Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

L. A. (appelante)

Introduction

[1] L’intimé a estampillé la demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) de l’appelante le 24 mars 2015. L’intimé a rejeté la demande initialement et après révision. L’appelante a interjeté appel de la décision rendue au terme du nouvel examen auprès du Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal).

[2] Cet appel a été instruit par téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. Il manque de l’information au dossier ou il est nécessaire d’obtenir des clarifications.
  2. Cette façon de procéder est conforme à l’exigence énoncée dans le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Droit applicable

[3] L’alinéa 44(1)b) du Régime de pensions du Canada (la Loi) énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne touche pas de pension de retraite du RPC;
  3. c) est invalide;
  4. d) a versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[4] Le calcul de la PMA est important, car une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au moment où sa PMA a pris fin ou avant cette date.

[5] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) de la Loi, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une personne est considérée atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

Question en litige

[6] Le litige ne concerne pas la PMA, car les parties conviennent que cette période prend fin le 31 décembre 2017, ce qu’a également conclu le Tribunal. En l’espèce, puisque cette date n’est pas encore passée, le Tribunal doit déterminer s’il est plus probable que non que l’appelante souffrait d’une invalidité grave et prolongée à la date de l’audience ou avant cette date.

Preuve

[7] L’appelante a 32 ans et vit avec son époux et ses trois enfants à X, en Ontario. Elle a suivi un programme d’éducation de la petite enfance de trois ans au Collège Algonquin. Son emploi le plus récent était celui de commis au triage primaire à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui nécessitait de longues heures de travail devant l’ordinateur. Son dernier jour de travail remonte au 9 février 2012; c’est aussi la date à laquelle elle dit qu’elle ne pouvait plus travailler en raison de ses problèmes de santé.

[8] Dans sa demande de prestation d’invalidité du RPC, l’appelante a indiqué que ses problèmes médicaux étaient le stress, l’anxiété, le trouble (possible) de stress post‑traumatique (TSPT), la dépression, l’insomnie, les migraines ainsi que de multiples traumatismes crâniens. Elle a précisé qu’elle s’estimait chanceuse quand elle dormait deux ou trois heures en raison de l’anxiété liée à l’état de santé de son plus jeune enfant. Ses migraines quotidiennes la rendaient incapable de fonctionner, et elle avait souvent des crises de panique causées par une anxiété et un stress élevés. Elle aimait lire et écrire, mais elle a maintenant de la difficulté à se concentrer et à se souvenir de ce qu’elle a lu. Elle participait à une chorale, mais elle est désormais trop épuisée pour le faire et a perdu tout intérêt.

[9] À l’audience, l’appelante a répété ces symptômes et ajouté qu’elle éprouvait aussi des symptômes du syndrome du côlon irritable. Toutefois, les examens donnent à penser que cela est en fait attribuable à l’anxiété et au stress. Elle a aussi parfois du mal à se tenir sur ses jambes et ne peut pas vraiment marcher. Son médecin dit que son corps tente d’évacuer le stress qui s’accumule.

Historique

[10] Le 11 janvier 2011, l’appelante est tombée dans l’escalier au travail et s’est cogné la tête. Elle s’est évanouie et ne se souvient pas de la chute. Le Dr Atack (neurologue) a confirmé ultérieurement un diagnostic de commotion cérébrale causant un syndrome (post‑commotionnel) post-traumatique caractérisé par des maux de tête et des symptômes de vertiges positionnels. L’appelante a décrit une légère confusion et le début de problèmes de mémoire, de concentration et d’attention à ce moment‑là. Elle est retournée travailler à temps partiel trois semaines après et a repris le travail à temps plein au début de mai 2011.

[11] Le 5 janvier 2012, l’appelante a été victime d’un accident de la route. Elle a consulté Rob Karas (physiothérapeute) le 19 janvier 2012 et s’est plainte de douleurs cervicales et de douleurs au dos, du côté droit. M. Karas a diagnostiqué une entorse/foulure thoracolombaire et un trouble associé au coup de fouet cervical (TACF II). À l’audience, l’appelante a dit qu’elle s’était à nouveau blessée à la tête lors de cet accident. Elle a cessé de travailler pendant environ trois semaines et souffrait toujours de migraines et de problèmes d’attention. Environ une semaine après son retour au travail, elle a reçu un appel lui indiquant que son fils H. A. était très malade. Il a fini par être hospitalisé pendant un mois et demi et a reçu un diagnostic d’une forme rare d’épilepsie. Outre les crises fréquentes (25 à 100 par jour), H. A. court un risque accru de mourir la nuit. L’appelante a arrêté de travailler le 9 février 2012 en raison de migraines, d’un stress et d’une anxiété intenses. Elle n’a pas travaillé depuis.

