Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

J. B. (appelant)

Questions préliminaires

[1] Le jour précédant l’audience, une question de preuve s’est posée. L’appelant a fait parvenir au Tribunal de la sécurité sociale (ci-après « le Tribunal »), par télécopieur, une lettre d’accompagnement datée du 27 septembre 2016 et un rapport d’imagerie daté du 25 mai 2016. Le Tribunal a répertorié ces documents sous les numéros de page GD66-1 et GD66-2, respectivement. Il les a examinés et a déterminé que, malgré leur dépôt tardif, ils seraient tous deux admis comme élément de preuve compte tenu de leur pertinence. Dans une lettre datée du 28 septembre 2016, le Tribunal a informé les parties de cette décision. Il leur a également fait savoir que, étant donné le dépôt tardif des documents, l’intimé aurait jusqu’au 19 octobre 2016 pour présenter des observations s’y rapportant. Le 5 octobre 2016, le Tribunal a reçu les observations de l’intimé relativement aux documents répertoriés sous les numéros de page GD66-1 et GD66-2.

Introduction

[2] Le 18 mai 2012, l’intimé a estampillé la demande de pension d’invalidité du Régime de pension du Canada (ci-après « le RPC ») présentée par l’appelant. Il a rejeté cette demande initialement et après révision. L’appelant a interjeté appel, devant le Tribunal, de la décision rendue à la suite de la révision. Précédemment, soit en septembre 2006, l’appelant avait aussi présenté une demande qui s’était retrouvée devant la Commission d’appel des pensions. Le principe de la chose jugée n’empêche toutefois pas complètement la demande actuelle, puisque la période minimale d’admissibilité associée à la demande antérieure a pris fin le 31 mars 2007.

[3] L’appel a été instruit par vidéoconférence pour les raisons suivantes :

  1. La façon de procéder est celle qui permet le mieux à plusieurs participants d’assister à l’audience.
  2. Le matériel nécessaire à une vidéoconférence est disponible à une distance raisonnable de la région où réside l’appelant.
  3. Les questions en litige sont complexes.
  4. Il manque de l’information au dossier ou il est nécessaire d’obtenir des clarifications.
  5. Cette façon de procéder est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Droit applicable

[4] Aux termes de l’alinéa 44(1)b) du Régime de pensions du Canada (ci-après « la Loi ») les exigences d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC sont les suivantes :

  1. a) le demandeur doit avoir moins de 65 ans;
  2. b) il ne doit pas toucher de pension de retraite du RPC;
  3. c) il doit être invalide;
  4. d) il doit avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité.

[5] Le calcul de la période minimale d’admissibilité est important, car le demandeur doit établir qu’il avait une invalidité grave et prolongée à la date de fin de cette période ou avant cette date.

[6] Selon l’alinéa 42(2)a) de la Loi, une personne invalide est une personne atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Elle n’est prolongée que si elle est déclarée devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès.

Question en litige

[7] La période minimale d’admissibilité n’est pas contestée; les parties comme le Tribunal s’entendent sur sa date de fin, soit le 31 octobre 2009. Toutefois, l’article 19 de la Loi prévoit que, lorsque les gains et les cotisations d’un demandeur sont inférieurs à l'exemption de base pour une année, ils peuvent être calculés au prorata si le demandeur est devenu invalide pendant la période proportionnelle. En l’espèce, la période proportionnelle s’étend du 1er janvier au 31 juillet 2015. Les parties conviennent et le Tribunal estime que cette période pourrait être prise en compte dans le présent appel. Comme l’appelant a touché des revenus de façon intermittente au fil des ans, d’autres dates de fin pourraient s’appliquer dans le traitement de sa demande de pension. Cependant, en date de l’audience et compte tenu des renseignements sur les revenus présentés, la date de fin du 31 octobre 2009 (et possiblement la période proportionnelle du 1er janvier au 31 juillet 2015) a été retenue.

[8] En l’espèce, le Tribunal doit déterminer si, selon toute vraisemblance, l’appelant était atteint, en date du 31 octobre 2009 ou avant cette date, d’une invalidité grave et prolongée ayant débuté après le 31 mars 2007. Si l’appelant ne satisfait pas à ce critère, le Tribunal devra déterminer s’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée ayant débuté entre le 1er janvier et le 31 juillet 2015. La limite du 31 mars 2007 s’applique en raison du principe de la chose jugée.

