Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

Appelante : M. T.

Représentante de l’appelante : Alexandra Victoros

Interprète professionnelle en serbe : Ana Smiljanic

Représentante de l’intimé : Sandra Doucette

Décision

L’appel est accueilli.

Introduction

[1] Il s’agit d’un appel de la décision rendue le 6 octobre 2015 par la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal), qui a rejeté la demande de pension d'invalidité de l'appelante au motif que cette dernière n'a pas prouvé que son invalidité était grave au sens du Régime de pensions du Canada (Loi), au moment où sa période minimale d'admissibilité (PMA) a pris fin, le 31 décembre 2015. La permission d’en appeler a été accordée le 29 avril 2016 au motif que la décision de la DG pourrait comporter une erreur.

Aperçu

[2] L'appelante était âgée de 49 ans lorsqu’elle a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en octobre 2012. Elle a indiqué avoir terminé ses études secondaires et, après son arrivée au Canada, avoir travaillé comme ponceuse pendant sept ans pour un fabricant de meubles de bureau, emploi qu’elle a dû quitter en mai 2012 en raison d’une douleur au dos. Elle a également indiqué être la propriétaire unique d’une pizzéria qui, en fait, était gérée par son fils.

[3] Dans le questionnaire accompagnant sa demande du RPC, l’appelante a indiqué que ses affections principales étaient une discopathie dégénérative, l’arthrite facettaire et une sténose foraminale qui, selon ce qu’elle a dit, l’empêchaient de se pencher ou de soulever des charges et de demeurer assise ou debout pendant de longues périodes. Elle a été examinée et traitée par de nombreux spécialistes, mais elle allègue n’avoir remarqué aucune amélioration notable relativement à sa douleur et à ses capacités fonctionnelles.

[4] Lors de l’audience par vidéoconférence tenue devant la DG le 8 septembre 2015, l’appelante a témoigné avoir immigré comme réfugiée au Canada en 1999 et avoir d’abord habité au Québec, où elle a suivi des cours de français pendant sept mois. Elle a ensuite déménagé à Kitchener, en Ontario, où elle a suivi des cours d’anglais langue seconde durant neuf mois. Elle a dit qu’elle était capable de parler et d’écrire en anglais, même si elle éprouvait des difficultés orthographiques. Elle a indiqué qu’elle n’était pas capable de travailler en raison d’une douleur au bas du dos, qui irradiait dans ses jambes et à l’arrière de ses hanches.

[5] Dans sa décision, la DG a conclu que l'invalidité de l'appelante ne respectait pas l’exigence applicable au chapitre de la gravité. Elle a noté que l’appelante avait fait état d’un revenu de 39 124 $ en 2012, année où elle a présumément cessé de travailler, et d’un revenu de 17 741 $ l’année suivante. La DG a conclu que, même si rien n’indiquait comment était calculé son salaire relatif à la pizzéria, cette rémunération n’était pas symbolique. Selon toute probabilité, elle touchait ce salaire pour du travail de comptabilité et d’administration qu’elle faisait à temps partiel et, occasionnellement, à temps plein.

[6] Le 9 décembre 2015, dans les délais prescrits, l’appelante a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel (DA) du Tribunal, dans laquelle elle alléguait que la DG avait commis de nombreuses erreurs. Le 29 avril 2016, la DA a accordé la permission d’en appeler au motif que la DG pourrait avoir erré des façons suivantes :

  1. En interprétant incorrectement le revenu d’entreprise de l’appelante pour 2013;
  2. En décrivant la demanderesse comme étant [traduction] « polyglotte »;
  3. En n’appliquant pas l’arrêt Atkinson c. Procureur généralNote de bas de page 1, qui demande de tenir compte de la preuve d’un soi-disant [traduction] « employeur bienveillant » dans le cas d’un requérant qui demeure au sein de la population active même s’il est prétendument invalide;
  4. En n’appliquant par Cochran c. CanadaNote de bas de page 2, alors qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve médicale produite aux alentours de la PMA du 31 décembre 2015.

