Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

L’appel est rejeté.

Introduction

[1] L’appelant souhaite obtenir la permission d’en appeler de la décision rendue par la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale le 21 octobre 2015. La DG a tenu une audience par vidéoconférence le 1er septembre 2015 et a déterminé que l’appelant n’était pas justifié à annuler la pension d’invalidité de l’intimé au sens du Régime de pensions du Canada (RPC). La permission d’en appeler a été accordée le 24 mai 2016 au motif que la décision de la DG pourrait comporter une erreur.

Aperçu

[2] L’intimé avait été approuvé pour une pension d’invalidité du RPC dont les paiements ont commencé en février 1994. En février 2013, l’appelant a initié une réévaluation des revenus déclarés de l’intimé, après avoir reçu des renseignements de l’Agence du revenu du Canada (ARC) selon lesquels il avait des revenus bruts non signalés d’entreprise de 6 907 $, 29 799 $, 89 984 $, 81 846 $, 76 249 $, 79 802 $ et 106 865 $ pour les années 2005 à 2011, respectivement. En mai 2013, l’appelant a avisé l’intimé qu’il avait décidé de mettre terme à ses prestations à partir d’avril 2008, et il a cité des éléments de preuve selon lesquels il s’était rétabli de son invalidité et avait à nouveau une capacité de travailler. En même temps, il a demandé un remboursement d’un montant de 65 418 $. L’intimé a alors demandé une révision, et l’appelant a rejeté la demande.

[3] Le 22 juillet 2013, l’intimé a interjeté appel de ce rejet auprès de la DG. Dans une décision datée du 21 octobre 2015, la DG a accueilli l’appel et a conclu que l’appelant n’avait pas établi que les troubles médicaux à l’égard desquels les prestations d’invalidité de l’intimé lui avaient initialement été accordées s’étaient tellement améliorés en date d’avril 2007 qu’il n’était plus admissible à une pension d’invalidité. La DG a ordonné que la pension d’invalidité de l’intimé soit rétablie.

[4] Le 19 janvier 2016, l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale, car il soutenait que la DG avait commis plusieurs erreurs. Le 24 mai 2016, la DA a accordé la permission d’en appeler sur le fondement que la DG a peut-être fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu’elle n’a pas saisi l’importance des revenus bruts significatifs générés par l’intimé de 2007 à 2011, et n’en a pas fait l’analyse.

[5] J’ai décidé qu’une audience de vive voix n’était pas nécessaire et que l’appel peut être instruit sur le fondement du dossier documentaire pour les motifs suivants :

  1. Le dossier est complet et ne nécessite aucune clarification.
  2. Le mode d’audience respectait les exigences du Règlement du Tribunal de la sécurité sociale à savoir qu’il doit procéder de façon la plus informelle et expéditive que le permettent les circonstances, l’équité et la justice naturelle.

[6] Les observations de l’appelant ont été énoncées dans sa demande de permission d’en appeler. Le 29 juin 2016, en réponse à la demande de la DA, le représentant de l’intimé a présenté des observations. Le 7 juillet 2016, l’appelant a présenté des observations supplémentaires au sujet du degré de déférence que l’on doit monter envers les décisions de la DG.

Droit applicable

[7] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) La DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ;
  2. b) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[8] Selon le paragraphe 59(1) de la LMEDS, la DA doit déterminer s’il convient de rejeter l’appel, de rendre la décision que la DG aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la DG pour révision conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou de confirmer, d’infirmer ou de modifier totalement ou partiellement la décision de la DA.

[9] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les conditions d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. (a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans ;
  2. (b) ne touche pas une pension de retraite du RPC ;
  3. (c) est invalide ;
  4. (d) a versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[10] Le calcul de la PMA est important puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date ou avant la date marquant la fin de sa PMA.

[11] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une personne est considérée comme atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

Questions en litige

[12] Les questions dont je suis saisie sont les suivantes :

  1. Quelle norme de contrôle doit-on appliquer lors de la révision des décisions de la DG ?

Est-ce que la DG a fondé sa décision sur une erreur mixte de fait et de droit en mettant l’accent sur les éléments de preuve concernant les pertes nettes de l’intimé plutôt que sur les revenus bruts significatifs de son entreprise de camionnage ?

