Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Aperçu

[1] La présente affaire a été renvoyée à la division d’appel par la Cour fédérale du Canada, qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Le juge Zinn a ordonné d'effectuer un nouvel examen de la demande de permission d’en appeler portant sur une décision de la division générale, et ce en tenant compte des motifs invoqués par la Cour.

[2] Au stade de la division générale, le demandeur avait réussi à établir qu’il avait droit à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada. La division générale avait conclu que le demandeur était invalide depuis le 13 avril 2011, mais ce dernier maintient qu’il l’était devenu 17 mois plus tôt, quand il s’était blessé lors d’un accident survenu au travail le 27 novembre 2009.

[3] Le demandeur souhaite obtenir la permission d’interjeter appel de la conclusion de la division générale selon laquelle il est devenu invalide le 13 avril 2011, et ce sur plusieurs motifs. Pour accueillir cette demande, je dois être convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Question en litige

[4] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Observations

[5] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Pour accorder la permission d’en appeler, il me faut être convaincue que les motifs d’appel se rattachent aux moyens d’appel admissibles et que l’appel a une chance raisonnable de succès. La Cour fédérale du Canada a confirmé cette approche dans Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300.

a) Critère juridique pour déterminer le début de l’invalidité

[7] Le demandeur soutient que la division générale a appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’elle a conclu que le 13 avril 2011 marquait le début de son invalidité. Si la division générale a correctement précisé le critère juridique applicable pour déterminer si une invalidité est grave et prolongée au paragraphe 7 de sa décision, le demandeur fait valoir que cela ne suffit pas puisque la division générale est également tenue d’appliquer ce critère. Le demandeur soutient que la division générale s’est fondée sur les concepts de « niveau de rétablissement maximal » et d’ [traduction] « invalidité permanente » plutôt que de déterminer s’il était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Le demandeur soutient que la division générale a erré en se servant de l’opinion d’un médecin sur le « niveau de rétablissement maximal » et l’ [traduction] « invalidité permanente » comme un gage irréfutable du moment où son invalidité est devenue « grave ». Il soutient que ces concepts n’ont aucune pertinence pour déterminer la gravité de son invalidité, puisqu’ils ne révèlent rien sur l’apparition, la nature, l’étendue et le degré de gravité de l’invalidité ou du problème de santé sous-jacent. Il affirme plutôt que le terme « niveau de rétablissement maximal » fait seulement référence au moment où le rétablissement d’une personne blessée a plafonné, ou encore où son état s’est stabilisé et qu’aucune amélioration future n’est envisagée.

[8] La division générale a déterminé que le demandeur était devenu invalide en avril 2011 d’après les évaluations et les rapports médicaux des Drs Mihic, Matthews et Bringleson. Le Dr Mihic a préparé des rapports datés du 16 avril 2008, du 28 janvier 2010 et du 8 juin 2010, et les rapports du Dr Bringleson étaient datés du 26 mai 2010 et du 9 mai 2011. La division générale a indiqué avoir conclu que le demandeur était atteint d’une invalidité grave et prolongée en avril 2011, « particulièrement à la lumière de l’évaluation du Dr Matthews qui, le 13 avril 2011, a signalé que [le demandeur] avait atteint un niveau de rétablissement maximal et était “invalide de façon permanente” » (GT1-97).

[9] Il en découle une question de savoir si la division générale a bel et bien déterminé que le demandeur était atteint d’une invalidité grave sur le fondement qu’il avait atteint un « niveau de rétablissement maximal » et qu’il était devenu « invalide de façon permanente », plutôt qu’en déterminant s’il était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Je suis convaincue que ce motif confère à l’appel une chance raisonnable de succès. Une fois la permission d’en appeler accordée, la division d’appel devra donc déterminer si la division générale a appliqué le bon critère juridique pour tirer sa conclusion.

b) Début de l’invalidité

[10] Le demandeur allègue que la division générale a, en concluant qu’il était devenu invalide le 13 avril 2011, fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] Le demandeur soutient que la division générale a décidé que son invalidité avait débuté le 13 avril 2011 puisque cette date coïncidait avec la date du rapport dans lequel le Dr Matthews avait écrit que le demandeur était « définitivement incapable de travailler », qu’il était atteint d’ [traduction] « incapacités permanentes », qu’il avait développé des problèmes de santé qui l’accablaient [traduction] « encore plus sur le plan fonctionnel dans toutes ses activités de la vie quotidienne », et qu’il avait « atteint un niveau de rétablissement maximal ». Le demandeur soutient que les éléments de preuve médicale présentés à la division générale, notamment les suivants, comportaient les opinions d’autres spécialistes qui avaient tous fait les mêmes constatations et tiré la même conclusion :

