Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

L’appel est accueilli.

Introduction

[1] Le présent appel porte sur une décision rendue le 6 octobre 2015 par la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal), qui avait rejeté la demande de pension d’invalidité de l’appelant parce que celui-ci n’avait pas démontré que son invalidité était grave, au sens du Régime de pensions du Canada (Loi), au moment où sa période minimale d’admissibilité (PMA) a pris fin, le 31 décembre 2012. La permission d’en appeler a été accordée le 29 avril 2016 au motif que la DG pourrait avoir commis une erreur en rendant sa décision.

Aperçu

[2] L’appelant était âgé de 55 ans lorsqu’il a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en septembre 2011. Il a terminé des études secondaires ainsi qu’une formation postsecondaire d’une durée de six mois. Il a travaillé pendant environ 30 ans dans le domaine du moulage par projection, d’abord comme technicien puis comme superviseur. Il a quitté son emploi en 2006 en raison d’une blessure au cou et de la discectomie qu’il a ensuite dû subir. Il est retourné au travail en 2007, où il a effectué des travaux légers et exercé des fonctions de superviseur jusqu’à la fermeture de l’entreprise en 2009.

[3] Dans le questionnaire accompagnant sa demande de pension du RPC, l’appelant a allégué être atteint de nombreuses limitations fonctionnelles, notamment d’une douleur et d’une raideur au cou et à l’épaule droite ainsi que d’un engourdissement à la main droite. Il souffrait d’évanouissements, d’étourdissements et de nausées et avait été admis à l’hôpital de nombreuses fois. Il avait consulté de nombreux spécialistes qui l’avaient aussi traité, mais il a allégué que ni sa douleur ni ses capacités fonctionnelles ne s’étaient considérablement améliorées.

[4] Dans son témoignage lors de l’audience devant la DG en octobre 2015, l’appelant a indiqué qu’il était invalide en raison de l’interaction de différentes affections physiques, notamment une spondylose cervicale, une douleur lombaire postopératoire, un diabète de type 2, un reflux gastro-œsophagien, l’arthrite et une dépression. Après avoir été mis à pied, il a suivi un cours pour devenir agent immobilier, mais il n’a pas été capable de le terminer en raison de la douleur qui l’empêchait de se concentrer. Il a postulé des emplois de travaux légers et des emplois dans des domaines où il avait de l’expérience, mais n’a pas été embauché.

[5] Dans sa décision datée du 6 octobre 2015, la DG a conclu que l’invalidité de l’appelant se situait sous le seuil prescrit en matière de gravité, en partie parce qu’aucun de ses médecins n’avait affirmé qu’il était incapable d’occuper tout emploi. Quoique la DG a convenu que l’appelant était atteint, à sa PMA, de limitations touchant son cou et son épaule droite, elle n’a pas été convaincue que celles-ci l’empêchaient de régulièrement détenir toute occupation véritablement rémunératrice. La DG a également conclu que l’appelant n’avait pas déployé suffisamment d’efforts pour pallier ses détériorations en trouvant un autre emploi qui convienne davantage à ses limitations.

[6] Le 17 décembre 2015, l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel (DA) du Tribunal, dans laquelle il a allégué que la DG avait commis de nombreuses erreurs. Le 29 avril 2016, la DA a accordé la permission d’en appeler au motif que la DG pourrait avoir :

  1. commis un manquement au principe de justice naturelle en ne tenant pas compte de la note du Dr Greenstone d’octobre 2012;
  2. fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans avoir consulté les éléments portés à sa connaissance lorsqu’elle a conclu que des narcotiques sont communément indiqués contre la douleur chronique.

[7] J’ai décidé d’instruire cet appel sur le fondement du dossier documentaire pour les raisons suivantes :

  1. la complexité des questions en litige;
  2. le fait que l’appelant ou les autres parties étaient représentés;
  3. l’exigence, prévue au Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[8] L’appelant a présenté ses observations dans sa demande de permission d’en appeler et dans son avis d’appel du 17 décembre 2015. Il a déposé des observations supplémentaires le 18 avril 2016 et le 13 juin 2016. L’intimé a également présenté des observations à la DA le 13 juin 2016.

