Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] Dans une décision qu’elle a rendue le 21 août 2015, la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a déterminé qu’une pension au titre du Régime de pensions du Canada (Loi) était payable à la demanderesse, puisque celle-ci était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à sa période minimale d’admissibilité (PMA), soit en date du 31 décembre 2006.

[2] La DG a noté, en citant l’alinéa 42(2)b) de la Loi, qu’une personne ne peut en aucun cas être réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date à laquelle sa demande de pension d’invalidité a été reçue par l’intimé. Puisque la demande en l’espèce avait été reçue en avril 2012, la DG a considéré la demanderesse comme étant devenue invalide en janvier 2011. Aux termes de l’article 69 de la Loi, la pension est payable à compter du quatrième mois suivant le mois où le requérant devient invalide; la DG a donc ordonné que la pension d’invalidité soit versée à la demanderesse à compter de mai 2011. 

[3] La demanderesse a ensuite présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel (DA) du Tribunal le 8 mars 2016, soit après le délai prescrit à l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et le Développement social (Loi sur le MEDS).

Question en litige

[4] Je dois déterminer s’il convient d’accorder une prorogation du délai pour la présentation d’une demande de permission d’en appeler.

Droit applicable

Loi sur le MEDS

[5] Aux termes de l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur le MEDS, une demande de permission d’en appeler doit être présentée à la DA dans les 90 jours suivant la date à laquelle l’appelant reçoit communication de la décision.

[6] La DA doit examiner et soupeser les critères énoncés dans la jurisprudence. Dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. GattellaroNote de bas de page 1, la Cour fédérale a établi les critères suivants :

  1. a) le demandeur démontre l’intention persistante de poursuivre l’appel;
  2. b) le retard a été raisonnablement expliqué;
  3. c) la cause est défendable;
  4. d) la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

[7] Le poids qu’il convient d’accorder à chacun des facteurs énoncés dans la décision Gattellaro peut varier selon le cas et, parfois, d’autres facteurs peuvent aussi être pertinents. La considération primordiale est celle de savoir si l'octroi d'une prorogation de délai serait dans l'intérêt de la justice – Canada (Procureur général) c. LarkmanNote de bas de page 2.

[8] Conformément aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le MEDS, il ne peut être interjeté d’appel devant la DA sans permission et la DA accorde ou refuse cette permission. Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prévoit que la DA rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[9] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une instruction de l’affaire sur le fond. C’est un premier obstacle que la demanderesse doit franchir, mais celui-ci est moins important que celui auquel elle devra faire face lors de l’instruction de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande de permission d’en appeler, la demanderesse n’a pas à prouver sa thèse.

[11] La Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se déterminer si le demandeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique – Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. HogervorstNote de bas de page 3; Fancy c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 4.

Loi

[12] L’alinéa 44(1)b) de la Loi énonce les conditions d’admissibilité à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant :

  1. a) qui n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) à qui aucune pension de retraite n’est payable;
  3. c) qui est invalide;
  4. d) qui a versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la PMA.

[13] Le calcul de la PMA est important puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date de sa PMA ou avant cette date.

[14] En vertu de l’alinéa 42(2)a) de la Loi, une personne doit, pour être considérée comme invalide, être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité n’est prolongée que si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès.

[15] Aux fins des versements, une personne ne peut être réputée invalide plus de quinze mois avant la réception, par l’intimé, de sa demande de pension d’invalidité (alinéa 42(2)b) de la Loi). Conformément à l’article 69 de la Loi, la pension est payable à compter du quatrième mois suivant la date où le requérant est réputé invalide.

Observations de la demanderesse

[16] L’époux de la demanderesse, son représentant autorisé, a présenté la demande de permission d’en appeler le 8 mars 2016, soit 197 jours après l’envoi de la décision à l’adresse domiciliaire de la demanderesse, le 24 août 2015, et bien après l’expiration du délai prescrit de 90 jours pour la présentation de la demande. Les requérants sont tenus d’inscrire, dans le formulaire de demande, la date à laquelle ils ont reçu la décision de la DG, ainsi que de fournir les raisons à l’appui d’une demande tardive, le cas échéant. Voici ce qu’a indiqué en guise de réponse le représentant de la demanderesse :

[Traduction]

[…] nous avons dû attendre durant la période de 90 jours en entier avant d’avoir des nouvelles concernant le fait que le RPC était d’accord avait la décision du Tribunal. Nous avons ensuite eu des nouvelles du montant qui serait accordé à mon épouse, puisqu’ils devaient calculer un montant rétroactif tout en tenant compte de ce qu’elle avait déjà reçu du RPC depuis le 26 avril 2014, quand elle avait dû faire une demande hâtive à perte parce que nous avions besoin d’argent étant donné qu’elle était malade et incapable de travailler depuis tant d’années. On nous a dit qu’un montant mensuel de 710 $ serait versé à partir du 26 décembre 2015. Nous l’avons reçu le 26 novembre 2015. Je pensais donc que je disposais de 90 jours pour répondre à partir de ce moment-là.

