Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

L’appel est rejeté.

Introduction

[1] Le présent appel porte sur la décision rendue le 28 octobre 2015 par la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale qui a rejeté la demande de pension d’invalidité de l’appelante parce que cette dernière n’avait pas démontré que son invalidité était grave, au sens du Régime de pensions du Canada (RPC), au moment où sa période minimale d’admissibilité (PMA) a pris fin le 31 décembre 2017. La permission d’en appeler a été accordée le 24 mai 2016 au motif que la décision de la division générale pourrait comporter une erreur.

Aperçu

[2] L’appelante avait 27 ans lorsqu’elle a présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC en novembre 2012. Elle a mentionné qu'elle détenait un diplôme d'études secondaires et certaines certifications en tant que préposée aux services de soutien à la personne et assistante dans un bureau de médecin. Elle a travaillé comme responsable des boissons et des aliments dans un hôtel, un poste qu'elle a occupé de décembre 2011 à mai 2012, au moment où elle se plaignait qu'elle n'avait plus la capacité physique de faire le travail.

[3] Dans le questionnaire accompagnant sa demande de RPC, l'appelante a énuméré les diverses affections qui l'avaient empêchée de travailler, y compris le syndrome du côlon irritable, la cystite interstitielle, la hernie hiatale, la fibromyalgie, l'anxiété, les attaques de panique et l'insomnie. Elle a mentionné la douleur et les limitations qui l'empêchaient de s'asseoir, de rester debout ou de marcher, même pendant de courtes périodes. Elle a dit qu'elle était incapable de se pencher, d'atteindre des objets, de les soulever ou de les transporter. Elle a dit avoir consulté de nombreux spécialistes et avoir été traitée par un grand nombre d’entre eux, mais elle n'a remarqué aucune amélioration notable en ce qui concerne ses douleurs ou sa capacité à fonctionner.

[4] Le 14 septembre 2015, à l'audience devant la division générale, l'appelante a déclaré que ses troubles l'avaient empêchée d'exercer des activités physiques routinières telles que conduire, jardiner ou jouer sur l'ordinateur. Elle a dit qu'elle souffrait de douleurs généralisées, de pertes de mémoire très importantes, d’engourdissement et d’insensibilité aux bras, aux jambes, au visage, au cou et aux pieds. Elle s'est aussi plainte d'une vision trouble, de graves douleurs aux yeux, de fatigue extrême, d'infections chroniques à la vessie et de maux d'estomac. Elle a dit qu'elle n'était pas en mesure de répondre aux exigences physiques d'un emploi et elle doutait que des médicaments puissent améliorer son état.

[5] La division générale a conclu que l'invalidité de l'appelante ne respectait pas la norme applicable quant à la gravité, soulignant qu'aucun des spécialistes n'avait conclu à une invalidité grave. Elle a aussi conclu que l'appelante n'avait pas suivi les traitements recommandés et n'avait pas fourni d'explication raisonnable pour justifier son refus de prendre les médicaments d'ordonnance. Bien que la division générale ait reconnu que l'appelante avait certains problèmes médicaux, elle n'est pas convaincue que ces problèmes l'empêchaient de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice, étant donné son âge relativement jeune et sa bonne instruction.

[6] Le 20 janvier 2016, l'appelante a présenté une demande de permission d'en appeler à la division d'appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale alléguant que la division générale avait commis plusieurs erreurs. Le 24 mai 2016, la division d'appel a accordé la permission au motif que la division générale peut avoir fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées. Plus particulièrement :

  1. l'appelante n’avait jamais reçu de prescription pour de la marijuana à des fins médicales.
  2. l'appelante ne respectait pas le traitement et qu'elle n'avait présenté aucune observation pour expliquer son refus de prendre les médicaments prescrits.
  3. l'appelante n'avait pas été dirigée vers un psychiatre ou ne s'était pas fait prescrire de médicaments pour gérer ses troubles de santé mentale.

