Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

Appelant : J. C. and Dr Yves Turgeon, neuropsychologue (témoin)

Intimé : Observations écrites seulement

Aperçu

[1] L’appelant est un homme âgé de 48 ans qui s’est buté à de nombreuses difficultés dans sa vie. Il est divorcé, a un enfant dont il est le père et deux beaux-enfants. Son neuropsychologue, qui a pris part à l’audience, a décrit son état de santé comme extrêmement complexe compte tenu de la multitude de problèmes de santé physique et mentale qui se chevauchent et avec lesquels il se débat. Le 5 août 2010, il a demandé des prestations d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC), mais sa demande a été rejetée par l’intimé au stade initial et après réexamen. C’est la décision de réexamen datée du 13 septembre 2011 qui est maintenant portée en appel devant le Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal).

[2] Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté.

Façon de procéder

[3] D’abord, il convient de décrire brièvement l’historique procédural de cet appel.

[4] Le 11 octobre 2011, l’appelant a interjeté appel de la décision de réexamen devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR) (GT1-204). Comme le Bureau n’avait pas entendu l’appel avant le 1er avril 2013, le dossier est réputé avoir été déposé auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, qui a remplacé le BCTR, en vertu de l’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012.

[5] Le 30 août 2015, un membre différent du Tribunal a rejeté l’appel sans audience. Insatisfait de la décision, l’appelant a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la division générale (AD-15-1188). Cette autorisation a été accordée le 24 décembre 2015, et le 16 février 2016, la division d’appel a approuvé une entente ayant été conclue entre les parties, ce qui a eu pour effet de renvoyer le dossier à la division générale en vue d’une nouvelle audience.

[6] Ce membre de la division générale du Tribunal a alors statué que l’affaire devrait être entendue le 14 juillet 2016 par téléconférence pour les motifs suivants :

  1. Les audiences ne peuvent pas être tenues par vidéoconférence à une distance raisonnable du lieu où réside l’appelant.
  2. Il manquait de l’information ou il était nécessaire d’obtenir des précisions.
  3. La façon de procéder convient le mieux pour traiter des contradictions dans la preuve.
  4. La façon de procéder est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.
[7]  Bien que l’affaire devait être instruite en français, l’appelant a demandé à l’audition de l’appel qu’elle soit instruite en anglais et que la décision soit rédigée en anglais. Le présent texte en est la traduction.

Droit applicable

[8] L’alinéa 44(1)b) du RPC établit les conditions d’admissibilité en vue d’obtenir une pension d’invalidité au titre du RPC. Pour être admissible à une pension d’invalidité, un demandeur doit :

  1. a) avoir moins de soixante-cinq ans;
  2. b) ne pas recevoir de pension de retraite du RPC;
  3. c) être invalide;
  4. d) avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[9] Le calcul de la PMA est important, puisqu’une personne doit établir qu’elle avait une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa PMA ou avant cette date.

[10] L’alinéa 42(2)a) du RPC définit l’invalidité comme étant une invalidité physique ou mentale qui est grave et prolongée. Une personne est considérée comme ayant une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

Questions en litige

[11] L’appelant n’a soulevé aucune question en ce qui concerne la PMA telle que calculée par l’intimé. Le Tribunal est également d’accord avec ce calcul et conclut que la PMA de l’appelant a pris fin le 31 décembre 2004.

[12] L’article 19 du RPC prévoit que lorsque les gains et les cotisations d’un appelant sont inférieurs à l’exemption de base de l’année, ils peuvent être calculés au prorata si la personne devient invalide pendant la période du calcul au prorata. Dans le cas qui nous occupe, la période du calcul au prorata s’étend du 1er janvier 2005 au 31 janvier 2005.

[13] Le Tribunal doit donc déterminer si l’appelant avait une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa PMA ou avant cette date. Subsidiairement, le Tribunal doit déterminer si, selon toute vraisemblance, l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée pendant la période du calcul au prorata, qui s’étend du 1er janvier 2005 au 31 janvier 2005.

Sommaire de la preuve

[14] La preuve dans le présent appel comprenait le témoignage de vive voix de l’appelant et de son neuropsychologue, le Dr Turgeon, ainsi que l’ensemble des rapports médicaux et autres preuves documentaires se trouvant dans le dossier du Tribunal. La preuve a été revue dans son intégralité, mais seuls les aspects jugés les plus pertinents sont décrits ci-après.

[15] D’entrée de jeu, le Dr Turgeon a expliqué que l’appelant l’a appelé le matin de l’audience pour lui demander s’il pouvait prendre part à la téléconférence. Le Dr Turgeon a accepté de le faire sans recevoir de rémunération ni quelque avantage que ce soit même s’il devait annuler des rendez-vous. Le Dr Turgeon n’avait pas le dossier de l’appelant en sa possession, mais il estimait avoir reçu l’appelant assez régulièrement au cours des cinq à six dernières années pour bien connaître le dossier. Il affirmait être particulièrement bien placé pour commenter la capacité de travailler de l’appelant.

