Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

  • Appelant : V. Balasubramaniam (avocat) et A. Poologarajah (étudiant universitaire – observateur)
  • Intimé : Christine Singh (avocate) et S. Johnson (stagiaire) (tous deux présents au moyen de la vidéoconference)

Aperçu

[1] Cette affaire vise à déterminer si la division générale a fondé sa décision du 16 mars 2015, dans laquelle elle a conclu que l'appelant ne pouvait être considéré comme invalide au sens du Régime de pensions du Canada, sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance lorsqu'elle a conclu que le rapport du 7 mars 2011 du gastroentérologue constituait « la seule preuve médicale qui renvoie à la date à laquelle l’appelant était admissible à une pension d’invalidité pour une dernière fois ». La période minimale d'admissibilité de l'appelant prenait fin le 31 décembre 2009.

Contexte et historique de l’instance

[2] J'ai accordé la permission d'appeler au seul motif, mentionné précédemment, que la division générale pourrait avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle aurait tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[3] L’appelant se fonde sur ses observations énoncées dans la demande de permission et sur les dossiers médicaux déposés le 17 septembre 2015, et sur les observations déposées le 7 octobre 2015 et le 27 novembre 2015. L’intimé a déposé des observations le 18 septembre 2015, le 29 septembre 2015 et le 26 octobre 2015. L’intimé a ajouté que la division d’appel ne doit pas interférer avec la décision de la division générale qui est, somme toute, raisonnable. L'intimé a demandé qu’une décision soit rendue aux termes de l’article 4 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale au sujet de l'admissibilité de certains dossiers médicaux de l'appelant. Selon l'appelant, certains de ces dossiers n'avaient pas été présentés devant la division générale.

[4] Le 6 novembre 2015, j'ai rendu une décision aux termes de l'article 4 au sujet de l'admissibilité de certains dossiers médicaux de l'appelant déposés au soutien de son appel. J'ai rendu une décision selon laquelle la seule preuve admissible en appel serait la preuve présentée devant la division générale, à moins qu'une autre preuve ne permette de soulever un des moyens d'appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS). Ma décision énonçait également que l'appel ne ferait pas l'objet d'une nouvelle audience, et que je ne procéderais pas à une réévaluation de la preuve.

[5] Le représentant de l'appelant a demandé que l'audience soit tenue en personne. Selon lui, malgré ma décision aux termes de l'article 4, il serait difficile d'aborder la question des dossiers médicaux de l'appelant puisque certains d'entre eux sont illisibles et sont toujours « contestés puisqu'ils sont irrecevables ». Conformément à l'article 21 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, l'instruction de l'appel se déroulera au cours d'une audience en personne.

Questions en litige

[6] Voici les questions dont je suis saisie :

  1. l'analyse de la norme de contrôle est-elle appropriée ? Sinon, comment la division d'appel devrait-elle mener l'appel à l'encontre de la décision de la division générale ?
  2. la division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ?
  3. si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, s'agit-il de la réparation appropriée ?

Norme de contrôle

[7] Les parties conviennent que la division d'appel ne devrait pas procéder à une analyse de la norme de contrôle relativement aux décisions de la division générale : Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242.

[8] Le représentant de l'appelant soutient que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et des cours fédérales est inapplicable en l'espèce puisque « des mesures correctives devraient être appliquées de façon plus large ».

[9] Selon le représentant de l'intimé, même si ni la norme de la décision correcte ni la norme de la décision raisonnable ne s'appliquent, la Cour d'appel fédérale a fourni certaines orientations quant à la façon de mener les appels de décisions d'un tribunal d’appel administratif. La représentante de l'intimé soutient que, conformément aux principes énoncés dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, [traduction] la division d'appel doit se référer à sa loi habilitante pour connaître l’intention du législateur. Selon la représentante, contrairement au contexte d'immigration dans lequel se déroulent les faits dans Huruglica, la Loi sur le MEDS énonce de façon très stricte les moyens d'appel qui peuvent s'appuyer sur des conclusions de fait prétendument erronées. De façon plus particulière, selon la représentante, à moins que les conclusions de fait soient tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, aux termes de l'alinéa 58(1)c), la division d'appel doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la division générale.

[10] Je suis d'accord que des lignes directrices relatives à la façon de mener des appels peuvent se retrouver dans la loi habilitante. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l'affaire Jean, le mandat de la division d’appel lui est conféré par les articles 55 à 68 de la Loi sur le MEDS, lesquels lui permettent d’entendre les appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS. Cette disposition énonce les moyens d’appel et le paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS énonce les pouvoirs de la division d’appel. Les seuls moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] Par conséquent, je devrais me restreindre à déterminer si la division générale a commis l'une ou l'autre des prétendues erreurs aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS.