[7] Dans un avis daté du 4 juillet 2016, la DA a mis au rôle une audience par vidéoconférence pour les raisons suivantes :

  1. La complexité des questions en litige;
  2. Les renseignements figurant au dossier et le besoin d’obtenir des renseignements supplémentaires;
  3. Le fait qu’un interprète participera à l’audience;
  4. Le fait que l’appelante ou les autres parties seront représentées;
  5. La disponibilité de la technologie de vidéoconférence dans la zone de résidence de l’appelante;
  6. L’exigence, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[8] Les observations de l’appelante étaient énoncées dans sa demande de permission d’en appeler et son avis d’appel du 9 décembre 2015. En réponse à la demande du Tribunal, elle a déposé des observations supplémentaires le 6 juin 2016. L’intimé a présenté ses observations le 13 juin 2016, auxquelles l’appelante a répondu dans une lettre datée du 27 juin 2016.

Droit applicable

[9] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] L’alinéa 44(1)b) de la Loi énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne touche pas une pension de retraite du RPC;
  3. c) est invalide;
  4. d) a versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité.

[11] Le calcul de la PMA est important puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date ou avant la date marquant la fin de sa PMA.

[12] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) de la Loi, une personne est considérée comme invalide si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

Questions en litige

[13] Les questions dont je suis saisie sont les suivantes :

  1. Quelle norme de contrôle faut-il appliquer lors de l'examen des décisions de la DG ?
  2. La DG a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées en :
    1. ne tenant pas compte de la preuve voulant que le montant de 17 741 $ rapporté en 2013 constituait des revenus d’entreprise ou combinés, et non un revenu personnel;
    2. décrivant l’appelante comme étant [traduction] « polyglotte », après avoir conclu qu’elle était capable de parler et d’écrire en anglais et en français, ainsi qu’en serbe, sa langue maternelle.
  3. La DG a-t-elle rendu une décision entachée d'une erreur de droit en :
    1. n’appliquant pas Atkinson et des causes semblables, du fait qu’elle n’a tenu suffisamment compte de la preuve voulant que l’entreprise familiale qu’est la pizzéria était, en effet, un [traduction] « employeur bienveillant »;
    2. en n’appliquant pas Cochran, du fait qu’elle n’a pas tenu suffisamment compte de la preuve médicale précédant la PMA de l’appelante du 31 décembre 2015.

Observations

(a) Norme de contrôle

[14] L’appelante soutient que la norme de contrôle applicable dans le cadre de cet appel est celle de la décision correcte puisque la DA ne doit aucune déférence à la DG. La DA est une instance supérieure au sein du même tribunal – la DG ne possède ni un savoir-faire ni une expérience qui justifie de privilégier ses décisions. L’appelante souligne également que le membre de la DG ayant statué sur cette affaire est un membre régulier de la DA, quoiqu’elle reconnaisse que la formation puisse différer d'une division à l'autre.

[15] Pour ce qui est des motifs d’après lesquels la permission d’en appeler a été accordée, la question pertinente ne touche pas l’appréciation de la preuve; il s’agit plutôt de savoir si la DG a excédé sa compétence, soit en ne tenant pas compte d’un élément de preuve hautement pertinent ou en faisant des déclarations de fait sans preuve à l’appui. Pour la question relative à la compétence, c’est la norme de la décision correcte qu’il convient d’appliquer.

[16] Dans ses observations, l’intimé a abordé en détail les normes de contrôle et leur applicabilité en l’espèce, pour conclue que la norme de décision correcte devait être appliquée aux erreurs de droit, et que la norme de la décision raisonnable doit être appliquée aux erreurs de fait et aux erreurs mixtes de fait et de droit.

[17] L’intimé a noté que la Cour d’appel fédérale n’a pas encore déterminé l’approche exacte que doit appliquer la DA lorsqu’elle examine des décisions de la DG portées en appel. L’intimé a reconnu la cause Canada c. HuruglicaNote de bas de page 3 sur laquelle la Cour d’appel fédérale a récemment statué, laquelle, il a indiqué, confirme que l’analyse de la DA devrait être influencée par des facteurs comme la terminologie de la loi habilitante, l’intention de la législature ayant créé le tribunal et le fait que la législature a le pouvoir d’établir une norme de contrôle si elle le veut. L’intimé était d’avis que l’affaire Huruglica n’a pas eu une incidence considérable sur la norme de contrôle qu’il faut appliquer aux erreurs de fait alléguées; la terminologie de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS a continué de laisser cours à un éventail de résultats acceptables.

