Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

  • Appelante : Ruth Marques
  • Représentante de l’appelante : Lesley Tough
  • Représentants de l’intimé : Hasan Junaid et Julia Betts (stagiaire en droit)

Introduction

[1] Essentiellement, cette affaire a pour but de déterminer si une demande de réouverture de la décision du tribunal de révision au titre du Régime de pensions du Canada datant du 26 août 2003, présentée le 26 octobre 2006, en vertu du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada dans sa version antérieure au 1er avril 2013, est maintenant prescrite par l’effet du paragraphe 66(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) et du paragraphe 261(1) de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable (LECPD). Si ce n’est pas le cas, est-ce que la preuve déposée à l’appui de la demande de réouverture constitue un fait nouveau et essentiel conformément au paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS ?

[2] Il s’agit d’un appel de la décision rendue par la division générale le 20 mai 2014. La division générale a rejeté la demande de l’appelante de rouvrir la décision du tribunal de révision qui avait été rendue le 26 août 2003 au motif que celle-ci était prescrite, car elle n’a pas été présentée au plus tard un an après que la décision du tribunal de révision lui ait été communiquée en 2003. La division générale a aussi déterminé que la demande aurait été refusée, même si la demande n’était pas prescrite, car aucun élément de preuve présenté ne constituait un fait nouveau et essentiel qui n’aurait pas pu être découvert par diligence raisonnable au moment de l’audience devant le tribunal de révision en 2003.

[3] L’appelante a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel. La permission d’en appeler a été accordée le 9 février 2015 au motif que la division d’appel a peut-être commis une erreur de droit lorsqu’elle a déterminé que la demande d’annulation ou de modification était prescrite.

[4] Compte tenu de la complexité des questions de droit concernées, et à la demande des parties, l’appel a été tenu par vidéoconférence.

Questions en litige

[5] Les questions dont je suis saisie sont les suivantes :

  1. Y a-t-il lieu d’effectuer une analyse relative à la norme de contrôle lors de la révision de décisions de la division générale ?
  2. Est-ce que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a déterminé que la demande d’annulation ou de modification était prescrite conformément au paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS et au paragraphe 261(1) de la LECPD ?
  3. Si la demande d’annulation ou de modification n’est pas prescrite, est-ce que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a déterminé que la preuve à l’appui de la demande de « faits nouveaux », plus particulièrement, deux rapports médicaux d’un psychiatre, ne constituait pas des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le MEDS ?

Historique de l’instance

[6] L’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada le 11 avril 2002. L’intimé a refusé la demande au départ, puis à l’étape de la révision au moyen d’une lettre datée du 30 octobre 2002.

[7] L’appelante a interjeté appel de la décision découlant de la révision devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision le 30 novembre 2002. Un tribunal de révision du Régime de pensions du Canada a tenu une audience le 9 juillet 2003. Le tribunal de révision a conclu que l’appelante n’était pas invalide d’ici la fin de sa période minimale d’admissibilité, c’est-à-dire, d’ici le 31 décembre 2001. Le tribunal de révision a rejeté l’appel pour les raisons suivantes [traduction] :

[...] il est prématuré de dire que l’appelante est atteinte d’une invalidité permanente. Elle n’a déployé aucun effort pour se recycler ou pour postuler pour des emplois. L’appelante est très jeune, et sa fibromyalgie ne semble pas être à un stade avancé.

[8] L’appelante n’a pas présenté de demande de permission d’en appeler de la décision du tribunal de révision à la Commission d’appel des pensions.

[9] Le 11 janvier 2005, l’appelante a présenté une deuxième demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. L’intimé a rejeté cette deuxième demande au stade initiale et après révision, car il considérait la demande comme étant chose jugée. L’appelante a fait appel de la deuxième décision de révision devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. Le 22 août 2007, le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision a avisé les parties de la fermeture du dossier.

[10] Le 26 octobre 2006, l’appelante a présenté une demande de réouverture de la décision du tribunal de révision en vertu du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada dans sa version antérieure au 1er avril 2013. Initialement, elle a présenté quatre documents à l’appui de sa demande :

  1. Le 5 décembre 2005 – Lettre préparée par Susanna Scott à l’attention du tribunal de révision ;
  2. Le 29 juin 2005 – Lettre préparée par Dr Ramgoolam ;
  3. Le 9 juillet 2005 – Lettre préparée par Dr McGinn ;
  4. Le 20 mars 2006 – Lettre préparée par l’appelante établissant une chronologie pour les années 1998 à 2006 (GT1-252 à GT1-253).

[11] Le 23 août 2011, le représentant de l’appelante a présenté un rapport médical daté du 11 août 2011 et provenant du Dr Thomas Thompson, un psychiatre-psychanalyste (GT1-244 à GT1-246/GT1-255 à GT1-257). Le représentant a expliqué que l’appelante n’a jamais été recommandée à un psychiatre avant l’implication du représentant. Pour cette raison, elle n’avait pas de preuve en matière de psychiatrie à sa disposition.

[12] Le représentant de l’appelante a ensuite présenté un second rapport médical du Dr Thompson en date du 24 décembre 2012 (GT1-247).

[13] Le 1er avril 2013, la demande a été transférée au Tribunal de la sécurité sociale.

[14] Le 20 mai 2014, la division générale a rejeté l’appel en vertu du paragraphe 261(1) de la LECPD et du paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS. Le 25 août 2014, le représentant a présenté une demande de permission d’en appeler auprès de la division d’appel. J’ai accordé la permission d’en appeler le 9 février 2015. Les deux parties ont présenté des observations écrites. L’audience relative à l’appel de la décision de la division générale a été instruite devant la division d’appel le 16 octobre 2015. Les deux rapports du psychiatre sont cruciaux pour cet appel.

Décision du tribunal de révision

[15] La décision du tribunal de révision contient quatre pages (GT1-330 à GT1- 333).   Le tribunal de révision n’a pas pleinement exposé les éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais a indiqué qu’il y avait trois pièces, y compris un rapport médical du Dr C. Bourque daté du 20 mai 2003 et un article sur le trouble de stress post-traumatique daté du 9 juillet 2003. L’analyse indiquait également que le tribunal de révision avait tenu compte des avis médicaux des Drs A. Arneja et Lesiuk. L’analyse du tribunal de révision était comme suit [traduction] :

Dans sa déposition, elle a indiqué que son affection principale entraînant une incapacité, était le syndrome algique myofascial chronique et régionale avec fibromyalgie, ce qui, selon elle, l’a rend invalide conformément au Régime de pensions du Canada. La position Développement des ressources humaines du Canada est que bien qu’elle ne soit peut-être pas capable d’exercer sans ancien emploi comme aide-ménagère, elle devrait quand même être capable d’exercer un autre type de travail. Le tribunal n’avait aucune preuve qu’elle s’était cherché un autre emploi. Sa demande auprès de la Commission des accidents du travail a été refusée.

Elle a indiqué au Tribunal que ses plus gros problèmes étaient son bas du dos et son cou ainsi que d’autres problèmes entraînant une invalidité. Elle s’est également plainte de troubles de sommeil et d’une mémoire défaillante.

Il ne participe à aucun programme d’exercices progressifs, par conséquent, il est peut-être prématuré de dire qu’elle était invalide de façon permanente. Aucun élément de preuve ne permet de conclure que l’exercice est nuisible dans ses conditions, et en fait, dans la plupart des cas, cela constitue la base du traitement de ce type de problème de santé. Il est noté dans la documentation qu’un programme d’exercice est recommandé autant par Dr A. Arneja que par Dr Lesiuk.

Le Dr Lesiuk, à la page 67 de son rapport du 7 octobre 2002, indique que malgré son problème de santé, il ne s’attend pas à ce que ses maladies causent des obstacles importants concernant son emploi. Le Dr Arneja, à la page 75, indique qu’elle était encouragée à détenir un emploi véritablement rémunérateur.

Malgré la présentation soignée de la représentante de l’appelante au cours de laquelle elle a cité les décisions pertinentes auxquelles tenir compte, le tribunal estime qu’il est prématuré de dire que l’appelante est invalide de façon permanente. Elle n’a déployé aucun effort pour se recycler ou pour postuler pour des emplois. L’appelante est très jeune, et sa fibromyalgie ne semble pas être à un stade avancé.