Droit applicable

[9] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Questions en litige

[10] Les questions dont je suis saisi sont les suivantes :

  1. Quelle norme de contrôle faut-il appliquer, le cas échéant, pour examiner les décisions de la DG?
  2. La DG a-t-elle commis un manquement à un principe de justice naturelle en ne tenant pas compte de la lettre du Dr Greenstone d’octobre 2012?
  3. La DG a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu’elle a affirmé que des narcotiques étaient typiquement prescrits aux personnes souffrant de douleur chronique?

Observations

[11] Les observations déposées par l’appelant le 13 juin 2016 comprenaient une longue récapitulation de la preuve et des arguments présentés à la DG. Je vais seulement aborder les observations se rapportant aux motifs d’appel restreints d’après lesquels la permission d’en appeler a été accordée.

a) Quelle norme de contrôle faut-il appliquer?

[12] L’appelant soutient que la norme de contrôle applicable dans le cadre de cet appel est celle de la décision correcte puisque la DA ne doit aucune déférence à la DG. La DA est une instance supérieure au sein du même tribunal – la DG ne possède ni un savoir-faire ni une expérience qui justifie de privilégier ses décisions. L’appelant souligne également que le membre de la DG ayant statué en l’espèce agit régulièrement à titre de membre de la DA, quoiqu’il reconnaisse que la formation puisse différer entre les deux divisions.

[13] Pour ce qui est des motifs d’appel d’après lesquels la permission d’en appeler a été accordée, la question pertinente ne touche pas l’appréciation de la preuve; il s’agit plutôt de savoir si la DG a excédé sa compétence, soit en ne tenant pas compte d’un élément de preuve hautement pertinent ou en faisant des déclarations de fait sans preuve à l’appui. Pour la question relative à la compétence, c’est la norme de la décision correcte qu’il convient d’appliquer.

[14] Dans ses observations, l’intimé a discuté en détail les normes de contrôle et leur applicabilité en l’espèce, pour conclure que la norme de la décision correcte devait être appliquée aux erreurs de droit, et que celle de la décision raisonnable devait être appliquée aux erreurs de fait et aux erreurs mixtes de fait et de droit.

[15] L’intimé a fait remarquer que la Cour d’appel fédérale n’a pas encore déterminé l’approche précise que la DA doit adopter lorsqu’elle examine des appels portant sur des décisions de la DG. L’intimé a reconnu la cause Canada c. HuruglicaNote de bas de page 1 sur laquelle la Cour d’appel fédérale a récemment statué, laquelle, il a indiqué, confirme que l’analyse de la DA devrait être influencée par des facteurs comme la terminologie de la loi habilitante, l’intention de la législature ayant créé le tribunal et le fait que la législature a le pouvoir d’établir une norme de contrôle si elle le veut. L’intimé était d’avis que l’affaire Huruglica n’a pas eu une incidence considérable sur la norme de contrôle qu’il faut appliquer aux erreurs de fait alléguées; la terminologie de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS a continué de laisser cours à des résultats acceptables très variés.

[16] L’intimé soutient que la DA ne devrait pas trancher de nouveau sur les questions pour lesquelles la DG détient un avantage considérable à titre de juge des faits. La terminologie des articles 58 et 59 de la Loi sur le MEDS montre que l’intention du Parlement était que la DA fasse preuve de déférence à l’égard des conclusions de la DG portant sur des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit.

b) La DG a-t-elle commis un manquement à la justice naturelle en ne tenant pas compte de la lettre du Dr Greenstone?

[17] L’appelant allègue que la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou qu’elle a excédé sa compétence en ne tenant pas compte de la note du Dr Greenstone d’octobre 2012. Il a cité la Cour suprême du Canada qui, dans l’affaire Oakwood Development Ltd. c. St-François XavierNote de bas de page 2, a indiqué que « [l]'omission d'un organe de décision administrative de tenir compte d'un élément très important constitue une erreur au même titre que la prise en considération inappropriée d'un facteur extrinsèque ».