[7] J'ai décidé de procéder en m'appuyant sur la preuve documentaire pour les motifs suivants :

  1. la complexité des questions faisant l’objet de l’appel.
  2. le fait que l’appelante ou les autres parties étaient représentées;
  3. l’exigence prévue au Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[8] Les observations de l’appelant étaient énoncées dans sa demande de permission d’en appeler et dans l’avis d’appel du 20 janvier 2016. À la demande de la division d'appel, l'appelante a présenté d'autres observations le 5 juillet 2016. Les observations de l’intimé ont été déposées auprès de la division d'appel le 8 juillet 2016.

Droit applicable

[9] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] L’alinéa 44(1)b) du Régime de pensions du Canada (Loi) énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. (a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. (b) ne touche pas une pension de retraite du RPC;
  3. (c) est invalide;
  4. (d) a versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la PMA.

[11] Le calcul de la PMA est important, car une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date où sa PMA a pris fin ou avant cette date.

[12] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) de la Loi, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une personne est considérée comme atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Questions en litige

[13] Les questions dont je suis saisie sont les suivantes :

  1. Quelle norme de contrôle doit-on appliquer lors de l'examen des décisions de la division générale ?
  2. La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées lorsqu'elle a déclaré que :
    1. l'appelante n’avait jamais reçu de prescription pour de la marijuana à des fins médicales;
    2. l'appelante ne respectait pas le traitement et qu'elle n'avait présenté aucune observation pour expliquer son refus de prendre les médicaments prescrits.
    3. L’appelante n'avait pas été dirigée vers un psychiatre ou ne s'était pas fait prescrire de médicaments pour gérer ses troubles de santé mentale.

Observations

(a) Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[14] L'appelante soutient que la norme de contrôle appropriée en l'espèce devrait être la norme de la décision correcte qui n'ordonne aucune retenue envers la division générale. La division d'appel est une instance supérieure du même tribunal – aucune expertise particulière de la division générale n’exige de privilégier la décision de cette dernière. L'appelante souligne également que le membre qui tranche la question en division générale est souvent un membre de la division d'appel, même si on doit reconnaître que la formation peut différer d'une division à l'autre.

[15] Quant aux moyens d'appel, la question pertinente ne consiste pas à évaluer la preuve, mais plutôt à déterminer si la division générale a outrepassé ses compétences en ne tenant pas compte d'une preuve hautement pertinente ou en exposant des faits sans appui probant. Lorsqu'une question de compétence est en jeu, c'est la norme de la décision correcte qui devrait être appliquée.

[16] Les observations de l’intimé traitent en détail des normes de contrôle et de leur applicabilité en l’espèce pour conclure que la norme de décision correcte devait être appliquée aux erreurs de droit, et la norme de la décision raisonnable devrait l'être aux erreurs de fait et aux erreurs mixtes de fait et de droit.

[17] L’Intimé soutient que la Cour d’appel fédérale n'a pas encore statué sur l'approche que doit adopter la division d'appel à l'égard d'appels à l'encontre de décisions de la division générale. L'intimé a reconnu la récente décision de la Cour d'appel fédérale qui a confirmé, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, que l'analyse de la division d'appel devait tenir compte d'éléments tels que la formulation de la loi habilitante, l'intention du législateur qui a créé le tribunal et le fait que le législateur est habilité à définir une norme de contrôle s'il le désire. L'intimé est d'avis que la décision Huruglica n'a pas changé de façon significative la norme à appliquer aux erreurs de fait alléguées. Les termes de l'alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS énoncent toujours une grande variété d'issues possibles.

[18] L'intimé soutient que la division d'appel ne devrait pas s'engager dans un réexamen de l'affaire pour laquelle la division générale, en tant que juge des faits, possède un avantage important. Le libellé des articles 58 et 59 de la Loi sur le MEDS indique que le Parlement voulait que la division d’appel fasse preuve de retenue à l’égard des conclusions de la division générale sur des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit.

(b) Erreurs de fait

(i) La division générale a-t-elle commis une erreur en concluant que l'appelant n'avait jamais reçu de prescription de marijuana à des fins médicales ?