[16] En guise de préambule à ses commentaires, le Dr Turgeon a également affirmé que le dossier de l’appelant est extrêmement complexe compte tenu de la multitude de conditions présentes qui se chevauchent. Il a en outre affirmé que l’appelant a tendance à divaguer et éprouve de la difficulté à s’exprimer, ce qui peut faire en sorte qu’il est difficile, même pour des professionnels de la médecine, de comprendre ses préoccupations et de le traiter de manière appropriée. De fait, le Tribunal avait d’abord de la difficulté à vérifier si l’appelant avait les documents d’appel en sa possession le jour de l’audience. Plutôt que de répondre à cette question, l’appelant a fait référence à de nouveaux documents médicaux qu’il avait déjà reçus. Le Dr Turgeon s’est servi d’une technique en particulier pour ramener l’appelant à la question posée, mais a expliqué que l’esprit de l’appelant semble parfois être pris dans une boucle.

[17] Par ailleurs, même si l’appelant avait appelé le Dr Turgeon le matin de l’audience et lui avait fourni le numéro à composer pour prendre part à l’appel conférence, l’appelant s’est lui-même joint à l’appel conférence tardivement parce qu’il avait perdu ses documents dans l’intervalle. Le Dr Turgeon a expliqué que de tels symptômes sont fréquents chez l’appelant.

Aperçu de la demande de prestations de l’appelant

[18] Le questionnaire présenté avec la demande de l’appelant en vue d’obtenir des prestations d’invalidité au titre du RPC (GT1-182) n’énonce pas avec exactitude les principaux éléments de la demande de l’appelant, qui ne correspondent pas à ce qui a été présenté au cours de l’audience. Il convient donc de donner un aperçu de la demande de prestations telle que présentée.

[19] D’après l’appelant, il a reçu un diagnostic de graves problèmes de santé mentale dès un très jeune âge. Il a pu occuper quand même divers emplois, le dernier emploi régulier ayant été un poste de camionneur sur long parcours. En plus de ses problèmes de santé mentale, l’appelant avait de longs antécédents de douleurs à l’aine gauche et au testicule gauche. Cette douleur s’est tellement intensifiée qu’il a dû cesser de travailler à la fin de 2004. Le 6 janvier 2005, l’appelant a subi une intervention chirurgicale pour se faire enlever son testicule gauche, après quoi il s’est soumis à une période de rétablissement. Cependant, le 20 mai 2005, tout juste avant son retour au travail prévu, l’appelant a été impliqué dans un grave accident de motocyclette.

[20] La majeure partie du questionnaire présenté par l’appelant avec sa demande de prestations d’invalidité (GT1-182) fait référence aux malaises et aux déficiences qui ont découlé de l’accident de motocyclette de mai 2005. À l’audience, grâce à une meilleure compréhension des conditions d’admissibilité au RPC, notamment de l’obstacle que représente sa PMA, l’appelant et le Dr  Turgeon se sont concentrés bien davantage sur les problèmes de santé mentale précoces de l’appelant, et le Dr Turgeon a souligné de nombreux facteurs – dont bon nombre étaient présents bien avant l’accident de motocyclette de 2005 – qui ont contribué à l’invalidité actuelle de l’appelant.

[21] Le défi que présente cet appel consiste donc à évaluer dans quelle mesure l’appelant était invalide le 31 décembre 2004 ou avant cette date, ou pendant la période du calcul au prorata du 1er au 31 janvier 2005, et si ce degré d’invalidité satisfait aux critères d’obtention de prestations d’invalidité au titre du RPC.

La preuve de l’appelant

[22] L’appelant avait 36 ans le 31 janvier 2005, soit à la date du calcul au prorata à laquelle il a respecté pour la dernière fois les conditions de cotisation en vue d’obtenir des prestations d’invalidité au titre du RPC. Il avait une douzième année, mais il disait être dyslexique et éprouver des difficultés scolaires parce que ses aptitudes en lecture et en écriture sont bien moindres que ce que laisse croire son diplôme d’études secondaires. (Un échantillon de ce qu’il écrit se trouve à la pièceGT10.) L’appelant vit dans les Maritimes et est bilingue.

[23] L’appelant prétend avoir reçu un diagnostic de trouble sévère du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) à un très jeune âge et s’est fait prescrire des dosées élevées de Ritalin entre 10 et 16 ans. À 16 ans, il a cessé de prendre du Ritalin et s’est tourné peu après vers les substances illicites. Il a fini par se rendre compte de l’importance du Ritalin et s’est débattu pour s’en faire prescrire de nouveau. Il soutient qu’il ne pouvait pas fonctionner normalement sans ce médicament. En ce qui concerne son TDAH, l’appelant a dit que son élocution est souvent tellement rapide que les gens éprouvent de la difficulté à le comprendre. Même les gens qui le connaissent bien, comme ses parents, l’accusent souvent d’être drogué alors qu’il ne l’est pas. De fait, l’appelant a demandé que l’audience se déroule en anglais parce qu’il parle plus lentement dans cette langue et qu’il se fait comprendre plus facilement.

[24] L’appelant prétend avoir commencé à ressentir de la douleur dans la partie gauche de l’aine vers l’âge de 14 ans. Une grosse hernie inguinale a été retirée ultérieurement, mais selon ses dires, des complications ont occasionné une douleur continue dans cette région et dans son testicule gauche.

[25] L’appelant a dit qu’il a commencé à travailler dans un garage local à l’âge de 16 ans. Il a ensuite déménagé à X, où il a travaillé dans le domaine de la maçonnerie. Après avoir subi une blessure au dos, l’appelant est retourné dans les Maritimes et a suivi une formation d’opérateur d’équipement lourd, mais il a trouvé cela difficile parce qu’il avait de la difficulté à contrôler son intestin. Il a ensuite commencé à travailler comme conducteur de camion sur long parcours, ce qui lui convenait mieux parce qu’il y avait une toilette dans la cabine de son camion et un congélateur dans lequel il conservait des blocs réfrigérants afin d’apaiser la douleur dans son aine gauche et son testicule gauche.