[18] La DG a conclu que l’appelant possédait une certaine aptitude au travail à sa PMA, mais cette conclusion était directement contredite par la preuve au dossier, et de façon évidente par celle du Dr Greenstone, qui avait écrit en octobre 2012 que l’appelant avait été [traduction] « recommandé en orthopédie en raison d’une pathologie persistante à l’épaule droite qui l’empêchait de travailler ». Cette note, qui avait été écrite durant la PMA de l’appelant et qui est extrêmement pertinente, a été ignorée par la DG.

[19] L’appelant soutient que, advenant que la DG ait tenu compte de la note du Dr Greenstone, elle aurait dans ce cas-là excédé sa compétence puisqu’elle n’a pas expliqué pourquoi elle aurait jugé la note douteuse ou partiale. Dans une ancienne décision de la DA, Ministre de l’Emploi et du Développement social c. K.O.Note de bas de page 3 (qui, incidemment, a été rédigée par le même membre que celui ayant statué dans la présente affaire au niveau de la DG), une décision avait été jugée déraisonnable puisque les motifs fournis étaient insuffisants. L’affaire K.O. s’était fondée sur la décision R. c. SheppardNote de bas de page 4 dela Cour suprême du Canada, où le juge Binnie avait indiqué que les juges doivent fournir des motifs suffisamment intelligibles pour permettre aux instances d’appel d’évaluer leur raisonnement.

[20] Quoiqu’une ancienne décision de la DA ait seulement une valeur persuasive, le principe énoncé dans Sheppard a force exécutoire. L’appelant soutient que la DG, comme elle l’a fait dans K.O., a excédé sa compétence quand elle n’a pas expliqué pourquoi elle n’a accordé que peu de poids, voire aucun, à la preuve contradictoire.

[21]    L’intimé admet que la DG ne semble pas avoir tenu compte de la note du Dr Greenstone d’octobre 2012, mais il soutient que, de toute façon, elle n’était pas tenue d’en faire mention. Il est de jurisprudence constante qu’un tribunal n’a pas besoin de mentionner dans ses motifs de décision chacun des éléments de preuve lui ayant été présentés, mais qu’il présumé avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve. Ce qui compte, dans le cadre du présent appel, c’est que la DG a effectivement tenu compte de la preuve médicale entourant la PMA de l’appelant se terminant le 31 décembre 2012, y compris des éléments de preuve médicale antérieurs et largement postérieurs à la PMA.

[22] L’intimé soutient que la DG n’a pas commis de manquement à un principe de justice naturelle en ne faisant pas référence à la note du Dr Greenstone d’octobre 2012, qui était une courte note manuscrite faite sur un ordonnancier, indiquant ce qui suit [traduction] : [I]l est recommandé en orthopédie en raison d’une pathologie persistante à l’épaule droite, qui l’empêche de travailler. » La note n’est pas un diagnostic formel ni une évaluation détaillée de l’opinion du Dr Greenstone sur l’état de l’appelant à long terme. De plus, la DG a tenu compte de l’évaluation plus étoffée de l’épaule droite de l’appelant faite par le Dr Greenstone en janvier 2012.

[23] Au paragraphe 10 de sa décision, la DG mentionne le rapport du Dr Greenstone du 10 janvier 2012, dans lequel ce dernier rapporte que l’appelant souffrait de douleur à l’épaule et au bras droits qui affectait sa capacité à conduire et à soulever des charges. Quoiqu’il ne soit pas identique à la note d’octobre 2012, ce rapport concorde de façon générale avec celle-ci et tient compte de la douleur à l’épaule de l’appelant et de son incidence sur sa capacité à effectuer certaines tâches. Le fait que la DG ait tenu compte du rapport de janvier 2012 laisse croire qu’elle était consciente de la douleur et des limitations à l’épaule droite dont se plaignait l’appelant. On ne peut pas affirmer que la DG a commis un manquement à la justice naturelle parce qu’elle n’a pas tenu compte de la note d’octobre 2012 alors qu’elle a tenu compte du contenu d’un rapport plus détaillé rédigé par le même médecin plus tôt la même année.

c) La DG a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion voulant que des narcotiques soient prescrits contre la douleur chronique?

