Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

L’appel est accueilli.

Introduction

[1] Il s’agit d’un appel de la décision de la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) rendue le 5 novembre 2015, qui a rejeté la demande de pension d’invalidité de l’appelant au motif que ce dernier n’avait pas prouvé que son invalidité était grave au sens du Régime de pensions du Canada (RPC), au moment où sa période minimale d’admissibilité (PMA) a pris fin, c’est-à-dire, au 31 décembre 2013. La permission d’en appeler a été accordée le 24 mai 2016 au motif que la décision de la DG pourrait comporter une erreur.

Aperçu

[2] L’intimé était âgé de 51 ans lorsqu’il a présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC, en mai 2013. Il a indiqué qu’il a terminé ses études secondaires en Jamaïque, son pays d’origine, et qu’après avoir immigré au Canada, il a travaillé dans un hôtel et dans une usine. Son dernier emploi était en tant que camionneur de mars 2008 à janvier 2011, moment auquel il a arrêté de travailler après avoir été diagnostiqué comme ayant une tumeur hypophysaire.

[3] Dans le questionnaire accompagnant sa demande du RPC, l’appelant a indiqué que son trouble invalidant principal était sa tumeur hypophysaire, laquelle, il a indiqué, lui causait des migraines, des étourdissements et des troubles de la vision quotidiennement, ainsi qu’un faible taux de testostérone, ce qui affectait son humeur et causait de la fatigue et des faiblesses musculaires. Il a consulté de nombreux spécialistes et il a été traité par un grand nombre d’entre eux, mais, indique-t-il, il n’y a eu aucune amélioration notable en ce qui concerne ses douleurs ou sa fonctionnalité.

[4] À l’audience tenue par vidéoconférence devant la DG le 13 octobre 2015, l’appelant a témoigné qu’il a commencé à souffrir de migraines et troubles de la vision lorsqu’il travaillait encore comme conducteur de véhicule de service de messageries. Après que sa tumeur ait été diagnostiquée, son permis de conduire a été suspendu. Ses médecins l’ont mis sous médication afin de réduire la taille de la tumeur, mais cela a plutôt légèrement augmenté sa taille. L’appelant a indiqué à la DG que son dos était douloureux, mais qu’il se poussait à travailler. Il avait des hernies de chaque côté, pour lesquelles il a subi des chirurgies. L’appelant a indiqué que du lactose s’était accumulé dans sa poitrine, et il a subi deux mastectomies afin de réduire cette accumulation.

[5] Dans sa décision, la DG a conclu que l’invalidité de l’appelant ne respectait pas la norme applicable au chapitre de la gravité. Elle a noté que sa tumeur avait progressivement régressée et s’était atrophiée, et qu’il était réceptif à la thérapie médicale. Elle a également conclu que les deux mastectomies et les deux chirurgies réparatrices des hernies de l’appelant ont été un succès, et il n’a pas souffert de complications. Bien que la DG ait accepté le fait que l’appelant souffrait de douleurs lombaires chroniques, elle n’était pas convaincue que cela l’empêchait d’occuper toute occupation véritablement rémunératrice.

[6] Le 26 janvier 2016, l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale dans laquelle il a indiqué que de nombreuses erreurs avaient été commises par la DG. Le 24 mai 2016, la DA a accordé la permission d’en appeler aux motifs que la DG pourrait avoir commis les erreurs suivantes :

  1. Conclure que l’appelant n’avait jamais été recommandé à un spécialiste ou pris de médicaments pour ses douleurs au dos ;
  2. Conclure que les traitements étaient parvenus à faire rétrécir la tumeur hypophysaire de l’appelant ;
  3. Conclure que les maux de tête et les étourdissements de l’appelant étaient des facteurs invalidants l’ayant amené à perdre son permis de conduire, tout en concluant que l’appelant ne souffrait pas d’une invalidité grave ;
  4. Ne pas appliquer les principes énoncés dans l’affaire Garrett c. CanadaNote de bas de page 1 en ne tenant pas compte des facteurs énoncés dans l’affaire Villani c. CanadaNote de bas de page 2.
  5. Ne pas appliquer les principes énoncés dans l’affaire D’Errico c. Procureur généralNote de bas de page 3 en ne tenant pas compte de l’aspect « régulier » du test de gravité de l’invalidité.