[18] L’intimé soutient que la DA ne devrait pas statuer de nouveau sur des questions pour lesquelles la DG détient un avantage considérable à titre de juge des faits. La terminologie des articles 58 et 59 de la Loi sur le MEDS montre que le Parlement avait l’intention que la DA fasse preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit de la DG.

(b) Erreurs de fait

Interprétation des revenus de l’appelante en 2013

[19] La demanderesse soutient que la DG n'a pas tenu compte de la preuve voulant que les 17 741 $ qu'elle a rapporté avoir gagnés en 2013 constituaient des revenus d'entreprise et non un revenu personnel. Elle affirme qu'à titre de propriétaire unique de l'entreprise familiale, tous les revenus tirés de l’entreprise sont inscrits sur sa propre déclaration de revenus, et ce, même si la pizzéria est en réalité un partenariat entre son conjoint, son fils et elle-même. Son conjoint et son fils travaillaient activement au sein de l'entreprise, tandis qu'elle a cessé d'y travailler en 2013.

[20] L’intimé soutient que la conclusion de la DG, selon laquelle l’appelante participait activement aux activités de l’entreprise familiale, était raisonnable compte tenu de la preuve qui lui avait été présentée. En 2013, l’appelante a déclaré qu’elle était propriétaire à 100 pour cent de M. Pizza. La DG a conclu que l’appelante avait touché un revenu d’emploi de plus de 17 000 $ d’après les déclarations de revenus fournies par l’Agence du revenu du Canada, qui montraient aussi qu’elle avait tiré de M. Pizza, comme travailleuse indépendante, un revenu brut de plus de 124 000 $, et que ses dépenses d’entreprise totalisaient 106 000 $. Les dépenses d’entreprise ne comprenaient aucune dépense liée à des traitements, salaires ou avantages sociaux.

[21] L’intimé soutient que la DG a conclu à juste titre que l’appelante avait touché une rémunération en 2013, tout en ayant reconnu que son conjoint de fait et son fils travaillaient à la pizzéria. L’appelante a admis assumer un rôle s’apparentant à celui d’une directrice des services administratifs et, quoique le conjoint et le fils de l’appelante ont pu avoir travaillé à la pizzéria, il n’existe aucune preuve montrant qu’ils recevaient un traitement ou un salaire.

Conclusion selon laquelle l’appelante est polyglotte

[22] L’appelante conteste la conclusion de la DG voulant qu’elle soit [traduction] « polyglotte », fondée sur sa capacité présumée à parler et à écrire en anglais et en français, de même que dans sa langue maternelle, le serbe. Quoiqu’elle admet avoir suivi des cours de français pendant sept mois et des cours d’anglais pendant neuf mois après avoir immigré au Canada, son français était non existant et son anglais était très limité.

[23] Si l’intimé admet que rien n’indique au dossier que l’appelante est polyglotte (c’est-à-dire qu’elle est capable de communiquer dans plusieurs langues), il soutient que l’erreur de la DG, qui a interprété à tort qu’elle pouvait s’exprimer aisément dans plusieurs langues, n’était pas une erreur importante. La DG n’a pas déduit de ses supposées compétences linguistiques que l’appelante possédait le type d’intelligence et d’adaptabilité qui lui permettent d’exercer un emploi en dépit de ses incapacités présumées.

(c) Erreurs de droit

Application de L.F.

[24] Citant une cause de l’ancienne Commission d’appel des pensions, L.F. c. MDRH Note de bas de page 4, l’appelante soutient que la DG ne s’est pas suffisamment penchée sur la question de savoir si son travail sporadique à la pizzéria familiale était valable et concurrentiel.