[16] Le tribunal de révision a rejeté la demande et a confirmé la décision de l’intimé.

Décision de la division générale

[17] La division générale a conclu que la demande de réouverture de la décision du Tribunal de révision du Régime de pensions du Canada était prescrite, conformément au paragraphe 261(1) de la LECPD et au paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS. La division générale a écrit ce qui suit [traduction] :

[36] L’objet du paragraphe 261(1) [de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable] est clair. Le sens clair et évident de son libellé est de fournir une transition aux demandes, portant sur le paragraphe 84(2), qui n’ont pas été entendues par un tribunal de révision avant le 1er avril 2013. Pour ce faire, il considère que celles-ci ont été faites en application de l’article 66 de la Loi sur le MEDS et porte sur une décision rendue par le tribunal. Il fournit également une date — 1er avril 2013 — à laquelle elles sont réputées avoir été présentées.

[37] Le paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS prévoit ce qui suit :

(2) La demande d’annulation ou de modification doit être présentée au plus tard un an après la date où l’appelant reçoit communication de la décision.

Aucune exception ne peut être faite pour des demandes qui sont réputées avoir été présentées le 1er avril 2013, mais qui en fait ont été présentées plus tôt.

[38] Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’argument de la demanderesse selon lequel le but de la loi était uniquement de fournir un nouveau délai de 30 jours pour présenter des observations et des documents en lien avec les demandes présentées en vertu du paragraphe 84(2). Le fait que l’échéance du 1er avril 2013 est applicable à une disposition ne la rend pas inapplicable ou ambiguë par rapport à une disposition différente.

[39] Il est clair que, conformément au paragraphe 261(1) de la LECPD, une demande en vertu du paragraphe 84(2) du RPC qui n’a pas été entendu d’ici le 1er avril 2013 devient, à toutes fins utiles, une demande en vertu de l’art. 66 de la Loi sur le MEDS qui a été présentée le 1er avril 2013. Si cela concerne une décision qui a été communiquée à une personne avant le 1er avril 2012, celle-ci est prescrite en vertu du paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS, car elle n’a pas été présentée dans un délai d’un an.

[40] La décision du tribunal de révision datant de 2003 a été communiquée à la demanderesse le 26 août 2003. Par conséquent, sa demande d’annulation ou de modification est prescrite.

[41] Aussi sévère que ses dispositions peuvent sembler être à ceux qui ont présenté des demandes concernant l’art. 84(2) de bonne foi et avec l’intention de poursuivre leur processus, l’on ne peut pas les interpréter d’une autre façon, et le tribunal doit s’y conformer.

[18] La division générale a également tenté de déterminer si certains éléments de preuve présentés par l’appelante étaient des faits nouveaux qui n’auraient pas pu être connus par diligence raisonnable au moment de l’audience auprès du tribunal de révision en 2003. Elle a conclu que l’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le MEDS codifiait le critère précédant en vertu du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada pour ce qui constitue des « faits nouveaux » et que la jurisprudence qui a été établie concernant l’interprétation du paragraphe 84(1) du Régime de pensions du Canada s’appliquait également à l’interprétation du paragraphe 66(1) de la Loi sur le MEDS. Afin de satisfaire aux exigences du paragraphe 66(1), la division générale a indiqué qu’un demandeur doit démonter ce qui suit :

  1. a) Les éléments de preuve qui ont été présentés comme étant des faits substantiels nouveaux se rapportent à l’état de santé du demandeur à la fin de sa période minimale d’admissibilité ;
  2. b) L’information existait à l’époque de l’audience initiale auprès du tribunal de révision ou elle révèle un problème de santé qui n’était pas connu ou bien compris à l’époque ;
  3. c) Si l’information avait été disponible à l’époque de l’audience initiale auprès du tribunal de révision, il est raisonnable de s’attendre que celle-ci ait eu une incidence sur l’issue de l’audience ;
  4. d) L’information n’aurait pas pu être connue à l’époque de l’audience, malgré l’exercice d’une diligence raisonnable.

[19] La division générale ont écarté les affaires Canada (Procureur général) c. MacRae, 2008 CAF 82 et Kent c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 420 auxquelles l’appelante s’est référé, car la division générale a estimé que les éléments de preuve contenus dans les rapports du Dr Thompson n’ont pas révélé de problèmes de santé qui étaient inconnus ou mal compris à l’époque où l’appelante était atteinte des troubles particuliers qui avaient été identifiés par le Dr Thompson. Elle a également conclu que les médecins traitants de l’appelante ont reconnu qu’il y avait probablement une composante psychologique à sa douleur ainsi que des barrières psychologiques à son rétablissement.

[20] La division générale a également écarté l’affaire Ezerzer c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2006 CF 812, une autre décision sur laquelle l’appelante s’est fondée, en soulignant le fait qu’il n’y avait aucun élément de preuve à l’appui des conclusions du Dr Thompson selon lesquelles les symptômes qu’il a observés en 2010 et sur lesquels il a fondé son diagnostic, existaient également durant la période minimale d’admissibilité de l’appelante.

[21] La division générale a conclu qu’aucun élément de preuve présenté par l’appelante à l’appui de sa demande portant sur ses « faits nouveaux » ne satisfaisait aux exigences du paragraphe 66(1) de la Loi sur le MEDS.

[22] La division générale a rejeté la demande d’annulation ou de modification aux motifs que : (1) elle était frappée de prescription, puisqu’elle n’avait pas été présentée au cours de l’année après que la décision du tribunal de révision datant de 2003 ait été communiquée à l’appelante ; et (2) même si la demande n’avait pas été prescrite, aucun des éléments de preuve présentés ne constituait un fait nouveau qui n’aurait pas pu être connu malgré l’exercice d’une diligence raisonnable à l’époque de l’audience auprès du tribunal de révision en 2003.

Décision de la permission d’en appeler

[23] J’ai accordé la permission d’en appeler en fonction de deux moyens, à savoir que la division générale pourrait avoir :

  1. commis une erreur de droit lorsqu’elle a déterminé que la demande était prescrite, conformément au paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS ;
  2. commis une erreur de droit lorsqu’elle a interprété et appliqué la jurisprudence concernant les questions de « faits nouveaux ».

Première question en litige : Norme de contrôle

[24] L’intimé a présenté beaucoup d’observations écrites concernant cette question. Son représentant note que le libellé du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS reflète celui du paragraphe 115(2) de la Loi sur l’assurance-emploi (abrogée depuis). Étant donné que le libellé du paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS a été inspiré du libellé du paragraphe 115(2) de la Loi sur l’assurance-emploi (abrogée depuis) et étant donné la jurisprudence abondante, il semblait raisonnable, selon lui, que la division d’appel applique la même analyse relative à la norme de contrôle que celle effectuée par les juges-arbitres.

[25] Les représentants des deux parties s’entendent pour dire que la question à savoir si l’appel est prescrit est une question de droit et devrait être révisée selon la norme de la décision correcte, et que la question à savoir si les documents présentés à l’appui de la demande de « faits nouveaux » constituent des faits nouveaux, portent sur des questions mixtes de fait et de droit et devraient donc être révisés selon la norme de la décision raisonnable. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur ; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[26] L’opinion des représentants diverge sur le degré de déférence qui devrait être accordé aux conclusions de fait de la division générale, en tant que principal juge des faits. La représentante de l’appelante soutient que la justification est insuffisante pour accorder beaucoup, ou même juste un peu, de déférence à la division générale, puisque le présent appel est devant un tribunal administratif tout aussi spécialisé. Les appels devant la division d’appel ne sont pas entendus de novo, contrairement à ceux qui ont été tenus devant la Commission d’appel des pensions. Dans ce cas particulier, il n’y avait pas d’audience en personne devant la division générale, car l’appel a été fondé sur la foi du dossier, et cela, selon les observations écrites des parties. Elle soutient qu’il n’y a pas de justification permettant de limiter la prise en compte de la division d’appel des faits et du droit.

[27] Depuis, la Cour d’appel fédérale s’est prononcée sur cette question. Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a suggéré qu’une analyse de la norme de contrôle n’est pas adéquate lorsque la division d’appel examine des décisions rendues par la division générale. La Cour d’appel fédérale a approuvé cette approche dans la décision Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[28] La Cour d’appel fédérale suggère que puisqu’un pouvoir de contrôle et de surveillance des « offices fédéraux » est conféré en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales et du paragraphe 28(1) de la Loi sur les Cours fédérales, il n’y a pas de dispositions similaires dans la Loi sur le MEDS conférant à la division d’appel un pouvoir de contrôle et de surveillance.