[12] Le Dr Atack a d’abord vu l’appelante en consultation le 21 février 2012. Il a fourni une description détaillée de la chute en janvier 2011, mais n’a pas mentionné l’état d’H. A. ni l’accident de janvier 2012. Il a noté que les symptômes initiaux de vertiges positionnels et de déséquilibre de l’appelante s’étaient résorbés en quelques mois; les maux de tête étaient presque constants au début, mais survenaient encore presque quotidiennement un an plus tard et duraient de deux heures à toute une journée. Elle souffrait aussi de nausées, d’insomnie et avait du mal à rester endormie. Il a attribué l’insomnie au syndrome post‑commotionnel.

[13] Le 2 octobre 2012, le Dr Atack a noté une amélioration générale des maux de tête de l’appelante après qu’elle eut commencé à prendre du Topamax, bien qu’elle en ait récemment souffert pendant 11 jours consécutifs. Il a signalé qu’elle était encore plus stressée qu’avant, car H. A. avait eu de très graves crises d’épilepsie et avait été admis à l’hôpital à de nombreuses reprises. Le 20 octobre 2012, l’appelante s’est rendue aux urgences en raison d’une douleur aiguë à la tempe gauche qui avait commencé deux jours auparavant. Le dossier du service des urgences décrivait des troubles du sommeil et une augmentation du stress à la maison parce qu’elle a un jeune enfant qui avait des crises quotidiennes.

[14] Le 25 mai 2013, la Dre Carson (médecin de famille) espérait une amélioration, mais n’avait pas constaté de grands progrès jusqu’à maintenant. La Dre Carson a décrit des migraines très intenses; le médicament Topamax en avait diminué légèrement l’intensité, mais pas la fréquence. L’appelante ne se sentait pas à l’aise de prendre de l’Amitriptyline compte tenu de son effet sédatif et de la nécessité de s’occuper de l’épilepsie non maîtrisée de son fils. La Dre Carson a noté un problème d’humeur (tristesse, retrait, diminution de la motivation) attribuable à l’absence de réponse d’H. A. aux médicaments et à la propre santé de l’appelante. L’appelante a essayé le Cipralex, mais cela exacerbait énormément ses migraines. La Dre Carson a recommandé une thérapie cognitive‑comportementale (TCC); l’appelante s’inquiétait du coût, mais a accepté d’essayer la thérapie. Elle a confirmé qu’elle avait été aiguillée vers la Dre Corinne Easy (psychologue), qu’elle voit d’ailleurs toujours.

[15] La Dre Carson n’a pas recommandé une consultation en psychiatrie parce que l’appelante semblait plus réceptive à la TCC et qu’il manquait de psychiatres. La Dre Carson a noté que l’état d’H. A. demeure une grande source de stress : il avait toujours de fréquentes crises d’épilepsie et d’importants problèmes de comportement liés aux médicaments, et l’appelante devait souvent se lever deux ou trois fois durant la nuit pour aller vérifier son état. L’appelante vivait à X à ce moment‑là, mais a déménagé à X pour se rapprocher des soins médicaux nécessaires à H. A. La Dre Carson estimait improbable que l’appelante puisse retourner travailler avant août ou septembre, même si elle aimerait beaucoup pouvoir le faire : elle ne croyait pas que l’appelante était capable de se concentrer.

[16] Après une période d’attente attribuable à sa propre maladie, le Dr Atack a vu l’appelante à nouveau le 12 juin 2013. Elle souffrait toujours de maux de tête et d’insomnie; elle a également reconnu qu’elle ressentait beaucoup de stress, surtout en ce qui a trait à la santé d’H. A. Son impression globale demeurait la même.

[17] Le 13 novembre 2014, la Dre Carson a posé un diagnostic de migraines et de maux de tête importants et persistants, ainsi qu’un trouble d’adaptation avec anxiété et dépression.  La possibilité d’un TSPT a également été soulevée en lien avec le stress et le traumatisme constants et persistants de gérer l’épilepsie non maîtrisée d’H. A. Parfois, ses crises pendant la nuit perturbaient le sommeil de tout le monde. L’appelante avait des crises de panique et des symptômes importants d’anxiété généralisée; elle avait aussi des problèmes de concentration et de mémoire. À son sommeil perturbé s’ajoutait le fait qu’elle devait se rendre à des centaines de rendez‑vous et essayer un grand nombre de médicaments pour son fils. La Dre Carson l’a décrite comme étant anxieuse, triste, parfois au bord des larmes, irritable et parfois dépassée à la perspective de s’occuper d’un enfant ayant de très grands besoins tout en continuant à exercer son rôle parental auprès de ses deux autres enfants.