Observations

(a) Quelle est la norme de contrôle appropriée ?

[13] L’appelant soutient que la norme de contrôle appropriée à cet appel devrait être celle de la décision correcte, car aucune déférence n’est due à la DG. La DA est une branche supérieure du même tribunal — aucune compétence ou expérience particulière ne privilégie une décision de la DG. L’appelant note également que le membre qui s’est prononcé sur cette affaire à la DG est un membre régulier de la DA, bien qu’il convient que la formation peut différer d’une division à l’autre.

[14] Selon les moyens d’appel accordés, la question pertinente ne concerne pas l’appréciation de la preuve, mais concerne plutôt le fait que la DG a excédé sa compétence, soit en ne tenant pas compte d’éléments de preuve très pertinents, soit en faisant des déclarations de fait sans aucun élément de preuve à l’appui. Pour ce qui est de la compétence, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[15] Les observations de l’appelant traitent en détail des normes de contrôle et de leur applicabilité en l’espèce pour conclure qu’une norme de décision correcte devait être appliquée aux erreurs de droit, et la norme de la décision raisonnable doit être appliquée aux erreurs de fait et aux erreurs mixtes de fait et de droit.

[16] L’appelant a noté que la Cour d’appel fédérale n’a pas encore adopté une approche fixe pour la DA lorsque cette dernière doit examiner les appels de la DG. L’intimé a reconnu l’affaire récente de la Cour d’appel fédérale, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, qui, a-t-il dit, a confirmé que l’analyse de la DA devrait être influencée par les facteurs tels que le libellé de la loi habilitante, l’intention du corps législatif lorsque le tribunal a été créé et le fait que le corps législatif dispose de l’autorité nécessaire pour établir une norme de contrôle s’il le désire. L’intimé était d’avis que l’affaire Huruglica n’a pas modifié de façon appréciable la norme qui s’applique aux prétendues erreurs factuelles ; le libellé de l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS continue de permettre un large éventail d’issues possibles acceptables.

[17] L’intimé soutient que la DA ne devrait pas réviser les affaires pour lesquels la DG avait un avantage important en tant que juge des faits (Housen c. Nikolaisen, [2002] R.C.S. 235 C.S.C. 33). Le libellé des articles 58 et 59 de la LMEDS indique que le Parlement voulait que la DA fasse preuve de déférence à l’endroit des conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit de la DG. L’intimé note que l’appelant n’était pas présent lors de l’audience devant la DG, et que par conséquent, il n’était pas en mesure d’entendre les témoignages oraux. D’autre part, l’intimé a fait l’effort de retenir les services d’un représentant. La DG avait en sa possession toute l’information qui, selon l’appelant, n’a pas été considérée par la DG.

[18] L’intimé note que l’appelant a admis qu’il a le fardeau de démontrer que l’intimé n’est pas admissible aux prestations d’invalidité. En tant que principe général, le RPC devrait recevoir une interprétation généreuse : Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248.

(b) Est-ce que la DG a commis une erreur en mettant l’accent sur les pertes nettes plutôt que sur les revenus bruts ?

[19] L’appelant soutient que la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive et arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Plus particulièrement, l’appelant prétend que la DG a commis une erreur en omettant d’évaluer et d’analyser explicitement les revenus significatifs engendrés, et les activités effectuées pour gagner ces revenus entre 2007 et 2011. Au contraire, il soumet que le revenu brut de l’intimé ainsi que ses activités commerciales démontrent qu’il n’est plus invalide au sens du sous-alinéa 42(2)a)(i) du RPC puisque l’on a démontré qu’il était capable d’occuper régulièrement une occupation véritablement rémunératrice.