[7] J’ai décidé de procéder en me fondant sur le dossier documentaire pour les raisons suivantes :

  1. la complexité des questions en litige ;
  2. le fait que l’appelant ou les autres parties étaient représentés ;
  3. le besoin, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[8] Les observations de l’appelant étaient énoncées dans sa demande de permission d’en appeler et dans l’avis d’appel du 26 janvier 2016. En réponse à la demande de la DA, il a présenté des observations supplémentaires le 7 juillet 2016. Les observations de l’intimé ont également été présentées à la DA à cette date.

[9] Le 15 août 2016, l’appelant a soumis les résultats d’un examen par IRM de l’hypothalamo-pituitaire en date du 18 juillet 2016.

Droit applicable

[10] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) La DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ;
  2. b) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les conditions d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. (a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans ;
  2. (b) ne touche pas une pension de retraite du RPC ;
  3. (c) est invalide ;
  4. (d) a versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[12] Le calcul de la PMA est important puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date ou avant la date marquant la fin de sa PMA.

[13] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une personne est considérée comme atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

Questions en litige

[14] Les questions dont je suis saisie sont les suivantes :

  1. Quelle norme de contrôle doit-on appliquer lors de l’examen des décisions de la DG ?
  2. Est-ce que la DG a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées lorsqu’elle a conclu ce qui suit :
    1. l’appelant n’avait jamais été recommandé à un spécialiste ou pris de médicaments pour ses douleurs au dos ;
    2. les traitements étaient parvenus à faire rétrécir la tumeur hypophysaire de l’appelant ;
    3. les maux de tête et les étourdissements de l’appelant étaient des facteurs invalidants l’ayant amené à perdre son permis de conduire, mais que malgré cela, l’appelant ne souffrait pas d’une invalidité grave ;
  3. Est-ce que la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit pour les raisons suivantes :
    1. Elle n’a pas appliqué les principes énoncés dans l’affaire Garrett c. Canada en ne tenant pas compte des facteurs énoncés dans l’affaire Villani c. Canada.
    2. Elle n’a pas appliqué les principes énoncés dans l’affaire D’Errico en ne tenant pas compte de l’aspect « régulier » du test de gravité de l’invalidité.

Observations

[15] Les observations de l’appelant en date du 7 juillet 2016 comprenaient une longue récapitulation de la preuve et des arguments qui ont déjà été présentés à la DG. Je traiterai seulement des observations qui sont liées aux moyens limités qui ont permis d’accorder la permission d’en appeler.

[16] J’écarte également les observations de l’appelant en date du 15 août 2016. Un appel à la DA n’est pas habituellement une occasion pour présenter de nouveaux éléments de preuve médicale.

(a) Quelle est la norme de contrôle appropriée ?

[17] L’appelant soutient que la norme de contrôle appropriée à cet appel devrait être celle de la décision correcte, car aucune déférence n’est due à la DG. La DA est une branche supérieure du même tribunal — aucune compétence ou expérience particulière ne privilégie une décision de la DG. L’appelant note également que le membre qui s’est prononcé sur cette affaire à la DG est un membre régulier de la DA, bien qu’il convient que la formation peut différer d’une division à l’autre.

[18] Selon les moyens d’appel accordés, la question pertinente ne concerne pas l’appréciation de la preuve, mais concerne plutôt le fait que la DG a excédé sa compétence, soit en ne tenant pas compte d’éléments de preuve très pertinents, soit en faisant des déclarations de fait sans aucun élément de preuve à l’appui. Pour ce qui est de la compétence, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[19] Les observations de l’intimé indiquent en détail les normes de contrôle et leur applicabilité en l’espèce pour conclure qu’une norme de décision correcte devait être appliquée aux erreurs de droit, et la norme de la décision raisonnable doit être appliquée aux erreurs de fait et aux erreurs mixtes de fait et de droit.