[18] La Dre Carson a écrit que les journées de l’appelante étaient régulièrement perturbées par des urgences médicales imprévues : elle a décrit cet état comme étant à la fois grave et prolongé et estimait improbable que l’appelante occupe un emploi régulier. La Dre Carson a également noté que les facteurs sous‑jacents à l’étendue et à la durée de son invalidité étaient principalement liés à l’état de santé d’H. A.; elle estimait qu’il n’y avait aucun autre facteur en cause. La Dre Carson ne jugeait pas réaliste que l’appelante retourne à tout type de travail à temps partiel ou à temps plein dans un avenir prévisible. La situation de l’appelante était décrite comme étant extrêmement difficile et stressante : elle serait enchantée de retourner au travail, mais il est irréaliste qu’elle puisse le faire dans les prochaines années compte tenu des progrès de l’investigation et des traitements pour H. A. La Dre Carson a noté que la demande de pension de retraite pour raisons médicales de l’appelante avait été acceptée récemment.

[19] Le questionnaire du 5 décembre 2014 de l’appelante énumérait plusieurs limitations fonctionnelles, y compris le fait de se tenir debout pendant plus de 15 minutes, une intolérance aux bruits forts, des étourdissements fréquents, des problèmes de mémoire, une incapacité à se concentrer plus de cinq minutes, le manque de sommeil (deux à trois heures de sommeil interrompu par nuit), un possible syndrome du côlon irritable et une trop grande fatigue pour faire l’entretien ménager.

[20] La Dre Carson a fourni un rapport médical le 27 janvier 2015 faisant état de diagnostics de maux de tête/migraines qui se sont intensifiés après des blessures à la tête en 2011 et en 2012 et d’un stress extrême lié aux graves crises épileptiques d’H. A. qui nécessitaient une surveillance étroite. La Dre Carson a indiqué que l’appelante dormait peu et ne voulait prendre aucun médicament qui causait de la somnolence, car elle se montrait extrêmement vigilante avec H. A. L’examen physique était normal, mais elle éprouvait des problèmes d’attention, de concentration et de mémoire attribuables à la fatigue et au stress extrêmes. La TCC avait été très utile pour l’anxiété, mais pas les médicaments. Elle était décrite comme étant une femme forte et résiliente qui aimerait aller travailler, mais le pronostic d’H. A. était très incertain et ses progrès y étaient liés. Elle était incapable de laisser H. A. et d’aller travailler, mais la Dre Carson espérait que, selon les progrès d’H. A., elle le ferait un jour.

[21] Le 13 mai 2015, la Dre Easy a fait état de symptômes d’insomnie, de réactivité du système nerveux autonome, de crises de panique chroniques, d’anxiété généralisée, de troubles émotifs découlant de facteurs de stress quotidiens, de surmenage, de fatigue et d’hypervigilance. Les séances (y compris la TCC) se poursuivaient en raison de la maladie potentiellement mortelle d’H. A. La Dre Easy a précisé que l’appelante suivait une thérapie pour ralentir la progression de son anxiété engendrée par des facteurs de stress traumatique chroniques : l’anxiété ne se limitait plus à un diagnostic de trouble d’adaptation. Les diagnostics établis selon le DSM-V étaient le trouble panique et le trouble d’anxiété généralisée. Elle était incapable de travailler à temps partiel ou à temps plein compte tenu du stress traumatique chronique et de l’insomnie. Un retour au travail n’était pas possible non plus si le programme de traitement actuel devait se poursuivre. Aucun retour au travail n’avait fait l’objet de discussions, bien que Mme Easy ait mentionné qu’il en serait question une fois qu’H. A. aurait atteint une stabilité sur le plan médical.

[22] Dans une lettre du 23 juillet 2015, l’appelante a expliqué qu’elle ne répondait pas aux médicaments et a affirmé que la maladie d’H. A. constituait toujours la principale source de son stress élevé et de son anxiété profonde. H. A. avait 25 à 100 crises par jour, dont bon nombre avaient lieu durant son sommeil. En dépit de ses efforts pour réduire son stress et son anxiété, elle avait toujours au moins deux crises de panique par jour et était épuisée physiquement, mentalement et émotionnellement. Même si elle éprouvait des difficultés financières, elle s’était faire dire par ses médecins qu’il faudrait plusieurs années avant qu’un retour au travail soit envisageable.