Preuve

[9] Dans cette affaire, la preuve est volumineuse et de portée particulièrement vaste. L’appelant a eu un très grand nombre d’employeurs et a un historique médical compliqué ainsi que des problèmes familiaux. Bien que tous les éléments de preuve aient été examinés, seuls ceux qui se rapportent expressément à la décision du Tribunal sont résumés ci-après.

[10] L’appelant a 46 ans et vit seul dans un appartement X, en Ontario. Il a fait sa 12e année et a une formation de charpentier. La plupart des emplois qu’il a occupés étaient de nature assez physique. Il a accumulé des gains admissibles au titre du RPC de 1989 à 1991 et de 1993 à 2004, ainsi qu’en 2010 (5 112 $), en 2011 (20 334 $) et en 2013 (6 354 $) depuis. Il n’a pas réussi à accumuler de gains admissibles en 2014 et en 2015, mais semble être sur la bonne voie pour 2016. Son emploi de 2016 est d’ailleurs abordé plus en détail ci-après. Il est séparé de sa femme, mais a été responsable de la garde de leurs enfants à certains moments; la clause d’exclusion pour élever des enfants a donc été prise en compte dans le calcul de sa période minimale d’admissibilité.

[11] Dans sa demande de prestations d’invalidité du RPC, l’appelant a indiqué qu’il souffrait d’anxiété et de dépression et que cela l’empêchait de travailler, car sa médication avait été augmentée à la suite d’expériences de travail négatives. Il était déprimé parce qu’il ne travaillait pas et n’arrivait pas à gagner sa vie. Il trouvait difficile de se faire embaucher parce que les employeurs demandaient souvent des références et qu’il avait vécu de nombreuses expériences de harcèlement en milieu de travail.

Antécédents

[12] Le 14 septembre 2010, l’appelant a commencé à travailler pour K.A.S. Personnel Service, mais il a quitté son emploi le 16 juin 2011 pour cause de harcèlement. C’est pendant cette période qu’est apparue sa hernie ombilicale. Peu après, il a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi et a indiqué qu’il était prêt et disposé à travailler ainsi que capable de le faire. Il a ensuite travaillé à son compte du mois de juillet au 12 octobre 2011 dans le domaine du recyclage de cyberdéchets, mais a cessé ses activités en raison d’une dépression. Cependant, le 2 janvier 2012, l’appelant a envoyé un courriel à un employeur potentiel dans lequel il a fait savoir qu’il était disponible pour travailler pendant le quart de l’après-midi. Il a également couché par écrit ses efforts de recherche d’emploi dans un courriel daté du 6 février 2012, dans lequel il indique toucher des prestations d’assurance-emploi et, par conséquent, devoir chercher du travail.

[13] En 2012, l’appelant a obtenu des rapports médicaux qui, essentiellement, étayent sa demande de prestations d’invalidité du RPC. En 2013, il a fait des cotisations admissibles au RPC dans le cadre d’un emploi, mais le 25 octobre 2013, le Dr Mistry a produit un autre rapport médical dans lequel il pose un diagnostic de dépression chronique, de trouble de la personnalité, de dépendance à l’alcool et de névrose post-traumatique. Il fait aussi mention d’un engourdissement permanent dans les deux jambes (attribuable à un problème neurologique dans la partie inférieure du rachis), de chômage, d’une séparation conjugale et de rétention urinaire ainsi que d’une admission à l’hôpital le 8 septembre 2012 pour cause de dépression nerveuse et de dépendance à l’alcool. Le Dr Mistry signale également des problèmes d’anxiété, un traumatisme et de la discrimination liés au milieu de travail, une méfiance à l’égard du travail, une perte de confiance, une image de soi négative et un fréquent besoin d’uriner. Son pronostic est réservé; le médecin fait remarquer que l’appelant n’est pas en mesure de travailler en raison de symptômes non résolus de dépression majeure et de problèmes connexes de rétention urinaire et de fréquence de miction. Les divers problèmes soulevés par le Dr Mistry figurent à de multiples endroits dans le dossier du Tribunal et ont aussi été décrits par l’appelant lors de l’audience. La discrimination et le harcèlement dont il a été victime étaient principalement fondés sur son orientation sexuelle, bien qu’il ait déclaré avoir aussi subi de la discrimination et du harcèlement en raison de ses problèmes de rétention urinaire.