[24] L’appelant allègue que la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu’elle a conclu que des narcotiques ne sont pas habituellement prescrits contre la douleur chronique.

[25] L’appelant a cité une ancienne décision de la DA, K.S. c. Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 5, dans laquelle la DA a analysé les termes employés dans une décision de la DG pour déterminer si elle contenait des erreurs de fait. Dans cette décision, la DG avait indiqué que « l’appelant n’avait déployé aucun effort pour trouver un emploi qu’il aurait pu occuper malgré ses limitations fonctionnelles ». La DA a conclu que l’utilisation du terme [traduction] « malgré » avait permis à cette déclaration de ne pas être considérée comme erronée étant donné qu’il existait une preuve au dossier montrant que l’appelant avait effectué certaines démarches pour trouver un emploi. L’affaire K.S. montre qu’il existe un précédent au sein de la DA pour procéder à une analyse précise et systématique lors de l’évaluation des erreurs alléguées.

[26] L’appelant suggère que deux erreurs connexes se trouvent au paragraphe 24 :

[Traduction]

Il faut noter que l’appelant n’a pas témoigné et qu’il n’y avait aucune preuve médicale voulant qu’un médecin lui ait recommandé de prendre des narcotiques, qui sont habituellement prescrits contre la douleur chronique.

[27] D’abord, la déclaration voulant qu’il n’existe aucune preuve montrant que des narcotiques avaient été prescrits est une erreur flagrante. Il y a de nombreuses mentions au dossier voulant que l’appelant prenne du Tylenol no 3 pour atténuer sa douleur, et l’appelant a pris du Percocet d’après la recommandation d’un médecin. Conformément à Santé Canada, ces deux médicaments sont des narcotiques. De plus, la déclaration selon laquelle des narcotiques sont habituellement prescrits contre la douleur chronique n’est appuyée par aucune preuve au dossier de cette affaire.

[28] L’appelant soutient également que quoique ces erreurs de fait puissent sembler mineures, elles se trouvent au cœur de l’analyse de la DG. Dans ses motifs de décision, la DG a laissé transparaître son opinion voulant que l’appelant n’ait pas typiquement l’air d’un patient atteint de douleur chronique. L’emploi de la formulation [traduction] « il faut noter » révèle la croyance de la DA voulant que la non-consommation prétendue d’analgésiques narcotiques de la part de l’appelant fût importante. Puisque cette conclusion de fait ne repose sur aucune preuve et qu’elle faisait partie de l’analyse appuyant la décision de la DA, l’appelant soutient que cette erreur devrait justifier d’accueillir cet appel. Sans cette erreur, l’issue aurait pu être différente.

[29] L’intimé soutient que le paragraphe 24 indiquait clairement que la DG notait que [traduction] « l’appelant souffre toujours de douleur, qui a été traitée par des médicaments d’ordonnance. » Il s’agissant du même médicament que l’appelant avait déclaré toujours prendre au moment de son audience. Ces renseignements étaient conformes aux paragraphes 9b) et c) et 13, où il avait été décrit que l’appelant était traité au moyen d’une crème sans ordonnance et de Tylenol no 3.

[30] Si la DG a conclu que ces médicaments d’ordonnance avaient été prescrits à l’appelant et qu’il les prenait bel et bien, elle a indiqué, dans une remarque incidente, que des narcotiques (des médicaments plus forts que le Tylenol no 3 sont habituellement prescrits aux personnes souffrant de douleur chronique. L’intimé affirme que la DG n’a tiré aucune inférence négative d’après cette remarque.