[23] Toujours le 23 juillet 2015, la Dre Easy a fourni un historique du traitement psychologique de l’appelante, notant qu’elle présentait d’abord des problèmes d’anxiété et des difficultés d’adaptation. Le diagnostic original était le trouble d’adaptation, mais l’appelante répond maintenant aux critères du trouble d’anxiété généralisée et du trouble panique. Les symptômes étaient considérés comment étant graves et comprenaient l’insomnie, l’hypervigilance, la peur chronique de la mort d’H. A., l’anxiété, le désespoir, l’anhédonie, l’humeur dépressive, la réactivité du système nerveux autonome, les pensées envahissantes, l’évitement et les crises de panique. Ces symptômes, qualifiés de graves et prolongés et dont le pronostic était « mauvais », avaient empiré à mesure que l’état d’H. A. s’était aggravé. L’objectif de traitement était de tenter de ralentir la progression des symptômes liés à l’anxiété et à l’humeur, dans la mesure où son rétablissement dépendait de la stabilité de l’état de santé d’H. A.

[24] La Dre Easy a indiqué que l’appelante était simplement incapable de travailler en raison des facteurs de stress inévitables chroniques. La crainte de voir mourir H. A. et les urgences graves qui mettaient sa vie en danger entraînaient aussi des symptômes de stress traumatique. Bien qu’elle ait tout tenté pour prévenir et traiter sa condition, la nature chronique des facteurs de stress traumatique la rend invalide à long terme. La Dre Easy a noté qu’aucun médicament ne réussit à amoindrir la crainte de la mort d’H. A. et l’hypervigilance associée à la surveillance de la sécurité et des crises d’épilepsie de son enfant : les médicaments ne constituaient alors qu’une intervention palliative.

[25] Au cours d’une entrevue téléphonique, le 8 octobre 2015, l’appelante a dit qu’elle avait tenté de faire du bénévolat dans une école locale et qu’elle aimerait toujours retourner travailler si elle le pouvait plus tard. Il a été signalé qu’il lui reste quatre années de prestations d’invalidité à long terme auprès d’un assureur privé et qu’après, l’assureur lui trouvera un travail au même salaire qu’elle avait à la GRC. Elle était toujours la principale responsable des soins même si son époux l’aidait quand il le pouvait. Les enfants allaient aussi chez leurs grands‑parents quand un soutien additionnel était nécessaire, et elle a reçu une aide allant jusqu’à 3 000 $ du Centre d’accès aux soins communautaires. À l’audience, l’appelante a dit que le « bénévolat » se limitait à une excursion (habituellement avec la classe d’H. A.) quelques fois par année.

[26] La Dre Easy a fourni une autre lettre le 26 novembre 2015. L’appelante avait maintenant des symptômes envahissants récurrents, des flashbacks de la période où H. A. était à l’unité des soins intensifs, ainsi que des cauchemars et de l’insomnie attribuables à cette crainte, et souffrait d’évitement, de dépersonnalisation et d’anesthésie émotionnelle. La Dre Easy a écrit que l’appelante présentait maintenant tous les symptômes traumatiques et qu’elle répondait à tous les critères diagnostiques du DSM‑5 du SSPT associé à des crises de panique : elle était totalement inapte au travail et était médicalement instable depuis le début de son traitement en 2013.

[27] Le 30 novembre 2015, l’appelante a indiqué que des amies venaient l’aider tous les jours; son époux, ses parents et sa belle‑famille l’aident aussi quand ils le peuvent. En outre, elle a obtenu des ressources limitées pour des « services de répit ». Elle a dit qu’elle devait maintenant tout écrire mot pour mot lorsqu’elle devait se souvenir de quelque chose. Ses migraines empiraient, sa concentration n’était pas très bonne et elle avait de trois à dix crises d’anxiété (panique) par jour. Lors de ces crises qui durent de 15 à 20 minutes, son cœur se met à battre à tout rompre et elle perd parfois connaissance. Ses jambes, ses bras et tout son corps tremblent, et elle ne peut plus se maîtriser. Elle sait que cela va s’atténuer, mais son esprit s’emballe et elle ne peut pas se concentrer. Elle se sent nauséeuse, mais ne vomit habituellement pas. Il n’y a aucun déclencheur évident. Parfois, il faut même la relever lorsqu’elle n’est pas chez elle.