[29] En dépit du fait que les cours ont traditionnellement soutenu que les juges-arbitres doivent mener une analyse relative à la norme de contrôle (même si la Loi sur l’assurance-emploi ne leur conférait pas un pouvoir de contrôle et de surveillance) et que les termes employés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS sont tirés du paragraphe 115(2) de la Loi sur l’assurance-emploi (abrogée depuis), la Cour d’appel fédérale indique qu’il faut se garder « d’emprunter à la terminologie et au génie propre du contrôle judiciaire dans un contexte d’appel administratif » et précise qu’un « tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les “offices fédéraux” ».

[30] Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans la décision Jean, le mandat de la division d’appel lui est conféré par les articles 55 à 68 de la Loi sur le MEDS, lesquels lui permettent d’entendre les appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS. Cette disposition énonce les moyens d’appel et le paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS énonce les pouvoirs de la division d’appel. Les seuls moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[31] La Cour d’appel fédérale a récemment fourni des précisions au sujet de cette question. Dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, la Cour d’appel fédérale a indiqué que [traduction] « détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois » (paragraphe 46). Bien que la décision s’inscrivait dans le contexte de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, chap. 27 (LIPR), faire le même exercice exigerait l’analyse du libellé de la Loi sur le MEDS, dans son contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonisent avec l’esprit de la Loi sur le MEDS et son objectif.

[32] Finalement, la Cour d’appel fédérale a déterminé dans l’affaire Huruglica que rien du libellé de la LIPR, lue dans le contexte du régime législatif et de ses objectifs, n’appuyait l’application de la norme de la décision raisonnable ou une erreur manifeste et dominante relative à des conclusions de fait erronées ou des erreurs mixtes de fait et de droit commises par la Section de la protection des réfugiés (SPR). Au paragraphe 78, la Cour d’appel fédérale a indiqué, dans son analyse, que [traduction] « la SAR [Section d’appel des réfugiés] doit intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit. Dans la pratique, cela signifie qu’elle doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. »

[33] Après avoir effectué son analyse législative, la Cour d’appel fédérale a conclu que, en ce qui concerne les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit, lesquelles ne soulèvent aucune question de crédibilité des témoignages oraux, la SAR doit réviser les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Après avoir étudié soigneusement la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de déterminer si, comme l’appelant l’a soutenu, la SPR a commis une erreur. Après avoir fait cela, la SAR doit fournir une décision finale, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en la mettant de côté et en la substituant pour sa propre décision sur le fond de l’appel relative à la demande d’asile. C’est seulement quand la SAR est d’avis qu’elle ne peut pas fournir une telle décision finale sans avoir entendu le témoignage oral présenté à la SPR que l’affaire peut être retournée à la SPR pour une révision. La Cour d’appel fédérale a déterminé qu’aucune autre interprétation des dispositions législatives pertinentes n’était raisonnable.

[34] Malgré la nature contraignante des observations qui m’ont été présentées sur la question de la norme de contrôle et la jurisprudence relative au paragraphe 115(2) de la Loi sur l’assurance-emploi (abrogée depuis), je dois me [traduction] « garder d’emprunter à la terminologie et au génie propre du contrôle judiciaire dans un contexte d’appel administratif » et me restreindre à déterminer si la division générale, dans l’instance dont je suis saisie, a rendu une décision entachée d’une erreur de droit lorsqu’elle a tranché sur la question à savoir si la demande de « faits nouveaux » était prescrite, et si tel était le cas, lorsqu’elle a par la suite déterminé si la preuve constituait des « faits nouveaux » au sens du paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS. Cette approche serait conforme aux principes prévus par la Cour d’appel fédérale dans les affaires Jean et Huruglica.

Deuxième question en litige : Est-ce que la demande de 2006 est prescrite ?

[35] Puisqu’un tribunal de révision du Régime de pensions du Canada n’avait pas décidé de rouvrir la demande avant le 1er avril 2013, celle-ci a été transférée au Tribunal de la sécurité sociale conformément au paragraphe 261(1) de la LECPD.

[36] Le représentant de l’intimé soutient que, lorsqu’elle est lue avec les dispositions transitoires du paragraphe 261(1) de la LECPD, la demande de réouverture du dossier est devenue prescrite une fois que le paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS est entré en vigueur le 1er avril 2013. En vertu du paragraphe 261(1) de la LECPD, toute demande présentée au titre du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 229 de la LECPD, et non tranchée avant le 1er avril 2013 est réputée être une demande présentée le 1er avril 2013 au titre de l’article 66 de la Loi sur le MEDS et est réputée se rapporter à une décision rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, dans le cas d’une décision rendue par un tribunal de révision.

[37] Le représentant de l’intimé soutient que, contrairement au paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, le paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS prévoit qu’une demande concernant des faits nouveaux doit être présentée au plus tard un an après la date où l’appelant reçoit communication de la décision. Les répercussions du paragraphe 261(1) de la LECPD et de l’article 66 de la Loi sur le MEDS sont que toutes les demandes de faits nouveaux qui sont en attente et qui sont relatives à des décisions qui ont été communiquées avant le 1er avril 2012 sont maintenant prescrites.

[38] La décision du tribunal de révision avait été communiquée à l’appelante le 26 août 2003. Sa demande de réouverture a été reçue par le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision le 26 octobre 2006. Cela était bien au-delà du délai d’un an en application du paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS. Le représentant de l’intimé soutient que, par conséquent, la demande de faits nouveaux de l’appelante est maintenant prescrite et doit être rejetée, car elle est considérée comme ayant été présentée, et en fait, elle a été présentée plus d’un an après que la décision originale du tribunal de révision lui ait été communiquée.

[39] En revanche, la représentante de l’appelante soutient que l’interprétation de la division générale va à l’encontre des règles d’interprétation législative, de toute notion de caractère raisonnable et équitable et de l’article 43 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21. Elle soutient également que l’interprétation porte atteinte à la présomption d’absence d’effet rétroactif et d’absence d’absurdité. Elle est d’avis que la Loi d’interprétation et les présomptions suggèrent que tout changement législatif devrait être interprété de manière à ce que les prestataires, comme l’appelante, ne soient pas pénalisés, et que plutôt, elles devraient être interprétées [traduction] « de façon à prolonger les nouvelles périodes pour présenter des observations et des documents pour les appels et les demandes d’annulation ou de modification de litiges déjà existants ou nouveaux, et cela, après le 1er avril 2013. » Elle soutient que cela devrait être particulièrement le cas lorsqu’un prestataire avait entrepris toutes les démarches avant le 1er avril 2013 pour que sa demande de réouverture soit entendue.

[40] En effet, l’appelante préconise que toutes les demandes présentées en vertu du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure au 1er avril 2013, devraient être assujetties à un délai de prescription débutant le 1er avril 2013, car cela mettrait tous les demandeurs sur un même pied d’égalité, puisqu’ils seraient tous soumis à un délai de prescription d’un an. De cette façon, la situation de l’appelante ne serait pas pire que celle d’un prestataire dont le droit de présenter une demande d’annulation ou de modification est survenu après que les changements législatifs sont entrés en vigueur.

a. Interprétation des lois

[41] La représentante de l’appelante soutient que, conformément aux règles d’interprétation des lois, la législation doit être claire et sans ambiguïté lorsqu’elle prive un individu de tout droit préexistant. À cet égard, la représentant fait valoir que les faits indiqués dans l’affaire Tabingo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 2013 CF 377 (confirmé en Autriche [connu également sous le nom de Tabingo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 2014 CAF 191]) se distinguent de ceux en l’espèce. Dans l’affaire Tabingo, l’intention du Parlement était de résorber un arriéré de demandes d’immigration en annulant certaines demandes dépassées qui n’avaient pas encore été traitées, en suivant plusieurs directives ministérielles qui avaient l’intention de diminuer les quotas et l’arriéré. Le paragraphe contesté est ainsi libellé :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, paragraphe 87.4(1)

Il a mis fin à toute demande de visa de résident permanent faite avant le 27 février 2008 au titre de la catégorie réglementaire des travailleurs qualifiés (fédéral) si, au 29 mars 2012, un agent n’a pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie.

