Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Aperçu

[1] Le demandeur demande la permission d’en appeler de la décision de la division générale datée du 9 mars 2016. La division générale a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin d’accorder au demandeur un délai supplémentaire pour le dépôt d’un avis d’appel, car elle a conclu qu’il n’avait pas démontré une intention constante de poursuivre son appel auprès de la division générale, qu’il n’avait pas fourni d’explication raisonnable concernant son retard à présenter son avis d’appel et le défendeur serait indûment affecté si un délai supplémentaire pour présenter l’avis d’appel était accordé. Le demandeur a déposé une demande incomplète de permission d’en appeler auprès du Tribunal de la sécurité sociale le 13 avril 2016.

Question en litige

[2] Est-ce que l’appel a une chance raisonnable de succès ?

Observations

[3] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) prévoit que les seuls moyens d’appel se limitent aux suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[4] Avant de pouvoir accorder une permission d’en appeler, il me faut être convaincue que les motifs pour en appeler se rattachent à l’un des moyens d’appel admissibles et que l’appel a une chance raisonnable de succès. La Cour fédérale du Canada a confirmé cette approche dans la décision Tracey c. Canada (Procureur général), (2015) CF 1300.

[5] Après révision, le défendeur a refusé la demande du demandeur pour une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada dans une lettre datée du 8 mai 2007. Le demandeur soutient que la décision relative à la révision du défendeur lui a été communiquée uniquement lorsqu’il a demandé une copie de la décision en mars 2015. Il a déposé un avis d’appel le 22 juin 2015, c’est-à-dire trois semaines après avoir reçu la copie de la décision relative à la révision le 1er juin 2015.

[6] Dans sa demande de permission d’en appeler, le demandeur a fait valoir qu’il a été traité de façon injuste au cours du processus et que son appel est fondé.

[7] Le demandeur demande essentiellement que l’on examine de nouveau la question en litige à savoir si un délai supplémentaire devrait lui être accordé afin qu’il puisse présenter son avis d’appel devant la division générale. Comme la Cour fédérale l’a établi dans l’affaire Tracey, ce n’est pas le rôle de la division d’appel d’apprécier de nouveau la preuve. Dans le cadre d’une demande de permission d’en appeler, son rôle est plutôt de déterminer si la division générale a commis une erreur de droit, si elle a rendu une conclusion de fait erronée ou si elle n’a pas observé un principe de justice naturelle, comme il est énoncé au paragraphe 58(1) de la LMEDS.

[8] Puisque la division générale a conclu que l’appel a été présenté plusieurs années après que la décision relative à la révision lui a été communiquée, la division générale aurait pu se fonder sur le paragraphe 52(2) de la LMEDS. Ce paragraphe prévoit que « [l]a division générale peut proroger d’au plus un an le délai pour interjeter appel ». En d’autres mots, la division générale aurait pu simplement rejeter l’appel sans déterminer s’il convenait d’accorder un délai supplémentaire pour présenter l’avis d’appel.

[9] Le demandeur soutient que le processus a été injuste, car il n’a pas eu l’occasion d’invoquer le bien-fondé de sa demande. Cependant, aucune disposition ne prévoit qu’un appel doit être instruit selon son bien-fondé en vertu de la LMEDS lorsqu’un demandeur a présenté sa demande en retard. Dans ces circonstances, et lorsqu’un appel est présenté au plus tard un an après la date à laquelle la décision a été communiquée à un demandeur, celui-ci doit présenter une demande de prorogation du délai pour présenter son avis d’appel. Ce redressement est discrétionnaire, bien que la division générale doive exercer cette discrétion correctement et de façon raisonnable. Après avoir déterminé que l’appel avait été présenté en retard, la division générale a étudié et considéré les quatre facteurs Gattelaro afin de rendre sa décision. La division générale s’est également référé à l’affaire Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a indiqué que le facteur prépondérant lorsqu’il faut déterminer s’il y a lieu d’accorder une prorogation du délai est de servir l’intérêt de la justice.

[10] Il ne ressort pas clairement de la preuve présentée à la division générale s’il y avait d’autres facteurs atténuants ou d’autres considérations qui auraient permis à la division générale de déterminer si une prorogation serait dans l’intérêt de la justice, hormis les affirmations du demandeur selon lesquelles il n’a reçu de copie de la décision relative à la révision du défendeur qu’en juin 2015. En réponse à cela, la division générale a imposé au demandeur le devoir de se renseigner et de faire un suivi auprès du défendeur dans un délai raisonnable afin d’obtenir les résultats de la décision relative à la révision.