[17] Le représentant de la demanderesse a également expliqué pourquoi il croyait que l’appel de son épouse avait une chance raisonnable de succès. Il a soutenu que la DG disposait de preuves de professionnels de la santé, d’amis et de voisins, qui avaient assisté à la détérioration graduelle de l’état de santé de son épouse depuis 2003-2004. Il a demandé une rétroactivité des prestations d’invalidité du RPC à partir de 2005 au moins puisque la demanderesse était incapable de travailler en raison d’une sclérose en plaques progressive (SP). Le représentant de la demanderesse a indiqué qu’il prenait soin de son épouse tout seul, et qu’il était lui-même accablé de problèmes de santé.

[18] Dans une observation datée du 6 avril 2016, le représentant de la demanderesse a ajouté qu’il croyait que l’alinéa 42(2)b) de la Loi était injuste. La DG avait convenu que son épouse était atteinte d’une invalidité grave en 2005, mais ils n’avaient pas pu faire une demande sans un diagnostic qui réponde aux exigences prescrites par la Loi. La SP et une dépression grave sont des affections qui sont très difficiles à diagnostiquer. S’ils avaient su en 2005 ce qu’ils savent maintenant, ils auraient présenté une demande plus tôt et satisfait aux exigences. Si leur première demande n’avait pas été refusée, elle aurait bénéficié de prestations depuis 2005. Si elle avait été capable de travailler durant cette période (quoiqu’elle ait fait une tentative infructueuse), elle aurait cotisé au RPC durant toutes ces années et ses prestations seraient plus élevées aujourd’hui. Elle a plutôt dû prendre une pension de retraite anticipée du RPC en raison des difficultés financières qu’elle avait fini par connaître après tout le temps qu’il a fallu pour prendre une décision quant à son cas.

Analyse

[19] Je juge que la demande de permission d’en appeler a été présentée après le délai prescrit de 90 jours. Le représentant de la demanderesse a affirmé que son épouse et lui-même ont reçu la décision de la DG à leur domicile le 25 août 2015. Ils ont seulement présenté leur demande à la DA le 8 mars 2016, soit près de deux mois et demi après l’expiration du délai prescrit pour la présentation de la demande.

[20] Pour déterminer s’il convenait d’accorder un délai supplémentaire pour interjeter appel, j’ai examiné et soupesé les quatre facteurs énoncés dans Gattellaro.

Intention persistante de poursuivre l’appel

[21] Le représentant de la demanderesse a écrit qu’il présentait la demande de permission d’en appeler en retard puisqu’il avait d’abord voulu voir le montant du premier versement de la pension d’invalidité de son épouse avant de décider d’interjeter appel.

[22] Même s’il semble que la demanderesse et son représentant avaient mal compris le délai de 90 jours et quand celui-ci commençait à s’écouler, je suis prêt à accepter qu’ils avaient l’intention persistante d’interjeter appel de la décision de la DG, en dépit d’une présentation tardive de la demande de permission d’en appeler. Je suis convaincu qu’ils ont constamment cru avoir été victimes d’une injustice et qu’ils n’auraient pas laissé tomber leur cause.

Explication raisonnable du retard

[23] Le représentant de la demanderesse plaide qu’il avait cru que le [traduction] « compte à rebours » du délai de 90 jours pour interjeter appel devant la DG avait commencé soit le 26 novembre 2015 ou le 26 décembre 2015, soit respectivement à la date où le premier versement de la pension d’invalidité a véritablement été effectué ou à celle à laquelle il prévoyait qu’il soit effectué.