[42] Dans l’affaire Tabingo, la cour fédérale a conclu que l’annulation de demandes existantes était manifestement le but du paragraphe 87.4(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). La représentante de l’appelante soutient que le paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS se distingue du paragraphe 87.4(1) de la LIPR, car il ne met pas expressément fin à des intérêts acquis. Alors que l’objectif sous-jacent du paragraphe 87.4(1) de la LIPR était de résorber un arriéré de demandes d’immigration, elle soutient que l’intention qui sous-tend le paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS était de rationaliser et d’accélérer le traitement des appels en imposant des dates ou des échéances pour présenter des documents ou des observations, et de fournir une nouvelle date de prescription pour les demandes d’annulation ou de modification. Elle a également soutenu que cela ne visait pas à priver les appelants existants de leurs droits.

[43] L’appelante soutient que la considération primordiale est celle de l’équité pour les parties. Il serait injuste d’interpréter rétroactivement la législation de telle sorte que cela abolirait ses droits de fond, par opposition à ses droits procéduraux, à ce que sa demande soit traitée. Elle soutient également qu’un tel résultat irait à l’encontre de la présomption contre l’absurdité.

[44] Les droits fondamentaux sont définis aux pages 699 et 700 de l’ouvrage intitulé Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes [traduction] :

L’existence et la teneur de tout droit d’action, droit d’interjeter appel ou droit de demander une révision judiciaire, ainsi que l’existence et la teneur d’excuses et de défenses sont considérées comme étant substantielles plutôt que procédurales.

. . .

Cependant, lorsque appliquer la nouvelle disposition a pour effet de soit abolir une action qui était encore viable lorsque la disposition est entrée en vigueur, soit relancer une action qui était prescrite, il n’y a pas que le temps qui est en jeux. Dans de tels cas, la disposition affecte les droits fondamentaux des parties et ne peut pas être considérée comme étant purement procédurale.

[45] La représentante de l’appelante note que, en respectant la présomption contre l’absurdité, les cours peuvent rejeter une interprétation en faveur d’une alternative plausible qui évite l’absurde, c’est-à-dire, des conséquences qui sont considérées comme étant contraires aux normes de justice acceptées ou au caractère raisonnable, et qui sont réputées avoir été involontaires (page 299 de Sullivan and Driedger).

[46] La représentante de l’appelante suggère que l’on doit présumer que la législature n’a pas l’intention d’imposer des conséquences absurdes et qu’il y a des raisons impérieuses d’appliquer la présomption contre l’absurdité. Au paragraphe 27 de la décision Rizzo et Rizzo Shoes Ltd.  Re) [1998] 1 R.C.S. 27, le juge Iacobucci écrit ce qui suit [traduction] « [s]elon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. » Dans la décision Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616, à la page 676, le juge Dickson a écrit ce qui suit [traduction] : « Nous devons donner aux deux articles une inter­prétation raisonnable et tâcher de les lire d’une façon qui a du sens et non pas d’y voir un non-sens. Nous devons avoir envers le Parlement la courtoi­sie de ne pas présumer aisément qu’il a édicté des incohérences ou des absurdités. » Au paragraphe 81 de la décision R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, la juge McLachlin (tel était son nom à l’époque) dans une opinion dissidente, a écrit ce qui suit [traduction] : « Bien que je reconnaisse, à l’instar du Juge en chef, que le législateur peut légiférer de façon illogique s’il le désire, je suis d’avis que les tribunaux ne devraient pas s’empresser de supposer qu’il a eu cette intention. En l’absence d’une indication claire du contraire, les tribunaux doivent imputer une intention rationnelle au législateur. » Finalement, au paragraphe 65 de la décision Ontario c. Canadien Pacifique ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, le juge Gonthier a écrit ce qui suit au n om de la majorité [traduction] : « Comme l’on peut présumer que le législateur ne cherche pas à créer par ses lois des résultats injustes ou inéquitables, il faut adopter les interprétations judiciaires qui permettent d’éviter de tels résultats. »

[47] La représentante de l’appelante soutient que non seulement les conséquences absurdes devraient être évitées, mais que l’on devrait également présumer que la législature [traduction] « [n’avait] pas l’intention d’abolir, de limiter ou de porter atteinte aux droits des sujets » (page 476 de Sullivan and Driedger). La représentante de l’appelante soutient que le Parlement ne pouvait avoir eu l’intention d’abolir purement les demandes de ceux qui n’étaient pas sujets à un empêchement prévu par la loi, tout en acceptant que les nouveaux prestataires, assujettis à un délai de prescription d’un an, soient capables de poursuivre leur demande d’annulation ou de modification, car cela créerait deux types de prestataires et entrainerait des traitements incohérents et inéquitables entre les deux. Elle affirme que laLoi d’interprétation s’applique dans tous les cas pour ne pas devoir rouvrir la demande d’un appelant.

b. Loi d’interprétation

[48] La représentant de l’appelante soutient que l’appelante a acquis le droit que son appel soit examiné lorsqu’elle a présenté sa demande de réouverture conformément au paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure au 1er avril 2013, bien avant que le paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS soit entré en vigueur.   Elle soutient également que, conformément à l’article 43 de la Loi d’interprétation, lorsqu’une disposition, telle que le paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure au 1er avril 2013, est abrogée, l’abrogation n’affecte par les droits ou privilèges existants, acquis, nés ou à naître, y compris le droit que l’appel de l’appelante soit jugé.

[49] L’article 43 de la Loi d’interprétation indique ce qui suit :

Effet de l’abrogation

43 L’abrogation, en tout ou en partie, n’a pas pour conséquence :

  1. a) de rétablir des textes ou autres règles de droit non en vigueur lors de sa prise d’effet ;
  2. b) de porter atteinte à l’application antérieure du texte abrogé ou aux mesures régulièrement prises sous son régime ;
  3. c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé ;
  4. d) d’empêcher la poursuite des infractions au texte abrogé ou l’application des sanctions — peines, pénalités ou confiscations — encourues aux termes de celui-ci ;
  5. e) d’influer sur les enquêtes, procédures judiciaires ou recours relatifs aux droits, obligations, avantages, responsabilités ou sanctions mentionnés aux alinéas c) et d).

Les enquêtes, procédures ou recours visés à l’alinéa e) peuvent être engagés et se poursuivre, et les sanctions infligées, comme si le texte n’avait pas été abrogé.

(Souligné par mes soins)

[50] La représentante de l’appelante soutient que les faits de cet appel sont semblables à ceux de l’affaire Scott c. College of Physicians and Surgeons, [1992] CanLII 2751 (SK CA), dans laquelle Scott, dont le nom a été rayé du registre des professionnels de la santé à défaut de paiement des frais, a présenté une demande en octobre 1986 pour que son nom soit réinscrit. Le registre a rejeté sa demande au motif que le délai était écoulé à la lumière d’une modification apportée à la Medical Profession Act qui est entrée en vigueur seulement quelques jours avant la demande de Scott. Avec la modification, les médecins ne devaient plus présenter de demande pour être réinscrits moins d’un an après avoir été rayés du registre, sinon, ils seraient traités comme de nouveaux demandeurs. La cour d’appel de la Saskatchewan a appliqué les dispositions de la Loi d’interprétation de la Saskatchewan, qui est identique à l’article 43 de la Loi d’interprétation du Canada, et a déterminé si la position de Scott était [traduction] « suffisamment avancé pour l’intégrer aux dispositions restrictives de l’alinéa 23(1)c) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1978, ch. I-11 », que lorsqu’une abrogation n’a pas pour conséquence de porter atteinte aux [traduction] « droits, privilèges ou aux responsabilités acquises, nées, à naître ou encourues ».

[51] La cour d’appel a conclu que le principe de non-ingérence avec des droits acquis ou nés est bien établi et qu’en l’espèce, le nouveau délai de prescription d’un an n’enlevait donc pas le droit de Scott d’être réinscrit en vertu des règles antérieures. À la page 17, il a écrit ce qui suit [traduction] :

Puisque les cours se sont retrouvées sans définition, elles ont établi deux critères ou facteurs qui les aideront à déterminer si un droit est acquis, né, à naître ou encouru. Premièrement, on doit établir un droit juridique tangible ou particulier, le droit ne peut pas être abstrait, il doit être plus qu’une possibilité, plus qu’une simple anticipation. Deuxièmement, on doit établir que le droit a été suffisamment exercé ou renforcé avant l’abrogation du texte législatif afin de justifier sa protection.