[25] L’intimé soutient qu’aucune preuve ne suggère que le travail qu’effectuait l’appelante pour M. Pizza était en deçà de la norme commerciale. Le dossier montre que l’appelante était la propriétaire de l’entreprise à 100 pour cent ainsi qu’elle touchait un salaire comme directrice des services administratifs, et ce, au moins jusqu’à la fin de 2013. De plus, le fils de l’appelante et son conjoint de fait travaillaient au restaurant sans gagner ni traitement ni salaire. Au moment où l’audience a été tenue, M. Pizza était toujours en affaires, et l’appelante a affirmé qu’elle continuait de faire de la comptabilité pour l’entreprise. Même si l’appelante a pu, depuis, aliéner une part de l’entreprise ou l’entreprise en entier, aucun document n’a été fourni à l’appui de cette prétention. En bref, aucun élément de preuve ne suggère que l’entreprise était un [traduction] « employeur bienveillant » à l’égard de l’appelante.

Application de Cochran

[26] L’appelante soutient que la DG a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve médicale qui datait de l'époque où a pris fin sa période minimale d'admissibilité, le 31 décembre 2015, et en mettant plutôt l'accent sur son état de santé au cours de la période pendant laquelle elle recevait encore une rémunération.

[27] L’intimé soutient qu’un tribunal n’est pas tenu de mentionner dans ses motifs chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais qu’il est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve. Cependant, en l’espèce, il y avait un manque de documentation datant des deux dernières années de la PMA et qui corroborerait sa prétention d’incapacité en date du 31 décembre 2015. Compte tenu de ce manque, la décision de la DG était raisonnable et ne contient aucune erreur susceptible de contrôle qui permette à la DA d’intervenir. Conformément à la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Cochran, la DG a examiné la preuve disponible qui lui avait été présentée et a conclu que l’appelante était une dame dans le début de la cinquantaine avec des compétences transférables en administration de bureau et en comptabilité, qui passait régulièrement beaucoup de temps à l’entreprise dont elle était la propriétaire unique jusqu’en 2013.

Analyse

(a) Norme de contrôle

[28] Jusqu’à récemment, il était convenu que les appels devant la DA étaient régis par les normes de contrôle énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 5. Dans les affaires où des erreurs de droit ou un manquement aux principes de justice naturelle sont allégués, il a été établi que la norme applicable était celle de la décision correcte, faisant état d’un seuil inférieur de déférence requis à l’égard d’un tribunal administratif, souvent comparé à une cour de première instance. Dans les affaires portant sur des allégations de conclusions de fait erronées, la norme applicable établie était celle de la décision raisonnable, qui témoigne d’une certaine réticence à toucher aux conclusions de l’instance responsable d’instruire la preuve factuelle.

[29] Cette approche a été balayée d’un revers de main par l’affaire Huruglica, qui a établi que les tribunaux administratifs ne devraient pas avoir recours à des normes de contrôle ayant été conçues pour être appliquées par les cours d’appel. Les tribunaux administratifs devraient plutôt se fier en premier lieu à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle.

[30] Bien que l’arrêt Huruglica porte sur une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, il a des répercussions sur d'autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a établi qu’il n’était pas approprié de puiser dans les principes du contrôle judiciaire, comme l’a prescrit Dunsmuir, dans le cadre d’instances administratives, puisque celles-ci peuvent refléter des priorités législatives qui différèrent de l’impératif constitutionnel de préserver la primauté du droit. « […] on ne doit pas simplement présumer que ce qui était réputé être la politique la plus appropriée pour les juridictions d’appel vaut également pour certains organismes administratifs d’appel. »

[31] Cette prémisse amène la Cour à déterminer le critère approprié découlant directement de la loi habilitante d'un tribunal administratif :

[…] la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L'interprétation de la loi appelle l'analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] […] et son objet […] L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [Section de protection des réfugiés].

[32] Par conséquent, la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte ne s’applique pas en l’espèce à moins que ces mots ou leurs variantes figurent spécifiquement dans la loi constitutive. En appliquant cette approche à la Loi sur le MEDS, on remarque que les alinéas 58(1)a) et b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements à la justice naturelle, ce qui suggère que la DA ne devrait pas faire preuve de déférence à l’égard des interprétations de la DG.