[14] L’appelant a continué à essayer de travailler par l’intermédiaire de bureaux de placement. Le 7 octobre 2014, il a finalement trouvé un emploi plus stable et a commencé à travailler au restaurant Dinkel’s, à X. Il a décrit les tâches qu’il y accomplissait comme étant légères : il s’occupait principalement de laver la vaisselle, mais il lui arrivait aussi de nettoyer la cuisine, de préparer des ingrédients pour les cuisiniers, de décharger l’épicerie et de sortir les ordures.

[15] Le 28 décembre 2014, le Dr Fung a préparé un rapport médical dans lequel il pose un diagnostic de méralgie au côté gauche, de discopathie dégénérative de la colonne lombaire avec radiculopathie à la jambe droite, de reflux gastro-oesophagien et de dépendance à l’alcool et à la drogue. Le Dr Fung a noté une lacération à la cuisse gauche causée par une scie à chaîne et a indiqué que sa principale constatation était la douleur et l’engourdissement dans la cuisse gauche de l’appelant ainsi qu’une récente douleur à la jambe droite découlant de la radiculopathie. Le Dr Fung a pensé que le pronostic était bon; il n’avait pas vu l’appelant depuis le 14 mars 2014.

[16] Au Dinkel’s, l’appelant ne travaillait pas tout à fait à temps plein. Il a occupé cet emploi jusqu’au 8 mai 2015 et a touché un total de 6 545 $. Le 10 mai 2015, le Dr Dolan (médecin de famille) a produit une note dans laquelle il déclare que l’appelant est incapable de travailler pour cause de maladie, et ce, pour une durée indéterminée. À l’audience, l’appelant a précisé que cette incapacité était due à ses problèmes mentaux. Il avait le sentiment d’être harcelé au travail et croyait que de continuer à travailler ferait empirer ses problèmes de santé mentale. Il a par la suite présenté une demande de prestations de maladie de l’assurance-emploi (et non de prestations régulières). Le 19 mai 2015, le Dr Fung lui a prescrit des traitements de physiothérapie pour ses douleurs lombaires, et le 20 mai, des radiographies de son pelvis, de ses hanches et de sa cheville droite ont été prises.

[17] L’appelant a suivi des traitements de physiothérapie du 3 juin au 14 juillet 2015 parce qu’il souffrait de douleurs lombaires. Selon le rapport de fin de traitement, les séances n’ont donné lieu à aucune amélioration et l’appelant a été redirigé pour une évaluation médicale. Lorsque des questions lui ont été posées sur ce sujet à l’audience, l’appelant a déclaré qu’il avait été dirigé en physiothérapie parce que, d’après les Drs Fung et Mistry, il devait aller travailler et bouger. Il n’est pas retourné en physiothérapie par la suite.

[18] La documentation médicale objective qui suit date du 16 décembre 2015 et consiste en une demande d’intervention chirurgicale pour opérer une hernie ombilicale. Cette intervention a eu lieu le 5 février 2016. L’appelant a indiqué ne pas avoir travaillé entre son emploi chez Dinkel’s et le début de l’année 2016 parce qu’il souffrait de dépression et d’anxiété. Il ne se rappelle pas s’il a reçu un traitement médical de juillet à décembre 2015.

[19] L’appelant a commencé à travailler pour Phoenix Quality Inspections en mars 2016, mais a quitté son emploi après seulement une semaine et demie en raison d’incidents survenus sur le lieu de travail et du manque de confiance en ses collègues qui en avait résulté. Il a ensuite commencé à travailler pour Labour Ready (un autre bureau de placement) le 28 mars 2016, puis a démissionné le 29 avril 2016. Selon son relevé d’emploi, il a touché 2 023,28 $ à titre de travailleur occasionnel pour Labour Ready. Bien qu’il ait initialement espéré décrocher un emploi stable à temps plein pour Grace Canada dans un avenir rapproché, il a indiqué que, une fois encore, des incidents étaient survenus sur le lieu de travail. Il a fait état d’incidents de harcèlement sexuel, d’allégations de consommation de drogue, d’injustice dans la distribution du travail, de commentaires à propos des handicaps, d’humiliation devant les autres, d’incidents de discrimination et de sa propre absence du travail non autorisée, ainsi que de diverses rumeurs et formes de harcèlement non verbales.