Situation actuelle

[28] H. A. a passé 288 jours partiels ou complets à l’hôpital l’an dernier, et l’appelante dit que son état empire : malheureusement, les crises semblent devenir incontrôlables. Il n’a pas fréquenté l’école depuis l’année scolaire 2013‑2014; bien qu’il soit maintenant âgé de 8 ans, il a un retard de développement d’environ deux ou trois ans. Il a manqué 98 jours d’école l’an dernier, sans compter les jours où il a dû partir plus tôt. Elle a dit qu’il est instable sur le plan médical.

[29] Durant une journée normale, l’appelante se lève à 6 h et prépare le déjeuner d’H. A.,  fait un peu de rangement et amène les enfants (y compris H. A.) à l’école à 9 h. Elle y reste souvent jusqu’à 9 h 30 ou 10 h. Elle revient ensuite à la maison et essaie de se calmer, mais est habituellement rappelée à l’école vers 12 h ou 13 h en raison de l’état d’H. A. Tous les enfants sont de retour à la maison à 15 h 35; elle peut aider aux devoirs et s’efforce de préparer le souper pour qu’ils puissent manger au plus tard à 18 h ou peu après. Elle fait prendre un bain à H. A. à 19 h et tente de le calmer avant le coucher; elle lui fait la lecture, et il s’endort généralement vers 19 h 30 ou 20 h. L’époux de l’appelante travaille cinq à six jours par semaine; il part à 6 h et revient parfois entre 18 h et 22 h. Lorsqu’il est à la maison, il lui arrive d’aller faire l’épicerie. Elle essaie de se garder une heure par soir pour lire un livre ou pour prendre un bain. Elle se couche à 21 h, mais il lui faut habituellement une à deux heures avant de s’endormir. La Dre Easy lui a recommandé de sortir une fois par semaine, mais elle ne le fait pas souvent : peut‑être une fois tous les quelques mois.

[30] À l’audience l’appelante a dit qu’elle avait un moniteur pour surveiller H. A. durant la nuit. Le moniteur la réveille 15 à 20 fois par nuit, et elle doit vérifier qu’il respire toujours. Comme il n’a plus de contrôle urinaire durant les crises, elle doit remplacer ses draps trois ou quatre fois par nuit. Elle finit par emmener H. A. dans son lit, même si les draps doivent habituellement aussi y être changés après l’une de ses crises.

[31] L’appelante a précisé que c’est elle qui est censée faire les travaux ménagers, mais que son époux et ses autres enfants participent aussi aux travaux dans la maison. Elle tâche de faire la cuisine, mais son époux s’en occupe s’il rentre tôt. Les voisins voient au déneigement, et son époux tond la pelouse lors de sa journée de congé. Elle fait un peu d’épicerie une ou deux fois par semaine, mais effectue un grand « réapprovisionnement » avec son époux une fois par mois.

[32] L’appelante a dit qu’elle ne peut même pas se concentrer lorsqu’elle regarde la télévision et qu’elle a de plus en plus de pertes de mémoire. Elle ne peut pas se souvenir de ce qu’elle a fait la veille et doit tout prendre en note. Elle a décrit une diminution importante de sa concentration au cours des derniers mois; elle pense que son cerveau commence à défaillir à cause de tout cela. Ses migraines sont incontrôlables, et elle estime qu’elle a maintenant entre 6 et 15 crises d’anxiété par jour. Ses médicaments actuels sont le Cymbalta, l’Ativan (en cas d’urgence seulement) et l’Amitriptyline. Elle ne prend l’Amitriptyline qu’une fois par semaine lorsque son époux est à la maison parce que cela l’assomme vraiment et elle dort de 14 à 16 heures.

[33] D’après son expérience, l’appelante dit que ses symptômes empirent quand H. A. n’est pas en situation de détresse. Il a reçu un implant de stimulation du nerf vague cette année qui a procuré une amélioration pendant deux ou trois semaines, mais elle estimait qu’elle ne fonctionnait toujours pas. Il faut jusqu’à deux ans pour que cet implant devienne efficace. Toutefois, le changement jusqu’à maintenant est limité, car H. A. a encore 25 à 100 crises par jour. Il ne guérira pas et ne stabilisera pas non plus l’état d’ H. A. On a dit à l’appelante qu’il faudrait probablement des années avant que tout se calme, même si la condition d’H. A. se stabilisait. La Dre Easy lui a conseillé de penser au présent plutôt qu’à l’avenir. L’appelante n’a pas travaillé depuis 2012. Elle n’a postulé aucun emploi ni fait de recyclage ou de perfectionnement.