[52] En d’autres termes, la cour d’appel a conclu que l’abrogation de la Medical Profession Act ne s’appliquait pas rétroactivement à Scott, en vertu de la Loi d’interprétation.

Conclusions tirées sur la question d’empêchement prévu par la loi

[53] Si je devais accepter les observations de l’intimé selon lesquelles je devrais faire une interprétation rigoureuse et littérale du paragraphe 261(1) de la LECPD et de l’article 66 de la Loi sur le MEDS, les articles devraient être suffisamment clairs pour annuler les demandes présentées en vertu du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure au 1er avril 2013, et ils ne devraient pas non plus être ouverts à toute autre interprétation. Comme l’a fait valoir la représentante de l’appelante, contrairement au paragraphe 87.41(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ni le paragraphe 261(1) de la LECP, ni l’article 66 de la Loi sur le MEDS n’indique expressément l’annulation des demandes présentées avant le 1er avril 2013. Si le Parlement avait eu l’intention d’annuler les demandes présentées en vertu du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure au 1er avril 2013, il aurait certainement prévu à cet effet. Ni le paragraphe 261(1) de la LECPD ni l’article 66 de la Loi sur le MEDS ne précise expressément que [traduction] « les demandes de réouverture doivent être annulées » ou n’emploie des mots dans ce sens, comme il a été le cas dans l’affaire Autriche.

[54] Dans l’affaire Dikranian c. Québec, [2005] 3 R.C.S. 530, la Cour suprême du Canada a soutenu que la première étape devrait être de déterminer l’intention du législateur, et pour ce faire, elle doit tenir compte de tous les principes d’interprétation des dispositions législatives, y compris les présomptions telles que la présomption d’absence d’effet rétroactif, la présomption d’absence d’interférences des droits acquis et la présomption d’absence d’absurdité. La représentante de l’appelante soutient qu’en l’espèce, le Parlement visait seulement à apporter des changements aux procédures, et cela, en imposant de nouveaux délais qui n’existaient pas auparavant plutôt qu’en annulant des demandes d’appel existantes. Dans une certaine mesure, l’intimé est d’accord que la création du Tribunal de la sécurité sociale avait pour but de simplifier le processus. Le représentant de l’intimé note qu’à la deuxième lecture du projet de loi C-38, qui propose des modifications à la Partie 5 de la Loi sur le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, comme on la désignait à l’époque, le secrétaire parlementaire du ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences et du ministre du Travail a indiqué que le Tribunal de la sécurité sociale devait offrir un [traduction] « guiche unique, qui est plus efficace et facilite aux Canadiens l’accès aux appels et au processus d’appel [...] ».

[55] Dans l’affaire Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, la Cour d’appel fédérale a déterminé que la création du Tribunal de la sécurité sociale [traduction] « visait à offrir des mécanismes d’appel plus efficaces, plus simples et plus rationnels pour les décisions du Régime de pensions du Canada, de la Sécurité de la vieillesse et de l’assurance-emploi en offrant un guichet unique où l’on peut interjeter appel ».

[56] Bien que la représentante de l’appelante n’y a pas fait allusion, une interprétation stricte des paragraphes 261(1) et 66(2) de la Loi sur le MEDS serait également incompatible avec l’objectif sous-jacent du Régime de pensions du Canada.Dans l’arrêt Granovsky c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703, la Cour suprême a affirmé ce qui suit [traduction] :

Le [Régime de pensions du Canada] est un régime d’assurance sociale destiné aux Canadiens privés de gains en raison d’une retraite, d’une déficience ou du décès d’un conjoint ou d’un parent salarié. Il s’agit non pas d’un régime d’aide sociale, mais plutôt d’un régime contributif dans lequel le législateur a défini à la fois les avantages et les conditions d’admissibilité, y compris l’ampleur et la durée de la contribution financière d’un requérant.

[57] Il est inconcevable que le Parlement ait prévu les conséquences d’une interprétation stricte et littérale, car cela porterait atteinte aux objectifs sous-jacents du Régime de pensions du Canada.

[58] Il est moins raisonnable, sinon absurde, de croire que le paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS devrait s’appliquer aux demandeurs auxquels les décisions ont été communiquées avant le 1er avril 2013, car, cela entraînerait l’annulation de telles demandes, même si elles avaient été correctement présentées avant le 1er avril 2013. Il n’y a aucune logique ou raison particulière pour lesquelles la demande d’un demandeur qui a présenté correctement une demande de réouverture d’un appel avant le 1er avril 2013 serait annulée. L’appelante a présenté sa demande de réouverture le 26 octobre 2006. Bien que c’était plus de 2 ans et demi après que la décision du tribunal de révision lui ait été communiquée, il n’y avait pas d’exigences législatives en place à cette époque. Si le paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS devait s’appliquer de façon stricte, cela semble mener à un résultat injuste selon lequel la demande d’un demandeur qui respecte les dispositions du Régime de pensions du Canada serait annulée pour des raisons apparemment arbitraires, sans justification apparente, à l’exception du fait qu’un nouvel ensemble de lois est entré en vigueur.

[59] Parallèlement, je trouve que les circonstances de fait de cet appel sont similaires à celles dans l’affaire Scott, et que l’article 43 de la Loi d’interprétation s’applique. L’effet de l’abrogation du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure au 1er avril 2013, est qu’il n’affecte pas le droit de l’appelante à ce que sa demande de réouverture soit examinée. Cela est ainsi malgré le fait que le paragraphe 6692) de la Loi sur le MEDS est entré en vigueur avant que sa demande ait pu être considérée, quoique plus de 6 ans après qu’elle ait présenté sa demande de réouverture.

Troisième question en litige : Faits substantiels

[60] Ayant conclu qu’une demande de réouverture présentée conformément au paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure au 1er avril 2013, n’est pas prescrite par l’application du paragraphe 261(1) de la LECPD et du paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS, je dois déterminer si la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la preuve présentée à l’appui de la demande de l’appelante ne constituait pas des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le MEDS.

[61] Je dois scrupuleusement éviter de procéder à une révision de la preuve, car les compétences de la division d’appel se limitent à déterminer si la division générale a pu avoir commis une erreur de droit ou avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Cet appel ne comporte pas de révision pour déterminer si les éléments de preuve supplémentaires constituent des « faits nouveaux » en vertu de la Loi sur le MEDS. Plutôt, je dois déterminer si, comme le prétend l’appelante, la division générale a commis une erreur ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée. La division générale a énuméré les exigences auxquelles l’appelante doit satisfaire en vertu de l’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le MEDS. Les parties sont d’accord sur le fait que l’appelante devait établir (1) que les éléments de preuve existaient au moment de l’audience initiale, mais qu’il n’était pas « possible de les découvrir », c’est-à-dire, que cela révèle une condition qu’était pas bien connu ou bien compris à l’époque, et (2) que l’on doit raisonnablement s’attendre à ce qu’ils influencent le résultat de l’audition précédente.

[62] La représentante de l’appelante soutient que la division générale a fondé sa décision sur deux conclusions de faits erronées. Les deux conclusions de fait erronées étaient les suivantes :

  1. a) Des éléments de preuve considérables concernant des barrières psychologiques ont été présentés au tribunal de révision ;
  2. b) Les symptômes sur lesquels le Dr Thompson a fondé son diagnostic n’étaient pas documentés avant la période minimale d’admissibilité.

[63] La représentante de l’appelante a également fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a déterminé que les deux rapports médicaux du Dr Thompson, datés du 11 août 2011 et du 24 décembre 2012, ne constituaient pas de nouveaux faits substantiels qui n’auraient pas pu être connus au moment de l’audience, malgré l’exercice d’une diligence raisonnable. Elle soutient que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a donné une interprétation trop stricte de l’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le MEDS, contrairement à l’affaire Kent.