[20] L’intimé a noté que la Cour d’appel fédérale n’a pas encore adopté une approche fixe pour la DA lorsque cette dernière doit examiner les appels de la DG. L’intimé a reconnu l’affaire récente de la Cour d’appel fédérale, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. HuruglicaNote de bas de page 4, qui, a-t-il dit, a confirmé que l’analyse de la DA devrait être influencée par les facteurs tels que le libellé de la loi habilitante, l’intention du corps législatif lorsque le tribunal a été créé et le fait que le corps législatif dispose de l’autorité nécessaire pour établir une norme de contrôle s’il le désire. L’intimé était d’avis que l’affaire Huruglica n’a pas changé significativement la norme qui doit être appliquée aux prétendues erreurs de fait ; le libellé de l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS continue d’autoriser un large éventail d’issues possibles acceptables.

[21] L’intimé a fait valoir que la DA devrait s’abstenir de réviser les affaires pour lesquelles la DA avait un avantage important en tant que juge des faits. Le libellé des articles 58 et 59 de la LMEDS indique que le Parlement voulait que la DA fasse preuve de déférence à l’endroit des conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit de la DG.

(b) Erreurs de fait

(i) Est-ce que la DG a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant n’a pas reçu de traitement pour ses douleurs au dos ?

[22] L’appelant soutient que la DG a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que sa douleur au dos n’était pas grave au point de l’empêcher de détenir toute occupation véritablement rémunératrice puisqu’il n’avait jamais été recommandé à un spécialiste ou pris de médicaments pour celle-ci.

[23] L’appelant conteste les constatations de fait du membre de la DG ainsi que les conclusions qu’il a fondées sur ces faits. Voici ce que la DG a indiqué au paragraphe 33 de sa décision [traduction] :

Le Tribunal conclut que l’appelant est atteint d’une douleur au dos ; cependant, la preuve montre clairement que quoique l’appelant ait indiqué que sa douleur au dos le faisait souffrir, il est capable de travailler avec cette douleur et depuis ce temps il n’a pas cherché à obtenir des conseils ou des traitements supplémentaires de la part de son médecin de famille, ou demandé d’être recommandé à un spécialiste. Le Tribunal note aussi que l’appelant ne prend aucun médicament qui l’aiderait avec sa douleur au dos […]

[24] Au paragraphe 35 de sa décision, la DG a indiqué ce qui suit [traduction] :

Le Tribunal conclut également que l’appelant, bien qu’il souffre de maux de dos depuis 2003, n’a pas essayé tous les traitements qui lui auraient été offerts. Présentement, il ne prend pas de médicaments pour l’aider à gérer sa douleur, et il a été capable de travailler jusqu’à ce qu’il soit diagnostiqué comme ayant une tumeur hypophysaire.

[25] L’appelant insiste pour décrire sa consommation d’Oxycocet pour sa douleur au dos dans son témoignage dont la crédibilité n’a pas été remise en question, et il cite une partie précise de l’enregistrement de l’audience à l’appui de cette allégation.

[26] L’intimé soutient que la conclusion de la DG était raisonnable dans le contexte de la preuve qui lui a été présentée. La DG a reconnu que l’appelant souffrait de maux de dos, mais elle a conclu qu’il était capable de travailler malgré cette douleur et que depuis ce moment-là il n’a pas suivi de traitement. L’intimé soutient que l’enregistrement de l’audience indique clairement que la DG était au courant des médicaments que prenait l’appelant pour ses douleurs au dos.

(ii) Est-ce que la DG a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le traitement pour réduire la taille de la tumeur hypophysaire s’est avéré efficace ?

[27] L’appelant soutient que la DG a tiré une conclusion de fait erronée lorsqu’elle a indiqué au paragraphe 35 de sa décision que [traduction] « les traitements administrés à l’appelant pour sa tumeur hypophysaire sont parvenus à [la] faire rétrécir ». En effet, l’appelant a présenté un élément de preuve montrant que la tumeur avait grossi, comme l’indique un rapport du Dr Reddy daté du 27 août 2015 et envoyé à la DG le 28 septembre 2015.