[34] La Dre Easy est la principale responsable des soins de l’appelante. L’appelante aimerait voir la Dre Easy plus souvent, mais ne la consulte qu’une fois par mois, car elle doit payer ces visites. Elle se sent plus calme après les rendez‑vous, mais cet état se dissipe rapidement. Elle ne croit pas que le pronostic de la Dre Easy a changé au cours de la dernière année. Elle voit la Dre Carson tous les un à trois mois, mais le rôle de celle‑ci se limite maintenant essentiellement à celui de « médecin de famille », comme pour le renouvellement des médicaments d’ordonnance. Elle a mentionné que la Dre Easy et la Dre Carson sont toutes deux surprises de voir à quel point elle a été résiliente. L’appelante n’a pas consulté d’autres spécialistes ni été aiguillée vers eux au cours des dernières années, et il n’y a pas non plus de procédures ou de consultations à venir.

Observations

[35] L’appelante fait valoir qu’elle est admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. elle ne peut pas retourner travailler dans un avenir prévisible en raison de ses problèmes de santé physique, émotionnelle et mentale;
  2. elle a fourni une preuve suffisante d’une invalidité grave et prolongée, étayée par des rapports de son médecin et de spécialistes;
  3. elle n’est pas la seule personne qui prend soin d’H. A., mais comme elle est sa mère, elle fait de son mieux pour être présente pour lui, car il pourrait mourir si elle ne prend pas les mesures qui s’imposent;
  4. ses problèmes de santé s’intensifient lorsqu’elle a un répit dans la prestation des soins.

[36] L’intimé fait valoir que l’appelante n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. bien que les soins prodigués à son fils lui prennent énormément de temps, il ne s’agit pas d’un facteur décisif au moment de déterminer l’admissibilité aux prestations d’invalidité;
  2. elle a fait l’essai de quelques antidépresseurs, mais rien n’indique qu’elle a fait de multiples essais de médicaments ni augmenté le dosage de ses médicaments pour aider à améliorer ses symptômes;
  3. elle éprouve des symptômes d’anxiété, de dépression et de TSPT, mais n’a pas épuisé toutes les options de traitement pour ses problèmes;
  4. même si elle a signalé une aggravation de ses symptômes, rien n’indique qu’il y a eu des changements dans son traitement ou des aiguillages vers d’autres spécialistes.

Analyse

[37] L’appelante doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date de l’audience ou avant cette date.

Invalidité grave

[38] Ainsi qu’il a été mentionné plus tôt, une personne est considérée atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La gravité de l’invalidité doit être évaluée dans un contexte « réaliste » (Villani c. Canada (P.G.), 2001 CAF 248). Cela signifie que, lorsque le Tribunal détermine si une personne est atteinte d’une invalidité grave, il doit prendre en considération des facteurs tels que son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie.

[39] La situation de l’appelante est très difficile. Il est en effet difficile de concevoir le stress et la pression subis par un parent dans de telles circonstances. Le Tribunal accepte l’opinion de ses médecins, selon laquelle elle a très bien fait et effectué tout ce qui lui était demandé. Il ressort clairement de la preuve que l’appelante est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice en plus de ses responsabilités d’aidante. Cependant, en tant que créature de la loi, le Tribunal n’a que les pouvoirs que la loi lui confère. Le Tribunal interprète et applique les dispositions telles qu’elles sont énoncées dans le Régime de pensions du Canada. Le Tribunal n’est pas un tribunal d’equity et ne peut pas changer la loi ni rendre des décisions en dehors de la compétence que lui confère la loi.

[40] Selon loi habilitante du Tribunal, l’invalidité d’un prestataire ne peut se fonder sur l’invalidité d’une autre personne, peu importe sa proximité et sa dépendance à son égard. Par conséquent, le Tribunal ne peut conclure à l’existence d’une invalidité au seul motif que les obligations familiales de l’appelante et leurs répercussions actuelles sur sa santé l’empêchent d’occuper un emploi. Au même titre que les facteurs socio‑économiques, comme les conditions du marché du travail, ne sont pas pertinents dans une décision visant à déterminer si une personne est invalide au sens de la Loi (Canada (MDRH) c. Rice, 2002 CAF 47), une conclusion relative à l’invalidité ne peut se fonder sur les obligations familiales d’une personne. Selon un principe connexe, une capacité de s’occuper d’un enfant lourdement handicapé indique une capacité de travail résiduelle : une telle approche est étayée par le raisonnement de la division d’appel du Tribunal dans T.C. c .Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2015 TSSDA 637.

