Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

La prolongation du délai pour interjeter appel est refusée.

Introduction

[1] Dans une décision qu’elle a rendue le 22 août 2015, la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a déterminé qu’une pension au titre du Régime de pensions du Canada (Loi) n'était pas payable à la demanderesse, puisque celle-ci n'était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), le 31 décembre 2016.

[2] Le 23 février 2016, la demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler incomplète devant la division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale. À la suite d'une demande de renseignements formulée par la DA, la demanderesse a complété sa demande de permission d'en appeler le 19 mai 2016, au-delà du délai prévu à l'alinéa 57(1)b) de la Loi sur ministère de l'Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

Question en litige

[3] Je dois déterminer s’il convient d’accorder une prorogation du délai pour la présentation d’une demande de permission d’en appeler.

Droit applicable

Lois sur le MEDS

[4] Aux termes de l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur le MEDS, une demande de permission d’en appeler doit être présentée dans les 90 jours suivant la date à laquelle le demandeur reçoit communication de la décision.

[5] La division d'appel doit examiner et soupeser les critères énoncés dans la jurisprudence. Dans l’affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. GattellaroNote de bas de page 1, la Cour fédérale a établi les critères suivants :

  1. (a) le demandeur fait preuve d’une intention constante de poursuivre l’appel;
  2. (b) le retard a été raisonnablement expliqué;
  3. (c) la cause est défendable;
  4. (d) la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

[6] Le poids à accorder à chacun des critères énumérés dans la décision Gattellaro peut varier et, dans certains cas, différents critères peuvent s’avérer pertinents. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice - Canada (Procureur général) c. LarkmanNote de bas de page 2.

[7] Conformément aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le MEDS, il ne peut être interjeté d’appel devant la division d'appel sans permission et la division d'appel accorde ou refuse cette permission. Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prévoit que la division d'appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[8] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) La division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond de l'affaire. C'est un premier obstacle que la demanderesse doit franchir, mais celui-ci est inférieur à celui auquel elle devra faire face à l'audience de l'appel sur le fond. À l’étape de la demande de permission d’en appeler, la demanderesse n’a pas à prouver sa thèse.

[10] Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une partie a une cause défendable en droit revient à se demander si elle a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique - Canada (MDRH) c. HogervorstNote de bas de page 3; Fancy c. Canada (PG)Note de bas de page 4.

RPC

[11] L’alinéa 44(1)b) du Régime de pensions du Canada énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. (a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. (b) ne touche pas une pension de retraite du RPC;
  3. (c) est invalide;
  4. (d) avoir versé des cotisations valables au RPC pendant au moins la PMA.

[12] Le calcul de la PMA est important, car une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date où sa PMA a pris fin ou avant cette date.

[13] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) du Régime de pensions du Canada, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Observations de la demanderesse

[14] La demande de permission d'en appeler de la demanderesse a été complétée le 19 mai 2016, soit 209 jours après que la décision de la division générale lui fut postée et bien après l’expiration du délai de 90 jours pour la présentation de la demande. Dans sa demande de permission d'en appeler, la demanderesse a indiqué qu'elle a reçu la décision de la division générale le 29 décembre 2016. Je présume qu'il s'agit d'une erreur typographique et que la demanderesse parlait de l'année 2015. Cependant, si on tient pour acquis que la demanderesse ou son représentant légal n'ont reçu la décision de la division générale que le 29 décembre 2015, il n'en demeure pas moins que la demande complète a été présentée avec 52 jours de retard. La demanderesse n'a aucunement reconnu son retard dans la présentation de sa demande et n'a fourni aucune explication pour ce retard.

[15] Dans sa demande de permission d’en appeler et dans une lettre d'accompagnement du 19 mai 2016 préparée par son représentant légal, la demanderesse a présenté les observations suivantes :

  1. La demanderesse conteste la décision puisqu'elle était totalement invalide en 2014 et son état est grave et prolongé. Elle a plusieurs problèmes médicaux qui l'empêchent d'exécuter les tâches les plus simples.
  2. Elle a fourni une preuve médicale pour démontrer son invalidité, notamment :
    • Les rapports médicaux du 7 mars 2013 et du 3 octobre 2013 du Dr Oleg Tugalev qui traitaient des diagnostics de scoliose modérée en forme de s, de douleur mécanique de la colonne vertébrale, de fibromyalgie, de dépression et de possible trouble bipolaire et trouble de la personnalité.
    • La lettre du 25 février 2014 et du 7 août 2014 de la Dre Jennifer Bonnet qui affirmait que la demanderesse était totalement incapable de travailler.
  3. Les rapports médicaux démontrent que l'appelante souffre de fibromyalgie (caractérisée par une fatigue et une douleur chroniques), de douleur chronique au cou (lui causant des maux de tête, et l'empêchant de pratiquer plusieurs activités physiques), de trouble dépressif majeur (anxiété, pensée rapide, problèmes de mémoire et de concentration).
  4. la division générale a commis une erreur de droit dans sa décision en ne tenant pas compte de la preuve médicale, ce qui donne fortement à penser qu'elle est atteinte d'une invalidité grave et prolongée.