[19] L'appelante s'oppose au contenu du paragraphe 43 de la décision de la division générale qui se lit comme suit :

[traduction]
Lors de l'instruction de l'appel, l'appelante a déclaré qu'elle parvenait à gérer ses symptômes grâce à la marijuana. Son dossier médical indique qu'elle n'a jamais reçu de prescription de marijuana. En fait, les deux médecins de l'appelante, le Dr Arora et le Dr Price (un spécialiste), ont refusé de lui prescrire de la marijuana à des fins médicales. Ce refus signifie que l'appelante consomme actuellement de la marijuana à des fins récréatives ou marijuana non prescrite. Bien que l'appelante consomme de la marijuana, rien n'indique l'efficacité ou l'absence d'efficacité de la marijuana. L'appelante a cependant affirmé que cette drogue améliorait son état fonctionnel et aidait à soulager sa douleur.

[20] L'appelante nie cette déclaration et montre du doigt une écriture dans les notes de suivi du 19 février 2013 du Dr Arora, son médecin de famille (GD4-94), qui a écrit :

La patiente s'est retrouvée dans le bureau d'un spécialiste pour discuter de la consommation de marijuana à des fins médicales. Elle rencontrera le Dr Ira Michael Price. Elle souhaite obtenir des copies de son diagnostic, comme le demande le Dr Price. Pourriez-vous imprimer ces copies ? - Veuillez nous dire quel document imprimer. Veuillez m'aviser.

[21] Une note du 19 février 2013 indiquait que l'appelante avait été dirigée.

[22] L'appelante pointe également une écriture du 3 juillet 2013 du Dr Arora qui déclarait que l'appelante avait reçu une approbation à l'utilisation de marijuana à des fins médicales.

[23] Selon l’appelante, non seulement la preuve relative à sa recommandation pour consulter un médecin spécialiste de la marijuana était facilement accessible dans le dossier, mais aussi, son témoignage à l'audience portait sur le sujet, y compris sur sa façon de consommer la drogue, le dosage et les précautions qu'elle prenait. Comme la division générale n'a pas soulevé la question de la crédibilité de l'appelante, elle ne pouvait se fonder sur cet aspect pour déterminer si l'appelante consommait de la marijuana à des fins récréatives, ou marijuana non prescrite.

[24] Selon l'intimé, c'est à juste titre que la division générale a conclu que ni le Dr Arora ni le rhumatologue de l'appelante ne voulait lui prescrire de marijuana à des fins médicales. Cette conclusion avait pour fondement les notes de suivi déposées en preuve.

[25] Dans un dossier clinique du 9 novembre 2012, le Dr Arora a souligné qu'il avait discuté avec l'appelante au sujet de la consommation de marijuana à des fins médicales. Il a déclaré que l'appelante pouvait très bien lui donner les coordonnées d'un médecin qui pouvait lui prescrire la marijuana, mais qu'il « ne croyait pas qu'il s'agissait de la voie à emprunter avant d'essayer de meilleures options. »  Au paragraphe 28 de sa décision, la division générale a noté que, d'après les notes de suivi du 5 février 2013, le rhumatologue de l'appelante a refusé de la diriger vers un spécialiste de la marijuana à des fins médicales après avoir étudié son dossier.

[26] L'intimé soutient qu'aucune preuve ne démontre qu'un des deux médecins aurait déjà prescrit à l'appelante de la marijuana à des fins médicales. Le rapport du 19 février 2013 indique que l'appelante a traité de la question avec un spécialiste, mais aucune preuve ne démontre que l'appelante a reçu quelque prescription de marijuana à des fins médicales.

[27] Enfin, le rapport du 11 juillet 2013 est une simple transcription d'une note d'évolution du travailleur social de l'appelante. La note fait référence à la marijuana, mais elle indique seulement ce que l'appelante a mentionné à son thérapeute à ce sujet. Elle ne confirme aucunement que l'appelante a reçu une prescription de marijuana à des fins médicales.

(ii) La division générale a-t-elle commis une erreur en concluant que l'appelante ne suivait pas les traitements ?