[28] L’intimé soutient que la DG a conclu à bon droit que le traitement de l’appelant s’est avéré efficace et a parvenu à faire rétrécir la tumeur hypophysaire, comme cela a été décrit dans le rapport médical du Dr Reddy daté de décembre 2011. Ce rapport indique qu’elle a été normalisée au moyen de cabergoline. L’intimé reconnait que la DG était consciente du témoignage de l’appelant concernant la taille comparative de la tumeur en 2015 par rapport au rapport médical de 2011.

(iii) Est-ce que la DG a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant n’était pas invalide, malgré le fait que son permis de conduire lui a été retiré ?

[29] L’appelant soutient que la DG s’est contredite quand elle a reconnu au paragraphe 31 que ses maux de tête et ses étourdissements étaient des facteurs invalidants ayant amené l’appelant à perdre son permis de conduire, mais qu’elle a conclu en dépit de cela qu’il ne souffrait pas d’une invalidité grave en vertu des exigences du RPC.

[30] L’intimé soutient que la DG a noté les plaintes de l’appelant au sujet de maux de tête et de troubles de la vue, mais elle a conclu qu’il n’y avait aucune explication médicale concernant ceux-ci, et il n’y avait pas non plus d’élément de preuve indiquant que l’appelant a suivi d’autres traitements ou a pris d’autres médicaments. Par conséquent, bien que la DG reconnaisse que l’appelant était affecté par des maux de tête et des étourdissements, elle a conclu que ceux-ci n’atteignaient pas le niveau d’invalidité formulé dans le RPC.

(c) Erreurs de droit

(i) Est-ce que la DG a omis d’appliquer les principes énoncés dans l’affaire Garrett ?

[31] L’appelant soutient que la DG n’a pas appliqué les principes énoncés dans l’affaire Garrett en ne tenant pas compte correctement des facteurs énoncés dans Villani. Bien qu’il reconnaisse que la DG a bien cité l’affaire Villani, l’appelant fait valoir qu’elle a à peine cité certaines de ses caractéristiques personnelles sans tenter de déterminer si elles nuisaient à son employabilité dans un contexte « réaliste ».

[32] L’intimé soutient que la DG n’a commis aucune erreur de droit, car elle a identifié correctement le critère de Villani au paragraphe 29 de sa décision. Selon l’affaire Bungay c. CanadaNote de bas de page 5, un décideur doit tenir compte de facteurs tels que l’âge du prestataire, son niveau d’éducation, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et ses expériences de la vie, mais omettre tout simplement de citer l’affaire Villani ne constitue pas en soi une erreur. Comme l’a noté la Cour d’appel fédérale, une erreur surviendra si les facteurs Villani ne sont pas du tout considérés ou ne sont pas considérés avec précision. De même, il est indiqué dans l’affaire Garrett qu’il existe une erreur lors qu’un tribunal omet de citer l’affaire Villani ou n’effectue pas son analyse conformément à ses principes. Ainsi, le simple oubli de nommer l’affaire Villani ne constitue pas une erreur lorsque, comme c’est le cas dans cette affaire, tous les facteurs de Villani ont été considérés par le décideur.

[33] Dans cette affaire, la DG a tenu compte de l’âge de l’appelant (53 ans à l’époque de sa PMA), de son éducation (12e année complétée en Jamaïque, ainsi que sa participation à un programme d’apprentissage en plomberie de deux ans en milieu de travail) et de ses antécédents de travail (en tant que bricoleur, peintre en bâtiment, ouvrier et conducteur de véhicule de service de messageries). La DG a appliqué les éléments de Villani énoncés ci-haut à la preuve médicale et a conclu au paragraphe 29 [traduction] : « Compte tenu de ses antécédents de travail, de son éducation et de sa formation, le Tribunal conclut que l’appelant possède des compétences transférables qui lui permettraient de trouver un autre type emploi. »

(ii) Est-ce que la DG a omis d’appliquer les principes énoncés dans l’affaire D’Errico ?