[20] À l’audience, l’appelant a indiqué que, de manière générale, son expérience de travail à Labour Ready reflétait les expériences vécues dans d’autres milieux de travail. Il a déclaré avoir été victime de harcèlement sexuel partout où il avait travaillé au cours des cinq ou six dernières années; il a même traîné une entreprise devant le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario en lien avec du harcèlement par rapport à ses problèmes de vessie. Cela affecte son attitude par rapport au travail et au fait d’être employé, puisqu’il se sent constamment rabaissé, humilié et harcelé.

[21] Le 2 mai 2016, l’appelant a tenté de travailler pour une entreprise d’aménagement paysager, mais il a laissé tombé parce qu’il était physiquement incapable d’occuper cet emploi. Le 13 mai 2016, le Dr Mistry a signé un formulaire de prestations de maladie de l’assurance-emploi dans lequel il indique que l’appelant souffre de problèmes de santé mentale, mais que si tout se passe bien et si son patient répond bien au traitement, il devrait être rétabli au 31 août 2016. Le Dr Mistry a indiqué que l’appelant était incapable de travailler jusqu’au 31 août 2016. À l’audience, l’appelant a déclaré avoir revu le Dr Mistry en juillet ou en août de cette année. Ils ont abordé divers sujets comme le travail, la famille, l’orientation sexuelle et le harcèlement. Il a indiqué que le Dr Mistry lui disait toujours qu’il ne devait pas arrêter de travailler. Son prochain rendez-vous avec le Dr Mistry est prévu pour le 31 octobre 2016.

[22] Le 16 mai 2016, l’appelant a écrit avoir consulté le Dr Bril (neurologie) et s’être fait dire que rien ne s’était amélioré dans le bas de son dos. À l’audience, il a confirmé que ses problèmes de dos ne s’étaient ni améliorés ni détériorés et que, selon le Dr Bril, il en serait toujours ainsi. Le Dr Bril a indiqué que, du point de vue neurologique, l’appelant était en mesure de travailler.

[23] Le 30 mai 2016, l’appelant a déclaré qu’il avait deux autres hernies et qu’il devait rencontrer, le 10 août, un spécialiste qui déterminerait si elles étaient suffisamment grosses pour être opérées. Il a ajouté que, d’ici là, il continuerait malgré tout à travailler. À l’audience, l’appelant a confirmé avoir travaillé par l’intermédiaire du bureau de placement Adecco pendant trois mois et demi et avoir accumulé 541 heures d’emploi chez un fabricant de structures d’aluminium. Il a précisé qu’il s’agissait d’un travail manuel intense et qu’il avait fini par quitter cet emploi parce qu’il y était victime de harcèlement sexuel. Le 10 août 2016, son rendez-vous avec le spécialiste des hernies a été reporté à la fin du mois d’octobre. L’appelant s’est dit préoccupé par le fait que ses hernies pourraient grossir s’il continuait à travailler.

[24] Le 27 septembre 2016, l’appelant a confirmé qu’il travaillait de nouveau. Il est employé du bureau de placement Randstad depuis le 25 août 2016, environ. Jusqu’à maintenant, il n’a reçu qu’une affectation, soit un poste à temps plein d’emballeur, trieur et contrôleur de la qualité pour Mother Parkers Tea & Coffee. Ce travail exige de la coordination œil-main et un bon équilibre et s’effectue parfois assis, parfois debout. L’appelant travaille environ 52 heures par semaine, à raison de cinq quarts de huit heures la semaine et d’un quart de 12 heures le dimanche. Il s’agit de quarts de nuit. Le travail découle des nouvelles activités de Mother Parkers au Canada. Selon l’appelant, ces activités nécessiteront l’embauche de personnel pour une période prolongée. Mother Parkers a déjà engagé quelques nouveaux employés de façon permanente et en engagera probablement d’autres dans les prochains mois, même si l’entreprise continuera probablement de recourir aux services de Randstad pour satisfaire, à tout le moins, à certains de ses besoins en personnel.