[28] L'appelante a fait valoir que la division générale avait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en déclarant, au paragraphe 44 de sa décision :

[traduction]
Le Tribunal tient compte du fait qu'une personne qui présente une demande de pension d'invalidité est obligée d’accepter les recommandations en matière de traitement et de se soumettre à ceux-ci et que, dans le cas contraire, il doit établir le caractère raisonnable de sa non-conformité (Bulger c. MDRH (18 mai 2000), CP 9164). L'appelante n'a présenté aucune observation pour expliquer pourquoi elle refuse de prendre les médicaments qui lui ont été prescrits. Ses médecins traitants lui ont prodigué des conseils, mais elle continue de ne pas se soumettre aux traitements, préférant consommer de la marijuana sans avoir obtenu de prescription et sans être surveillée par ses médecins traitants.

[29] L'appelante nie ne pas s'être soumise aux recommandations de traitement. Elle soutient qu'elle a démontré au cours de l'audience qu'elle avait pris les médicaments que lui avaient recommandés ses médecins traitants, mais elle avait cessé de les prendre après avoir ressenti des effets secondaires néfastes et débilitants. L'affirmation selon laquelle l'appelante a refusé de prendre ses médicaments d'ordonnance sans donner d'explication est sans fondement. Au cours de son témoignage, l'appelante a bel et bien donné des explications, dont on peut entendre la teneur à la 57e minute de l'enregistrement de l'audience.

[30] L'intimé soutient que la division générale n'a pas commis d'erreur en concluant que l'appelante n'avait pas pris les médicaments qui lui ont été prescrits. Afin de satisfaire à la définition de grave et prolongée, un prestataire doit suivre les traitements recommandés par son médecin. Un prestataire qui refuse de manière déraisonnable de suivre les traitements recommandés n'est pas admissible à la pension d'invalidité (Lalonde c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2002 CAF 211).

[31] Au paragraphe 44 de sa décision, la division générale traite de l'obligation de l'appelante de suivre les traitements recommandés par son médecin. La division générale souligne que selon la preuve au dossier, l'appelante n'a pas suivi les conseils de ses fournisseurs de traitements ou n'a pas travaillé avec eux pour trouver un autre traitement. Elle a plutôt choisi de traiter ses différentes maladies grâce à sa propre façon de faire.

[32] Le 23 mars 2011, le Dr Arora a noté que le Dr Kim a relayé la note selon laquelle l'appelante « ne prenait pas d'Elmiron par crainte des effets secondaires ». En novembre 2012, l'appelante a mentionné au Dr Arora qu'elle ne voulait pas prendre de médicaments « de façon chronique » et souhaitait plutôt obtenir une prescription de marijuana à des fins médicales. De plus, dans sa demande de révision du 13 avril 2013, l'appelante a dévoilé qu'elle avait commencé un « traitement naturel », grâce auquel elle se sentait beaucoup mieux qu'en prenant des médicaments d'ordonnance.

[33] Enfin, au cours de son témoignage, l'appelante a mentionné qu'après avoir reçu son diagnostic d'anxiété généralisée, de trouble obsessionnel compulsif et de trouble bipolaire, son médecin lui a suggéré de consulter un psychiatre et de prendre ses médicaments. L'appelante a indiqué qu'elle avait refusé de donner suite à ces traitements suggérés.

[34] L'intimé soutient qu'il ressort clairement de la preuve que l'appelante n'a pas suivi les traitements que lui ont suggérés ses médecins et n'a pas présenté d'observations pour expliquer le caractère raisonnable de son refus.

(iii) L'appelante a-t-elle été dirigée vers un psychiatre ou lui a-t-on prescrit des psychotropes ?

[35] L'appelante soutient que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu'elle a déclaré, au paragraphe 48 de sa décision :

[traduction]
Outre ses déficiences physiques, l'appelante a reçu un diagnostic d'anxiété et de dépression pour lesquelles on l'a dirigée vers un travailleur social en 2011 et pour lesquelles elle a participé à des séances de counselling. Rien n’indique qu’elle a reçu la prescription de médicaments pour gérer ses troubles de santé mentale ou qu’elle a été dirigée vers un psychiatre pour une consultation ou un traitement.