[33] Le terme « déraisonnable » n'apparaît nulle part à l'alinéa 58(1)c), qui porte sur les conclusions de fait erronées. En revanche, le critère comporte les qualificatifs « abusive ou arbitraire » et « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme on l’a suggéré dans l’affaire Huruglica, il faut donner à ces mots leur propre interprétation, mais le libellé suggère que la DA devrait intervenir lorsque la DG fonde sa décision sur une erreur qui est manifestement grossière ou contraire au dossier.

(b) Participation aux activités de la pizzéria

[34] Puisque la rémunération touchée par l’appelante en 2013 et sa participation aux activités de la pizzéria familiale sont inextricablement liées, j’aborderai ces deux questions conjointement.

[35] Il est évident, d’après l’analyse de la DG, que la rémunération de 17 000 $ déclarée par l’appelante a joué un rôle déterminant à ses yeux quand elle a déterminé que l’appelante n’était pas invalide au sens de la norme prescrite par la Loi. De plus, quoique l’appelante n’ait déclaré aucun revenu pour 2014 et 2015, les deux dernières années de sa PMA, il semble que la DG n’a tout simplement pas cru la preuve qu’elle lui a présentée, voulant qu’elle eût, au plus, fait du travail modique pour M. Pizza au cours de cette période. Selon moi, la DG est arrivée à ces conclusions après avoir fait une série de constatations qui, parfois, n’étaient pas tout à fait appuyées par la preuve, comme je m’apprête maintenant à l’expliquer.

Interprétation du revenu déclaré de 17 000 $

[36] Dans sa décision, la DG a noté à plusieurs reprises que l’appelante avait indiqué être la propriétaire de l’entreprise à 100 pour cent (aux paragraphes 10 et 41), mais ni son questionnaire de travailleuse indépendante si son témoignage ne m’ont permis de confirmer cette affirmation; elle y avait par contre qualifié la pizzéria d’entreprise familiale à plusieurs occasions. La preuve suggère que M. Pizza est une entreprise dépourvue de personnalité morale dans laquelle les trois membres de la famille de l’appelante, y compris elle-même, avaient un intérêt. Il semble qu’ils aient décidé de faire état de tout revenu tiré de l’entreprise sur la déclaration de revenus personnelle de l’appelante. Cependant, je ne crois pas que cela revienne à ce que celle-ci soit propriétaire de l’entreprise en entier; son mari et son fils ont un intérêt bénéficiaire dans l’entreprise, particulièrement puisqu’ils y travaillent.

[37] Il était donc étonnant que la DG ait, dans toute sa décision, considéré que le revenu de 17 000 $ appartenait entièrement à l’appelante. Voici ce que la DG a écrit au paragraphe 44 de sa décision :

[Traduction]

Alors que l’appelante a présumément arrêté de travailler en mai 2012, celle-ci a touché un revenu de 39 124 $ en 2012, et de 17 741 $ en 2013, année durant laquelle elle n’a supposément pas travaillé. Il ne s’agit pas là d’une rémunération symbolique. Rien n’indique comment son salaire était déterminé lorsqu’elle travaillait pour l’entreprise. Cependant, selon toute probabilité, elle touchait ce salaire pour du travail de comptabilité et d’administration qu’elle faisait à temps partiel et, occasionnellement, à temps plein.

[38] Les termes employés dans cet extrait dressent un portrait qui, à mon avis, n’est pas appuyé par le dossier. Comme je l’ai indiqué précédemment, il n’existe aucune preuve d’une [traduction] « compagnie », mais seulement d’une entreprise familiale dont les revenus collectifs ont été déclarés, aux fins de l’impôt sur le revenu, par un seul membre de la famille. L’ensemble des éléments de preuve prête à croire que l’appelante, ainsi que son conjoint et son fils, ne touchaient pas de « salaire », mais qu’ils bénéficiaient collectivement du revenu d’entreprise généré par la pizzéria. J’ai écouté des extraits pertinents de l’enregistrement de l’audience, qui montrent que l’appelante a nié sans cesse que le revenu de 17 000 $ lui appartenait à elle seule. À 1:05:47, on lui a demandé ce qu’elle avait fait pour gagner le revenu qu’elle avait déclaré en 2013, ce à quoi elle a répondu ce qui suit [traduction] : « C’était à la famille. Nous formons ensemble une seule famille. C’est à nous tous. » Cette déclaration, qui était une tentative de la part de l’appelante d’aborder un des principaux points soulevés à l’encontre de sa demande d’invalidité, n’a pas été approfondie davantage par la DG durant l’interrogatoire et ne transparaît aucunement dans sa décision. La DG a plutôt attribué le montant tout entier à l’appelante et a tiré une conclusion défavorable du fait qu’elle avait supposément touché un revenu véritablement rémunérateur après la date à laquelle elle allègue être devenue invalide [traduction] : « Ce revenu ne peut être considéré comme une compensation modique, symbolique ou illusoire. »

