Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

L’appel est accueilli.

Comparutions

  • Appelante : F. V.
  • Représentante de l’appelante : Bordena Kordasiewicz
  • Interprète professionnelle du portugais : Paula Amaral
  • Représentantes de l’intimé : Naadiya Atcha et Faisa Ahmed-Hassan (à titre d’observatrice seulement)

Introduction

[1] Il s’agit d’un appel de la décision de la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale (TSS) rendue le 29 octobre 2015 qui a rejeté la demande de pension d’invalidité de l’appelante au motif que cette dernière n’avait pas prouvé que son invalidité était grave au sens du Régime de pensions du Canada (RPC) au moment où sa période minimale d’admissibilité (PMA) a pris fin, c’est-à-dire au 31 décembre 2009. La permission d’en appeler a été accordée le 31 mai 2016 au motif que la décision de la DG pourrait comporter une erreur.

Aperçu

[2] L’appelante avait 55 ans lorsqu’elle a présenté sa demande de prestations d’invalidité du RPC le 12 février 2013. Dans sa demande, elle a déclaré avoir obtenu l’équivalent d’une neuvième année de scolarité au Portugal, son pays d’origine. Elle a immigré au Canada à l’âge de 17 ans et a travaillé dans un hôpital de 1997 à 2004, moment auquel elle a été impliquée dans un accident de la route. Elle a récemment travaillé dans la cafétéria du Collège Conestoga, un emploi qu’elle a exercé d’août 2008 à mai 2009.

[3] L’intimé a rejeté la demande initiale et la demande de révision au motif que son invalidité n’était ni grave ni prolongée à la date de fin de sa PMA. Le 15 novembre 2013, l’appelante a interjeté appel de ces rejets auprès de la DG.

[4] À l’audience devant la DG tenue le 27 octobre 2015, l’appelante a témoigné à propos de son éducation et de son expérience professionnelle. Elle a dit qu’elle était en bonne santé jusqu’au moment de son accident de la route, ce qui lui a causé des douleurs à l’épaule, au bras droit, au cou et au dos, ainsi qu’une dépression. Après s’être retirée du marché du travail pendant quatre ans, elle a accepté un emploi dans une cuisine dont les tâches consistaient à laver la vaisselle, nettoyer l’équipement et charger les plateaux. Elle a indiqué qu’elle éprouvait de la douleur et qu’elle avait de la difficulté à effectuer les tâches de son emploi.

[5] Dans sa décision datant du 29 octobre 2015, la DG a rejeté l’appel de l’appelante après avoir conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur. La DG a conclu qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve médicale objectifs d’une invalidité grave à la date de fin de sa PMA. Elle a également détecté des incohérences dans les éléments de preuve de l’appelante et a estimé que son témoignage n’était pas fiable.

[6] Le 26 janvier 2016, la représentante de l’appelante a déposé une demande de permission d’en appeler à la division d’appel (DA) du TSS, indiquant des erreurs de fait et de droit commises par la DG. Le 31 mai 2016, la DA a accordé la permission d’en appeler au motif que la DG pourrait avoir commis les erreurs de droit suivantes :

  1. a) Omission d’appliquer l’affaire D’Errico c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 1 en n’ayant pas évalué les éléments de preuve d’un échec de retour au travail qui démontraient l’incapacité de la demanderesse à détenir une occupation véritablement rémunératrice de façon « régulière » ;
  2. b) Omission d’appliquer l’affaire Inclima c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 2 en considérant le dernier emploi de la demanderesse comme une preuve de capacité à fonctionner plutôt qu’un échec de tentative d’atténuer ses déficiences.

[7] Dans un avis daté du 27 juillet 2016, la DA a mis au rôle une audience par vidéoconférence pour les raisons suivantes :

  1. la complexité des questions en litige ;
  2. les renseignements figurant au dossier et le besoin de renseignements supplémentaires ;
  3. le fait qu’une interprète participe à l’audience ;
  4. le fait que l’appelante ou les autres parties soient représentés ;
  5. le fait que le matériel nécessaire à une vidéoconférence est disponible dans la région où réside l’appelante ;
  6. le besoin, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[8] Les observations de l’appelante ont été énoncées dans sa demande de permission d’en appeler et dans son avis d’appel. À la demande de la DA, l’appelante a présenté d’autres observations le 30 juin 2016. L’intimé a présenté ses observations le 15 juillet 2016, auxquelles l’appelante a répondu dans une lettre datée du 11 août 2016.

Question préliminaire

[9] Au début de l’audience, la représentante de l’appelante a indiqué qu’elle avait demandé un enregistrement de l’audience devant la DG, mais qu’elle n’a reçu aucune réponse de la part du TSS. Au moment où j’ai commencé mon examen, l’enregistrement n’était pas disponible non plus, mais celui-ci a par la suite été découvert après une enquête plus approfondie. Il est regrettable que l’enregistrement n’ait pas été mis à la disposition des parties au stade de la permission d’en appeler, puisque cela aurait pu les aider à raffiner leurs observations, mais je les ai examinées, et celles-ci m’ont permis d’en arriver à ma décision.