Analyse

a) Norme de contrôle

[31] Jusqu’à tout récemment, il était convenu que les appels devant la DA étaient régis par les normes de contrôle énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 6. Dans les affaires où des erreurs de droit ou un manquement aux principes de justice naturelle sont allégués, il a été établi que la norme applicable était celle de la décision correcte, faisant état d’un seuil inférieur de déférence requis à l’égard d’un tribunal administratif, souvent comparé à une cour de première instance. Dans les affaires portant sur des allégations de conclusions de fait erronées, la norme applicable établie était celle de la décision raisonnable, qui témoigne d’une certaine réticence à toucher aux conclusions de l’instance responsable d’instruire la preuve factuelle.

[32] Cette approche a été balayée d’un revers de main par l’affaire Huruglica, qui a établi que les tribunaux administratifs ne devraient pas avoir recours à des normes de contrôle ayant été conçues pour être appliquées dans les cours d’appel. Les tribunaux administratifs devraient plutôt se fier en premier lieu à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle.

[33] Bien que l'arrêt Huruglica porte sur une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, elle a des répercussions sur d'autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a établi qu’il n’était pas approprié de puiser dans les principes du contrôle judiciaire, comme l’a prescrit Dunsmuir, dans le cadre d’instances administratives, puisque celles-ci peuvent refléter des priorités législatives qui différèrent de l’impératif constitutionnel de préserver la primauté du droit. « […] on ne doit pas simplement présumer que ce qui était réputé être la politique la plus appropriée pour les juridictions d’appel vaut également pour certains organismes administratifs d’appel. »

[34] Cette prémisse amène la Cour à déterminer le critère approprié découlant directement de la loi habilitante d'un tribunal administratif :

[…] la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L'interprétation de la loi appelle l'analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] […] et son objet […] L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [Section de protection des réfugiés].

[35] En conséquence, les normes de la décision raisonnable et de la décision correcte ne sont pas applicables à moins que ces mots, ou leurs variantes, soient énoncés spécifiquement dans la loi constitutive. Si l’on applique cette approche à la Loi sur le MEDS, on peut observer que les alinéas 58(1)a) et b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements à la justice naturelle, ce qui suggère que la DA ne devrait pas faire preuve de déférence à l’égard des interprétations de la DG.

[36] Le terme « déraisonnable » n'apparaît nulle part à l'alinéa 58(1)c), qui porte sur les conclusions de fait erronées. En revanche, le critère comporte les qualificatifs « abusive ou arbitraire » et « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme on l’a suggéré dans l’affaire Huruglica, il faut donner à ces mots leur propre interprétation, mais le libellé suggère que la DA devrait intervenir lorsque la DG fonde sa décision sur une erreur qui est manifestement grossière ou contraire au dossier.

b) Lettre du Dr Greenstone

[37] L’appelant allègue que la DG a commis un manquement à un principe de justice naturelle puisqu’elle n’a pas tenu compte de la note d’octobre 2012 du Dr Greenstone, qui le déclarait incapable de travailler. Si l’intimé admet que la DG paraît avoir fait abstraction de la note, elle soutient qu’un décideur n’est pas tenu de mentionner chacun des éléments de preuve qui lui sont présentés et que, de toute façon, l’essentiel de l’évaluation du Dr Greenstone avait été abordé dans une lettre qu’il avait précédemment rédigée en janvier 2012 et dont la DG a tenu compte.

[38] Comme l’indiquait la décision que j’ai rendue le 29 avril 2016 relativement à la permission d’en appeler, ne pas mentionner un élément de preuve dans une décision n’est pas, en soi, un manquement à la justice naturelle, puisqu’il revient au juge des faits d’évaluer la qualité des éléments de preuve et de leur assigner le poids qui convient. Il reste à déterminer si la lettre du Dr Greenstone était pertinente et déterminante au point de pouvoir influencer le dénouement de l’affaire.

[39] Comme je l’ai indiqué plus tôt, la note du Dr Greenstone était une note manuscrite brève, écrite sur un ordonnancier. Elle n’a rien fait d’autre que de mentionner [traduction] « une pathologie persistante à l’épaule droite qui […] empêche [l’appelant] de travailler ». Quoiqu’elle était brève et qu’elle ait pu facilement passer inaperçue, cette note était tout de même la seule déclaration non équivoque de l’un des médecins de l’appelant indiquant qu’il n’était plus capable de travailler. Cette note est d’autant plus pertinente qu’elle a été rédigée trois mois avant la fin de la PMA de l’appelant, et ce par son médecin de famille de longue date, qui était le seul de ses nombreux médecins traitants à être en mesure d’avoir un point de vue global de ses multiples affections.