Activités de M. Pizza

[39] Dans sa demande de permission d’en appeler, l’appelante a allégué que la DG ne s’est pas suffisamment penchée sur la question de savoir si son travail sporadique à la pizzéria familiale était valable et concurrentiel. J’ai accordé la permission d’en appeler car j’ai cru qu’il était défendable que la DG avait écarté une preuve voulant que M. Pizza, à titre d’entreprise familiale, était en effet un [traduction] « employeur bienveillant ».

[40] Il ne laisse aucun doute que la DG a conclu que le travail effectué par l’appelante à la pizzéria après mai 2012, quand elle a quitté son emploi de ponceuse à temps plein, était comparable à un emploi sur le marché du travail concurrentiel. En mettant l’accent sur le fait que l’appelante était propriétaire à 100 pour cent de l’entreprise, comme je l’ai indiqué plus tôt, la DG a retranché la réalité, soit que cette entreprise appartenait aussi conjointement à son conjoint et à son fils qui, présumément, seraient davantage enclins à lui offrir des mesures d’adaptation en fonction de ses incapacités que le seraient des partenaires d’affaires sans lien familial. Au paragraphe 42, la DG a écrit que l’appelante a témoigné qu’elle allait à la pizzéria chaque jour et qu’elle s’occupait de tâches administratives, notamment en répondant au téléphone, en payant des factures et en passant des commandes. Mon examen de l’enregistrement de l’audience révèle que l’appelante a effectivement témoigné (45:48) qu’elle [traduction] « essayait » de faire ces tâches et qu’elle se rendait à la pizzéria principalement pour tenir compagnie à son conjoint. Au bout du compte, la DG a conclu que l’appelante était capable de travailler non seulement à temps partiel, mais à temps plein.

[41] La Loi établit un lien entre l’invalidité et l’état d’une personne qui est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, d’où découle le concept d’ [traduction] « employeur bienveillant », soit un patron qui peut être un ami, un parent ou un autre individu témoignant d’empathie, qui est prêt à faire fi d’impératifs commerciaux et à offrir des mesures d’adaptation exceptionnelles à quelqu’un dont la productivité est affectée pour des raisons de santé. Quoique je reconnais qu’il incombe à l’appelante de produire des éléments de preuve montrant qu’elle a bénéficié d’un tel traitement, la DG est tenue, si l’appelante l’a fait, d’aborder ce sujet d’une façon signifiante. En l’espèce, la DG n’a que peu considéré la possibilité que la nature du travail effectué par l’appelante auprès de M. Pizza après mai 2012 puisse être en deçà de la norme commerciale, même si cette dernière a explicité présenté cet argument, dans ses observations écrites comme orales. Dans sa demande de prestations, l’appelante a soutenu que son fils gérait la pizzéria à sa place et, dans son témoignage, elle a affirmé que son conjoint exploitait le commerce. À 1:10:10 de l’enregistrement de l’audience, on peut entendre la représentante de l’appelante qui lui demande directement si son fils et son conjoint lui offraient des mesures d’adaptation à la pizzéria. Elle lui a répondu ce qui suit [traduction] : « Évidemment. Ils ont conscience de mes capacités. Ils m’aident aussi à la maison. Ils savent comment je me sens. » De plus, la représentante de l’appelante a explicitement fait valoir, dans sa dernière observation orale, que les mesures d’adaptation offertes par la famille à la pizzéria devraient être prises en considération.