[36] L'appelante fait référence aux multiples cas dans le dossier, notamment dans les rapports du Dr Giles (p. GD4-50) et du Dr Arora (p. GD4-75 et p. GD4-85), où l'on indiquait qu'elle avait reçu des prescriptions pour des médicaments visant à traiter ses troubles de santé mentale. Bien que l'appelante ait reconnu ne pas avoir été dirigée vers un psychiatre, elle a été évaluée par un psychologue, le Dr Paulitzki, en juillet 2014. Ce dernier a décelé chez l'appelante une anxiété généralisée, un trouble obsessionnel compulsif et vraisemblablement des troubles bipolaires (type 1 ou 2) comportant des caractéristiques psychotiques.

[37] L'intimé soutient que la division générale n'a pas commis d'erreur en concluant que l'appelante n'avait pas été dirigée vers un psychiatre ou qu'elle n'avait pas reçu de prescription pour des psychotropes. En lisant le paragraphe 48 dans son ensemble et dans le contexte dans lequel la division générale a tiré ses conclusions, il est manifeste qu'aucune conclusion de fait erronée ne s'y trouvait.

[38] Il incombe au prestataire de montrer qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée avant la fin de sa période minimale d’admissibilité. La division générale a déclaré, dans sa décision, qu'aucune preuve n'a démontré que l'appelante avait reçu des prescriptions pour des médicaments visant à traiter ses troubles de santé mentale ou qu'elle avait été dirigée vers un psychiatre. Cependant, la dernière phrase avant la conclusion faisait référence au fait que l'appelante a reçu, en 2011, un diagnostic d'anxiété et de dépression qui l'a amenée à participer à des séances de counselling.

[39] Dans son témoignage devant la division générale, lorsqu'interrogée sur sa consultation en 2014, au cours de laquelle elle a reçu un diagnostic d’anxiété généralisée, de trouble obsessionnel compulsif et de trouble bipolaire, l'appelante a admis qu'elle n'avait jamais consulté de psychiatre et ne prenait pas de médicament pour soigner ses problèmes de sa santé mentale. Elle a témoigné avoir fait beaucoup de méditation à la maison pour apaiser son stress et son anxiété, qui étaient rendus à un point tel qu'elle avait besoin d'être hospitalisée. Elle a dit qu'elle allait tenter de maîtriser ses problèmes de santé mentale à l'aide de méthodes naturelles.

Analyse

(a) Norme de contrôle

[40] Jusqu'à tout récemment, les appels à la division d'appel étaient régis par la norme de contrôle définie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Dunsmuir c. New Brunswick, [2008] 1 RSC 190, 2008 CSC 9. Dans les affaires traitant d’erreurs de droit présumées ou de manquements à un principe de justice naturelle, la norme applicable était celle de la décision correcte, qui commandait un seuil inférieur de déférence envers un tribunal administratif, souvent comparé à une cour de première instance. Dans les affaires comportant des allégations de conclusions de fait erronées, la norme applicable était celle de la décision raisonnable, signifiant une réticence de la Cour à intervenir dans les conclusions de l'entité dont le rôle consiste à évaluer la preuve des faits.

[41] L'affaire Huruglica a rejeté cette approche, soutenant que les tribunaux administratifs ne devraient pas utiliser des normes de contrôle conçues pour être appliquées par les cours d’appel. Les tribunaux administratifs devraient plutôt se fonder en premier lieu sur leur loi constitutive pour déterminer leur rôle.

[42] Bien que l'arrêt Huruglica porte sur une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, elle entraîne des répercussions sur d'autres tribunaux administratifs. En l'espèce, la Cour d'appel fédérale est d'avis qu'il n'était pas approprié d'importer les principes de contrôle judiciaire, tels qu'ils sont énoncés dans l'arrêt Dunsmuir, aux instances administratives puisque ces dernières peuvent avoir des priorités autres que l'impératif constitutionnel de préserver la prépondérance de l'État de droit. « On ne doit pas simplement présumer que ce qui était réputé être la politique la plus appropriée pour les juridictions d’appel vaut également pour certains organismes administratifs d’appel. »

[43] Cette prémisse amène la Cour à déterminer le critère approprié qui découle directement de la loi constitutive d'un tribunal administratif :

…la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L'interprétation de la loi appelle l'analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] qui doivent être lus au regard de leur contexte global… L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [section d’appel des réfugiés].