Présumée conclusion de fait erronée

[12] Au paragraphe 42, la division générale a écrit :

. . . Le Tribunal a accordé beaucoup d'importance à la preuve qu'a fournie le Dr Kreaden, gastroentérologue. Le 7 mars 2011, il a déclaré qu'il avait trouvé, après avoir suivi l'appelant pendant quatre ans et fait face à une certaine résistance aux traitements, un régime permettant à la patiente de très bien maîtriser l'évolution de sa colite ulcéreuse. Le gastroentérologue a déclaré que l'état de santé de l'appelant était stable depuis deux ans. Il a formulé un très bon pronostic et a déclaré que l'appelant devrait être incité à retourner travailler. Il s'agit de la seule preuve médicale qui renvoie à la date à laquelle l’appelant était admissible à une pension d’invalidité pour une dernière fois. Le Tribunal note que plusieurs rapports médicaux présentés au Tribunal datent de quelques années après la période minimale d’admissibilité de l’appelant et ne permettent pas de faire une évaluation rétrospective.Le Tribunal leur a donc accordé un poids limité. (Non souligné dans l’original)

[13] Le représentant de l'appelant soutient que la division générale a commis une erreur en écrivant qu'aucune preuve médicale ne « renvoyait à la date à laquelle l’appelant était admissible à une pension d’invalidité pour une dernière fois », puisqu'existait en fait, dans le dossier d'audience, une preuve médicale datant de 2007 à 2009 (jusqu'à 2010 pour la présente affaire). Il a fait valoir que la division générale n'aurait possiblement pas pu examiner cette preuve ou la prendre en considération, étant donné les conclusions de la division générale au sujet de l'absence de preuve médicale remontant à la période minimale d'admissibilité. Il a aussi fait valoir que cette preuve abordait plusieurs questions médicales, et pas seulement la colite ulcéreuse de l'appelant, sa principale affection invalidante. Il soutient, conséquemment, que la division générale a aussi omis d'examiner l'ensemble de la preuve et de prendre en considération l'effet cumulatif de ces problèmes médicaux sur l'appelant.

[14] La représentante de l'intimé soutient qu'il ressort implicitement de ce paragraphe que la division générale aurait dû prendre en compte les rapports médicaux datant de 2007 à 2010. Au paragraphe 42, la division générale fait aussi référence à la preuve médicale provenant du médecin de famille de l'appelant, du gastroentérologue de l'appelant et de l'appelant lui-même, et du questionnaire de Service Canada relatif aux prestations d'invalidité. Au paragraphe 45, la division générale indique qu'elle a tenu compte de l'ensemble de la preuve. Enfin, au paragraphe 46, elle mentionne expressément les certificats médicaux émis pour les périodes d'août 2013 à avril 2014 et indique qu'ils étaient admissibles. La représentante de l'intimé soutient en outre que, en établissant la gravité de l’invalidité de l’appelant, la division générale a aussi pris en compte plusieurs questions telles que la situation personnelle de l'appelant, ses efforts pour obtenir et conserver un emploi et le fait qu'ils aient ou non été infructueux en raison de son état de santé. La représentante de l'intimé soutient que les arguments de l'appelant reviennent essentiellement à demander une réappréciation de la preuve, ce qui ne correspond pas au mandat de la division d'appel.

[15] Le représentant de l'appelant réplique que la division générale n'aurait pas pu passer en revue les billets médicaux de 2007 et de 2010 alors qu'elle n'a mentionné que les billets du mois d'août 2013 au mois d'avril 2014. Le représentant de l'appelant mentionne que les billets médicaux de 2007 à 2010 présentaient la même écriture que les billets ultérieurs. Il semble donc raisonnable de croire que si la division générale les avait examinés, elle aurait elle aussi remarqué qu'il y avait des dossiers datant de 2007. On retrouve ces notes de suivi parmi les pièces GT1-74 à GT1-167.

[16] La décision de la division générale laisse supposer qu'aucune preuve portée à la connaissance de la division générale ne concernait l'invalidité de l'appelant à la fin de sa période minimale d’admissibilité. La division générale n'a fait allusion à aucun des dossiers médicaux antérieurs au 7 mars 2011 et n'a mentionné aucun d'entre eux. Cependant, elle a fait référence de façon particulière à plusieurs rapports du gastroentérologue et aux lettres qui ont suivi après cette date, ainsi qu'à un examen diagnostic, à des rapports d'un rhumatologue, au rapport du 30 mai 2011 du médecin de famille de l'appelant, et aux certificats médicaux du mois d'août 2013 au mois d'avril 2014.