[26] L’appelant a dit qu’il a particulièrement apprécié le camionnage lorsqu’il s’est rendu compte de l’argent que ça pouvait lui rapporter. Il a dit qu’il a cessé de consommer des stupéfiants à ce moment-là en raison de la possibilité de tests de dépistage. Sa famille l’aidait pour l’entretien et la paperasserie associés au camionnage, ce qui fait qu’il n’avait qu’à conduire. Ce qu’il a fait : plus de 900 000 km en 30 mois, d’après son témoignage. Pour y parvenir, il dit avoir dormi seulement quatre heures et demie par nuit, et compte tenu de l’intensité de sa douleur à la fin de 2004, il a dit qu’il pouvait [traduction] « prendre jusqu’à 100  Tylenol 1s par jour ». Comme l’appelant était constamment sur la route, il a dit qu’il était en mesure d’acheter autant de médicaments en s’arrêtant à différentes pharmacies en chemin. Malgré toutes ses heures de travail et l’ensemble des médicaments qu’il prenait, l’appelant a affirmé qu’il faisait très attention de ne jamais avoir d’accident ou de se faire arrêter par la police, ce qu’il a réussi à faire.

[27] Tel que mentionné, la douleur ressentie par l’appelant à son aine gauche et à son testicule gauche s’est tellement intensifiée qu’il a dû subir une autre intervention chirurgicale. En juin 2004, le Dr Cianciulli lui a fait une épididymectomie, mais il se dit frustré que le médecin n’ait pas procédé à l’ablation de son testicule gauche comme il était censé le faire. En date du 24 octobre 2004, il a témoigné que la douleur était telle qu’elle l’empêchait de travailler. En janvier 2004, le Dr Rusu a enlevé le testicule gauche de l’appelant. À un moment donné au cours de l’audience, l’appelant a dit que son testicule gauche mesurait 14,5 cm lorsqu’il a été enlevé, et il a affirmé à un autre moment qu’il était de la taille d’une balle de baseball.

[28] Après l’intervention chirurgicale de janvier 2005 et une période de rétablissement subséquente, l’appelant semblait admettre que sa douleur à l’aine s’était en grande partie résorbée, mais il a dit qu’il souffrait d’autres complications, comme un manque d’énergie et de motivation. Selon lui, il a fallu un certain temps avant que les médecins se rendent compte que l’intervention chirurgicale avait affecté considérablement son niveau de testostérone.

[29] Néanmoins, en mai 2005, l’appelant a affirmé qu’il s’était procuré un nouveau camion et qu’il était prêt à recommencer à conduire. Il s’est rendu à une dernière soirée de fête avec ses amis, mais à son retour, après avoir bu pendant la soirée, il a été impliqué dans un grave accident de motocyclette qui a entraîné l’ablation de sa rate, plusieurs côtes cassées et une grave commotion. Longtemps après l’accident, ses effets ont continué à avoir un impact négatif sur de nombreux aspects de la santé de l’appelant.

[30] L’appelant dit avoir fait au moins quelques tentatives de retour au travail entre 2005 et 2007. On ne sait pas clairement à quel moment il a occupé ces emplois, mais l’appelant a dit qu’il s’agit de courtes périodes (voir également GT1-183). En mai 2005, l’appelant a aidé un ami pendant une semaine à couper des branches et à débroussailler, mais il aurait eu de la difficulté à manipuler les ciseaux requis et il devait prendre trop de pauses (GDR2-4). Il affirme qu’il a également conduit un camion à ordures, en remplacement d’un ami qui s’est absenté pour des raisons médicales. Heureusement, l’appelant a dit qu’il pouvait faire le travail lorsqu’il était en mesure de fonctionner et qu’il était disponible, ce qui fait qu’il se sentait davantage en sécurité lorsqu’il travaillait de nuit alors qu’il y avait moins de circulation.

[31] Cependant, c’est vraiment loin de marquer la fin des difficultés de l’appelant : il a été hospitalisé pour des problèmes de santé mentale du 30 mars 2010 au 23 avril 2010 (GT1-49), il a reçu un diagnostic de cancer testiculaire en 2011, il a souffert de polyneuropathie, et il prétend maintenant subir notamment des blocages aux mains et de graves douleurs au pied.

La preuve médicale

[32] Avec sa demande de prestations d’invalidité, l’appelant a soumis un rapport médical rempli par le Dr Connely le 22 novembre 2010 (GT1-17). Le Dr Connely est le médecin de famille de l’appelant depuis avril 1985, et fait observer qu’il le traite pour ses principaux problèmes de santé depuis octobre 2005. Dans son rapport, le Dr Connely a posé les diagnostics suivants :

  1. douleur chronique non maligne au bas du dos depuis un accident de travail subi en Ontario en 1990;
  2. douleur parascapulaire du côté gauche;
  3. douleur à la paroi de la cage thoracique du côté gauche depuis un polytraumatisme subi au printemps 2005;
  4. douleur chronique au testicule gauche;
  5. hypertension,
  6. anémie normocytaire;
  7. syndrome du côlon irritable;
  8. apnée du sommeil;
  9. thrombocytose après hernie discale (aucun déficit neurologique);
  10. syndrome du canal carpien (droite)
  11. dépression majeure/hypersomnolence intraitable/fatigue intraitable;
  12. hématurie microscopique sous enquête;
  13. obésité;
  14. pancréatite.