[25] L’appelant croit avoir fait bonne impression chez Mother Parkers grâce à son rendement au travail jusqu’à maintenant. Il prend bien soin de se conformer aux règles strictes concernant l’hygiène et la vulgarité : d’autres employés temporaires ont déjà été congédiés. Il se voit occuper cet emploi pendant un certain temps et pense qu’il saura d’ici janvier 2017 si Mother Parkers souhaite le garder de façon plus permanente. Il aime cet emploi et croit que l’atmosphère de travail y est meilleure qu’à d’autres endroits où il a travaillé. Même s’il croit avoir de bonnes chances de devenir un employé de Mother Parkers, il a déclaré que d’autres occasions se présenteraient à lui grâce à Randstad si, finalement, il ne travaillait pas pour Mother Parkers. Cependant, selon son contrat avec Randstad, il est tenu d’accepter toutes les affectations qui lui sont confiées. Il soutient que l’affectation chez Mother Parkers lui a été confiée parce que les tâches qui y sont liées sont relativement peu exigeantes, mais qu’il pourrait tout aussi bien être affecté à un poste exigeant physiquement. Il ne peut pas s’inscrire dans plus d’un bureau de placement à la fois.

[26] Le Dr Fung est toujours le médecin de famille de l’appelant. L’appelant et lui se voient environ tous les trois à quatre mois. Lors du dernier rendez-vous, le 30 mai 2016, il a surtout été question des problèmes de hernie de l’appelant. Ce dernier pense que le pronostic du Dr Fung à son égard a changé au fil du temps, faisant remarquer (entre autres choses) que la méralgie de la cuisse gauche est maintenant présente aussi dans la jambe droite. Il a également indiqué que, selon le diagnostic du Dr Fung, il en est aux premiers stades de l’ostéo-arthrite. À l’exception des consultations avec les Drs Bril et Mistry décrites précédemment, l’appelant n’a vu aucun autre spécialiste depuis le 13 mai 2016. Il a indiqué s’être conformé aux recommandations de traitement, à l’exception de celle du Dr Fung, soit une prescription de Flomax qui l’aidait pour ses problèmes de vessie, mais interférait avec sa consommation d’Amitriptyline.

[27] À l’audience, l’appelant a déclaré que tous ses problèmes physiques, en ce moment, s’étendent du bas du dos jusqu’aux pieds. En fait, il n’a pas de douleur au dos : ce sont plutôt ses jambes qui s’affaiblissent. Il a indiqué que l’irritation dans sa cuisse droite est attribuable à un disque déplacé dans son dos, qui entraîne un pincement sur un nerf. Il estime que son état physique ne s’améliorera pas. Il a déclaré avoir une sensation de brûlure, d’agitation et de picotement dans les jambes ainsi qu’une forme de paralysie sur le côté des jambes. Il a ajouté qu’il était découragé et plutôt déprimé par ses problèmes, tant physiques que mentaux. Ses jambes étaient douloureuses lorsqu’il s’est rendu aux toilettes vers la fin de l’audience.

[28] L’appelant est d’avis que son état s’est détérioré depuis juillet 2015. Il a expliqué avoir travaillé intensément dans le passé et devoir maintenant composer avec de nombreuses complications médicales qui en découlent. Il a indiqué qu’il n’avait aucune compétence de nature administrative et que tout ce qu’il savait faire, c’était se tenir debout et travailler fort.

