a pas de manquement à la justice naturelle si l’appelant peut soulever une question sans utiliser la transcription de l’audience. En l’espèce, il est évident que l’appelant a pu soulever la question même si l’enregistrement semblait incomplet. Dans Patry c. CanadaNote de bas de page 6, entre autres, la Cour d’appel fédérale a confirmé que le fait que le conseil arbitral ne remet pas un enregistrement n’invalide pas l’instance, dans le cadre de décisions en matière d’assurance-emploi.

[44] Tout de même, pour la forme ainsi que la protection de tous les participants, la DG aurait dû enregistrer l’instance en entier, particulièrement les discussions (alléguées) touchant les documents à admettre et la décision relative à la date de la PMA, même si celles-ci semblent avoir été tenues de manière plutôt informelle. Cela étant dit, je ne crois pas qu’on puisse qualifier de transgression importante à la justice naturelle le fait que la DG n’a pas documenté ses décisions ou enregistré la partie de l’audience durant laquelle ces décisions ont été prises. Il faut cependant se demander si un membre de la DG aurait accueilli l’appel s’il avait décidé d’admettre le texte de 40 pages, question à laquelle je dois répondre par la négative puisque, comme je l’ai expliqué précédemment, l’appelant avait eu d’autres occasions de déposer des observations complètes. De plus, toute lacune dans la façon dont la décision sur la PMA a été rendue est caduque puisque, en définitive, la date de la PMA a été calculée correctement. Pour ces motifs, je conclus que la DG n’a pas agi de manière contraire aux principes de justice naturelle.

[45] Enfin, je note que les réponses fournies par l’appelant et sa représentante dans leur lettre du 27 avril 2016 contenaient des arguments qui, essentiellement, récapitulaient les observations présentées à la DG et répétaient de nombreux motifs d’appel, notamment l’allégation de partialité et de non-compétence, qui avaient déjà été écartés dans la décision relative à la demande de permission d’en appeler rendue par la DA le 2 juin 2015. Une grande partie des observations de l’appelant et de sa représentante revenait à me demander de réévaluer la preuve sur le fond, ce que je ne peux faire compte tenu des restrictions prescrites au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS.

c) Réparation

[46] Puisque j’ai conclu que la DG n’a pas enfreint de règle de justice naturelle, je confirme sa décision.

Conclusion

[47] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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