[17] Comme je l’ai noté dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, trois rapports de consultation ont été préparés à peu près durant la période minimale d’admissibilité. Il s'agit des rapports du 20 janvier, du 19 mars et du 27 août 2009 (aux pages GT1-90, GT1-77 et GT1-74 du dossier d'audience de la division générale, respectivement). Chacun de ces trois rapports de consultation a abordé la prétendue affection invalidante principale de l'appelant. Le gastroentérologue a aussi préparé une déclaration supplémentaire du médecin consultant en mai 2009 (pages GT1-75 et GT1-76). On retrouvait également des résultats de tests de laboratoire obtenus en janvier et mars 2009. Le représentant de l'appelant a aussi passé en revue les vastes dossiers médicaux datant d'aussi loin que le 24 mai 2007. Des radiographies de l'épaule droite et l'échographie des deux épaules ont été prises le 2 février 2010, peu de temps après la fin de la période minimale d'admissibilité (GT1-60). Le représentant de l'appelant indique qu'il n'a pas obtenu d'opinion médicale au sujet de l'effet cumulatif que pouvaient les diverses affections médicales de l'appelant sur sa capacité en général.

[18] Généralement, un décideur n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve et chaque argument dont il dispose. Cependant, il doit ressortir clairement de la décision que le décideur a prise en compte des plaintes ou des principaux problèmes d'un appelant pendant la période pertinente. Il n'est pas du tout évident que ce soit le cas en l'espèce, compte tenu de l'affirmation de la division générale selon laquelle le rapport médical du 7 mars 2011 du gastroentérologue (GT1-39) était le seul élément de preuve qui abordait l'état de santé de l'appelant à la fin de sa période minimale d'admissibilité. En fait, on ne dénombre pas moins de trois rapports de consultation datant de 2009 et autres documents médicaux préparés aux environs de cette période. La division générale a donc commis une erreur en déclarant que le rapport de 2011 du gastroentérologue était la seule preuve recueillie à la fin de la période minimale d'admissibilité ou aux environs de cette date.

[19] La représentante de l'intimé soutient que, même si la division générale n'a pas pris en considération la preuve médicale antérieure, l'ensemble de la preuve, particulièrement le rapport du 7 mars 2011 du gastroentérologue, est irréfutable : l'appelant n'a pas été invalide de façon continue depuis la fin de sa période minimale d'admissibilité. Il en est ainsi étant donné l’opinion du gastroentérologue, selon laquelle :

Le pronostic de l'appelant est très bon et on devrait l'inciter à retourner travailler, ce qu'il souhaite faire. J'estime qu'il pourrait probablement retourner travailler à temps plein.

[20] D'un autre côté, le représentant de l'appelant estime que les notes de suivi révèlent que l'appelant souffrait d'autres problèmes de santé dont une tendinite bicipitale. Il soutient également que je ne devrais pas accorder trop d'importance au rapport du 7 mars 2011 du gastroentérologue puisqu'il reflète l'état de santé de l'appelant à un moment donné dans le temps et n'est représentatif de l'invalidité de l'appelant en d'autres temps. Le représentant de l’appelant affirme également que l'évaluation médicale du médecin de famille de l'appelant s'avère plus précise puisque ce médecin a vu l'appelant beaucoup plus souvent. Si j'accepte les observations de l'appelant à cet égard, la représentante de l'intimé propose que l'affaire soit retournée à la division générale pour réexamen.

[21] Je ne partage pas l'avis de l'appelant selon lequel le rapport du 7 mars 2011 du gastroentérologue ne mérite pas qu'on lui accorde beaucoup d'importance. Il a assuré un suivi régulier de l'appelant. Cependant, l'appelant a consulté le gastroentérologue pour des raisons médicales particulières, mais l'opinion de ce dernier, selon laquelle l'appelant pouvait retourner travailler à temps plein, peut avoir été émise de ce point de vue assez restreint.

[22] Il serait inapproprié de ma part, à ce moment-ci, de procéder à une réévaluation de la preuve. La division générale, en tant que juge des faits, est la mieux placée pour évaluer la preuve et en tirer des conclusions, et pour déterminer si, après avoir tenu aussi compte des dossiers antérieurs à mars 2011, elle pouvait conclure que l'invalidité de l'appelant était grave et prolongée à la fin de sa période minimale d'admissibilité et qu’il n’avait jamais cessé d’être invalide depuis.

Conclusion

[23] Comme la division générale semble ne pas avoir tenu compte de l'ensemble de la preuve portée à sa connaissance, à savoir les dossiers médicaux antérieurs à 2011, l’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée à un autre membre de la division générale pour qu’une nouvelle audience soit tenue.

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