[41] Toutefois, cela ne signifie pas que l’appelante ne peut avoir gain de cause dans son appel. Bien qu’il faille créer une situation hypothétique qui n’est actuellement pas réaliste pour l’appelante, le Tribunal doit essentiellement évaluer si, indépendamment de l’état d’H. A., l’appelante souffre de problèmes de santé qui l’empêchent de travailler. Dans un tel scénario, l’appelante serait‑elle toujours atteinte d’une invalidité grave? Ou encore, selon le libellé de la décision T.C.,les responsabilités d’aidante actuelles de l’appelante indiquent‑elles qu’elle a conservé la capacité de travailler?

[42] S’il est vrai que la Dre Easy s’est dite d’avis, le 26 novembre 2015, que l’invalidité totale de l’appelante l’empêchait d’exercer un emploi et qu’elle était médicalement instable depuis le début de son traitement en 2013, le Tribunal n’est pas convaincu que cette opinion permet de distinguer suffisamment les conséquences des problèmes médicaux constants d’H. A. et les capacités réelles de l’appelante si H. A. était dans un état stable. En effet, les avis médicaux jusque‑là avaient généralement lié l’état de l’appelante à celui d’H. A.: cela est évident dans les avis de la Dre Carson du 13 novembre 2014 et du 27 janvier 2015, ainsi que dans ceux de la Dre Easy du 13 mai 2015 et du 23 juillet 2015.

[43] Le Tribunal n’est pas convaincu que l’appelante est gravement invalide depuis 2013 ou une date antérieure, mais il accepte qu’il y a une détérioration continue de son état. Les éléments de preuve fournis par l’appelante elle‑même le corroborent, ainsi que la documentation médicale objective. Mais surtout, le développement d’un TSPT et les crises de panique de plus en plus fréquentes qui y sont associées tendent à indiquer que l’appelante souffre maintenant d’état pathologique grave sans lien de dépendance avec l’état d’H. A. L’appelante a déclaré que rien ne déclenchait précisément ses crises de panique; en fait, elles étaient tout aussi intenses lorsqu’elle prenait un peu de répit de ses responsabilités parentales. Les crises de panique sont actuellement si fréquentes qu’il est difficile d’imaginer comment elle pourrait garder un emploi, même sans la détérioration cognitive signalée.

[44] Le Tribunal estime qu’un seuil a été franchi au moment où la Dre Easy a écrit la lettre le 26 novembre 2015. Compte tenu des flashbacks, des cauchemars et de l’insomnie, l’appelante a maintenant tous les symptômes traumatiques répondant au diagnostic de TSPT avec des crises de panique. Cela va au‑delà des symptômes associés à l’épuisement et à l’hypervigilance auxquels on s’attendrait généralement dans les circonstances difficiles que doit affronter l’appelante. Au vu de cette lettre et du propre témoignage de l’appelante en ce qui concerne l’absence d’éléments déclencheurs à ses crises de panique, le Tribunal est convaincu qu’une invalidité grave et prolongée sans lien de dépendance avec l’état d’H. A. existait avant le 26 novembre 2015 et s’est poursuivie jusqu’à la date de l’audience. Bien qu’il y ait eu des références à un TSPT possible avant cette date, l’avis médical concordant indiquait toujours que l’état de l’appelante était lié à celui de son fils. La lettre du 26 novembre 2015 n’établit pas un tel lien : s’il est vrai que les événements traumatiques répétés ont contribué clairement à son état actuel, la Dre Easy ne dit plus que le rétablissement de l’appelante dépend de la stabilisation d’H. A.

[45] Le Tribunal s’est également demandé si les activités d’aidante de l’appelante établissent une capacité de travail. Cela est important, car où il y a des preuves de capacité de travail, la personne doit démontrer que ses efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé (Inclima c. Canada (P.G.), 2003 CAF 117).

