Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

Représentante de l’appelant : Fazia Ahmed-Hassan

Intimée (se représente elle-même) : L. T.

Stagiaire en droit : Cindy Ko

Décision

[1] La division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) accueille l’appel.

[2] Le ministre interjette appel d’une décision de la division générale qui a établi que l’intimée était admissible à une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC). La permission d’en appeler a été accordée au motif que l’appelant avait présenté une cause défendable en ce qui a trait aux deux points principaux sur lesquels il avait fondé sa demande de permission d’en appeler.

[3] Le Tribunal a tenu une audience par téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. les renseignements figurant au dossier et le besoin de renseignements supplémentaires ;
  2. ce mode d’audience permet toute mesure d’adaptation exceptionnelle requise par les parties ;
  3. le besoin, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Motifs de l’appel

[4] L’appelant soutient que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’intimée était admissible à une pension d’invalidité puisqu’elle n’a pas conclu qu’elle était devenue invalide au cours de la période calculée au prorata. L’appelant a également fait valoir que la décision de la division générale a été fondée sur des conclusions de fait erronées qui ont été tirées à l’égard de son interprétation et de son application de la preuve médicale.

Questions en litige

[5] Les questions sur lesquelles la division d’appel doit se prononcer sont les suivantes :

  1. Est-ce que la division générale a commis une erreur de droit en ce qui concerne la façon dont elle a appliqué les dispositions du RPC relatives au calcul au prorata prévues au paragraphe 44(2.1) du RPC ?
  2. Est-ce que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, notamment :
    1. En déterminant que la preuve médicale appuyait la conclusion selon laquelle l’intimée était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au sens du RPC ?
    2. En ne tenant pas compte du fait qu’il n’y avait pas d’élément de preuve médicale datant d’avant septembre 2009 et en ne tenant pas compte de certains aspects de la preuve médicale lorsqu’elle a conclu que l’intimée souffrait d’une invalidité grave et prolongée à partir de novembre 2008 ? En déterminant que la date de commencement des paiements de la pension d’invalidité était en avril 2010 au lieu d’avril 2011.

Dispositions législatives applicables

Le paragraphe 58(6) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) énonce les moyens d’appel suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] Des prestations d’invalidité sont payables aux cotisants au RPC qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 44(1)b) du RPC.

44. Prestations payables – Sous réserve des autres dispositions de la présente partie :

b) une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans, à qui aucune pension de retraite n’est payable, qui est invalide et qui : soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité, [...]

[8] Le paragraphe 44(2.1) du RPC prévoit la possibilité d’une période minimale d’admissibilité (PMA) selon les cotisations d’un demandeur calculées au prorata dans le cas où le demandeur a déposé tardivement sa demande de pension d’invalidité. Cette disposition se lit comme suit :

(2.1) Pour le calcul de la période minimale d’admissibilité du cotisant visé au sous-alinéa (1)b)(ii), à l’égard de l’année au cours de laquelle il aurait été considéré comme étant devenu invalide et où ses gains non ajustés ouvrant droit à pension sont inférieurs à l’exemption de base de l’année pertinente pour cette année, le montant de son exemption de base est égal à la proportion du montant de l’exemption de base de l’année que représente, par rapport à douze, le nombre de mois dans l’année qui, en raison d’une invalidité, n’auraient pas été exclus de la période cotisable.

Observations

[9] La représentante de l’appelant a soutenu que la division générale a interprété et appliqué incorrectement les dispositions relatives au calcul au prorata du RPC et que, puisqu’il s’agit là d’une question de droit, elle n’a pas à faire preuve de déférence à cet égard. Elle a également mentionné que cela constituait un fondement suffisant pour accueillir l’appel. Elle a suggéré que la réparation appropriée était que la division d’appel renvoie l’affaire à la division générale afin que celle-ci apporte des corrections aux erreurs de droit.

[10] En ce qui concerne les prétendues erreurs de fait, la représentante de l’appelant a fait valoir que celles-ci étaient claires et sans ambiguïté et qu’elles justifient que la division d’appel accueille l’appel.

[11] L’intimée n’a pas déposé d’observations officielles. Elle s’est fiée principalement au raisonnement de la division générale.

Analyse

[12] Pour les raisons qui suivent, la division d’appel accueille l’appel.

La division générale a mal appliqué les dispositions relatives au calcul au prorata

[13] La représentante de l’appelant a fait valoir que l’intimée avait deux possibilités de PMA. Cela n’était pas en litige. Cela a été établi lors de l’audience devant la division générale. La première PMA, dont la date de fin est le 31 décembre 2004, a été établie en fonction des cotisations valides au RPC pour les années 1998, 1999, 2000 et 2001. (GT1-28) L’intimée a d’abord arrêté de travailler en 2004, mais elle est retournée au travail en 2006. Elle a versé des cotisations valides au RPC en 2006, 2007 et 2008. (GT1-28-34). Selon le paragraphe 44(2.1) du RPC, cette deuxième période de travail pourrait donner lieu à une PMA calculée au prorata, la période calculée au prorata étant du 1er janvier 2009 au 31 mai 2009. La représentante de l’appelant a fait valoir que les dispositions relatives au calcul au prorata ne peuvent s’appliquer que si l’intimée a été jugée invalide au cours de la période calculée au prorata. La représentante de l’appelant s’est appuyée sur la décision de la Commission d’appel des pensions (CAP) suivante : Ministre du Développement social c. Gorman (1 août 2006), CP 22414 (CAP).