[44] En conséquence, la norme de la décision raisonnable ou de la décision correcte sera inapplicable en l'espèce à moins que ces mots, ou leurs variantes, soient énoncés spécifiquement dans la loi constitutive. En appliquant cette approche à la Loi sur le MEDS, on réalise que les alinéas 58(1)a) et 58(1)b) ne nuancent pas les erreurs de droit ou les manquements à un principe de justice naturelle, ce qui signifie que la division d'appel ne devrait faire preuve d'aucune déférence à l'égard des interprétations de la division générale.

[45] Le terme « déraisonnable » n'apparaît nulle part à l'alinéa 58(1)c), qui traite des conclusions de fait erronées. Le test présente plutôt les qualificatifs « abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Comme on le suggère dans l'arrêt Huruglica, on doit donner à ces mots leur propre interprétation, mais les termes suggèrent à la division d'appel d'intervenir lorsque la division générale fonde sa décision sur une erreur flagrante ou qui contraste avec le contenu du dossier.

(b) Erreurs de fait

(i) Marijuana à des fins médicales

‏[46] ‎L'appelante soutient que la division générale ‏a conclu à tort qu’elle n’avait pas reçu de prescription pour de la marijuana à des fins médicales. On conteste les déclarations de la division générale selon lesquelles : (i) les documents au dossier ne mentionnaient pas de prescription pour de la marijuana à des fins médicales; (ii) les Drs Arora et Price ont tous deux refusé de lui prescrire de la marijuana à des fins médicales; (iii) d’après les conclusions qui précèdent, son utilisation de la marijuana n’était ni surveillée ni gérée par ses médecins traitants.

[47] Pour appuyer ses prétentions selon lesquelles on lui a déjà prescrit de la marijuana à des fins médicales, l'appelante a cité les dossiers du 19 février 2013 (GD4-94) et du 3 juillet 2013 (GD4-98), mais un examen détaillé des passages du dossier médical du Dr Arora démontre qu’elle s’est seulement présentée à un rendez-vous avec le Dr Price. Le dénouement de ce rendez-vous n’est pas clair, et je ne constate aucune confirmation du Dr Price à l'égard d'une recommandation de marijuana à des fins médicales. Je précise que les notes du 3 juillet 2013 du Dr Arora ne font pas mention de marijuana, mais que l’inscription suivante — la transcription du rapport de progrès de Ruth Ann McBride du 11 juillet — le fait, mais, comme le souligne l'intimé, elle transmet simplement ce que la demanderesse a mentionné à son avocat. Il ne s'agit pas d'une confirmation indépendante du fait qu'on lui a bel et bien prescrit de la marijuana à des fins médicales.

[48] J'ai examiné la transcription de l'audience préparée par l'intimé. À l'audience devant la division générale, l'appelante a témoigné de sa visite chez le Dr Price, son médecin qu'elle consulte tous les trois mois pour des questions de marijuana à des fins médicales. Tandis que l'appelante insinue qu'on lui a prescrit de la marijuana à des fins médicales, son représentant et elle ont admis qu'ils n'avaient produit aucun rapport du Dr Price confirmant ladite prescription.

[49] D'après mon examen du dossier, je dois conclure que la division générale a conclu à juste titre que le dossier ne contenait aucune indication à l'égard d'une prescription de marijuana à l'intention de l'appelante. Cependant, la division générale est allée plus loin et a déclaré que les Drs Arora et Price avaient tous les deux refusé de prescrire à l'appelante de la marijuana à des fins médicales.

[50] Tandis que les notes de suivi du 9 novembre 2012 du Dr Arora indiquaient clairement qu'il avait refusé de prescrire à l'appelante de la marijuana à des fins médicales, aucune preuve ne démontre que le Dr Price en a fait autant. Effectivement, comme il a déjà été établi, aucune preuve directe ne démontre, d'une façon ou d'une autre, l'engagement du Dr Price envers l'appelante. Cependant, la preuve démontre qu'un autre spécialiste a refusé de prescrire de la marijuana - la note du 5 février 2013 du Dr Arora indique que le rhumatologue de l'appelante avait décidé, après « avoir étudié la documentation », de ne pas remplir les formalités relatives à la marijuana à des fins médicales. La division générale a manifestement confondu ce rhumatologue anonyme avec le Dr Price (qui semble être un médecin de médecine générale qui se présente comme étant une autorité en matière de marijuana à des fins médicales).