[46] Comme H. A. fréquente l’école, le rôle d’aidante de l’appelante diminue par rapport à ce qu’il pouvait être lorsque le trouble épileptique s’est d’abord développé. Bien que la fréquentation scolaire d’H. A. soit irrégulière, cela est souvent attribuable à l’hospitalisation plutôt qu’aux soins que lui prodigue l’appelante à la maison. Par ailleurs, l’appelante a prouvé qu’elle est fréquemment aidée ou soulagée dans ses tâches par des services de répit externes, son époux, sa belle‑famille et ses amies. Il semble aussi que les symptômes de panique de l’appelante sont pires lorsqu’elle s’accorde un moment sans observer H. A. : cela indique qu’elle n’est capable de fonctionner que sous de très fortes pressions. En outre, il semble qu’elle consacre une grande partie du temps à superviser H. A. durant la nuit, lorsqu’elle s’assure simplement qu’il respire encore ou qu’elle change périodiquement ses draps. Ces simples tâches sont entrecoupées de périodes de sommeil et cette situation d’épuisement ne saurait être conciliée avec une situation d’emploi réaliste ni avec l’établissement d’une capacité de travail dans un contexte réaliste. Par conséquent, le Tribunal n’est pas convaincu que le principe énoncé dans Inclima empêche l’appelante d’établir qu’elle souffre d’une invalidité grave.

[47] De nombreuses observations de l’intimé affirment essentiellement que le traitement de l’appelante n’a pas été optimisé. À cet égard, la lettre du 23 juillet 2015 de la Dre Easy est utile : l’appelante a fait tout ce qu’elle pouvait pour prévenir et traiter son état et, dans les circonstances qui lui sont propres, les médicaments ne constituaient qu’une intervention palliative. Le Tribunal est enclin à accorder aux avis de la Dre Easy un poids important, compte tenu de sa spécialisation, du temps qu’elle a traité l’appelante et, du propre aveu de l’appelante, du fait que la Dre Easy était bien mieux placée que la Dre Carson pour la traiter. Par conséquent, le Tribunal ne peut conclure que l’appelante a négligé d’atténuer son état ou que son état n’est pas suffisamment grave pour justifier des formes de traitement exceptionnelles.

[48] Après mûre réflexion, le Tribunal conclut que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en date du 26 novembre 2015 et que cette invalidité s’est poursuivie jusqu’à la date de l’audience.

Invalidité prolongée

[49] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès. Aucun élément de preuve ne donne à penser que l’invalidité de l’appelante entraînera son décès. Le Tribunal doit donc déterminer si son TSPT avec des crises de paniques durera vraisemblablement pendant une période longue, continue et indéfinie.

[50] La Dre Carson et la Dre Easy soutiennent depuis longtemps que l’invalidité de l’appelante était prolongée. Toutefois, pour les raisons susmentionnés dans l’analyse de la « gravité », le Tribunal hésite à trop se fier à ces affirmations. Celles‑ci ont été faites au moment où l’état de l’appelante était encore fermement lié à l’état d’H. A. Le diagnostic de TSPT complet établi en novembre 2015 indique cependant que l’état de l’appelante est appelé à durer. Le TSPT, de par sa nature même, persiste après le traumatisme qui l’a causé. Les crises de panique de l’appelante qui s’y rattachent se produisent fréquemment lorsque l’appelante ne s’occupe pas de l’état d’H. A.

[51] L’appelante a été avisée qu’il faudrait vraisemblablement des années avant que tout se calme même si l’état d’H. A. se stabilisait. Plus précisément, la Dre Easy lui a aussi dit de penser au présent plutôt qu’à l’avenir. Qui plus est, elle fait état de répercussions cognitives récentes et assez importantes. Elle ne croit pas non que le pronostic de la Dre Easy a changé depuis la fin de 2015. Bien que le Tribunal n’accorde pas beaucoup de poids à cet élément, il signale que l’appelante éprouvait également des problèmes d’attention avant même le début du trouble épileptique d’H. A.

[52] Le Tribunal accepte, selon la prépondérance des probabilités, que compte tenu de l’existence d’un TSPT complet, même une stabilisation de l’état d’H. A. n’entraînerait pas une amélioration importante de l’invalidité de l’appelante. Toute amélioration, s’il y en a, ne se produirait que sur une longue période. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal estime que l’invalidité de l’appelante serait vraisemblablement d’une durée continue et indéfinie, même si l’état d’H. A. se stabilisait. Par conséquent, le Tribunal juge que l’invalidité de l’appelante est prolongée.

Conclusion

[53] Le Tribunal conclut que l’appelante souffrait d’une invalidité grave et prolongée en novembre 2015 au moment où la Dre Easy a posé le diagnostic de TSPT complet avec des crises de panique, et que le pronostic de l’appelante ne semble plus dépendre de l’état d’H. A. Selon l’article 69 de la Loi, la pension d’invalidité est payable à compter du quatrième mois qui suit la date du début de l’invalidité. Les versements commencent donc en mars 2016.

[54] L’appel est accueilli.

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