[34] L’appelant fait valoir que la DG a commis une erreur de droit, car elle n’a pas appliqué le principe énoncé dans l’affaire D’Errico selon lequel elle doit tenir compte de l’incidence de sa détérioration sur la « régularité » de sa capacité à occuper un emploi, ce que la Cour fédérale a interprété comme signifiant une « période durable ». Il est allégué que la DG n’a pas appliqué le bon critère juridique pour évaluer le caractère grave de l’invalidité alléguée quand elle a déclaré qu’aucun renseignement ne suggérait que l’appelant était incapable de détenir « une » ou « toute » « occupation véritablement rémunératrice ». La DG aurait plutôt dû déterminer si l’appelant était « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice », soit le libellé du sous-alinéa 42(2)a)(i) du RPC, et tenir compte de la preuve de l’appelant voulant qu’il n’était pas un employé fiable.

[35] L’intimé fait valoir qu’il incombe à l’appelant de démontrer qu’il était régulièrement incapable d’exercer un emploi véritablement rémunérateur à l’époque de sa PMA qui a pris fin le 31 décembre 2013. Dans cette affaire, l’appelant n’a pas fourni d’éléments de preuve démontrant qu’il a même tenté de se trouver un autre type d’emploi ou un travail modifié, que ce soit à temps partiel ou sédentaire. L’intimé soutient que la DG n’avait aucune obligation de s’attaquer, d’aucune façon, aux concepts de régularité, de fiabilité et de prévisibilité s’il y avait un manque d’éléments de preuve à ce sujet. La DG a bénéficié du témoignage de l’appelant en ce qui concerne sa capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice et a conclu qu’il ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve et n’a pas démontré qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée.

Analyse

(a) Norme de contrôle

[36] Jusqu’à tout récemment, il était convenu que les appels devant la DA étaient régis par les normes de preuve énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick Note de bas de page 6 par la Cour suprême du Canada. Dans les affaires traitant d’erreurs présumées de droit ou de manquements à un principe de justice naturelle, la norme applicable était celle de la décision correcte, faisant état d’un seuil inférieur de déférence devant être montré envers un tribunal administratif qui est souvent comparé à une cour de première instance. Dans les affaires comportant des allégations de conclusions de fait erronées, la norme applicable est celle de la décision raisonnable, signifiant une réticence de la Cour à intervenir dans les conclusions de l’entité dont le rôle consiste à évaluer la preuve des faits.

[37] L’affaire Huruglica a rejeté cette approche, soutenant que les tribunaux administratifs ne devraient pas utiliser les normes de contrôles qui ont été conçues pour être appliquées par les cours d’appel. Les tribunaux administratifs devraient plutôt se fier en premier lieu à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle.

[38] Bien que l’affaire Huruglica traite d’une décision qui provenait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle a des incidences sur d’autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’il était inapproprié d’importer les principes de contrôle judiciaire aux forums administratifs, comme il a été mentionné dans l’affaire Dunsmuir, car ces derniers peuvent avoir des priorités législatives autres que l’impératif constitutionnel voulant préserver la règle du droit. [traduction] « Il ne faut pas simplement tenir pour acquis que ce qui est réputé être la meilleure politique pour les cours d’appel s’applique également aux instances d’appel à caractère administratif ».

[39] Cette prémisse amène la Cour à déterminer le critère approprié qui découle complètement de la loi habilitante d’un tribunal administratif [traduction] :

[…] la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] qui doivent être lus au regard de leur contexte global… L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [section d’appel des réfugiés].

[40] En la matière, cela implique que la norme de la décision raisonnable ou de la décision correcte ne s’applique pas à moins que ces mots ou leurs variantes figurent spécifiquement dans la législation fondatrice. Si cette approche est appliquée à la LMEDS, on doit noter que les alinéas 58(1)a) et b) ne qualifie pas les erreurs de droit ou les manquements à la justice naturelle, ce qui suggère que la DA ne devrait pas faire preuve de déférence à l’égard des interprétations de la DG.