[33] Le Dr Connely a constaté que l’appelant avait des symptômes intraitables de fatigue, d’hypersomnolence, et de douleur chronique non maligne, ainsi que des symptômes de TDAH, de dépression et d’anxiété, qui persistent tous malgré une pharmacothérapie agressive, de la psychothérapie, des consultations et des traitements spécialisés de la douleur (GT1-19). Le Dr Connely s’est également dit d’avis que les symptômes de l’appelant sont graves et prolongés, que son pronostic est réservé, et qu’il fonctionne à moins de 50 % dans ses activités de la vie quotidienne et ses activités sociales.

[34] Le Dr Connely a dressé un autre rapport le 28 avril 2014 qui comprenait les diagnostics additionnels suivants (GT3-2) :

  1. cancer du testicule droit depuis décembre 2011;
  2. TDAH durant l’enfance et à l’âge adulte; polyurie idiopathique;
  3. polyneuropathie des membres supérieurs et inférieurs.

[35] À quelques exceptions près, les rapports du Dr Connely ne sont pas rédigés pour que le lecteur puisse dire facilement si les diagnostics donnés l’ont été avant ou après le 31 janvier 2005. Cependant, sur la base de l’examen de la preuve par le Tribunal, il est établi que certaines afflictions, comme le TDAH de l’appelant, sa dépression, ses douleurs au bas du dos, à l’aine et au testicule gauche étaient toutes présentes dans une certaine mesure avant sa PMA.

[36] La douleur de longue date éprouvée par l’appelant au niveau de son aine et de son testicule gauches a été bien décrite et documentée dans la preuve. Même des documents de 1994 indiquent que ses douleurs remontent à six ou sept ans (GT1-122 et 126). De plus, des documents de 1995 postérieurs aux interventions chirurgicales révèlent que la douleur de l’appelant s’est poursuivie et a nui à sa capacité de conserver un emploi régulier. Il a été rapporté qu’il prenait quotidiennement des analgésiques pour se soulager (GT1-121).

[37] Jusqu’en 2004, l’appelant consultait le Dr Cianciulli pour ses douleurs (GT1-141 à 144) et il a fait une épididymectomie du côté gauche le 21 juin 2004 (GT1-200). Cependant, l’appelant a affirmé que cette intervention l’a frustré parce que la douleur était tellement intense qu’il voulait que le médecin procède à l’ablation complète de son testicule, ce qu’a fait ultérieurement le Dr Rusu le 6 janvier 2005 (GT3-110).

[38] L’appelant a convenu que cette intervention chirurgicale a été essentiellement réussie sur le plan de la réduction ou de l’élimination de sa douleur, mais a ajouté qu’il y a eu d’autres conséquences négatives, comme le manque d’énergie et de motivation.

[39] Toutefois, tel qu’il a été décrit précédemment, le Dr Turgeon attribuait l’invalidité de l’appelant à une multitude de facteurs, dont la douleur à son aine et à son testicule gauches ne représentent qu’un aspect.

[40] Dans son témoignage de vive voix, le Dr Turgeon a expliqué son rapport complet daté du 19 juillet 2013 dans lequel il a donné le diagnostic qui suit (à GT8-6) :

[traduction]
[L’appelant] a un trouble neurocognitif, fort probablement causé par une combinaison de facteurs, dont un syndrome post-commotion persistant, un trouble aigu du déficit de l’attention avec hyperactivité et un trouble affectif chronique. Malgré lesrésultats des évaluations sur les divers aspects liés au problème de santé mentale, il existe une certaine certitude neuropsychologique que les problèmes cognitifs de [l’appelant] dans les tests découlent d’un dysfonctionnement neuropsy-chologique, dont le substrat physiologique constitue un grave problème de santé mentale.

[41] En ce qui concerne ses capacités fonctionnelles et la possibilité de reprendre le travail, voici ce que le Dr Turgeon a écrit (à GT8-7) :

[traduction]
[L’appelant] est affecté beaucoup plus gravement qu’il le laisse paraître. Il contrôle beaucoup moins ses mécanismes cognitifs, ses émotions et son comportement qu’il le croit, ce qui ajoute à ses problèmes d’adaptation et à son incapacité de modifier son comportement pour amoindrir ses symptômes cognitifs, affectifs et comportementaux.

En ce qui concerne un retour au travail, je suis d’avis que [l’appelant] n’est pas apte à reprendre un emploi malgré sa motivation de le faire. Je ne crois pas non plus qu’il sera apte à le faire de nouveau un jour. Compte tenu de ses antécédents de troubles psychologiques, je ne vois pas de quelle façon il pourrait s’acquitter de ses responsabilités au travail. Un emploi de camionneur ou tout autre emploi qu’il a déjà occupé nécessite bien davantage que des aptitudes cognitives moyennes, sans parler de l’improbabilité des effets des médicaments pris en situation de stress. En outre, le travail nécessite des aptitudes pour gérer ses émotions et pour adapter ses comportements, ce que[l’appelant] n’a plus, malheureusement. Il est fragile sur le plan psychologique.