[20] L’appelant indique que la DG a pris compte du témoignage de l’intimé où il disait que conduire un camion lui donnait un but, et que le travail à son compte n’a jamais généré suffisamment de profits pour prendre un salaire ; toutefois, la DG n’a pas explicitement abordé la preuve qui lui était présentée et qui démontrait que les activités commerciales de l’intimé généraient d’importants revenus commerciaux d’entreprise autonome. Bien que la DG ait fait référence aux revenus, aux dépenses et aux bénéfices nets, la Commission d’appel des pensions (CAP) a plusieurs fois maintenu que la rentabilité d’une entreprise commerciale n’est pas un indicateur pertinent de la capacité de travailler d’un prestataire. Bien que les décisions de la CAP ne contraignent pas la DA, il a été présenté que ces décisions possèdent tout de même un caractère persuasif.

[21] L’appelant fait valoir que le seul fait que l’intimé générait d’importants revenus avec son entreprise de camionnage suffisait pour justifier la détermination de la capacité de travail sans autre vérification de sa condition médicale ou de ses capacités fonctionnelles. Dans l’affaire Gill c. Canada (PG), 2010 CAF 182, la Cour d’appel fédérale a refusé une demande de contrôle judiciaire à la lumière des déclarations de revenus provenant d’un travail autonome gagnés en gardant des enfants, et maintenait la décision de la CAP selon laquelle son invalidité n’était pas grave parce qu’elle était capable de détenir une occupation régulière véritablement rémunératrice. La cour a aussi constaté dans sa conclusion qu’il n’était pas nécessaire de faire un examen détaillé de la preuve médicale.

[22] L’intimé soutient que les conclusions de la DG étaient raisonnables et fondées en droit compte tenu de la preuve disponible. Lors de l’audience devant la DG, l’intimé a démontré qu’il exploitait une entreprise en tant que camionneur indépendant, mais que son entreprise ne lui rapportait pas d’argent après dépenses. Il effectuait ce travail, car c’était pour lui un exercice thérapeutique, mais cela n’a jamais été « véritablement rémunérateur ». La DG a conclu que l’intimé et ses témoins étaient crédibles.

[23] La tentative de l’appelant visant à assimiler le revenu brut de l’entreprise de l’intimé à la capacité de régulièrement détenir une « occupation véritablement rémunératrice » est non étayée en droit et, d’ailleurs, ce serait comme comparer des pommes avec des oranges. L’intimé soutient que la DG était du même avis que lui au paragraphe 37 de sa décision, lorsqu’elle a conclu que l’appelant n’a pas donné [traduction] « de pouvoir et d’arguments en ce qui concerne la façon dont les revenus bruts d’entreprise sont liés à “une occupation qui fournit un salaire” lorsqu’elle a tiré sa conclusion selon laquelle les revenus bruts d’entreprise étaient “véritablement rémunérateurs” de sorte que sa capacité de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice a été établie d’ici la fin d’avril 2007 ».

[24] L’intimé soutient que peu importe si la DG a exprimé de façon adéquate ses motifs pour s’être prononcée en sa faveur, il y avait amplement d’éléments de preuve à l’appui de sa décision. La loi n’oblige pas le décideur à fournir une justification complète. Bien que l’arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.F. 869 ait confirmé que les tribunaux ont le devoir de donner des motifs, l’affaire R. c. Morrissey, 19 953 498 (ON CA) confirme qu’il est erroné d’analyser les motifs d’un juge de première instance en les disséquant au couteau, car les motifs du jugement doivent être lu dans leur ensemble. Les motifs du jugement [traduction] « ne sont pas censés et ne doivent pas être interprétés comme l’énonciation de chacune des étapes du processus que le juge a suivi pour parvenir à un verdict ». Les motifs doivent être suffisamment adéquats pour permettre un examen approprié en appel et n’ont pas besoin d’être parfaits. Ils ont simplement à identifier la question en litige et à trancher sur celle-ci, en citant les facteurs qui ont été considérés lors de la décision, comme cela a été fait par la DG en l’espèce.

[25] Bien que l’appelant puisse soutenir que les éléments de preuve d’un revenu important de provenant d’un travail indépendant de 2005 à 2011 n’ont pas été explicitement abordés dans les motifs, il est clair que la DG était consciente de cette question, car elle a expressément rejetée les observations de l’appelant au paragraphe 40. Plutôt, la DG a accepté les éléments de preuve du témoin de l’intimé, un comptable général accrédité, dont l’analyse a été fournie à l’appelant avant l’audience et qui était disponible pour un contre-interrogatoire si l’appelant avait choisi d’assister à l’audience.