[16] La demanderesse a aussi produit une lettre du 9 décembre 2015 de la Dre Bonnet, le médecin de famille de la demanderesse, et a souligné qu'elle participait actuellement à des séances de counselling avec l'équipe de santé familiale de Thames Valley.

Analyse

[17] Je considère que la demande de permission d’en appeler a été présentée après le délai prescrit de 90 jours. Le dossier indique que le 23 octobre 2015, la décision de la division générale a été envoyée à la demanderesse, à sa dernière adresse postale connue, et à son représentant légal, au cabinet d'avocats Mandryk, Stewart & Morgan. Aux termes de l'alinéa 19(a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, une décision est présumée avoir été communiquée à la partie le dixième jour suivant celui de sa mise à la poste. Le représentant légal de la demanderesse a indiqué dans la demande de permission d'en appeler - dans la version complète et la version incomplète - qu'il n'avait reçu la décision que le 29 décembre 2015. Ni la demanderesse ni son représentant légal n'ont expliqué pourquoi ils avaient fait abstraction de l'émission de la décision pendant deux mois, mais au moment de présenter la demande de permission d'en appeler, le 23 février 2016, ils avaient déjà dépassé le délai prescrit de 90 jours. Le problème s'est accentué du fait que la demande était incomplète.

[18] Il semble que la division d'appel a alors commis elle-même une erreur en informant la demanderesse des carences dans sa demande, plus de deux mois après la réception de la demande incomplète. Le dossier indique que la division d'appel n'a pas envoyé de lettre demandant de fournir des renseignements supplémentaires avant celle du 12 mai 2016. La demanderesse a alors répondu à la lettre une semaine plus tard. Malgré cela, le retard de la part de la division d'appel n'a pas occulté le fait que la demanderesse a déposé sa demande de permission d'en appeler le 23 février 2016, soit 123 jours après que la décision de la division générale fut mise à la poste.

[19] Pour déterminer s’il convenait d’accorder un délai supplémentaire pour interjeter appel, j’ai examiné et soupesé les quatre facteurs énoncés dans Gattellaro.

Intention constante de poursuivre l’appel

[20] Le dossier indique que le représentant légal de la demanderesse, persuadé que le dossier de son client était toujours actif, a continué jusqu'en décembre 2015 de présenter des éléments de preuve à la division générale. Peu importe l'origine de la confusion, je suis prêt à donner le bénéfice du doute à la demanderesse sur cette question. J'estime qu'elle a démontré une intention continue de poursuivre l'appel.

Explication raisonnable du retard

[21] Ni la demanderesse ni son représentant légal n'ont donné de raisons pour expliquer pourquoi ils n'avaient pas présenté une demande complète dans les délais impartis. Cependant, il semble que la première partie du retard - du 23 octobre 2015 au 29 décembre 2015 - est attribuable à la croyance selon laquelle la division générale n'avait pas statué sur le dossier de la demanderesse. Que cette croyance soit sincère ou non, j'estime qu'il ne s'agit pas d'un fondement raisonnable pour expliquer le retard. Deux exemplaires de la décision de la division générale ont été envoyés respectivement à la demanderesse et à son représentant légal, aux adresses qu'ils avaient fournies. Une fois au courant que la décision de la division générale avait rendu sa décision et que le délai de 90 jours avait commencé à courir, la demanderesse et son représentant légal avaient encore plus d'un mois pour présenter une demande de permission. Malgré cela, ils ont quand même raté la date butoir en déposant une demande incomplète le 23 février 2016.

Cause défendable

[22] La demanderesse allègue que la division générale n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve médicale, qui selon la demanderesse démontrait qu'elle était invalide selon les critères du RPC. Cependant, au-delà de ces allégations vagues, la demanderesse n'a pas mentionné comment, en rendant sa décision, la division générale n'a pas respecté un principe de justice naturelle, a commis une erreur de droit ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée.

[23] Presque toutes les observations que la demanderesse a présentées à la division d'appel constituent une récapitulation de la preuve et de l'argumentaire qui ont déjà été présentés à la division générale. Bien qu'un demandeur ne soit pas tenu de prouver ses motifs d’appel au stade de la demande de permission d’en appeler, ceux-ci doivent tout de même avoir un certain fondement rationnel pour que les observations du demandeur puissent se rattacher aux moyens d’appel admissibles. La division d’appel ne devrait pas avoir à spéculer sur ce que ces fondements pourraient être. Il ne suffit pas à une demanderesse de déclarer qu'elle est en désaccord avec la décision de la division générale, pas plus qu’il ne suffit, pour elle, d'exprimer sa conviction persistante que ses problèmes de santé la rendent invalide au sens du Régime de pensions du Canada.