Je conclus qu’à l’heure actuelle, il tolère très peu l’effort ou le stress. Il présente une capacité réduite d’exécuter un certain nombre de tâches complexes simultanément, ce qui est néanmoins crucial dans des occupations comme celles qu’il a eu au cours de sa vie et qu’il détenait jusqu’à son dernier arrêt de travail. Malgré sa bonne volonté, je ne pense pas que [l’appelant] puisse entreprendre un processus de retour au travail, qui se révèle incertain compte tenu de l’évolution de ses symptômes de troubles d’adaptation des dernières années.

De plus, le pronostic est sombre, vue la complexité de son évaluation neuropsycho-logique, sans parler des difficultés de la vie quotidienne. Hélas, [l’appelant] n’a plus les aptitudes personnelles, qu’elles soient cognitives ou émotionnelles, pour accomplir les tâches courantes d’un employé moyen, étant donné ses études, sa formation et son expérience. Après analyse, je recommande l’examen d’une demande de pension, car j’estime que son invalidité l’empêche d’occuper un emploi.

[42] Le Dr Turgeon a réitéré à l’audience que l’appelant a une déficience cognitive, émotionnelle et comportementale majeure et que la source de ces déficiences est vraisemblablement une accumulation de problèmes de santé physiques et psychologiques, dont son TDAH grave, ses troubles de l’humeur, un accident de motocyclette (dont un syndrome post-commotion persistant) et un cancer. De plus, plusieurs facteurs aggravants sont présents, dont la toxicomanie et les nombreux problèmes personnels et financiers auxquels il s’est buté (par exemple, il n’a pas travaillé depuis 2004 et son divorce a engendré un conflit difficile au sujet de la garde). De fait, le Dr Turgeon constate également que les traitements requis par l’appelant pour un symptôme peuvent en empirer un autre.

[43] Le neuropsychologue a expliqué que la capacité limitée de l’appelant de comprendre la gravité de ses déficiences constitue un obstacle à son rétablissement. Jusqu’à il y a deux ans, dit-il, l’appelant se présentait à son bureau en affirmant qu’il était prêt à retourner travailler, et le médecin devait lui rappeler constamment les motifs pour lesquels il n’y parviendrait pas ou pour lesquels il n’était pas sécuritaire de le faire.

[44] En ce qui concerne le début de l’invalidité de l’appelant, le Tribunal a relevé la gravité de l’accident de motocyclette de mai 2005 et a posé plusieurs questions au Dr Turgeon sur sa contribution au niveau de déficience global de l’appelant. À cet égard, voici ce que le Dr Turgeon a écrit dans son rapport de juillet 2013 (à GT8-2) :

[traduction]
La vie de [l’appelant] a changé de façon dramatique après l’accident de motocyclette du 20 mai 2005. Même si l’appelant a affiché des symptômes de maladie mentale, comme de l’hyperactivité aiguë, des indices de troubles de l’humeur, notamment des signes de manie, et de la toxicomanie, il semble qu’il n’était plus le même homme après l’accident. De fait, des éléments de preuve établissent que ses symptômes de maladie mentale ont été très exacerbés en raison du traumatisme cérébral qu’il a subi lors de l’accident.

[45] Le Dr Turgeon a quelque peu précisé sa réponse à l’audience en insistant davantage sur le TDAH très sévère de l’appelant, combiné à la toxicomanie et à la douleur chronique, qui étaient tous présents avant 2005. Lorsque le Dr Turgeon s’est fait demander s’il était possible d’affirmer que l’appelant aurait été invalide même sans l’accident de motocyclette de mai 2005, il s’est dit d’avis que ça aurait été probablement le cas. Selon lui, le TDAH sévère de l’appelant, sa toxicomanie et ses autres problèmes de santé mentale l’avaient déjà orienté dans une voie irréversible menant à l’échec de telle sorte que d’autres événements seraient presque certes survenus, même si ça n’avait pas été un accident de motocyclette.

[46] Le Dr Turgeon n’a commencé à traiter l’appelant que vers 2010, mais il s’est fondé sur le témoignage de l’appelant au sujet des distances extrêmes sur lesquelles il a conduit et de ce qu’il était prêt à faire pour maîtriser sa douleur et il a fait observer qu’[traduction] « aucune personne saine d’esprit ne conduirait autant de kilomètres au cours de cette période. »

[47] Il a ajouté que la nature complexe du dossier de l’appelant fait en sorte que ses problèmes pourraient être considérés comme une question de tempérament, tandis que le Dr Turgeon estime qu’il s’agissait d’un problème de santé mentale très grave qui a amené l’appelant à adopter un comportement aussi risqué et à mettre sa vie et celle d’autrui en péril. De plus, le Dr Turgeon a dit que cette condition n’apparaît pas du jour au lendemain, ce qui signifie que la maladie de l’appelant était vraisemblablement présente depuis au moins deux ans avant qu’il n’affiche ces comportements insouciants.

[48] À certains égards, le Dr Turgeon a jugé remarquable que l’ampleur de la maladie mentale de l’appelant ne soit pas détectée plus tôt. Il a également affirmé que l’accumulation de facteurs négatifs dans la vie de l’appelant aurait vraisemblablement beaucoup trop à supporter pour presque tous et chacun. De fait, il conclut que la résilience de l’appelant eu égard à cette adversité exceptionnelle est remarquable.