[26] L’intimé soutient qu’en mettant l’accent sur la rentabilité de son entreprise de camionnage, la DG n’a fait que tenir compte de la preuve, laquelle indiquait que ses diverses invalidités l’empêchaient de travailler de façon régulière pour sa compagnie, malgré son revenu brut. Il conduisait lorsqu’il le pouvait, et l’entreprise était entièrement administrée par sa femme. La preuve dont disposait la DG indiquait que l’entreprise était financée par des fonds personnels et adaptée à l’incapacité très particulière de l’intimé de travailler de façon prévisible. Pendant les très longues périodes de temps au cours desquelles il ne pouvait pas travailler, c’était des périodes [traduction] « d’essais et d’erreurs ». Certains jours, il se sentait assez bien. D’autres jours, il était trop malade. Dans l’affaire MDRH c. Bennett (9 juillet 1997), CP 4757, la CAP a soutenu que la gravité repose sur la capacité du prestataire de se présenter au travail peu importe quand et aussi souvent qu’il le doit [traduction] : « la prévisibilité est essentielle pour déterminer si une personne travaille régulièrement ». La preuve dont disposait la DG indiquait que l’intimé n’a jamais possédé la capacité de se présenter au travail n’importe quand ou aussi souvent qu’il le fallait.

Analyse

[27] L’appelant soutient que la DG a commis une erreur lorsqu’elle a mis l’accent sur les éléments de preuve indiquant les pertes nettes de l’intimé plutôt que les revenus bruts importants provenant de son entreprise de camionnage pour les années 2007 à 2011. Il a également soutenu que la DG a omis de tenir compte et d’analyser explicitement les activités menées qui ont engendré ces importants revenus.

[28] Comme je l’ai mentionné dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, je conclus que les moyens d’appel soulevés par l’appelant sont mieux décrits comme étant une erreur mixte de fait et de droit. L’appelant soutient que la DG a essentiellement ignoré (ou [traduction] « n’a pas tenu compte de ») l’ampleur des revenus de l’intimé qui pour plusieurs années approchaient les six chiffres, mais il s’appuie aussi sur une jurisprudence qui considère la rentabilité d’une entreprise commerciale comme non pertinente pour déterminer si un prestataire a la capacité de travailler. L’appelant soutient à juste titre que la jurisprudence citée représente des décisions de la CAP et ne contraigne donc pas la DA, mais la question de droit avancée doit répondre à toute interrogation visant à savoir si la DG avait raison d’ignorer le revenu brut de l’intimé.

[29] Il convient de noter, d’entrée de jeu, que l’appelant n’aurait probablement pas annulé la pension d’invalidité de l’intimé si l’ARC ne l’avait pas informé de ses activités commerciales et, plus précisément, des revenus bruts qu’il en tire. Il est juste d’affirmer que, dans sa poursuite contre l’intimé, l’appelant s’est concentré sur les revenus bruts au détriment des autres facteurs. L’appelant a toujours soutenu que le seul fait que l’intimé générait d’importants revenus avec son entreprise de camionnage suffisait pour justifier la détermination de la capacité de travail sans autres vérifications de sa condition médicale ou de ses capacités fonctionnelles. L’appelant soutient que la DG a commis une erreur en omettant de tenir compte et d’analyser les revenus importants générés par l’intimé pour les années 2007 à 2011.

[30] Je ne peux souscrire à cet énoncé. Lorsque l’appelant a mis fin aux prestations de l’intimé, le fardeau de démontrer que l’intimé s’était suffisamment rétabli de son invalidité revenait maintenant à l’appelant. Dans sa décision, la DG a conclu que l’appelant n’a pas réussi à s’acquitter de son fardeau, car il n’a fourni [traduction] « aucune analyse sur la façon dont le revenu brut de l’entreprise serait lié au revenu [de l’intimé] ou quel niveau de revenu il assume découlerait du revenu brut de l’entreprise ».