[42] À mon avis, en ne faisant pas face à la preuve d’un employeur bienveillant, la DG a commis tant un manquement aux principes de justice naturelle qu’une erreur de droit. Un tribunal administratif a une obligation, envers un requérant, de tenir compte dûment des éléments de preuve significatifs et des arguments qu’il avance à l’appui de sa demande.

Conclusion de non-crédibilité

[43] Mon examen de la décision de la DG me porte à croire que la DG a notamment (ou principalement) rejeté la demande de pension d’invalidité de l’appelante parce qu’elle n’a pas cru à son témoignage voulant qu’elle allait à la pizzéria familiale tous les jours sans pourtant y effectuer des tâches importantes. En effet, la DG a conclu que l’appelante était très peu crédible en général, déclarant au paragraphe 43 que [traduction] « [l]a crédibilité de l’appelante laisse planer le doute vu la preuve contradictoire ».

[44] Cependant, la DG n’a cité aucun exemple concret du manque d’authenticité de l’appelante pour appuyer cette assertion plutôt générale, et n’a offert que l’affirmation générale suivante :

[Traduction]

La preuve documentée de l’appelante (questionnaires datés du 8 octobre 2012 et du 9 juin 2015) et son témoignage oral présentent des déclarations contradictoires relativement à la date à laquelle elle a cessé de travailler, au rôle qu’elle joue dans la gestion et l’administration de son entreprise et à la propriété de l’entreprise.

[45] Un aperçu de la preuve orale et documentaire suggère que l’appelante avait toujours dit qu’elle avait arrêté son emploi de ponceuse de meubles en mai 2012 et cessé de travailler à temps plein chez M. Pizza en décembre 2013, après quoi elle a strictement continué d’effectuer certaines tâches de comptabilité et d’administration. Elle n’a jamais nié que tout le revenu de la pizzéria avait été inscrit sur sa déclaration de revenus, mais a fait valoir à de nombreuses reprises que le revenu provenait de l’entreprise qui appartenait à la famille. Si elle a dit avoir cessé de travailler chez M. Pizza, rien n’indiquait ni dans ses questionnaires ni dans son témoignage qu’elle avait transféré ses droits dans l’entreprise qui, comme je l’ai mentionné précédemment, était une entreprise dépourvue de personnalité morale. Néanmoins, il semble que la DG a, sans avoir expliqué son raisonnement, tiré une conclusion défavorable puisque l’appelante [traduction] « ne l’avait pas fait ».

[46] S’il le juge des faits a compétence pour tirer des conclusions relatives à la crédibilité, celles-ci doivent tout de même être raisonnablement fondées. En l’espèce, je vais accorder l’appel au motif que la DG a écarté la preuve orale et écrite voulant que la participation de l’appelante aux activités de la pizzéria familiale était de nature passive et facilitée par des mesures d’adaptation offertes par son conjoint et son fils.

(c) Habiletés de polyglotte

[47] J’ai accordé la permission d’en appeler sur ce motif parce que la conclusion de la GD, selon laquelle l’appelante était polyglotte, semblait contraire à la preuve, qui indiquait que malgré que l’appelante s’exprime parfaitement en serbe et relativement aisément en anglais, elle n’avait été que peu exposée à la langue française. S’il semble plausible, même probable, qu’une personne puisse maîtriser l'anglais après avoir vécu et travaillé en Ontario pendant près de 15 ans, j’ai conclu qu’il est difficile d'imaginer qu'une personne puisse maîtriser parfaitement le français après avoir suivi des cours de français langue seconde pendant seulement quelques mois.