[51] Bien que la division générale puisse avoir commis une erreur, je considère cette erreur comme insignifiante. L'essentiel de la position de la division générale demeure - deux professionnels de la santé ont manifestement refusé de prescrire à l'appelante de la marijuana à des fins médicales. En l'absence de preuve concrète pouvant démontrer le contraire, la division générale, en tant que juge des faits, avait la compétence pour raisonnablement induire que l'appelante parvenait à traiter ses symptômes en consommant de la marijuana prévue à des fins récréatives.

[52] Pour ces motifs, je conclus que la division générale n'a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée. L’appel ne peut être accueilli sur la base de ce motif.

(ii) Refus de suivre les traitements

‏[53] L'appelante soutient que la division générale a commis une erreur de fait en énonçant qu'elle a refusé de prendre les médicaments prescrits sans raison, malgré la preuve testimoniale et la preuve écrite démontrant qu’elle les prenait, mais qu’en raison d’effets secondaires débilitants elle avait décidé de cesser de les prendre.

[54] Il est manifeste que la division générale a fondé son refus, du moins en partie, sur le fait que l’appelante n’a pas suivi les traitements recommandés. La question consiste à déterminer si cette conclusion équivaut à une erreur susceptible d'appel. Comme l'a souligné l'intimé, selon a preuve au dossier, l'appelante a refusé de prendre ses médicaments d'ordonnance, ou a fait preuve d'une réticence à leur égard, à plusieurs occasions, préférant traiter ses symptômes à l'aide de marijuana. J'ai accordé la permission à cet égard parce que la division générale a déclaré, au paragraphe 44 de sa décision, que l'appelante n'avait présenté « aucune observation » au sujet de son refus de prendre les médicaments qui lui avaient été prescrits, alors qu'il semble qu'elle ait tenté de s'expliquer.

[55] Au paragraphe 12, la division générale a retenu du témoignage de l'appelante qu'elle avait « essayé plusieurs médicaments, mais que ceux-ci lui causaient des maux d'estomac ». L'enregistrement de l'audience confirme qu'il y a eu discussion au sujet des raisons qui ont incité l'appelante à ne pas prendre les médicaments qui lui avaient été prescrits. En réponse aux questions, l'appelante a nié les allégations selon lesquelles elle n'avait jamais pris de médicament. Elle a insisté pour dire qu'elle leur avait tous donné une chance, mais qu'ils l'avaient rendue malade. Le Tylenol #3, l'Ativan et le Lyrica ont tous produit des effets secondaires déplaisants. Selon l’appelante, seules la marijuana et la méditation ont prouvé leur effet.

[56] Je constate que ni l'appelante ni l'intimé ne conteste qu’une intervention médicale insuffisante puisse constituer une raison valable de refuser une demande de prestation d'invalidité du RPC. En l'espèce (au paragraphe 44), la division générale a mentionné à juste titre que l'appelante devait suivre les recommandations de traitement et qu’à défaut elle devait établir le caractère raisonnable de son refus de se conformer. J'ai insisté sur le « caractère raisonnable » parce qu'il précédait la conclusion de la division générale selon laquelle l'appelante n'avait présenté « aucune observation » au sujet de son refus de prendre les médicaments. Lire le paragraphe dans son ensemble laisse croire que la division générale avait l'intention de dire que l'appelante n'a présenté aucune observation pour justifier son non-respect des recommandations de traitement. Il n'y a aucun doute que la réticence de l'appelante à suivre les conseils de ses fournisseurs de traitements est un thème récurrent dans plusieurs rapports médicaux. Ce thème se retrouve aussi dans le résumé de la preuve de la division générale et dans son analyse de cette preuve.