[11] Il aurait été préférable que la division générale se soit concentrée à déterminer si la décision relative à la révision avait été communiquée au demandeur, et si tel était le cas, à quelle date. À cet égard, la division générale a déterminé que la décision relative à la révision aurait dû avoir été communiquée au demandeur au plus tard le 18 mai 2007, compte tenu du fait qu’elle a admis d’office que [traduction] « le courrier au Canada est généralement reçu dans un délai de 10 jours ». Il n’était pas approprié de la part de la division générale de se fier à sa connaissance d’office des faits qui ne sont pas généralement et largement reconnus. Il y a des limites à la portée des connaissances d’office. Ces limites sont indiquées dans les arrêts suivants : R. c. Find (2001), CSC 32 (CanLII), 154 CCC) (3e) 97 (CSC) et R. c. Spence (2005), 2005 CSC 71 (CanLII), 202 CCC (3e) 1 (CSC). Comme le juge en chef McLachlin a indiqué au paragraphe 48 [traduction] :

[...] le seuil d’application de la connaissance d’office est strict. Un tribunal peut à juste titre prendre connaissance d’office de deux types de faits : (1) les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables ; (2) ceux dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable : R. c. Potts (1982), 1982 CanLII 1751 (ON CA), 66 C.C.C. (2d) 219 (C.A. Ont.) ; J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), p. 1055.

[12] La présomption selon laquelle le courrier est acheminé dans un délai de 10 jours est raisonnable, mais en l’espèce, le demandeur a sans cesse nié avoir été avisé de la décision relative à la révision. Les observations de l’intimé à la division générale indiquent que le demandeur et le défendeur sont entrés en communication à au moins six reprises de mars 2010 au 19 mars 2015, mais il n’est pas clair quelle était la nature de ces communications et si l’on avait indiqué au demandeur que sa demande de pension d’invalidité avait été refusée à la suite de la révision. Si la nature de ses communications entre mars 2010 et le 19 mars 2015 avait été divulguée, cela aurait pu être d’une certaines utilité.

[13] Cela soulève la question à savoir si la présomption de l’acheminement du courrier peut être déplacée et si tel est le cas, dans quelles circonstances. La division générale ne s’est pas penchée sur cette question. Il semblerait suffisant de déplacer la présomption si un demandeur affirme qu’il n’a jamais été avisé de la décision relative à la révision et qu’il n’y a aucun élément de preuve de la signification de la décision relative à la révision auprès du demandeur ou tout élément de preuve selon lequel il aurait reçu la décision relative à la révision.

[14] Bien qu’il soit généralement raisonnable de s’attendre à ce qu’un demandeur présente des demandes de renseignements de suivi, le fait que la division générale ait imposé ce devoir au demandeur - alors que ce devoir n’existe pas en vertu de la LMEDS - soulève une cause défendable à savoir si la règle du manque de diligence s’applique, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un délai considérable et que cela peut causer un préjudice au défendeur. En d’autres mots, est-ce que le défendeur peut se fonder sur le retard du demandeur pour rejeter son appel ?

[15] La Cour suprême du Canada s’est penché sur la règle du manque de diligence dans l’arrêt K.M. c. H.M., 1992 CanLII 31 (SCC), [1992] 3 R.C.S. 6 ; 142 N.R. 321 ; 57 O.A.C. 321, et le juge La Forest a indiqué aux pages 77 à 78 [R.C.S.] ce qui suit [traduction] :

[...] On trouve une bonne analyse de cette règle et de la règle du manque de diligence dans Meagher, Gummow et Lehane, op. cit., aux pp. 755 à 765 ; les auteurs y résument ainsi la théorie, à la p. 755 :

[traduction] C’est un moyen de défense qui permet à un défendeur de s’opposer avec succès à une réclamation en equity (quoique non légale) faite contre lui s’il peut établir que le demandeur, en tardant à intenter des poursuites, a) a acquiescé à la conduite du défendeur ou b) a amené le défendeur à changer sa position parce qu’il croyait raisonnablement que le demandeur avait accepté le statu quo ou qu’il avait permis une situation qu’il serait injuste de changer.

En conséquence, la règle du manque de diligence comporte deux éléments distincts et l’un ou l’autre suffit comme moyen de défense à une réclamation en equity. Il ressort immédiatement de l’ensemble de la jurisprudence que le simple retard ne suffit pas à déclencher l’application de l’un ou l’autre des éléments de la règle du manque de diligence. Il s’agit plutôt de déterminer si le retard du demandeur constitue un acquiescement ou crée des circonstances qui rendent déraisonnables les poursuites. En fin de compte, le manque de diligence doit être réglé comme une question de justice entre les parties, comme c’est le cas de toute règle d’equity.

Conclusion

[16] Compte tenu des éléments susmentionnés, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès. La demande de permission d’en appeler est accordée. Les parties devraient invoquer l’applicabilité de la règle du manque de diligence et si un demandeur a le devoir de se renseigner en temps opportun sur l’état de toute demande ou de toute demande de révision. Les parties devraient également indiquer le mode d’audience qu’elles préfèrent et fournir un délai provisoire. Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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