Observations

[29] Au fil des ans, les deux parties ont soumis une quantité importante d’observations et de réponses aux observations. Toutes ces observations et réponses ont été prises en compte, mais le Tribunal ne présente dans cette section que les plus actuelles et pertinentes. L’appelant soutient qu’il est admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. Travailler aggrave ses problèmes existants et l’intimé le harcèle pour qu’il recommence à le faire : le travail améliore peut-être la situation des autres, mais pas la sienne.
  2. Malgré ses limitations physiques et mentales, il doit continuer à travailler parce que c’est ce que ses médecins lui disent.
  3. En plus de ses problèmes de santé, ses perspectives d’emploi sont restreintes en raison de ses compétences, de son expérience limitée, d’un manque de références et de son casier judiciaire.
  4. Son récent historique d’emploi est obscurci par des incidents de discrimination et de harcèlement qui ont mené à de multiples cas de congédiement déguisé et ont eu une incidence sur sa perception de l’emploi et sa santé mentale.
  5. Les employeurs le harcèlent au sujet de ses handicaps et de ses caractéristiques personnelles, lui mettent sur le dos le mauvais comportement des autres et exercent des représailles contre lui lorsqu’il les questionne sur leurs pratiques déloyales à son endroit.
  6. Il ne peut pas travailler à temps partiel parce qu’aucun travail de ce genre n’est offert pour son groupe d’âge.

[30] L’intimé soutient que l’appelant n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. Selon l’information médicale au dossier, les constatations relatives à sa santé physique ou mentale ne témoignent pas de problèmes d’une gravité telle qu’ils l’empêchaient de travailler en octobre 2009 ou avant cette date (ou à une possible date établie au prorata) et de façon continue par la suite.
  2. À plusieurs endroits, la documentation laisse entendre que l’appelant a été capable de travailler après la fin de sa période minimale d’admissibilité, en octobre 2009 (ou à une possible date établie au prorata) et qu’il travaillait en septembre 2016.
  3. L’appelant fait état de divers problèmes de santé, mais la capacité d’exercer un travail à temps partiel, modifié ou sédentaire peut empêcher de conclure à une incapacité, puisqu’elle est indicatrice d’une capacité de travailler.
  4. C’est la capacité de travailler et non le diagnostic ou la description de la maladie qui permet de déterminer si une invalidité est grave au sens de la Loi.
  5. Le RPC vise à fournir une pension aux demandeurs qui doivent cesser de travailler à long terme à cause d'une invalidité et non pas à soutenir un demandeur de façon temporaire pendant qu'un ennui de santé l'empêche de travailler.

Analyse

[31] Par le passé, l’appelant a interjeté appel devant la défunte Commission d’appel des pensions et, dans cette affaire antérieure, la période minimale d’admissibilité avait pris fin le 31 mars 2007; le Tribunal ne peut donc pas conclure que l’invalidité de l’appelant a commencé à cette date ou avant cette date. L’appelant doit donc prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il était atteint, au 31 octobre 2009 ou avant cette date, d’une invalidité grave et prolongée qui a commencé après le 31 mars 2007 et qui s’est poursuivie jusqu’à la date de l’audience. Subsidiairement, suivant l’article 19 de la Loi, l’appelant doit prouver, toujours selon la prépondérance des probabilités, qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée qui a commencé pendant la période proportionnelle, soit entre le 1er janvier et le 31 juillet 2015, et s’est poursuivie jusqu’à la date de l’audience.

Gravité

[32] Comme il a été mentionné précédemment, une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Le critère de la gravité doit être évalué dans un contexte réaliste (Villani c. Canada (P.G.), 2001 CAF 248). Cela signifie que, au moment de déterminer si l’invalidité d’une personne est grave, le Tribunal doit garder à l’esprit des facteurs comme l’âge, le niveau de scolarité, la maîtrise de la langue ainsi que l’expérience de travail et de vie.

[33] La question de la période d’apparition de l’invalidité se terminant le 31 octobre 2009 peut être réglée assez rapidement, car de nombreux éléments de preuve attestent d’une capacité de travail prolongée entre 2010 et 2012. L’appelant a travaillé pour K.A.S. Personnel Service du 4 septembre 2010 au 16 juin 2011 et a quitté son poste pour cause de harcèlement. Il a touché une rémunération importante pendant cette période. Il a ensuite touché des prestations régulières d’assurance-emploi du 10 juillet 2011 au 8 mars 2012. Du mois de juillet au 12 octobre 2011, il a été travailleur autonome. Pour toucher des prestations régulières d’assurance-emploi, il faut généralement être prêt et disposé à travailler, et capable de le faire. En combinant ces éléments avec les autres éléments de preuve, y compris le fait que l’appelant a exercé son travail autonome et son emploi précédent en même temps, le Tribunal peut établir sans difficulté que l’invalidité alléguée n’était pas grave, à tout le moins entre le 4 septembre 2010 et le 8 mars 2012. En conséquence, il conclut que l’appelant n’était pas atteint d’une invalidité grave au 31 octobre 2009 ou avant cette date et de façon continue jusqu’à la date de l’audience.