[40] Selon moi, il ne suffit pas de juger que la note du Dr Greenstone était pertinente. Pour que l’appel puisse être accueilli sur ce motif, il faut également qu’elle ait été d’une valeur déterminante dans cette affaire – autrement dit, il faut que la décision ait précisément dépendu du fait que la note ait dûment été prise en considération ou non. Sur cette question, je dois trancher en faveur de l’appelant. Il est manifeste que la DG a fondé sa décision, en partie, du moins, sur la conclusion erronée voulant qu’aucun des nombreux rapports médicaux produits par l’appelant ne lui proscrivait de travailler. Je juge que la DG a commis un manquement à la justice naturelle en ne tenant pas compte de ce rapport en particulier – quoique bref – qui déclarait l’appelant inapte à travailler.

[41] La teneur de l’argument de l’intimé était que la note du Dr Greenstone était essentiellement sans importance puisqu’elle ne fournissait aucun diagnostic formel et ne présentait pas d’évaluation détaillée sur l’état à long terme de l’appelant, contrairement à l’évaluation [traduction] « plus étoffée » concernant l’épaule droite de l’appelant, rédigée par le Dr Greenstone en date du 10 janvier 2012.

[42] Il est vrai que la DG a tenu compte de ce rapport antérieur, notant au paragraphe 10 de sa décision que l’appelant souffrait d’une douleur à l’épaule et au bras droits, qui affectait sa capacité à conduire et à soulever des charges. Cependant, la DG était déjà au courant, en raison d’autres rapports, des problèmes à l’épaule dont se plaignait l’appelant, et on ne peut pas affirmer que la lettre de janvier 2012 était bien plus détaillée que la note contestée d’octobre 2012 : la lettre était elle aussi manuscrite et ne présentait que de très brèves analyses, lesquelles j’ai retranscrites ci-dessous :

[Traduction]

Il ressent plus de douleur du côté droit de son cou et à l’épaule droite à partir du bras droit, ce qui affecte sa capacité à conduire et à soulever des charges. Vous avez son IRM. Il est atteint d’une affection à la colonne cervicale et ses rayons X ont révélé des problèmes acromio-claviculaires et à l’épaule donc quand l’échographie est prévue. Il a été recommandé au Dr Gittens.

[43] Je ne suis pas d’accord avec l’intimé, qui croit que le contenu de cette lettre reflétait celui de la note d’octobre 2012. Si la lettre de janvier 2012 traitait de la douleur et de la limitation touchant l’épaule droite de l’appelant, elle n’abordait pas précisément son aptitude au travail. La note d’octobre 2012, malgré son format informel et son analyse succincte, aurait dû être abordée par la DG dans sa décision. Si la DG a décidé de l’écarter ou de lui assigner un poids négligeable, elle aurait dû expliquer pourquoi elle l’a fait.

c) Prescription de narcotiques pour la douleur chronique

[44] L’appelant soutient que la DG a conclu, malgré la preuve disponible, qu’on ne lui avait pas prescrit de narcotiques. L’appelant allègue également que la DG a conclu à tort que des narcotiques ne sont pas typiquement prescrits contre la douleur chronique.