[14] Au paragraphe 9 de sa décision, la division générale a indiqué que pour ce qui est du critère, il fallait déterminer si [traduction] « il est plus probable qu’improbable que l’appelante souffrait d’une invalidité grave et prolongée en date de la fin de la PMA ou avant cette date ». La représentante de l’appelant a fait valoir qu’il s’agissait là d’une formulation incorrecte du critère et que cela a mené la division générale à commettre une erreur de droit.

[15] La représentante de l’appelant a fait valoir que le critère approprié était de déterminer si l’invalidité est survenue au cours de la période calculée au prorata, et qu’une formulation correcte du critère apparaît dans la décision de la division d’appel suivante : G. T. c. Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, CP 28158, 13 février 2014. La représentante de l’appelant a également soutenu qu’en jugeant l’intimée comme étant devenue invalide en novembre 2008, la division générale n’a pas appliqué correctement la disposition relative au calcul au prorata, puisque novembre 2008 ne s’inscrit pas dans la période calculée au prorata. Par conséquent, cela aussi est une erreur de droit. La division d’appel est d’accord. Bien qu’une décision de la CAP ne lie pas le Tribunal, elle peut avoir une valeur probante. De plus, la division d’appel n’est pas liée par ses décisions antérieures. Cependant, en l’espèce, la division d’appel est persuadée que les décisions Gorman et G. T. c. Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences reflètent toutes deux une bonne interprétation de la loi concernant le calcul au prorata et s’appliquent. La division d’appel estime que la division générale était obligée de conclure que l’intimée était devenue invalide au cours de la période calculée au prorata, ce qu’elle n’a pas fait. Elle a conclu qu’elle était devenue invalide avant la période calculée au prorata. Il s’agit là d’une erreur de droit pour laquelle l’appel est accueilli.

La division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées

[16] Dans sa décision, la division générale a déterminé que la preuve médicale permettait de conclure que l’intimée était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au sens du RPC. Cependant, la représentante de l’appelant a souligné que la preuve médicale datait d’après la PMA calculée au prorata de l’intimée. En conséquence, la preuve médicale n’était pas un indicateur fiable de son état physique et mental avant ou à la date de fin de sa PMA, c’est-à-dire d’ici le 31 décembre 2004, ou au cours de sa période calculée au prorata.

[17] En ce qui concerne les erreurs de fait dans la décision de la division générale, la représentante de l’appelant a présenté les arguments suivants :

  1. La décision a été fondée, en partie, sur une IRM qui a été effectuée en 2010. Cependant, la division générale n’a pas expliqué pourquoi elle a fondé sa décision sur les résultats de cette IRM.
  2. Le rapport médical du Dr Dunne ne vient pas appuyer une conclusion d’invalidité, et la division générale n’a pas fait mention de son rapport de suivi qui ne vient pas non plus appuyer une conclusion d’invalidité. GT1-43
  3. Le rapport du Dr Reddy, daté de septembre 2009, sur lequel la division générale s’est appuyée, a été présentée en retard, et la division générale n’a pas fait mention du rapport du Dr Evans et n’a pas appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Klabouch c. Canada (Développement social), 2008 CAF 33.
  4. Les rapports qui concluent que l’intimée était invalide datent de 2012, c’est-à-dire quatre ans après la fin de la PMA. De plus, la division générale n’a pas mentionné le fait qu’un an après que l’intimée ait arrêté de travailler, le Dr Buchanan a indiqué qu’il y avait généralement un bon pronostic pour le type de maladie dont souffrait l’intimée.

[18] À l’examen du dossier du Tribunal, la division d’appel est persuadée que les rapports médicaux sont bel et bien datés comme il a été soumis par l’appelant. Le rapport médical le plus ancien, c’est-à-dire celui du Dr Reddy, est daté du 9 septembre 2009. Dans ce rapport, le Dr Reddy n’a pas conclu explicitement à une invalidité et il a établi un bon pronostic. Il a indiqué ce qui suit : [traduction] « Je lui ai expliqué, à elle ainsi qu’à son mari, que les maladies subtiles s’accompagnent d’un bon pronostic, ce qui, je l’espère, les rassurera qu’il n’y a rien de sérieux puisqu’ils étaient très inquiets. » La jurisprudence indique que lorsqu’un pronostic de rétablissement est bon, un demandeur n’est pas jugé invalide : Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Henderson, 2005 CAF 309.