Droit applicable

[10] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] Selon le paragraphe 59(1) de la LMEDS, la DA doit déterminer s’il convient de rejeter l’appel, de rendre la décision que la DG aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la DG pour révision conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou de confirmer, d’infirmer ou de modifier totalement ou partiellement la décision de la DA.

[12] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les conditions d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans ;
  2. b) ne touche pas une pension de retraite du RPC ;
  3. c) est invalide ;
  4. d) a versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la PMA.

[13] Le calcul de la PMA est important puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date ou avant la date marquant la fin de sa PMA.

[14] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une personne est considérée comme atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

Questions en litige

[15] Les questions dont je suis saisie sont les suivantes :

  1. Quelle norme de contrôle doit-on appliquer lors de l’examen des décisions de la DG ?
  2. Est-ce que la DG a omis d’appliquer l’affaire D’Errico en n’ayant pas évalué les éléments de preuve d’un échec de retour au travail ?
  3. Est-ce que la DG a omis d’appliquer l’affaire Inclima en considérant le dernier emploi de l’appelante comme étant une preuve de capacité à fonctionner plutôt qu’un échec de tentative d’atténuer ses déficiences ?
  4. Advenant une réponse affirmative à l’une des trois questions qui précèdent, quelle réparation faut-il accorder en l’espèce ?

Observations

Quelle est la norme de contrôle appropriée ?

[16] L’appelante soutient que la norme de contrôle applicable dans le cadre de cet appel est celle de la décision correcte puisque la DA ne doit aucune déférence à la DG. La DA est une instance supérieure au sein du même tribunal — la DG ne possède ni un savoir-faire ni une expérience qui justifie de privilégier ses décisions.

[17] Selon les moyens d’appel accordés, la question pertinente ne concerne pas l’appréciation de la preuve, mais concerne plutôt le fait que la DG a excédé sa compétence, soit en ne tenant pas compte d’éléments de preuve très pertinents, soit en faisant des déclarations de fait sans aucun élément de preuve à l’appui. Pour ce qui est de la compétence, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[18] L’intimé soutient que la norme de contrôle applicable dans le cadre de cet appel est celle de la décision correcte puisque la DA ne doit aucune déférence à la DG. La DA est une instance supérieure au sein du même tribunal ; la DG ne possède ni un savoir-faire ni une expérience qui justifie de privilégier ses décisions.

[19] Selon les moyens d’appel accordés, la question pertinente ne concerne pas l’appréciation de la preuve, mais concerne plutôt le fait que la DG a excédé sa compétence, soit en ne tenant pas compte d’éléments de preuve très pertinents, soit en faisant des déclarations de fait sans aucun élément de preuve à l’appui. Pour ce qui est de la compétence, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[20] Dans ses observations, l’intimé a abordé en détail les normes de contrôle et leur applicabilité en l’espèce, pour conclure que la norme de la décision correcte doit être appliquée aux erreurs de droit, et que la norme de la décision raisonnable doit être appliquée aux erreurs de fait et aux erreurs mixtes de fait et de droit.

[21] L’intimé a noté que la cour d’appel fédérale n’a pas encore adopté une approche fixe pour la DA lorsque cette dernière doit examiner les appels de la DG. L’intimé a reconnu l’affaire récente de la cour d’appel fédérale, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. HuruglicaNote de bas de page 3, qui, a-t-il dit, a confirmé que l’analyse de la DA devrait être influencée par les facteurs tels que le libellé de la loi habilitante, l’intention du corps législatif lorsque le tribunal a été créé et le fait que le corps législatif dispose de l’autorité nécessaire pour établir une norme de contrôle s’il le désire. L’intimé est d’avis que l’affaire Huruglica n’a pas changé de façon significative la norme à appliquer aux erreurs de fait alléguées. Les termes de l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS énoncent toujours une grande variété d’issues possibles.

[22] L’intimé a fait valoir que la DA devrait s’abstenir de réviser les affaires pour lesquelles la DA avait un avantage important en tant que juge des faits. Le libellé des articles 58 et 59 de la LMEDS indique que le législateur voulait que la DA fasse preuve de déférence à l’endroit des conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit de la DG.

La DG a-t-elle mal appliqué l’affaire D’Errico ?

[23] L’appelante soutient que la DG a mal appliqué l’affaire D’Errico en n’ayant pas tenu compte de la façon dont son trouble de santé l’empêche de détenir « régulièrement » un emploi, que la Cour d’appel fédérale a déjà interprété comme signifiant « pendant une période durable ». Plus particulièrement, l’appelante soutient que la DG a omis de tenir compte de la preuve que son emploi en 2008-2009 représentait une tentative de travail, dont l’abandon servait à démontrer à quel point elle était incapable d’offrir régularité avant la fin de la PMA.