[45] Au paragraphe 24 de sa décision, la DG a indiqué qu’il n’y a [traduction] « aucune preuve médicale voulant qu’un médecin lui ait recommandé de prendre des narcotiques ». L’appelant a contesté cette conclusion, faisant mention de plusieurs rapports documentant sa consommation d’analgésiques narcotiques, mais les Drs Telfer et Gittens ont seulement rapporté les antécédents de l’appelant et ne lui ont pas eux-mêmes prescrit ou recommandé de prendre du Tylenol no 3. L’appelant a également mentionné d’autres documents, dont son questionnaire pour sa pension d’invalidité du RPC et la lettre du 25 novembre 2014, mais ces documents avaient été préparés par l’appelant qui, sans que cela soit confirmé par une source indépendante, a indiqué qu’il prenait du Tylenol no 3. Enfin, le rapport sur les soins ambulatoires, dans lequel du Percocet avait prétendument été prescrit à l’appelant, était complètement illisible dans le dossier documentaire, et d’une façon ou d’une autre, ne fournissait aucune preuve. Enfin, je souligne que le reste du dossier médical, incluant le rapport médical pour le RPC rempli par le médecin de famille de l’appelant, faisait état de nombreux médicaments d’ordonnance qui, toutefois, ne comprenaient aucun narcotique. Compte tenu de ce qui précède, je suis forcé de juger que la DG a eu pertinemment raison d’affirmer qu’il n’existait aucune preuve médicale objective voulant qu’il eût été recommandé à l’appelant de prendre des narcotiques.

[46] Cela étant dit, il semble que la DG ait, après avoir noté le manque de preuve montant que des narcotiques avait été prescrits à l’appelant, tiré une inférence négative à partir de ce fait, fondée sur l’utilisation habituelle des narcotiques contre la douleur chronique. Comme je l’avais noté dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler dans cette affaire, il ne m’apparaît pas évident que des narcotiques sont [traduction] « habituellement » indiqués contre la douleur chronique et utilisés par les personnes qui en sont atteintes, et la DG n’a cité aucune preuve ou autorité à l’appui de cette prémisse. Je souligne également que l’intimé n’a pas plaidé devant la DG que l’absence d’un certaine type d’analgésiques narcotiques dans le régime de médicaments de l’appelant suggérait que ses détériorations se situaient sous le seuil requis relativement au caractère grave d’une invalidité. Je suis d’avis que la tentative de la DG d’établir un lien entre le caractère grave de l’invalidité et la consommation de narcotiques n’était pas étayée par la preuve et que la DG a, de ce fait, tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[47] Évidemment, une conclusion de fait erronée n’est pas nécessairement un motif d’appel admissible en soi. Il faut aussi, aux termes de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS, que la DG ait fondé sa décision sur ladite conclusion de fait. Ainsi, conclure que la non-consommation d’analgésiques narcotiques laissait croire que la détérioration n’était pas grave et permettre à cette conclusion d’influencer considérablement la décision finale sont deux choses différentes. En l’espèce, deux indices montrent de manière évidente que la DG a considéré la consommation (ou la consommation insuffisante) de narcotiques de l’appelant comme étant un facteur déterminant, soit quand elle a abordé ce sujet en premier lieu dans son analyse et quand elle l’a introduit en utilisant la formulation [traduction] « il faut noter que ».

[48] L’intimé a allégué que la DG avait conclu que l’appelant avait pris des analgésiques narcotiques, mais qu’elle avait, à l’appui de cette conclusion, cité des extraits (aux paragraphes 9b) et c) et 13 de sa décision) qui répétaient simplement les allégations de l’appelant qui n’étaient pas étayées. Il n’en reste pas moins que la DG a ensuite affirmé, au paragraphe 24, qu’il n’existait aucune preuve voulant qu’un médecin ait recommandé des narcotiques à l’appelant, et, en essayant d’écarter cette déclaration en la faisant passer pour une remarque incidente (fait en passant), l’intimé défie son essence même et le contexte dans laquelle elle a été faite. Contrairement à ce qu’a affirmé l’intimé, j’estime que la DG a effectivement tiré une inférence négative d’après une conclusion de fait erronée, ce qui me permet d’accueillir l’appel sur ce motif.

Conclusion

[49] Pour les motifs discutés précédemment, l’appel est accueilli d’après les deux moyens d’appel qui avaient précédemment justifié d’octroyer la permission d’en appeler.

[50] L’article 59 de la Loi sur le MEDS prescrit les réparations que la DA peut fournir à l’appel. Pour prévenir toute crainte de partialité, il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la DG pour qu’une nouvelle audience soit tenue devant un membre différent de la DG.

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