[31] Ultimement, le résultat de cet appel dépend de la façon dont les entrepreneurs indépendants doivent être traités selon les règles régissant l’invalidité, conformément au RPC. Selon moi, l’appelant n’a pas présenté un argument convaincant selon lequel la DG a commis une erreur de droit en cherchant au-delà des revenus bruts de l’entreprise de l’intimé. Comme il a été mentionné à plusieurs reprises, chaque mot employé au sous-alinéa 42(2)a)(i) du RPC est porteur de sens : « Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. » Le fait que le Parlement ait choisi d’employer le mot « occupation » plutôt que « emploi » indique qu’il avait l’intention que la pension d’invalidité du RPC englobe ce segment de la population qui est travailleur autonome et qui cotise au RPC. De manière tout à fait conforme à cela, le Parlement a également choisi d’employer le mot « rémunératrice », une variante de « rémunération », qui dans de nombreux contextes est synonyme de « profit ». Comme tout entrepreneur sait, le revenu brut ne relate que la moitié des faits ; une entreprise ne sera pas rentable ou « rémunératrice » si les dépenses excèdent les revenus. L’appelant n’a reconnu nulle part dans ses observations la réalité selon laquelle ceux qui exploitent une entreprise sont confrontés au risque que leurs gains nets puissent être faibles ou inexistants, quel que soit le montant des revenus qu’ils recueillent. Le fait qu’ils (i) ne sont pas parvenus à gagner des revenus suffisants pour couvrir les frais ou (ii) qu’ils ont occasionné des dépenses supplémentaires peut être lié à une invalidité médicale, et il n’est pas déraisonnable de la part d’un juge des faits d’entamer une enquête de ce genre.

[32] L’appelant a cité deux décisions de la CAP (T.C. c. MRHDC (1er juin 2011), CP 26949 ; M.D. c. MRHDC (5 mai 2010), CP 26312) à l’appui de son argument selon lequel la rentabilité d’une entreprise commerciale n’est pas pertinente pour déterminer si un prestataire a la capacité de travailler. L’appelant a reconnu à juste titre que la DA n’est pas liée par les décisions de la CAP, mais je ne suis même pas certain si celles-ci ont une valeur probante. Je note que, contrairement aux observations de l’appelant, il n’était indiqué dans aucune des deux décisions que la rentabilité n’a pas d’importance. En fait, dans l’affaire T.C. et dans l’affaire M.D., ils ont tenu compte non seulement des revenus bruts, mais aussi des gains nets des entreprises en cause dans chacune des affaires (respectivement, un chalet saisonnier et une compagnie de taxis) conjointement avec d’autres facteurs tels que les antécédents médicaux des prestataires et la preuve de leurs capacités fonctionnelles. Il ne faut pas oublier que les deux décisions impliquaient des audiences de novo au cours desquelles la CAP a tenu compte de la preuve à nouveau et a tiré des conclusions de fait. Dans les deux décisions, la CAP a été influencée par des facteurs qui n’étaient pas présents en l’espèce. Dans l’affaire T.C., le prestataire a témoigné qu’il a lancé son entreprise afin de gagner un revenu, et qu’il a échoué non seulement en raison de ses déficiences, mais également à cause de la mauvaise conjoncture économique. Dans l’affaire M.D., il a été établi que la prestataire a continué à conduire son taxi pendant plusieurs années après l’arrêt de ses prestations, rapportant et gagnant des montants plus élevés que lorsqu’elle recevait ses prestations d’invalidité. Dans ces deux décisions, contrairement à la personne en cause dans la présente affaire, il a été établi que les prestataires exploitaient activement leur entreprise. En fin de compte, cela indique que l’appelant n’était pas capable de fournir de pouvoir contraignant qui obligerait la DG à tenir compte des revenus bruts au détriment de tous les autres facteurs.