[57] Il était de la compétence de la division générale d’évaluer la logique derrière la décision de l'appelante de ne pas prendre les médicaments qui lui étaient prescrits et de déterminer si elle était justifiée ou non d'agir ainsi. Même si je suis d'accord que la division générale aurait dû être plus explicite en expliquant pourquoi elle considérait les gestes de l'appelante comme déraisonnables, selon moi, ce manque d'explication n'est pas suffisant pour accueillir l'appel. S'il y a eu erreur en l'espèce, elle n'était pas « abusive ou arbitraire » ou n'a pas été commise « sans tenir compte des éléments ».

(iii) Consultation en psychiatrie et psychotropes

[58] L'appelante a découvert deux erreurs au paragraphe 48 de la décision de la division générale. Elle reconnaît que, même si elle n'a jamais rencontré de psychiatre, elle a consulté au fil des ans d'autres professionnels en santé mentale. Aussi, elle refuse d'admettre qu'elle n'a jamais reçu de prescription pour des médicaments à propos de son état de santé mental, faisant ici référence aux prescriptions pour de l'Ativan, de l'Elavil, du Cymbalta et de l'Amitiptyline.

[59] Comme l'appelante a concédé qu'elle n'avait jamais consulté de psychiatre dans le passé, ou qu'on ne l'avait jamais dirigée vers un tel spécialiste, je n'ajouterai rien à ce sujet, si ce n'est pour dire que le fait qu'elle a déjà bénéficié des conseils d'un travailleur social et d'un psychologue ne rend pas la décision de la division générale moins valable.

[60] Après avoir examiné les notes du Dr Arora, je suis convaincu que l'appelante a reçu des prescriptions pour des antidépresseurs et des anxiolytiques. Pris isolément, l'énoncé de la division générale, selon lequel « rien n'indique » que l'appelante a reçu des prescriptions pour des psychotropes, était inexact. Cependant, l'intimé soutient que le sens de cet énoncé ressort si on le lit dans son contexte.

[61] Je suis d'accord que le contexte est important. Les deux phrases que compte le paragraphe 48 abordent le premier diagnostic relatif à la santé mentale de l'appelante, en 2011. Ensemble, elles laissent croire que la division générale a voulu faire valoir que l'appelante a reçu des soins minimaux à la suite de son diagnostic.

[62] L'appelante révèle, dans son témoignage, qu'en dépit des pressions exercées sur elle pour qu'elle prenne des psychotropes, elle a toujours refusé d'en prendre. On lui a demandé quels médicaments d'ordonnance elle prenait contre l'anxiété, la dépression et la bipolarité. À cette question, elle a répondu : « aucun ». Sous l'influence de son représentant, l'appelante a déclaré qu'elle avait essayé Lyrica et Ativan, mais qu'ils lui avaient causé des nausées et des crises.

[63] Le dossier suggère que la division générale savait que l'appelante avait reçu des prescriptions pour des médicaments visant à traiter ses troubles de santé mentale, mais qu'elle a accordé plus d'importance au fait que l'appelante préférait certaines thérapies non recommandées aux médicaments, quelle refusait de prendre sans raison. Il revenait à la division générale en tant que juge des faits de soupeser la preuve présentée et de tirer des conclusions au sujet de la gravité de ses prétendus troubles découlant des traitements qu'elle recevait - ou qu'elle ne recevait pas.

[64] Les tribunaux se sont déjà penchés sur la question dans d’autres affaires où l’on alléguait que les tribunaux administratifs n’avaient pas examiné l’ensemble de la preuve ou avaient accordé un poids indu à certains éléments de preuve. Dans Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, l’avocate de l’appelante faisait mention de plusieurs rapports médicaux que la Commission d’appel des pensions (le prédécesseur de la division d'appel) avait, à son avis, ignorés, mal compris ou mal interprétés ou auxquels elle avait accordé trop de poids. En rejetant la demande de contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale a statué :

Premièrement, un tribunal n’est pas tenu de mentionner dans ses motifs chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais il est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve. Deuxièmement, le poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits. Ainsi, une cour qui entend un appel ou une demande de contrôle judiciaire ne peut pas en règle générale substituer son appréciation de la valeur probante de la preuve à celle du tribunal qui a tiré la conclusion de fait contestée...

[65] Je ne vois pas le bien-fondé de ce motif.

Conclusion

[66] Pour les motifs exposés précédemment, l’appel est rejeté.

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