Observations

[49] L’appelant a fait valoir qu’il est admissible à une pension d’invalidité parce qu’il avait une invalidité grave et prolongée avant le 31 décembre 2004. Plus particulièrement, l’appelant a souligné le TDAH sévère dont il souffre depuis l’enfance, la douleur chronique à son testicule et son aine gauches depuis la fin des années 1980 et sa toxicomanie. Et même si l’appelant travaillait comme conducteur de camion sur long parcours en 2004, il a adopté des comportements extrêmes et périlleux qui montrent l’ampleur de sa déficience.

[50] L’intimé soutient que l’appelant n’a pas établi d’invalidité grave et prolongée au sens du RPC le 31 décembre 2004 ou avant cette date, ou au cours de la période du calcul au prorata s’échelonnant du 1er au 31 janvier 2005, et qu’il n’est donc pas admissible à une pension d’admissibilité pour les motifs suivants :

  1. les documents liés à la demande de l’appelant, dont son questionnaire et les rapports médicaux dressés par son médecin de famille, indiquent tous que son état était très affecté par l’accident de motocyclette de mai 2005 survenu après l’expiration de sa PMA;
  2. compte tenu de son éducation et de son âge à l’expiration de sa PMA, l’appelant aurait dû pouvoir trouver du travail mieux adapté à son état;
  3. même si le TDAH, l’hyperactivité et le trouble affectif de l’appelant étaient présents, ils n’étaient pas des états invalidants avant le 31 janvier 2005, car il est parvenu à travailler pendant de nombreuses années avant cette date.

Analyse

[51] Pour connaître du succès, l’appelant doit établir selon la prépondérance des probabilités qu’il avait une invalidité grave et prolongée à la date de sa PMA ou avant celle-ci. Subsidiairement, a-t-il développé une invalidité grave et prolongée entre le 1er et le 31 janvier 2005?

Crédibilité

[52] L’appelant a témoigné de façon franche et authentique, en utilisant parfois un langage coloré. Bien qu’il se soit parfois écarté du sujet, il répondait généralement aux questions. Il ne semblait pas être une personne qui avait quelque chose à cacher; au contraire, il était très ouvert et assez bavard.

[53] Comme l’intimé n’a pas pris part à l’audience, le témoignage de l’appelant n’a pas été contesté de façon sérieuse. Même si peu de déclarations (s’il y a lieu) de l’appelant étaient en contradiction directe, le Tribunal a néanmoins abordé son témoignage avec de la prudence, car la preuve documentaire sème le doute sur certaines de ses déclarations; d’autres s’éloignent tellement de la norme qu’elles sont difficiles à accepter sans preuve corroborante. Par exemple :

  1. En ce qui concerne la douleur à son testicule gauche, l’appelant a dit pendant l’audience qu’au moment de son ablation, son testicule avait la taille d’une balle de baseball et mesurait 14,5 cm, ce qui dénote une grosse différence entre les deux. De plus, le Tribunal se serait attendu à trouver une référence à des dimensions aussi surprenantes dans les documents médicaux, comme le rapport opératoire du Dr Rusu (à GT3-110) ou dans les notes cliniques de son médecin de famille (voir la transcription à GT1-169 à 170), mais toute référence du genre est introuvable. Dans le rapport pathologique subséquent, il est plutôt mentionné que le spécimen étiqueté « testicule gauche » mesurait 6 cm sur 4 cm (GT3‑111).
  2. L’appelant a dit à plusieurs reprises à l’audience qu’il a conduit sur une distance de plus 900 000 km au cours des 30 mois pendant lesquels il a opéré son dernier camion, ce qui équivaut au chiffre remarquable de 1 000 km par jour, sans tenir compte des jours de vacances ou des jours pendant lesquels le camion aurait pu nécessiter de la maintenance, de l’entretien, du chargement et du déchargement. Encore une fois, cette preuve peut difficilement être acceptée sans preuve corroborante et ne semble pas être étayée par ses gains, qui ne sont pas particulièrement élevés (GDR9).
  3. Quand la douleur de l’appelant atteignait une pointe, il affirme qu’il prenait 100 Tylenol No 1 par jour. L’appelant prétend qu’il avait des preuves de ces achats dont il s’est servi pour demander à différentes pharmacies pourquoi elles le laissent acheter d’aussi grandes quantités de médicaments. Cette preuve n’a jamais été déposée au Tribunal, même si l’appelant a prétendu qu’elle a pu être détruite à cause d’une inondation dans son sous-sol. Le Tribunal estime qu’il est remarquable que la prise de si grosses doses de médicaments n’a pas sonné l’alarme d’une quelconque façon, que ce soit au niveau des clients, à la frontière ou dans les postes d’inspection, ou n’a pas affecté la santé de l’appelant de différentes façons qui se refléteraient mieux dans les documents médicaux.

Invalidité grave

[54] Le critère de la gravité doit être évalué dans un « contexte réaliste » : Villani c. Canada (Procureur général) 2001 CAF 248. Ainsi, pour évaluer la gravité de l’invalidité d’une personne, le Tribunal doit tenir compte de l’état de santé global d’un appelant et garder à l’esprit des facteurs tels que son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie : Bungay c. Canada (P.G.), 2011 CAF 47. La question ne consiste pas à déterminer si les appelants sont incapables d’exercer leur occupation régulière ou préférée, mais s’ils sont incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice qui convient à leur état : Villani, au paragraphe 45, Patterson c. Canada (P.G.), 2009 CAF 178, au paragraphe 2.