[41] Le mot « déraisonnable » est introuvable à l’alinéa 58(1)c), où il est question de conclusions de fait erronées. En revanche, le critère contient les mots « abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme il a été suggéré dans l’affaire Huruglica, il faut donner à ces mots leur propre interprétation, mais le libellé suggère que la DA devrait intervenir lorsque la DG fonde sa décision sur une erreur qui est vraiment énorme ou qui est en contradiction avec le dossier.

(b) Erreurs de fait

(i) Traitement de la douleur dorsale

[42] L’appelant soutient qu’il a témoigné que ses maux de dos étaient d’une telle gravité que ceux-ci l’empêchaient de mener la plupart de ses activités. Il insiste également sur le fait qu’il a témoigné qu’on lui a prescrit de l’Oxycocet, un analgésique narcotique. J’ai écouté la partie de l’enregistrement de l’audience à laquelle l’appelant faisait référence et je conclus que cela correspond essentiellement aux déclarations de l’appelant.

[43] Vingt minutes après le début de l’enregistrement, il y a une discussion de 2 minutes au sujet des douleurs au dos de l’appelant au cours de laquelle il indique qu’elles sont si intenses que ça lui prenait beaucoup de temps le matin pour [traduction] « se préparer ». Il a dit qu’il prenait ce médicament depuis 2 à 2 ans et demi, 2 comprimés 3 fois par jour, mais que leurs effets secondaires étaient si désagréables que maintenant, il n’en prenait que lorsqu’il en avait vraiment besoin. Il n’y avait aucune mention de cette déclaration dans la décision de la DG, ce qui n’a pas soulevé de questions au sujet de la crédibilité de l’appelant. Si la DG n’avait pas oublié cette déclaration, mais qu’elle avait plutôt décidé de ne pas y accorder d’importance, alors il aurait dû y avoir une explication à ce sujet dans la décision.

[44] Je conclus que le témoignage de l’appelant n’a pas été reflété fidèlement dans la déclaration catégorique de la DG suivante [traduction] : « ne prend aucun médicament qui l’aiderait avec sa douleur au dos ». Il est vrai, comme l’a indiqué l’intimé, que l’appelant a témoigné qu’auparavant, il a été en mesure de travailler avec ses maux de dos, mais cela n’élimine quand même pas l’erreur de la DG. Je note également que le dernier emploi de l’appelant était en 2011, et il est possible que ses problèmes de dos se soient aggravés depuis. À la suite de ma révision de la décision et de l’enregistrement de l’audience, j’estime que cela ne faisait pas partie des pistes d’enquête de la DG.

[45] Une erreur ou une omission, à elle seule, ne constitue pas un moyen d’appel valide, conformément à l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS qui exige que la DG ait fondé sa décision sur une conclusion erronée. Dans la section « Analyse » de sa décision, la DG a dédié la majeure partie du paragraphe 33 pour discuter des maux de dos de l’appelant, et elle estimait que son témoignage à ce sujet n’était pas convainquant, car il a réussi à travailler auparavant malgré ses douleurs au dos. Plus loin, au paragraphe 35, la DG semble avoir tiré une conclusion défavorable à partir de la conclusion selon laquelle l’appelant n’avait [traduction] « pas exploré tous les traitements qui lui auraient été offerts » pour traiter ses douleurs dorsales. Cela me porte à croire que la DG a effectivement fondé sa décision, du moins en partie, sur une conclusion erronée selon laquelle l’appelant ne prenait pas de médicaments pour ses douleurs dorsales. Pour la DG, le fait que l’appelant prenne ou non des analgésiques était une question substantielle.

[46] La réparation appropriée à cette situation est de tenir une nouvelle audience devant la DG afin que l’appelant puisse plaider sa cause pleinement. Pour ce motif, j’examinerai brièvement les autres moyens d’appel de l’appelant.