[24] Il est de jurisprudence constante qu’un tribunal administratif chargé de tirer des conclusions de fait est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont il est saisi et n’est pas tenu de mentionner chacune des observations déposées par les partiesNote de bas de page 5. Cela étant dit, j’ai examiné la décision de la division générale et je n’ai rien trouvé qui laisse croire qu’elle a ignoré l’un ou l’autre des aspects importants de la réclamation d'invalidité de la demanderesse, ou qu’elle n’en a pas adéquatement tenu compte. La division générale a analysé en détail les diverses affections médicales de la demanderesse et les symptômes s'y rapportant, et en quoi ces derniers influençaient sa capacité à régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice pendant sa période minimale d'admissibilité. En fin de compte, la division générale a conclu que, même si la demanderesse souffrait de certains troubles, ceux-ci n'étaient pas suffisamment graves pour nuire à sa capacité à se recycler ou à occuper un autre emploi.

[25] La demanderesse laisse entendre que la division générale n'a pas tenu compte de certains rapports médicaux qui appuyaient sa demande d'invalidité, ou ne leur a pas accordé suffisamment d'importance.  Je constate que presque tous les documents énumérés ont été présentés à l'audience devant la division générale, à l'exception de la lettre du 7 août 2014 de la Dre Bonnet, pour laquelle je n'ai trouvé aucune trace dans le dossier du Tribunal. Peu importe, puisqu’un tribunal administratif est réputé avoir pris en considération tous les éléments de preuve dont il était saisi, et que la division générale a agi selon sa compétence en soupesant la preuve, en déterminant les faits, s’il en était, qu’elle choisissait de considérer avant d’en venir à une décision fondée sur son interprétation et sur son analyse des documents portés à sa connaissance. Dans l’affaire Simpson c. CanadaNote de bas de page 6, la Cour d’appel fédérale a conclu que :

le poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits. Ainsi, une cour qui entend un appel ou une demande de contrôle judiciaire ne peut pas en règle générale substituer son appréciation de la valeur probante de la preuve à celle du tribunal qui a tiré la conclusion de fait contestée.

[26] En l'absence d'une allégation particulière d'erreur, j'estime que les moyens d'appel invoqués par la demanderesse sont si vastes qu'ils équivalent à demander de trancher à nouveau l'ensemble de la demande. Si la demanderesse me demande de réexaminer et de réévaluer la preuve en sa faveur et de substituer ma décision à celle de la division générale, je ne suis pas en mesure de le faire. En tant que membre de la division d'appel, je n’ai compétence que pour déterminer si l’un de ses motifs d’appel se rattache aux moyens d’appel admissibles du paragraphe 58(1) et si l’un d’eux confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[27] Finalement, je constate que la demanderesse a présenté un autre document à la division d'appel. La lettre du 9 décembre 2015 de la Dre Bonnet a manifestement été rédigée bien après que la décision de la division générale fut rendue. Un appel devant la division d'appel ne représente habituellement pas une occasion de soumettre de nouveaux éléments de preuve, étant donné les contraintes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, qui ne procurent à la division d'appel aucune autorité de rendre une décision sur le fond de l’affaire. Une fois qu’une audience devant la division générale a pris fin, très peu de raisons justifieraient de soulever d’autres points ou des points nouveaux. Un demandeur pourrait envisager de présenter à la division générale une demande d’annulation ou de modification d’une de ses décisions. Cela dit, il faudrait que ce demandeur se conforme aux exigences de l’article 66 de la Loi sur le MEDS et des articles 45 et 46 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.Non seulement y a-t-il des délais et des exigences strictes à respecter pour obtenir gain de cause dans une demande d’annulation ou de modification, mais aussi faut-il que le demandeur démontre que les éventuels faits nouveaux sont essentiels et qu’ils n’auraient pu être connus au moment de l’audience malgré l’exercice d’une diligence raisonnable.

[28] Je ne vois aucune chance raisonnable de succès pour ces moyens d'appel.

Préjudice à l’autre partie

[29] Il est peu probable que la prorogation du délai pour interjeter appel cause préjudice au défendeur étant donné la période relativement courte qui s’est écoulée depuis l’expiration du délai prévu par la loi. Je ne crois pas que la capacité du défendeur à se défendre, vu ses ressources, soit indûment amoindrie si la prorogation de délai était accordée.

Conclusion

[30] Après avoir soupesé les facteurs susmentionnés, j’ai déterminé que la présente affaire n’est pas un cas où il convient d’accorder une prorogation du délai de 90 jours pour faire appel. Tandis que j'étais convaincu de l’intention continue de la demanderesse de poursuivre l’appel, on ne m'a pas fourni d'explication au sujet du retard. Toute explication que je tentais d'attribuer à ce retard me paraissait déraisonnable. Certes, l'intimé ne subirait pas de préjudice si un délai supplémentaire était accordé, mais les autres facteurs de l’affaire Gattellaro ont été éclipsés, selon moi, étant donné l’absence d’une cause défendable : je n’ai trouvé aucun motif découlant d’un manquement à un principe de justice naturelle ou d’une erreur de droit ou de fait qui conférerait à l’appel de la demanderesse une chance raisonnable de succès.

[31] D’après les facteurs énoncés dans l’affaire Gattellaro et dans l’intérêt de la justice, je refuserais d’accorder une prorogation du délai pour interjeter appel aux termes du paragraphe 57(2) de la Loi sur le MEDS.

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