[55] Quand le Tribunal évalue la gravité, il se concentre moins sur la question de savoir si un appelant a reçu un diagnostic d’un état de santé en particulier et plus sur la façon dont cet état de santé affecte la capacité de l’appelant de travailler : Klabouch c. Canada (MSD), 2008 CAF 33, Ferreira c. Canada (P.G.), 2013 CAF 81. Pour réussir, un appelant doit fournir une preuve médicale objective de son invalidité; toutefois, le Tribunal doit tenir dûment compte de l’ensemble de la preuve, objective et subjective, orale et écrite : Warren c. Canada (P.G.), 2008 CAF 377, Pettit c. MDRH (22 avril 1998), CP 4855 (CAP).

[56] De l’avis du Tribunal, l’appelant et le Dr Turgeon se sont concentrés à juste titre sur la santé mentale de l’appelant à la date de sa PMA plutôt que sur la douleur testiculaire dont il avait précédemment souffert. Cette douleur a pu être grave et nuire initialement à la capacité de travailler de l’appelant, mais il semble que son témoignage de vive voix et la preuve médicale ont établi que ce problème a été essentiellement réglé après l’ablation chirurgicale de son testicule gauche au début de janvier 2005.

[57] L’appelant a peut-être subi quelques complications résultant de cette intervention chirurgicale, à savoir un manque d’énergie et de motivation, qui ont pu être causés par la diminution des niveaux de testostérone, mais le dossier soumis au Tribunal ne laisse pas croire que ces complications équivaudraient à une invalidité grave et prolongée. De fait, d’après le témoignage de l’appelant lui-même, il s’était procuré un nouveau camion et était prêt à recommencer à conduire juste avant son accident de motocyclette survenu en mai 2005. De plus, son faible niveau de testostérone est actuellement traité au moyen de médicaments.

[58] Le Tribunal accepte, sur la base des notes et des rapports du Dr Connely (p. ex. GT1-17 et 169) et du témoignage du Dr Turgeon, que certains problèmes de santé mentale de l’appelant étaient présents avant la PMA. Cependant, le Tribunal doit déterminer si, à cette date ou avant celle-ci, l’état général de l’appelant, dont ses problèmes de santé mentale, correspondait à une invalidité grave et prolongée au sens du RPC.

[59] À cet égard, le Dr Turgeon a tiré des conclusions du témoignage de l’appelant et a mentionné que l’appelant mettait non seulement sa propre vie en péril, mais également celle d’autrui. Plus particulièrement, le Dr Turgeon a souligné les longues heures et les grandes distances que l’appelant dit avoir conduites, tout en dormant très peu et en prenant des doses massives de médicaments. Ces comportements, a-t-il soutenu avec véhémence, ne sont pas des comportements types d’une personne sensée. Il a également souligné que la maladie de l’appelant se caractérise par un manque de conscience de soi; autrement dit, l’appelant ne comprend pas ses propres limites. Selon lui, il n’était pas sécuritaire pour l’appelant de travailler, même avant le 31 janvier 2005.

[60] En ce qui concerne les comportements risqués de l’appelant, le Tribunal, tel que mentionné précédemment, a abordé son témoignage avec une certaine prudence. De plus, ce témoignage doit également être jaugé à la lumière du bon dossier de conduite apparent conservé par l’appelant : il a affirmé n’avoir été impliqué dans aucun accident et n’avoir jamais attiré l’attention des autorités. De plus, il a témoigné que sa famille appuie son travail au lieu de tenter d’intervenir parce qu’il représentait un danger pour lui-même et pour autrui.

[61] En outre, l’appelant avait un médecin de famille, le Dr Connely, qui le connaissait depuis 1985 et qui, d’après la transcription de ses notes cliniques à GT1-169 à 170, l’avait reçu régulièrement en 2004. Néanmoins, ni le Dr Connely ni l’un ou l’autre des autres médecins que l’appelant consultait à l’époque ne semblent avoir saisi que son comportement donnait lieu à un risque aussi important. Selon le Tribunal, ces aspects de la preuve peuvent se voir accorder une valeur probante importante lorsqu’ils sont mis en balance en regard du témoignage du Dr Turgeon, qui n’a commencé à traiter l’appelant que vers 2010.

[62] Le Tribunal accepte le témoignage du Dr Turgeon selon lequel l’invalidité de l’appelant a été causée par une accumulation de facteurs et selon lequel certains de ces facteurs étaient présents avant la PMA de l’appelant, mais la preuve laisse fortement croire au Tribunal que l’accident de motocyclette de mai 2005 a constitué un facteur important, voire le facteur le plus important ayant contribué à son invalidité. Il s’agissait du « point tournant », pour ainsi dire. L’importance de cet événement ressort notamment :

  1. des rapports médicaux remplis par le Dr Connely, dans lesquels il a indiqué qu’il traite l’appelant pour son problème de santé principal depuis octobre 2005 (GT1-17 et GT3-2);
  2. du questionnaire soumis par l’appelant avec sa demande de prestations d’invalidité, dans lequel il a écrit que son état de santé l’empêche de travailler depuis mai 2005 (GT1-184);
  3. du rapport de juillet 2013 du Dr Turgeon (à GT8 et cité précédemment au paragraphe [44]), qui fait ressortir l’impact important de l’accident de motocyclette de mai 2005. Pour reprendre les mots du Dr Turgeon, l’appelant [traduction] « n’était plus le même homme après l’accident » et [traduction] « des éléments de preuve établissent que ses symptômes de maladie mentale ont été très exacerbés en raison du traumatisme cérébral qu’il a subi lors de l’accident ».