(ii) Tumeur hypophysaire

[47] Au paragraphe 35, la DG a tiré une conclusion catégorique selon laquelle les traitements de l’appelant pour sa tumeur hypophysaire étaient parvenus à la faire rétrécir, mais dans la décision, il n’y a aucune référence au rapport du Dr Reddy daté du 27 août 2015 qui indique ce qui suit [traduction] : « Il se peut que la tumeur ait ressurgi un peu dans le sinus caverneux gauche, mais elle n’est pas très grosse ».

[48] Cela relevait du pouvoir discrétionnaire de la DG de ne pas tenir compte de ce rapport, parce qu’il avait été présenté après la date d’échéance prévue pour le dépôt des observations. Cependant, comme je l’ai indiqué dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, si la DG a décidé de ne pas admettre ce rapport parce qu’il a été présenté en retard, il aurait été raisonnable d’indiquer ses motifs dans la décision. Je ne suggère pas que le manquement de la DG à ce sujet était injuste ou allait à l’encontre des principes de justice naturelle ; il est possible que la DG ait choisi d’accorder peu de poids à ce rapport. Si tel est le cas, elle avait un motif pour agir ainsi. Ce rapport, qui a été préparé après la PMA, était spéculatif, et le Dr Reddy a tiré des conclusions très mitigées et a souligné qu’il se « peut » que la tumeur ait ressurgi « un peu » en comparant avec le résultat d’un examen par IRM en 2013 qui était de « piètre qualité ». À la fin, le Dr Reddy a tout simplement recommandé plus de suivis.

[49] Je note que les observations de l’intimé ne faisaient pas mention du rapport du Dr Reddy daté d’août 2015, sauf pour en reconnaitre l’existence. Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que selon ce moyen d’appel, la DG n’a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée.

(iii) Perte du permis de conduire

[50] La DG a conclu que l’appelant n’était pas invalide, même si, au paragraphe 35 de sa décision, elle a indiqué ce qui suit [traduction] :

Compte tenu du fait que le permis de conduire de l’appelant lui a été retiré à cause de ses maux de tête et de ses étourdissements, le Tribunal estime que ces problèmes étaient et continue d’être un facteur invalidant pour l’appelant.

[51] Après avoir examiné attentivement la décision et l’enregistrement de l’audience, j’ai conclu que ce moyen d’appel n’était pas fondé. Je suis d’accord avec l’observation de l’intimé selon laquelle il était de la compétence de la DG de conclure que les maux de tête, les étourdissements et les troubles visuels de l’appelant n’atteignaient pas le niveau d’invalidité au sens du RPC. La DG a conclu que ces problèmes étaient un [traduction] « facteur invalidant », mais il ne s’agit pas de la même chose qu’une invalidité « grave et prolongée » qui rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Des éléments de preuve supplémentaires démontrant que la DG ne s’est pas contredite se retrouvent au paragraphe 10 de la décision de la DG, dans lequel il a été noté qu’un rapport d’endocrinologie datant de septembre 2010 indiquait que l’appelant n’a pas eu davantage de problèmes liés à sa vision, et il a été en mesure d’obtenir à nouveau son permis de conduire de camion.

(c) Erreurs de droit

(i) Affaire Garrett

[52] L’appelant soutient que la DG a tout simplement récité le principe des « facteurs réalistes » de Villani sans l’appliquer réellement à ses caractéristiques personnelles et à ses déficiences médicales. Dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, j’étais convaincu qu’il existait une cause défendable sur ce moyen d’appel, puisque, à ce stade, il demeurait la question ouverte suivante : Comment une personne possédant les antécédents de l’appelant aurait-elle pu être capable de continuer à travailler tout en étant atteinte de symptômes considérés comme « invalidants » ? Cependant, puisque j’ai déterminé que la DG était justifiée lorsqu’elle a considéré que les maux de tête et les étourdissements étaient simplement « des facteurs invalidants » qui ne répondaient pas aux critères de « grave et sévère », son analyse de l’employabilité du demandeur dans un contexte « réaliste » semble maintenant reposer sur des assises plus solides.