[64] La représentante de l’appelante soutient que la division générale a également commis une erreur de droit lorsqu’elle n’a pas tenu compte du fait que la réinterprétation des symptômes effectuée par un expert après que le tribunal de révision ait rendu sa décision peut néanmoins être admissible à titre de « faits nouveaux » : affaire MacRae.

[65] Par ailleurs, le représentant de l’intimé soutient que la disposition relative aux faits nouveaux est un recours exceptionnel : Canada (Procureur général) c. Jagpal, [2008] CAF 38, au paragraphe 27. La cour fédérale indique que [traduction] « [l]a disposition doit être interprétée de manière à ce que les parties qui soit étaient liées par la décision définitive qui fait présentement l’objet d’une nouvelle contestation, soit pouvaient à bon droit se fonder sur elle, bénéficient de l’équité procédurale ». La disposition représente une exception au principe du caractère définitif qui caractérise les décisions judiciaires et quasi judiciaires. Le représentant de l’intimé soutient qu’une approche [traduction] « large et libérale » relative à la découvrabilité irait [traduction] « à l’encontre du but visé des faits nouveaux ». En particulier, cela permettrait à un demandeur dont les droits d’appel ont depuis longtemps été épuisés ou abandonnés pour présenter des éléments de preuve acquis ultérieurement, de rouvrir un dossier que le Parlement avait clairement considéré comme final et exécutoire.

a. Conclusions de fait erronées

[66] La première des présumées conclusions de fait erronées est celle selon laquelle la division générale a conclu qu’une preuve considérable concernant les barrières psychologiques avait été présentée au tribunal de révision. La deuxième conclusion de fait erronée est celle selon laquelle les symptômes sur lesquelles le Dr Thompson a fondé son diagnostic n’étaient pas documentés avant la période minimale d’admissibilité.

[67] La division générale n’a pas indiqué expressément qu’une [traduction] « preuve considérable » de barrières psychologiques avait été présentée au tribunal de révision, bien que le membre a conclu que plusieurs des médecins qui ont examiné l’appelante de 1999 à 2002 ont identifié des problèmes de santé chez l’appelante (paragraphe 50) et que des médecins traitants ont reconnu qu’il y avait probablement une composante psychologique à sa douleur, ainsi que des barrières psychologiques à son rétablissement (paragraphe 51). Au paragraphe 50, la division générale a identifié certains éléments de preuve qui ont été présentés au tribunal de révision. Compte tenu du fait qu’il y avait un fondement probatoire à ses conclusions, on ne saurait affirmer que la division générale a tiré une conclusion de fait erronée sur ce point, sans tenir compte de la preuve qui lui a été présentée.

[68] Pour ce qui est de la deuxième conclusion, la représentante de l’appelante soutient que la division générale a commis une erreur, car en fait, les symptômes les plus importants sur lesquels le Dr Thompson a fondé ses trois diagnostics psychiatriques sont clairement documentés dans les rapports médicaux qui ont été présentés au tribunal de révision :

  1. a) Douleur de nature diffuse – cela a été signalé par le Dr Ramgoolam (GT1-376 à GT1-377 et GT1-407 à GT1-410), et le Dr Lesiuk, psychiatre (GT1- 416 à GT1-429) ;
  2. b) Anxiété – cela a été signalé par le Dr Arneja, psychiatre, et possiblement par le Dr Ramgoolam qui, selon le représentant, prétend avoir détecté [traduction] « que l’anxiété s’est manifestée d’une certaine façon » (AD6-18 ; GT1-376 à GT1-377 et GT1-407 à GT1-410). Le Dr Arneja a également recommandé que l’appelante soit évaluée par un psychologue et qu’elle devrait peut-être suivre un programme de gestion de la douleur comportementale (GT1-435 à GT1-437) ;
  3. c) Insomnie – au cours de l’année 2000, on a prescrit de la cyclobenzaprine à l’appelante, un somnifère (GT1-436 à GT1-437). En octobre 2002, même si elle ne prenait apparemment aucun médicament à cette époque, elle s’est plainte de ce que le Dr Lesiuk décrit comme étant [traduction] « un dysfonctionnement constant du sommeil » (GT1-428) ;
  4. d) Mémoire défaillante et difficulté à se concentrer ;
  5. e) Profonde fatigue – le Dr Ramgoolam a indiqué que la sinusite chronique de l’appelante entraînait, entre autres, de la fatigue (GT1-408).

[69] L’appelante s’est plainte d’une mémoire défaillante et de difficulté à se concentrer dans le questionnaire qui accompagnait sa demande de pension d’invalidité (GT1-283 à GT1- 289). La représentante de l’appelante a également noté que le tribunal de révision a pris connaissance des plaintes de l’appelante concernant ses troubles de sommeil et sa mémoire défaillante (GT1-332). La représentante de l’appelante a également noté que, bien que le Dr Bourque, un neurologue, n’a pas détaillé les plaintes de l’appelante, il a écrit que [traduction] « Elle [...] s’est plaint d’un grand nombre de symptômes somatiques pouvant être liés au diagnostic de la fibromyalgie » (GT1-335).

[70] La représentante de l’appelante soutient que le tribunal ne devrait pas conclure rapidement que certains des symptômes (tels que les engourdissements et les fourmillements, l’essoufflement, les problèmes de mémoire et la fatigabilité) ne pouvaient pas exister avant 2010 s’ils n’ont pas été documentés correctement. Elle soutient que, souvent, les médecins ne documentent que les symptômes qu’ils considèrent être les plus importants ou ils documentent les symptômes seulement en employant des [traduction] « termes vagues ». La représentante de l’appelante soutient que les symptômes documentés par le Dr Thompson étaient tous présents avant la fin de la période minimale d’admissibilité.

[71] Le Dr Thompson a vu l’appelante pour la première fois le 27 décembre 2010. Il a indiqué que son diagnostic était fondé sur [traduction] « un certain nombre de symptômes ». Il a énuméré certains d’entre eux, et a également indiqué que certains des symptômes étaient causés par la douleur physique que l’appelante a décrite. Bien qu’il ait trouvé que la source de la psychopathologie de l’appelante était un accident de travail en 1998, il n’a pas indiqué s’il avait révisé les rapports médicaux d’autres médecins. En effet, il ne semble pas avoir révisé les antécédents médicaux de l’appelante avec elle, de manière à déterminer quels symptômes elle aurait pu avoir présentés à la fin de sa période minimale d’admissibilité ou vers cette date.

[72] Au paragraphe 56, la division générale a écrit qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve à l’appui des conclusions du Dr Thompson selon lesquelles les symptômes qu’il a observés en 2010 et sur lesquelles il a fondé son diagnostic existaient également pendant la période minimale d’admissibilité de l’appelante. Cependant, selon le paragraphe 54 de sa décision, il est clair que la division générale s’est attardée à un ensemble très spécifique de symptômes. La division générale a écrit qu’aucun des médecins consultés par l’appelante à partir de 1998, lorsqu’elle a été blessée, jusqu’à l’audience de 2003 devant le tribunal de révision, n’a observé les symptômes que le Dr Thompson a observés en 2010 et par la suite. La division générale a ensuite énuméré ces symptômes spécifiques comme étant l’insomnie accompagnée de cauchemars, crises de larmes, crises de panique quotidiennes accompagnées de nausées, évanouissements, gênes respiratoires et dyspnée, faible énergie, manque de concentration et acouphène. La représentante de l’appelante n’a pas laissé entendre que les médecins de l’appelante avaient en fait documenté ces symptômes spécifiques avant la fin de sa période minimale d’admissibilité. On ne saurait affirmer que la division générale a tiré une conclusion de fait erronée sur ce point.