[33] L’appelant a également cité la décision de la DA, K.A. c. MRHDC, 2013 TSSDA 6, à l’appui de son observation selon laquelle un revenu dépassant un certain seuil exclut un bénéficiaire du bénéfice continu des prestations d’invalidité du RPC. Encore une fois, bien que je ne sois pas lié par cette décision, je suis d’accord que, en principe, des grains élevés constituent un facteur déterminant contre une conclusion d’invalidité. Cependant, comme l’a concédé l’appelant, l’affaire K.A. impliquait une prestataire qui est retournée au travail (contrairement à un travailleur autonome) et qui a déclaré des revenus supérieurs à 40 000 $ annuellement, et cela, pendant trois années consécutives. Je devrais ajouter que, malgré ces revenus élevés, la DA n’a pas rejeté l’appel du revers de la main, et a convenu de tenir compte d’autres facteurs, tels que les antécédents médicaux de la prestataire et sa capacité d’occuper un emploi à horaire régulier.

[34] L’appelant a également cité l’affaire Gill c. Canada, 2011 CAF 195, à l’appui de sa thèse selon laquelle il n’était pas nécessaire de faire un examen détaillé de la preuve médicale lorsqu’il y a preuve de revenu important provenant d’un travail indépendant. C’est peut-être le cas, mais l’affaire Gill n’exclut pas une telle révision pour autant, surtout si, comme c’est le cas en l’espèce, le revenu déclaré d’un travail indépendant est tout au plus marginal.

[35] Ma révision de la décision de la DG indique que cette dernière a correctement tenu compte d’une variété de facteurs lorsqu’elle a déterminé que l’intimé ne s’était pas rétabli de son invalidité. Au paragraphe 41, elle traite de l’historique médical récent de l’appelant et conclut que les symptômes combinés de ses différents problèmes médicaux — dont une bipolarité et une colite ulcéreuse — signifiaient qu’il demeurait incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Contrairement à la suggestion de l’appelant, la DG a analysé de manière significative l’incidence des revenus bruts de l’intimé et a trouvé (au paragraphe 37) peu de lignes directrices dans l’article 68.1 du Règlement sur le RPC récemment promulgué. Elle a également refusé de séparer la prise en compte des revenus bruts des dépenses nécessaires afin de générer ces revenus, accordant un poids considérable sur la preuve écrite et orale provenant du comptable de l’intimé. En fin de compte, elle a accepté son analyse selon laquelle l’intimé a subi des pertes après déduction de l’encaisse et des frais hors caisse, et cela, chaque année de 2007 à 2012 à l’exception d’une année. Et même en 2011, la seule année pour laquelle il a signalé un bilan net positif, il n’y avait aucun doute, en l’absence de performances adéquates, lorsqu’il a fallu déterminer s’il se rapprochait du « véritablement rémunératrice ».

[36] Il revenait à la DG de réviser et de tenir compte de la preuve disponible, et d’établir des inférences au sujet de l’ampleur du rétablissement de l’appelant, s’il y a lieu. Les tribunaux se sont déjà penchés sur la question dans d’autres affaires où l’on prétendait que les tribunaux administratifs n’avaient pas examiné l’ensemble de la preuve ou n’avait pas accordé un poids approprié à certains éléments de la preuve. Dans la décision Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, le représentant de l’appelant faisait mention d’un certain nombre de rapports médicaux que la CAP avait, à son avis, ignorés, mal compris ou mal interprétés ou auxquels elle avait accordé trop de poids. En rejetant la demande de contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale a indiqué ce qui suit [traduction] :

[...] le poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits. Ainsi, une cour qui entend un appel ou une demande de contrôle judiciaire ne peut pas en règle générale substituer son appréciation de la valeur probante de la preuve à celle du tribunal qui a tiré la conclusion de fait contestée.

[37] En l’absence de raisons convaincantes de logique ou de droit permettant de faire abstraction à tous les facteurs de sa révision à l’exception du revenu brut provenant de l’entreprise de l’intimé, la DG en est arrivée à une conclusion défendable. À cet égard, la DG a fait ce que la loi lui ordonne de faire : évaluer la capacité fonctionnelle de l’intimé en fonction de sa capacité non seulement de générer des revenus en conduisant son camion, mais également en fonction de sa capacité de générer des profits grâce à cette activité.

Conclusion

[38] L’appel est rejeté.

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