  1. Un rapport du Dr Ogilvie-Harris, chirurgien orthopédiste, daté du 12 février 2010 (GT1-81 à GT1-89). Le Dr Ogilvie-Harris était d’avis que le demandeur en était venu à présenter les caractéristiques du syndrome de la douleur chronique et qu’il s’agissait là d’une [traduction] « détérioration permanente et grave d’importantes fonctions physiologiques ». Le demandeur affirme que le Dr Matthews s’était basé sur le rapport du Dr Ogilvie-Harris pour formuler ses propres opinions du 1er février 2011 et du 13 avril 2011 en ce qui a trait à la gravité de son invalidité.
  2. Un rapport du Dr Marko Mihic daté du 8 juin 2010 (GT1-52). Le Dr Mihic a indiqué que le demandeur [traduction] « souffrait d’un trouble grave, tant sur le plan physique qu’émotionnel », et qu’il était d’avis que le demandeur ne serait pas capable de reprendre un emploi temporaire ou permanent, quel qu’il soit, dans un avenir prévisible.
  3. Des rapports du Dr Matthews datés du 1er février 2011 (GT1-12) et du 2 juin 2011 (GT3-47). Dans le rapport du 1er février 2011, le Dr Matthews a indiqué que les capacités physiques du demandeur étaient désormais réduites de façon grave et permanente et qu’il avait atteint un niveau de rétablissement maximal. Selon le Dr Matthews, le demandeur était définitivement incapable de travailler ou de chercher un emploi et il demeurerait invalide de façon permanente. Le demandeur souligne que le juge Zinn a conclu que le vocabulaire utilisé dans le rapport du 1er février 2011 était « tout aussi percutant » que dans celui d’avril 2011.

[12] Le demandeur affirme que le Dr Matthews a, d’une façon significative, indiqué dans son rapport du 2 juin 2011 qu’il avait une « [...] invalidité permanente, et [que] le pronostic à son égard est très pessimiste. Tout ce qui est susmentionné est en date du 16 juin 2010. » Le juge Zinn s’est dit forcé de constater que juin 2010 coïncide avec la date du rapport du Dr Mihic (quoiqu’on ne sache quand même pas pourquoi le Dr Matthews a précisément choisi 16 juin).

[13] Le demandeur soutient que le Dr Matthews s’est fié au rapport du Dr Ogilvie-Harris pour former ses propres opinions du 1er février 2011 et du 13 avril 2011. Cependant, quoique le Dr Matthews a fait référence au fait que le Dr Ogilvie-Harris avait évalué le demandeur, il n’a indiqué ni dans son rapport du 1er février 2011 ni dans celui du 13 avril 2011s’être nécessairement fondé sur les hypothèses ou les constatations du Dr Ogilvie-Harris.

[14] Le demandeur soutient que la division générale a tiré ses conclusions sans tenir compte de ces rapports médicaux antérieurs ou du rapport du Dr Matthews daté du 2 juin 2011, lequel suggère, selon ce qu’il prétend, que la gravité de son invalidité précédait quelque peu le 13 avril 2011.

[15] Le demandeur fait aussi valoir, puisque la division générale a accepté qu’il souffrait d’une invalidité grave lorsqu’il avait atteint un niveau de rétablissement maximal, qu’il devait avoir correspondu à la définition avant ce moment-là, car le plafonnement de son état de santé laisse entendre qu’il devait se trouver dans le même état ou dans un pire état avant qu’il atteigne son niveau de rétablissement maximal.

[16] La division générale a indiqué qu’elle s’était principalement fondée sur le rapport d’avril 2011 du Dr Matthews pour déterminer la date du début de l’invalidité du demandeur. Elle n’a pas précisé si elle avait tenu compte ou non des deux autres rapports du Dr Matthews, ni d’ailleurs si elle avait considéré les opinions des Drs Ogilvie-Harris et Mihic pour établir la date du début de l’invalidité (quoiqu’il soit possible d’interpréter qu’elle ait considéré à ce sujet les rapports des Drs Ogilvie-Harris et Mihic au paragraphe 58 de sa décision). Sur ce fondement, il se peut que la division générale ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance; je suis donc convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

[17] J’aimerais préciser qu’au stade de la permission d’en appeler, mon rôle n’est pas de déterminer si les rapports des Drs Ogilvie-Harris, Mihic et Matthews permettent d’établir que le demandeur était atteint d’une invalidité grave le 27 novembre 2009, ou avant le 13 avril 2011. Aux fins de la demande de permission d’en appeler, je n’ai pas besoin de déterminer la date du début de son invalidité, ni si des éléments de preuve présentés à la division générale corroboraient une date qui précède le 13 avril 2011. Pour l’instant, je dois uniquement déterminer si le demandeur fait valoir que son appel a une chance raisonnable de succès par l’entremise de l’un des moyens d’appel prescrits au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS.

c) Manquement à la justice naturelle

[18] Le demandeur soutient que la division générale a commis un manquement au principe de justice naturelle puisqu’elle n’a pas fourni de motifs de décision clairs. Plus précisément, le demandeur allègue que la division générale n’a pas articulé pourquoi elle a accepté l’opinion du Dr Matthews d’avril 2011 (à GT1-97) alors que d’autres opinions médicales suggéraient qu’il était invalide avant avril 2011. Comme le souligne le demandeur, le juge Zinn a conclu que les deux questions soulevées par le demandeur – de savoir si la division générale a appliqué le bon critère juridique et si elle a fourni des motifs adéquats – sont :

[...] interreliées, puisqu’on pourrait dire que, lorsque la division générale a déterminé que l’invalidité de l’appelant commençait le 13 avril 2011, elle s’est fondée sur un mauvais critère du fait qu’elle n’a pas expliqué le motif pour lequel, à la lumière de la preuve dont elle disposait, elle a choisi cette date plutôt qu’une date antérieure.

[19] Il ne semble pas que la division générale ait abordé les autres opinions qui suggèrent que le demandeur aurait pu être invalide avant avril 2011. Pour cette raison, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[20] La demande de permission d’appeler est accueillie.

[21] Cette décision qui accorde la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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