[34] Cependant, cette conclusion ne met pas fin à l’affaire. L’appel pourrait être accueilli si l’appelant parvient à établir qu’une invalidité grave a débuté entre le 1er janvier et le 30 juillet 2015 et s’est poursuivie par la suite jusqu’à la date de l’audience. Certains éléments de preuve étayent d’ailleurs l’apparition d’une telle invalidité pendant cette période : le Dr Dolan a indiqué qu’à partir du 8 mai 2015, l’appelant était incapable de travailler, et ce, pour une période indéterminée. Le médecin n’a pas précisé les raisons de cette incapacité, mais l’appelant a indiqué qu’il souffrait de problèmes de santé mentale. Il n’y a aucune raison d’en douter compte tenu des autres éléments de preuve au dossier. De plus, en juin et en juillet 2015, l’appelant a suivi des traitements de physiothérapie qui se sont avérés infructueux et n’a recommencé à travailler qu’après l’opération de sa hernie, en février 2016. Étant donné son historique et ses problèmes de santé mentale, l’appelant pourrait certainement faire valoir qu’une invalidité grave a débuté le 8 mai 2015.

[35] Le manque de suivi subséquent en matière de santé mentale mérite toutefois d’être étudié. Aucune documentation objective sur la santé mentale de l’appelant n’a été produite pendant plus d’un an, jusqu’à la préparation d’un formulaire d’assurance-emploi par le Dr Mistry le 13 mai 2016. Par ailleurs, les activités professionnelles subséquentes de l’appelant sont suffisantes en elles-mêmes pour exclure l’existence d’une invalidité grave.

[36] L’appelant a commencé à travailler pour Phoenix Quality Inspections en mars 2016, mais il a quitté son emploi après une semaine et demie pour des raisons non médicales. Il a ensuite travaillé pour Labour Ready du 28 mars au 29 avril 2016, sa cessation d’emploi étant une fois encore attribuable à des raisons essentiellement non médicales; il avait pourtant espéré que ce travail déboucherait sur un emploi stable à temps plein pour Grace Canada. Le 13 mai 2016, le Dr Mistry a indiqué que l’appelant était incapable de travailler jusqu’au 31 août 2016. Malgré cela, l’appelant semble avoir recommencé à travailler presque immédiatement après le 13 mai 2016, puisqu’il a fait 541 heures en trois mois et demi par l’intermédiaire d’Adecco avant de trouver un emploi grâce à Randstad à la fin du mois d’août. Il a quitté son emploi chez Adecco pour cause de harcèlement. Depuis, l’appelant travaille à temps plein pour Mother Parkers, toujours par l’intermédiaire de Randstad. Il a donc été employé de façon presque continue depuis mars 2016, même si le Dr Mistry l’a déclaré inapte au travail du 13 mai au 31 août 2016. Il est à noter qu’il a été incapable d’occuper un emploi plus physique que celui qu’il a essayé d’occuper le 2 mai 2016.

[37] En ce qui concerne l’opinion exprimée par le Dr Mistry le 13 mai 2016, relativement peu de poids y est accordé pour la suite des choses – elle ne peut être interprétée que comme une constatation à court terme puisque, à l’été 2016, le médecin a indiqué à l’appelant qu’il devait continuer à travailler. L’appelant a déclaré que c’est ce que le Dr Mistry lui dit toujours. Il a également déclaré avoir été dirigé en physiothérapie en 2015 parce que les Drs Fung et Mistry soutiennent tous deux qu’il doit travailler et continuer à bouger. Donc, il semble que les deux principaux médecins traitants de l’appelant appuient sa présence au travail. Selon les commentaires du Dr Bril, il n’y avait pas non plus d’obstacle neurologique au travail le 16 mai 2016.