[63] Même si le Tribunal devait accepter le témoignage du Dr Turgeon selon lequel l’appelant s’était engagé, avant décembre 2004, dans une voie irréversible menant à l’échec, le Tribunal ne peut conclure, sur la foi de la preuve soumise, qu’une invalidité grave et prolongée a nui à sa capacité de détenir régulièrement une occupation réellement rémunératrice avant l’accident de mai 2005.

[64] Bien que l’appelant avait cessé de travailler temporairement en raison de douleurs à l’aine et au testicule, si le Tribunal acceptait le témoignage du Dr Turgeon, il devrait conclure que l’appelant souffrait d’une maladie mentale invalidante à une époque où, dans les faits, il détenait régulièrement une occupation réellement rémunératrice. Bien que le Tribunal ne soit pas prêt à écarter la possibilité d’un tel cas, la Cour fédérale d’appel a décrit, dans Miller c. Canada (P.G.), 2007 CAF 237, au paragraphe 4, la capacité de détenir régulièrement une occupation réellement rémunératrice  comme [traduction] « l’antithèse même d’une invalidité grave et prolongée ». Autrement dit, comment le Tribunal pourrait-il conclure que l’appelant a souffert d’une maladie mentale invalidante avant sa PMA alors qu’il était en mesure de conduire d’aussi longues distances sans accidents et sans attirer l’attention de la police, des clients, des superviseurs, des agents frontaliers et des agents des inspections, voire de ses médecins?

[65] Dans le cadre de son évaluation, le Tribunal a pris en compte l’état global de l’appelant, ainsi que son âge, ses études, ses aptitudes linguistiques et son expérience professionnelle et personnelle, comme l’exigeait la Cour d’appel fédérale dans Villani. Le Tribunal reconnaît que l’appelant a des capacités scolaires limitées, mais il parle deux langues, n’était âgé que de 36 ans lorsqu’il a rempli pour la dernière fois les conditions relatives aux cotisations au RPC, et il a eu diverses expériences de travail qui indiquent son degré de souplesse. Au vu de l’ensemble de ces facteurs, le Tribunal ne pouvait pas conclure que l’appelant avait une invalidité grave à l’expiration de sa PMA ou avant celle-ci.

[66] Pour les mêmes motifs, le Tribunal ne pourrait conclure que l’appelant avait une invalidité grave et prolongée au cours de la période du calcul au prorata comprise entre le 1er janvier 2005 et le 31 janvier 2005. Le Tribunal conclut plutôt que c’est l’accident de motocyclette du 20 mai 2005 et ses effets ultérieurs qui ont le plus contribué au degré de déficience de l’appelant.

Invalidité prolongée

[67] Comme le Tribunal a conclu que l’invalidité de l’appelant n’était pas grave à l’expiration de sa période d’admissibilité, il n’est pas nécessaire de statuer sur le critère de l’invalidité prolongée. Néanmoins, voici quelques éléments qu’il vaut la peine de mentionner :

  1. la douleur testiculaire et inguinale de l’appelant l’a amené à cesser de travailler avant l’expiration de sa PMA; cependant, le Tribunal ne peut conclure que cet état était prolongé, car il a été essentiellement résolu au moyen de l’ablation chirurgicale du testicule gauche de l’appelant en janvier 2005, et toute complication ayant découlé de cette intervention chirurgicale semble également avoir été réglée;
  2. l’appelant souffre peut-être actuellement d’une invalidité prolongée, mais le Tribunal conclut que l’accident de motocyclette de mai 2005 est le facteur qui a le plus largement contribué au degré de déficience de l’appelant, quoique cet accident soit survenu après l’expiration de sa période d’admissibilité.

[68] Dans les circonstances, le Tribunal n’aurait pas été en mesure de conclure qu’il a été satisfait au critère de l’invalidité prolongée sous le régime du RPC.

Conclusion

[69] Le Tribunal est reconnaissant à l’appelant et au Dr Turgeon d’avoir pu participer à l’audience de cet appel. Leur témoignage a fait la lumière de manière importante sur des aspects de l’appel qui n’étaient pas évidents uniquement à partir des documents. Le résultat ne correspond pas à ce qu’ils souhaitaient, mais le Tribunal espère sincèrement qu’ils sentent au moins qu’ils ont été entendus et compris.

[70] Le Tribunal éprouve beaucoup de sympathie pour l’appelant. Il a dû faire face à une multitude de situations difficiles et angoissantes que la plupart des gens considéreraient comme accablantes. Cependant, des facteurs comme la sympathie, la souffrance et les besoins ne peuvent être pris en compte par le Tribunal.

[71] En définitive, le Tribunal accepte que l’appelant se débattait avec divers problèmes de santé physique et mentale avant l’expiration de sa PMA, mais il est parvenu à continuer de travailler comme conducteur de camion sur long parcours sans aucun incident et sans attirer l’attention des autorités. Le Tribunal considère plutôt l’accident de motocyclette de mai 2005 de l’appelant comme un point tournant après quoi son degré de déficience est devenu beaucoup plus grave. Cependant, l’accident est survenu quelques mois après l’expiration de l’admissibilité de l’appelant aux prestations d’invalidité au titre du RPC. Le Tribunal n’a pas le pouvoir de faire fi de cette condition légale.

[72] L’appel est rejeté.

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