[48] Je déduis de l’observation de l’intimé que celui-ci a essentiellement admis que la DG était allée trop loin dans son interprétation des compétences linguistiques de l’appelante. Cependant, il suggère aussi qu’il ne s’agissait pas d’une erreur importante puisque la DG n’a pas tiré de plus grandes conclusions subséquentes ayant trait à son intelligence et à son adaptabilité sur le marché du travail. Après avoir examiné plus attentivement la décision de la DG, je ne peux souscrire à cette opinion. L’aisance linguistique prétendue de l’appelante a manifestement été un facteur déterminant aux yeux de la DG, celle-ci ayant dédié deux paragraphes entiers (47 et 48) de sa décision à cette question, avant de conclure ce qui suit [traduction] : « Elle est une dame intelligente qui, en dépit de ses difficultés évidentes en anglais, a créé une entreprise et a été capable de l’exploiter et de la gérer tout en ayant, pendant un certain temps, continué de travailler pour ses anciens employeurs. »

[49] Cette déclaration est le reflet d’un modus operandi dans toute la décision de la DG, où celle-ci attribue à l’appelante des qualités et des capacités qui ne sont étayées que par une parcelle de la preuve. Ayant suivi des cours de français langue seconde pendant quelques mois, l’appelante est donc [traduction] « intelligente » et capable d’exploiter une entreprise en dépit de ses incapacités. Le fait que de modestes gains nets découlant de son humble pizzéria familiale figurent sur sa déclaration de revenus signifie qu’elle est la [traduction] « propriétaire unique » de la compagnie et qu’elle est une [traduction] « femme d’affaires débrouillarde » qui est [traduction] « capable d’occuper un emploi exigeant sur le plan physique ». Il a été présumé que le revenu de 17 000 $ figurant sur sa déclaration de revenus de 2013 était une preuve que l’appelante touchait un revenu véritablement rémunérateur, malgré la preuve montrant que ce revenu était partagé par trois membres de la famille.

[50] Je suis disposé à accueillir l’appel sur ce motif.

(d) Cochran

[51] L’appelante soutient que la DG a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve médicale qui datait de l'époque où a pris fin sa PMA, le 31 décembre 2015, et en mettant plutôt l'accent sur son état de santé en 2013, la dernière année où elle a rapporté toucher un revenu. Dans son analyse, la DG a très peu étudié l’état de l’appelante après décembre 2013 (date à laquelle elle a indiqué ne plus pouvoir travailler [traduction] « à temps plein » dans son questionnaire sur le travail indépendant). S’il est vrai, comme l’a souligné l’intimé, qu’il existait peu de rapports médiaux datés des deux dernières années de la PMA, il semble que la DG a conclu que l’appelante était capable de travailler en 2014 et en 2015 après avoir conclu qu’elle l’était en 2013 et en grande partie en raison de son supposé manque de crédibilité. Mon examen de la preuve écrite et orale indique que l’appelante a toujours dit avoir cessé de travailler activement au restaurant en décembre 2013, mais il semble que la DG ne l’a simplement pas crue lorsqu’elle a fait valoir qu’elle se rendait chaque jour chez M. Pizza et y passait au moins huit heures afin de tenir compagnie à son conjoint, en plus de faire un peu de comptabilité. Dans ses observations, l’intimé a cité plusieurs paragraphes tirés de la décision de la DG, mais il en ressort une série d’expressions d’incrédulité qui ne montrent aucune véritable tentative de sa part d’évaluer l’état de l’appelante à la date de la PMA.

[52] J’hésite habituellement à infirmer une décision de la DG compte tenu de son appréciation de la crédibilité. Comme je l’ai indiqué précédemment, la DG avait entièrement compétence pour conclure que l’appelante n’était pas crédible, moyennant que cette conclusion soit raisonnablement fondée. Cependant, j’estime que les motifs pour lesquels la DG a jugé que l’appelante n’était pas crédible sont arbitraires et ne cadrent pas avec le dossier. Pour cette raison et comme la DG s’est longuement attardée dans son analyse sur le revenu déclaré par l’appelante en 2013 mais n’a aucunement abordé ses revenus pour 2014 et 2015, je me vois amené à conclure que la DG n’a pas suffisamment tenu compte de l’état de l’appelante à la date de sa PMA.

Conclusion

[53] Pour les motifs discutés précédemment, l’appel est accueilli sur tous les moyens qui avaient précédemment justifié d’accorder la permission d’en appeler.

[54] L’article 59 de la Loi sur le MEDS prévoit les réparations que la DA peut accorder en appel. Pour prévenir toute crainte de partialité, il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la DG pour qu’une nouvelle audience soit tenue devant un membre différent.

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