[53] Comme l’a noté l’intimé, la DG a sérieusement tenté de tenir compte des capacités de l’appelant, compte tenu de son éducation, de sa formation et de son expérience. À la fin, elle a déterminé que son expérience de travail variée lui conférait des compétences transférables qui lui permettraient de continuer à exercer une forme ou une autre de travail, malgré ses nombreux problèmes de santé. Puisque la DG a tenu compte des circonstances particulières de l’appelant, je n’interférerai pas avec son évaluation.

(ii) Affaire D’Errico

[54] L’appelant s’oppose à deux reprises dans la décision de la DG ; premièrement, au paragraphe 32 lorsqu’elle a prétendument mal cité l’exigence concernant la « gravité » pour des prestations d’invalidité en vertu du sous-alinéa 42(2)a)(i) du RPC et dans lequel elle indique qu’aucun élément de preuve ne démontre que l’appelant [traduction] « n’était pas en mesure d’exercer une occupation véritablement rémunératrice », et deuxièmement, au paragraphe 33, dans lequel elle a indiqué que [traduction] « les maux de dos [de l’appelant] ne l’empêchaient pas de détenir toute occupation véritablement rémunératrice » [italique ajouté par le sous-signé] .

[55] Je suis d’accord sur le fait que, dans ces paragraphes, la DG a mal interprété le critère qui exige d’évaluer si un demandeur est [traduction] « capable ou non de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice ». Bien que le critère ait été correctement cité au paragraphe 5 de sa décision, la question qui se pose est de déterminer si, essentiellement, la DG a appliqué le critère approprié et a fourni des efforts sincères pour analyser si l’appelant était « régulièrement » capable d’exercer un emploi.

[56] L’intimé a raison de dire qu’il revient à l’appelant de démontrer qu’il était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, mais je ne suis pas d’accord avec son affirmation selon laquelle il n’y avait [traduction] « pas suffisamment » d’éléments de preuve concernant la capacité de l’appelant à occuper un emploi régulier. Selon moi, il y avait des rapports médicaux qui documentaient une variété de conditions qui pourraient nuire à la capacité de l’appelant à exercer les types d’emploi pour lesquels il a été formé, et il y avait le témoignage de l’appelant, dans lequel il a indiqué à la DG que ses douleurs dorsales et ses troubles de la vision l’ont forcé à deux reprises à quitter son emploi en tant que conducteur. En l’espèce, mon rôle n’est pas d’évaluer la preuve, mais peu importe à quel point celle-ci était inadéquate, la DG n’était pas dégagée de sa responsabilité qui était d’en tenir soigneusement compte en employant le critère de gravité approprié.

[57] Est-ce que la DG s’est acquittée de sa responsabilité dans cette affaire ? Le concept de « régularité » a été étudié dans nombre de décisions, récemment dans l’affaire Atkinson c. CanadaNote de bas de page 7, où la Cour d’appel fédérale a statué que « la prévisibilité est essentielle pour déterminer si une personne travaille régulièrement au sens du RPC. » Mon examen de la décision de la DG m’a permis de déterminer que puisqu’elle avait mal cité le critère à deux reprises, elle n’a pas déterminé correctement si les symptômes de l’appelant — essentiellement des douleurs dorsales, des maux de tête, des étourdissements et des troubles visuels — l’empêchaient d’occuper un emploi de façon régulière, prévisible ou fiable sur le marché du travail concurrentiel.

‏[58] Dans sa conclusion selon laquelle l’appelant conservait une capacité de travailler au moment de sa PMA, la DG a omis d’incorporer le concept de « régularité » dans son évaluation. Pour ce motif, j’accueille cet appel selon ce moyen d’appel.

Conclusion

[59] Pour les motifs susmentionnés, l’appel est accueilli selon 2 des 5 moyens d’appel pour lesquels la permission d’en appeler a été accordée.

[60] L’article 59 de la LMEDS énonce la réparation que la DA peut accorder pour un appel. Pour éviter tout risque de crainte de partialité, il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la DG pour une nouvelle audience devant un membre différent.

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