[19] Dans le cas de l’intimée, la division générale a conclu que les renseignements médicaux appuyaient la conclusion selon laquelle à partir de juillet 2008, l’appelante a commencé à souffrir de douleurs musculaires chroniques et croissantes, d’engourdissements, de picotements, de fatigue et de troubles de sommeil qui concordent avec la fibromyalgie. La détérioration de son état de santé a mené à son arrêt de travail. La division générale a alors conclu ce qui suit :

[traduction]

[28] En septembre 2009, le Dr Evans a établi un diagnostic de dysthymie et de troubles anxieux, en plus d’une dépression. Les Drs Buchanan, Dunne et Daly ont confirmé des douleurs chroniques constantes qui s’aggravent, des engourdissements et des picotements, principalement sur le côté gauche, et ce, de 2009 à 2012. En 2012, les Drs Reddy et Dunne ont confirmé que son état était permanent, avec un « mauvais » pronostic. Les Drs Reddy et
Evans confirment la détérioration de ses conditions psychologiques de dysthymie, d’anxiété et de dépression.

[20] Même si elle accepte les constatations de la division générale, la division d’appel n’est pas convaincue qu’elles pointent vers une conclusion selon laquelle l’événement déclencheur qui aurait rendu l’intimée invalide se serait produit avant ou d’ici la date de fin de la PMA de décembre 2004 ou au cours de la période du 1er janvier au 31 mai 2006 calculée au prorata. En conséquence, l’appel est également accueilli sur ce motif.

[21] Cette conclusion se rapporte également au troisième motif d’appel de l’appelant, notamment, qu’il y avait un manque de preuve objective à l’appui d’une condition médicale grave. L’intimée a soutenu qu’elle possédait bel et bien une telle preuve, que cette preuve était disponible avant l’audience auprès de la division générale et qu’elle n’avait aucune idée pourquoi cette preuve n’avait pas été présentée puisqu’elle l’avait fournie à son ancien représentant. Quoi qu’il en soit, les faits sont que la preuve n’a pas été présentée à la division générale et que, en l’absence d’un manquement à un principe de justice naturelle de la part de la division générale, ce que la division d’appel n’a pas relevé, la division d’appel ne peut pas tenir compte de cette preuve. En conséquence, l’appel est également accueilli sur ce motif.

[22] De plus, l’appelant a fait valoir que la division générale a commis une erreur en ce qui concerne la date de début de sa pension d’invalidité. La division d’appel est d’accord. La division générale a tiré les conclusions suivantes au sujet de la date de début des prestations d’invalidité de l’intimée :

[traduction]

[36] Le Tribunal estime que l’appelante avait une invalidité grave et prolongée en novembre 2008, date à laquelle elle a arrêté de travailler à l’usine de contreplaqués. Aux fins du paiement, une personne ne peut être réputée invalide plus de quinze mois avant que l’intimé n’ait reçu la demande de pension d’invalidité (alinéa 42(2)b) du RPC). La demande a été reçue en mars 2012 ; par conséquent, l’appelante est réputée être devenue invalide en décembre 2010. En vertu de l’article 69 du RPC, les versements commencent à compter du quatrième mois qui suit la date prétendue du début de l’invalidité. Les paiements commenceront en date d’avril 2010.

[23] En plus d’être contradictoires, ces conclusions mettent en évidence une erreur de droit. Premièrement, la division générale a conclu que l’intimée était devenue invalide en novembre 2008. Après avoir tiré cette conclusion, elle a jugé qu’elle était devenue invalide en décembre 2010. Il s’agit clairement d’une erreur de droit. La première partie de l’alinéa 42(2)b) du RPC prévoit qu’une personne est réputée être devenue invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue invalide. Il ne peut pas y avoir deux dates distinctes auxquelles elle serait devenue invalide. Deuxièmement, même si la division générale avait appliqué correctement l’alinéa 42(2)b) du RPC, l’article 69 du RPC ne permet pas que la date de début des prestations d’invalidité précède la date à laquelle une personne est jugée être devenue invalide, ce qui est précisément ce que la division générale a conclu. Conformément à l’article 69 du RPC, une personne réputée être devenue invalide en décembre 2010 commencerait à recevoir des prestations en avril 2011. Par conséquent, l’appel est également accueilli sur ce motif.

Conclusion

[24] La permission d’en appeler a été accordée au motif que la décision de la division générale contenait des erreurs de droit et qu’elle a également été fondée sur des conclusions de fait erronées en ce qui a trait à la preuve médicale, qu’elle aurait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. D’après l’analyse qui précède, la division d’appel est convaincue que la division générale a commis des erreurs qui ont fait en sorte que la permission d’en appeler a été accordée. En conséquence, l’appel est accueilli.

Décision

[25] Au cours de l’audience, la représentante de l’appelant a fait valoir que la réparation appropriée serait que la division d’appel renvoie l’affaire à la division générale pour révision. La division d’appel souscrit à ce point de vue. Par conséquent, l’affaire est renvoyée à la division générale afin de lui permettre d’apporter des corrections aux erreurs, conformément à la présente décision.

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