[38] Au fil des ans, l’appelant a présenté de nombreux éléments de preuve concernant les raisons pour lesquelles il ne peut pas travailler. Il semble qu’il ait malheureusement enduré de bouleversants incidents de discrimination et de harcèlement dans divers milieux de travail. Cependant, il semble aussi qu’il soit entièrement capable de travailler dans un milieu plus solidaire comme celui qu’offre Mother Parkers. L’appelant y occupe un emploi à temps plein dont la charge de travail est très élevée, soit 52 heures par semaine, effectuées de nuit. Malgré cette lourde charge de travail, l’appelant a bien fait jusqu’à maintenant et a pris soin de respecter les règles strictes du lieu de travail – il semble même voir ces règles d’un bon œil. Bien que, à un moment, il se soit dit préoccupé par le fait que ses hernies pourraient grossir s’il continuait à travailler, les tâches liées à cet emploi semblent relativement peu exigeantes et il se voit faire ce travail pendant un certain temps. Il estime qu’il y règne une meilleure atmosphère que dans d’autres lieux de travail qu’il a connus. Il a également indiqué que Randstad lui offrirait d’autres possibilités si l’emploi pour Mother Parkers ne convenait finalement pas. Sa principale préoccupation est que son affectation chez Mother Parkers est assortie de tâches relativement légères, mais que la prochaine pourrait être plus exigeante.

[39] Comme l’appelant travaille actuellement 52 heures par semaine, semble réussir et souhaite conserver cet emploi pour une période indéfinie, le Tribunal estime qu’il n’a pas démontré qu’il était atteint d’une invalidité grave qui s’est poursuivie jusqu’à la date de l’audience. Cette constatation est également étayée par les opinions de ses fournisseurs de soins, qui affirment actuellement qu’il devrait travailler, même si, de temps à autre par le passé, ils ont appuyé sa demande de pension d’un point de vue médical. Il n’est peut-être plus en mesure de faire un travail très exigeant physiquement, mais, selon les éléments de preuve, il est capable d’exécuter des tâches moins exigeantes comme celles liées à son emploi pour Mother Parkers, plus particulièrement lorsque le milieu de travail en est un de solidarité.

[40] L’appelant a fait part de nombreux incidents de discrimination et de harcèlement dont il a été victime en milieu de travail. La compétence du Tribunal ne lui permet toutefois pas de tirer de conclusions relativement à ces questions. Le Tribunal cite à cet égard la décision Stubb (Stubb c. Ministre du Développement des ressources humaines, CP 4734), rendue en 1998 par la Commission d’appel des pensions, qui concerne un travailleur atteint d’épilepsie laissant entendre qu’il aurait travaillé si les employeurs n’avaient pas fait montre de discrimination envers les personnes épileptiques. La Commission a déclaré qu’elle ne niait pas l’existence d’une telle discrimination, mais que cette dernière n’était pas couverte par le Régime de pensions du Canada; elle ne pouvait se pencher que sur la question de savoir si le demandeur était capable d’occuper régulièrement quelque emploi véritablement rémunérateur que ce soit. Bien que les décisions de la Commission d’appel des pensions aient seulement une valeur persuasive dans les affaires portées devant le Tribunal, il ressort de la décision Stubb que, dans les affaires relatives au RPC, l’accent doit être mis sur la capacité de travailler du demandeur et non sur des facteurs externes comme l’attitude discriminatoire en milieu de travail. De même, des facteurs socio-économiques comme les conditions du marché du travail ne sont pas pertinents dans une décision visant à déterminer si une personne est invalide au sens de la Loi (Canada [MDRH] c. Rice, 2002 CAF 47).

[41] La décision Rice aborde aussi l’observation soulevée par l’appelant relativement aumanque apparent de travail à temps partiel. Le Tribunal a examiné attentivement les autres observations de l’appelant et estime que toutes trouvent réponse dans l’analyse faite précédemment et dans le désir de l’appelant de continuer à occuper son emploi actuel pour une période indéfinie. Le Tribunal affirme par conséquent que l’appelant n’a pas démontré qu’il était atteint d’une invalidité grave au sens de la Loi.

Caractère prolongé

[42] Comme le Tribunal a conclu que l’invalidité n’était pas grave, il n’est pas tenu de rendre une décision quant à son caractère prolongé.

Conclusion

[43] L’appel est rejeté.

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