[24] J’estime que cette explication n’est pas raisonnable. La demanderesse et son représentant souhaitaient apparemment attendre de toucher leur première prestation d’invalidité avant de décider s’ils allaient faire appel, et ils prétendent avoir été sous la fausse impression qu’ils disposaient d’un délai de 90 jours après cette date. Cependant, des instructions explicites sur le processus d’appel figuraient dans la lettre jointe à la décision de la DG, notamment la phrase suivante [traduction] : « [] vous pouvez demander la permission d’en appeler en présentant une demande de permission d’en appeler à la division d’appel dans les 90 jours suivant la date où la décision vous a été communiquée. » De plus, il était clairement indiqué au pargraphe72 de la décision de la DG que la pension serait versée à partir de mai 2011 – une date qui, en définitive, a fini par faire l’objet de l’appel de la demanderesse vu sa rétroactivité limitée. Le 25 août 2015, la demanderesse et son représentant savaient, ou auraient dû savoir que les versements rétroactifs auxquels ils avaient droit étaient limités, et il leur revenait d’entreprendre les démarches nécessaires pour déposer un appel bien avant la date à laquelle ils ont fini par le faire.

Cause défendable

[25] J’estime que la DG n’a commis aucune erreur de droit ou de fait en déterminant que la demanderesse  – qui, en définitive, a réussi à montrer qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée – a droit à une rétroactivité de ses prestations d’invalidité d’au plus 11 mois avant la date à laquelle elle a présenté sa demande originale de pension d’invalidité du RPC. L’alinéa 42(2)b) de et l’article 68 de la Loi sont non équivoques et, concurremment, ils empêchent la demanderesse, qui a présenté sa demande de pension en avril 2012, de toucher celle-ci avant mai 2011.

[26] La teneur du reste des observations de la demanderesse est essentiellement une demande pour que la DA examine et évalue sur le fond la preuve à l’appui de sa demande d’invalidité. Une telle demande dépasse les limites de la Loi sur le MEDS, dont le paragraphe 58(1) prescrit des moyens d’appel très restreints. La DA peut seulement déterminer si les motifs du demandeur pour interjeter appel de la décision de la DG se rattachent aux moyens d’appel prescrits et s’ils ont une chance raisonnable de succès. Comme je l’ai indiqué, j’estime que les moyens d’appel soulevés par la demanderesse ne confèrent à l’appel aucune chance raisonnable de succès.

[27] La demanderesse suggère également que les dispositions de la Loi qui limitent la rétroactivité des prestations d’invalidité sont injustes et inéquitables. Même si cela était vrai, la DG et la DA sont tenues de suivre la loi à la lettre. Si la demanderesse me demande de lui accorder des prestations d’invalidité débutant en 2006 ou plus tôt, je ne dispose pas du pouvoir discrétionnaire me permettant de le faire; je ne peux qu’exercer les compétences qui me sont conférées par la loi constitutive de la DA. Cette position est appuyée par l’affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. TuckerNote de bas de page 5 ainsi que par d’autres causes, dans lesquelles il a été établi qu’un tribunal administratif n’est pas une cour, mais bien un décideur habileté par la loi et, par conséquent, il n’est pas de son ressort de fournir une réparation équitable. 

Préjudice à l’autre partie

[28] Il est peu probable que la prorogation du délai pour interjeter appel cause préjudice aux intérêts du défendeur étant donné la période de temps relativement courte qui s’est écoulée depuis l’expiration du délai prévu. Je ne crois pas que la capacité du défendeur à se défendre, vu ses ressources, soit indûment amoindrie si la prorogation de délai pour interjeter appel était accordée.

Conclusion

[29] Après avoir soupesé les facteurs susmentionnés, j’ai déterminé que la présente affaire n’est pas un cas où il convient d’accorder une prorogation du délai de 90 jours pour faire appel. La demanderesse n’a pas présenté d’explication plausible à son retard de deux mois et demi pour la présentation de sa demande de permission d’en appeler, quoiqu’on puisse raisonnablement présumer qu’elle avait l’intention persistante de poursuivre l’appel en dépit de son retard. Il est également vrai que les intérêts du défendeur ne subiraient pas de préjudice si un délai supplémentaire était accordé. Si deux des quatre facteurs énoncés dans l’affaire Gattellaro étaient favorables à la demanderesse, je suis d’avis qu’ils ne suffisent point étant donné l’absence d’une cause défendable : je n’ai trouvé aucun motif, découlant soit d’une erreur de droit ou d’une erreur de fait, qui confère à l’appel de la demanderesse une chance raisonnable de succès.

[30] D’après les facteurs énoncés dans Gattellaro et dans l’intérêt de la justice, je refuserais d’accorder une prorogation du délai pour interjeter appel aux termes du paragraphe 57(2) de la Loi sur le MEDS.

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