[73] Essentiellement, la position de l’appelante est que ses symptômes documentés au début étaient suffisants pour dresser le diagnostic établi par le Dr Thompson, particulièrement lorsqu’elle a indiqué que [traduction] « de toute évidence, certains des symptômes signalés auraient appuyé ce diagnostic » et que la plupart des [traduction] « symptômes manquants » auxquels la division générale s’est référée étaient en fait des symptômes de crises de panique ou de crises d’anxiété. Il s’agit d’une tout autre question. Le Dr Thompson a indiqué que son diagnostic était fondé sur un certain nombre de symptômes. Même si, certainement, l’appelante présentait plusieurs symptômes avant la fin de sa période minimale d’admissibilité, c’était la combinaison de ces symptômes avec les autres symptômes qu’elle présentait ou dont elle s’est plainte au Dr Thompson qui ont menés au diagnostic. Le fait que l’appelante présentait plusieurs symptômes avant la fin de sa période minimale d’admissibilité n’aurait peut-être pas été suffisant pour mener au diagnostic établi par le Dr Thompson. Bien qu’il se peut que les médecins ne documentent pas entièrement l’ensemble des plaintes des patients, l’on peut généralement s’attendre à ce que les médecins, à un moment donné, et si les symptômes sont importants ou suffisamment graves, analysent ou du moins mentionne ceux-ci dans les rapports. Je ne suis pas disposée à accepter, comme l’encourage la représentante de l’appelante, de conclure que les médecins de l’appelante ont simplement négligé de documenter plusieurs des symptômes énoncés dans le rapport du Dr Thompson daté du 8 août 2011. Quand bien même ce serait le cas, si ces symptômes avaient été présents au moment où elle a vu le tribunal de révision, leur présence n’aurait pas nécessairement indiqué ou reflété la sévérité de son invalidité à ce moment en particulier. Finalement, l’appelante a indiqué qu’elle avait remarqué la progression de ses symptômes au cours de la dernière année. Il se pourrait que ses symptômes aient continué à progresser.

b. Erreurs de droit

[74] La représentante de l’appelante soutient que bien que la division générale a noté les symptômes de l’appelante, elle les a soit mal interprétés ou elle n’a pas saisi leur importance globale ou leur contribution à la gravité de l’invalidité de l’appelante. La représentante soutient que dans le cas de maladies mentales, les symptômes peuvent facilement être mal interprétés par des témoins qui ne sont pas des experts ou ceux-ci ne sont parfois tout simplement pas décelés. La représentante de l’appelante fait valoir que les problèmes de santé mentale de l’appelante n’ont pas fait l’objet d’un examen complet ou d’une interprétation complète avant 2010, lorsqu’elle a consulté le Dr Thompson. C’est seulement après l’évaluation et le diagnostic du Dr Thompson en 2010 que les symptômes de l’appelante, qu’elle avait signalés auparavant, ont pu être interprétés correctement. La représentante indique également que ces conditions, c’est-à-dire, le trouble dépressif majeur, la dépression majeure, le trouble panique et le trouble de la douleur chronique, n’étaient pas connus à l’époque de l’audience devant le tribunal de révision, mais elles sont cruciales pour déterminer la gravité de l’invalidité de l’appelante.

[75] La représentante de l’appelante soutient que sans le diagnostic approprié et une certaine compréhension de leur impact sur l’appelante, le tribunal de révision n’avait aucun fondement pour conclure que l’appelante souffrait de plusieurs troubles mentaux et qu’elle était atteinte d’une invalidité grave. Elle indique que, en effet, le tribunal de révision n’a pas accordé suffisamment d’importance aux symptômes à tel point qu’il n’en a même pas fait mention dans sa décision. La représentante de l’appelante fait valoir que le tribunal de révision n’aurait pas pu être au courant des troubles mentaux sous-jacents de l’appelante, bien qu’il est clair qu’ils existaient à cette époque. La représentante de l’appelant soutient que le tribunal de révision n’a pas tenu compte d’aucun trouble psychiatrique, malgré le fait que l’intimé ait demandé si un renvoi à un psychiatre avait été fait, et malgré les plaintes de l’appelante et les symptômes documentés.

[76] De la sorte, la représentante de l’appelante soutient que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a donné une interprétation trop stricte des décisions Kent et MacRae. Elle soutient que la division générale aurait dû adopter une approche large et généreuse pour déterminer la diligence raisonnable et le caractère substantiel en ce qui concerne les troubles mentaux de l’appelante. Aux paragraphes 35 et 36 de l’affaire Kent, la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit [traduction] :

[35] Dans une demande de réexamen d’une décision se rapportant au droit à des prestations selon le Régime de pensions du Canada, le critère permettant de dire s’il y a ou non des faits nouveaux devrait être appliqué d’une manière qui soit suffisamment souple pour mettre en équilibre d’une part l’intérêt légitime du ministre dans le caractère définitif des décisions et la nécessité d’encourager les requérants à mettre toutes leurs cartes sur la table dès que cela leur est raisonnablement possible et, d’autre part, l’intérêt légitime des requérants, qui sont en général autoreprésentés, à ce que leurs réclamations soient évaluées au fond, et d’une manière équitable. Selon moi, ces considérations requièrent en général une approche libérale et généreuse lorsqu’on se demande s’il y a eu diligence raisonnable et si les faits nouveaux sont de nature substantielle.

...

[36] […] Cependant, il est des cas d’invalidité, par exemple ceux qui résultent d’affections physiques et mentales, qui ne sont pas bien compris des médecins, et qui doivent être évalués à la faveur d’une compréhension progressive de l’état du patient, des traitements appliqués et du pronostic émis. Il est particulièrement important, dans ces cas, de s’assurer que la règle des faits nouveaux n’est pas appliquée d’une manière indûment rigide, qui priverait un requérant du droit à ce que sa réclamation soit évaluée au fond, d’une manière équitable.
(Souligné par mes soins)

[77] Dans l’affaire MacRae, la Cour d’appel fédérale a noté que bien que le prestataire montrait des signes distincts de troubles anxieux immédiatement après son accident, ce n’est que plus tard que l’on a reconnu qu’il aurait fallu accorder plus d’attention à sa santé mentale plutôt qu’à son problème de dos. La Cour d’appel fédérale a écrit qu’on ne peut pas blâmer M. MacRae pour le fait que son médecin n’a pas diagnostiqué l’impact qu’a eu l’accident sur sa santé mentale à l’époque.

[78] En citant MacRae, la division générale a soutenu que si les « faits nouveaux » proposés ne faisaient que réitérer ce qui était déjà connu ou ce qui a déjà été diagnostiqué, on ne peut pas dire que cela aurait eu une incidence sur l’issue de l’audience précédente, et ils ne seraient donc pas considérés comme étant des faits substantiels. La division générale a conclu que, contrairement aux décisions Kent et MacRae, les éléments de preuve contenus dans les rapports du Dr Thompson [traduction] « [ne] révélaient pas de condition qui était inconnue ou mal-comprise [sic] au cours de la [période minimale d’admissibilité] de l’appelante ». La division a déterminé que bien qu’il n’y avait pas de diagnostic médical définitif, les médecins traitants de l’appelante ont reconnu qu’il y avait probablement une composante psychologique à la douleur de l’appelante et des barrières psychologiques à son rétablissement (paragraphe 51).

[79] La division générale a conclu que les diagnostics effectués par le Dr Thompson ne décrivaient pas et ne présentaient pas une [traduction] « compréhension évolutive » des conditions qui étaient présentes au cours de la période minimale d’admissibilité de l’appelante. La division générale a déterminé que le Dr Thompson aurait dû avoir indiqué ce qu’il connaissait des expériences de l’appelante ou de toute intervention médicale entre 1998 et la première fois qu’il a rencontré l’appelante vers la fin de 2010 qui auraient pu constituer la base sur laquelle s’appuyait son opinion (paragraphe 53). La division générale a conclu qu’aucun des médecins consultés par l’appelante (depuis l’époque de son accident en 1998 jusqu’à l’audience de 2003 devant le tribunal de révision) [traduction] « n’ont observé des symptômes semblables » à ceux décrits par le Dr Thompson. Plus particulièrement, la division générale a noté qu’à l’exception de la fatigue, l’appelante n’a pas indiqué qu’elle souffrait d’insomnie accompagnée de cauchemars, de crises de larmes, de crises de panique quotidiennes accompagnées de nausées, d’évanouissements, de gênes respiratoires et de dyspnée, d’une énergie faible, d’un manque de concentration et d’acouphène (paragraphe 54).

[80] La jurisprudence subséquente des cours fédérales a fourni des précisions supplémentaires sur la façon dont les décisions Kent et MacRae devraient s’appliquer.

[81] Dans l’affaire Gaudet c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 59, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un diagnostic différent du problème de santé [traduction] « ne pouvait en soi améliorer les chances de la demanderesse de recevoir une pension d’invalidité si elle ne soumettait pas des éléments de preuve convaincants démontrant qu’elle était invalide au sens du [Régime de pensions du Canada] à la date à laquelle la [période minimale d’admissibilité] avait pris fin ». La Cour d’appel fédérale a conclu que les symptômes avaient été [traduction] « bien observés et étudiés à fond ».

[82] L’approche adoptée par la cour fédérale dans l’affaire Taker c. Canada (Procureur général), 2011 CF 561, pour donner suite aux décisions Kent et MacRae, est que [traduction] « les rapports médicaux postérieurs à l’audience initiale peuvent être considérés comme des “faits nouveaux” lorsqu’ils ajoutent quelque chose aux renseignements qui ont d’abord été présentés quant à l’état qui existait à la date de l’audience ». Dans l’affaire Taker, le tribunal a déterminé qu’aucun des rapports postérieurs à la décision, n’ajoutait quelque chose aux problèmes de santé qui avait été examinés de façon exhaustive dans la décision initiale. La demanderesse avait présenté des éléments de preuve supplémentaires seulement pour un des problèmes de santé. Le tribunal a conclu que la demanderesse, en l’espèce, n’avait pas démontré [traduction] « que l’un ou l’autre des nouveaux éléments de preuve permettait de mieux comprendre pourquoi elle ne pouvait travailler, tel qu’il est mentionné dans la décision initiale ».

[83] La Cour d’appel fédérale a tenu compte à la foi des décisions Kent et MacRae dans l’affaire Walker c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 189. Elle a soutenu que les raisons de la Commission d’appel des pensions ont révélé un examen qui avait pour but de déterminer si le diagnostic de l’apnée du sommeil pourrait avoir eu une influence sur la décision antérieure en ce qui a trait au degré d’invalidité avant la date de sa période minimale d’admissibilité. La Cour d’appel fédérale a déterminé que la conclusion selon laquelle le diagnostic récent d’apnée du sommeil de M. Walker ne constituait pas des « faits nouveaux » était raisonnable. Dans cette affaire, la demande initiale de prestations portait principalement sur les maux de dos et les problèmes musculaires de M. Walker, mais la cour a conclu qu’on ne pouvait pas affirmer que l’incapacité à considérer un diagnostic d’apnée du sommeil l’a empêché de présenter un rapport complet concernant son invalidité au moment de la demande. La cour s’est également empressée de souligner les conclusions de la Commission d’appel des pensions selon lesquelles [traduction] « [c]e n’est pas le diagnostic d’apnée du sommeil qui importe, mais plutôt l’incidence de l’absence de sommeil réparateur sur la capacité de travailler du requérant ».

[84] D’une part, je devrais examiner si la division générale a déterminé si les nouveaux éléments de preuve ont fourni des précisions quelconques, mais en même temps, je dois déterminer si la division générale a examiné si l’absence de diagnostic de dépression majeure, de trouble dépressif majeur, de trouble panique et de troubles de la douleur chronique a empêché l’appelant de présenter un rapport complet concernant son invalidité au moment de la demande et de l’audience devant le tribunal de révision. Si ce n’est pas le cas, la division générale n’a alors pas appliqué correctement les décisions Kent et MacRae.La division générale n’était pas convaincue que les nouveaux éléments de preuve fournissaient des précisions. En fait, elle a soulevé la question à savoir si l’appelante avait plusieurs des symptômes qu’elle a signalés au Dr Thompson. De manière significative, la division générale a conclu que [traduction] « Bien que l’on ne peut pas s’attendre à ce que [l’appelante] ait compris leurs causes, elle aurait du moins été capable de déclarer, en 2003 et avant cela, qu’elle souffrait de crises de larmes, de nausées, de crises de panique et de dyspnée si elle était réellement atteinte de ces problèmes ». En d’autres termes, indépendamment du diagnostic précis, cela n’aurait tout de même pas empêché l’appelante de présenter un rapport complet de son invalidité à ses professionnels de la santé.

[85] La représentante de l’appelante soutient aussi que la division générale a commis une erreur en n’appliquant pas correctement l’affaire MacRae, car elle n’a pas tenu compte du fait que la réinterprétation des symptômes par un expert peut être admissible en tant que « faits nouveaux ». La Cour d’appel fédérale a noté que les tribunaux ont estimé que des rapports médicaux rédigés après l’audition initiale de la demande étaient admissibles lorsque, par exemple, qu’ils affirment lors de l’audience initiale qu’une condition existe, mais que celle-ci n’avait pas pu être diagnostiquée ou connue par l’appelant, malgré l’exercice d’une diligence raisonnable. Cependant, la Cour d’appel fédérale a également noté que lorsque les rapports médicaux répètent ce qui est déjà connu ou ce qui a déjà été diagnostiqué, ces rapports ne seront pas considérés comme attestant des « faits nouveaux ».

[86] Dans l’affaire MacRae, on n’a constaté les faits suivants [traduction] :

  1. La maladie mentale de M. MacRae était connue de lui-même au moment de la première audience devant le tribunal de révision en 1997, et sa santé mentale n’était pas en litige devant le premier tribunal de révision, la demande se fondant alors seulement sur une lésion dorsale et les incapacités physiques correspondantes ;
  2. Ce n’est qu’en 2004 qu’un trouble mental a été diagnostiqué chez M. MacRaw, bien qu’un psychiatre ait noté en 1994 que la condition existait. La demande était centrée sur la lésion dorsale de M. Mac Rae et [traduction] « l’on avait dans les faits passé sous silence le trouble mental provoqué par cette lésion ».

[87] Le procureur général avait affirmé que l’une des lettres médicales ne répondait pas à l’exigence de la possibilité de découverte, car les symptômes signalés par le médecin après l’audience auprès du tribunal de révision existaient avant sa décision et auraient donc pu être découverts. La Cour d’appel fédérale a rejeté cette observation, car la preuve indiquait clairement que bien que M. MacRae montrait des signes distincts de troubles anxieux immédiatement après son accident, à l’époque, son médecin a mis l’accent sur ses problèmes de dos. La Cour d’appel fédérale n’était pas prête pour tenir M. MacRae responsable de l’omission de son médecin de diagnostiquer l’impact de son accident sur sa santé mentale à l’époque.

[88] En l’espèce, les circonstances de fait diffèrent. Contrairement à l’affaire MacRae, et malgré les observations orales de la représentante de l’appelante selon lesquelles cette dernière ne savait pas qu’elle était atteinte d’une maladie mentale, les professionnels de la santé de l’appelante ont identifié, jusqu’à un certain point, une composante d’une maladie mentale sous-jacente à ses invalidités. Deux professionnels de la santé ont recommandé qu’elle soit évaluée et traitée par un psychologue. La division générale a noté que dans les rapports médicaux datés du 9 avril 2002 et du 29 juillet 2002, qui ont été présentés au tribunal de révision, le médecin de famille a diagnostiqué que l’appelante était atteinte du trouble de stress post-traumatique et d’une affection psychosomatique. Un professionnel de la santé a également recommandé qu’elle consulte un psychologue pour une évaluation pour qu’elle suive un programme de gestion de la douleur comportementale (GT1-437). Un autre physiatre a diagnostiqué qu’elle souffrait d’un comportement-maladie déviant, d’un comportement révélateur de la douleur et d’un comportement limité par la douleur, entre autres. Il a suggéré qu’elle bénéficierait de soins de réadaptation offerts par un psychologue si elle était capable de nouer une relation thérapeutique (GT1-428). Malgré les diagnostics et les recommandations, l’appelante ne s’est pas fait évaluer avant que sa représentante organise une évaluation psychiatrique par Dr Thompson. La division générale a également noté que l’appelante a indiqué en novembre 2002 qu’elle souffrait de fatigue, de pertes de mémoire, de dépression légère et de colère extrême, en plus de ses douleurs et de ses maux de tête. La division générale a tenu compte de l’affaire MacRae, mais au bout du compte, a estimé qu’il se distingue quant aux faits.

Conclusion

[89] La demande de l’appelante datée du 26 octobre 2006 qui avait pour but de rouvrir la décision du tribunal de révision au titre du Régime de pensions du Canada daté du 26 août 2003 n’est pas prescrite par l’application du paragraphe 261(1) de la LECPD et du paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS. Cependant, je ne suis pas convaincue que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la preuve présentée à l’appui de la demande ne constituait pas des « faits nouveaux » aux termes de l’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le MEDS. Par conséquent, l’appel est rejeté.

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