[24] L’intimé soutient que l’affaire de l’appelante se distingue de l’affaire D’Errico, lequel porte sur une prestataire qui a fait plusieurs tentatives de travail pour divers postes, y compris pour des postes mieux adaptés à ses limitations fonctionnelles, mais qui a eu de la difficulté à effectuer ses heures limitées de travail par semaine. En l’espèce, il n’y avait aucun élément de preuve démontrant que l’appelante a déployé des efforts pour obtenir un autre type d’emploi pour lequel elle n’aurait pas à utiliser de façon excessive son bras droit et son épaule droite après qu’elle ait quitté son emploi au Collège en mai 2009.

La DG a-t-elle mal appliqué l’affaire Inclima ?

[25] L’appelante soutient que la DG a accordé la considération qui revenait à la possibilité que son emploi en 2008-2009 était une tentative ratée de retour au travail, et qu’en faisant cela, elle aurait omise d’appliquer le principe d’atténuation prévu dans l’affaire Inclima. Il est indiqué ce qui suit dans l’affaire Inclima :

[traduction]

En conséquence, un demandeur qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il (ou elle) a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé.

[26] L’appelante lance que d’avoir pris un emploi dans le domaine de l’alimentation en août 2008 représentait une tentative admirable de retour au travail après une période prolongée de convalescence de son accident de la route en 2004. Elle indique avoir été obligée peu après de cesser le travail en raison de douleur et de limitations, ainsi que d’anxiété, de dépression et de fatigue.

[27] L’intimé reconnait que bien que la décision de la DG ne faisait pas mention de l’affaire Inclima, cet oubli n’a eu aucune conséquence, bien que peu judicieux, et elle a accordé la considération qui revenait à la possibilité que l’emploi de l’appelante de 2008 à 2009 était une tentative ratée de retour au travail. Plus précisément, la DG a examiné s’il y avait des éléments de preuve que l’appelante avait une capacité de travailler après son accident de la route.

[28] La DG a souligné l’importante d’éléments de preuve médicale objective dans son analyse. Elle a raisonnablement conclu que l’appelante n’était pas fiable en raison d’incohérences dans ses éléments de preuve concernant les questions importantes. En raison de ces incohérences, la DG était fondée à accorder davantage d’importance à la preuve documentaire.

[29] Pour déterminer si les problèmes de santé d’un prestataire respectent la définition d’invalidité au sens du RPC, la question principale est de déterminer si le prestataire a prouvé qu’il souffrait d’une invalidité grave et prolongée avant ou à la date de fin de sa PMA. S’il a réussi à le faire, la détérioration de son état de santé après la fin de la PMA n’est pas pertinente.

[30] Au paragraphe 33, la DG a évalué la capacité de travailler de l’appelante après son accident de la route en 2004, basant son analyse sur son rapport médical de 2007. Elle est retournée sur le marché du travail en 2008 pour occuper un emploi exigeant physiquement, et il n’y avait aucun élément de preuve indiquant qu’elle n’a pas été en mesure d’exercer tout type d’emploi véritablement rémunérateur à ce moment-là. La DG a mis l’accent sur les éléments de preuve médicale qui se rapprochent le plus de la date de fin de la PMA, et aucun des rapports médicaux datant d’avant décembre 2009 n’indiquaient une invalidité grave. Même le rapport du médecin de famille datant de mai 2010 n’indiquait qu’un diagnostic : une rupture de la coiffe des rotateurs affectant son épaule droite et son bras droit. La DG était donc fondée à conclure que, bien que les problèmes de santé de l’appelante puissent avoir limité sa capacité à effectuer un travail physique nécessitant l’utilisation répétitive de son épaule et de son bras droit, ceux-ci ne l’empêchaient pas d’exercer tout type d’emploi. En tant que juge des faits, la DG était la mieux placée pour apprécier la preuve et pour tirer les conclusions appropriées en se fondant sur la preuve.

[31] L’intimé soutient, subsidiairement, que la DG n’a commis aucune erreur, car l’affaire Inclima ne s’applique pas. Cette affaire peut être invoquée lorsque deux conditions sont respectées : (i) il y a des éléments de preuve de capacité de travail et (ii) le prestataire a démontré qu’il a déployé des efforts pour obtenir et conserver une occupation véritablement rémunératrice. C’est seulement si ces deux conditions sont respectées que la DG peut évaluer si les efforts déployés par l’appelante pour travailler n’ont pas porté fruit en raison de son état de santé. En l’espèce, il y avait des éléments de preuve de capacité de travailler au cours de la PMA de l’appelante ou aux alentours de sa PMA, comme l’a démontré le fait qu’elle travaillait en 2009. De plus, l’intimé soutient que, en l’espèce, il n’y avait aucun élément de preuve selon lequel l’appelante déployait bel et bien des efforts pour obtenir et conserver un emploi qui convenait davantage à ses limitations fonctionnelles. Puisque les deux conditions n’étaient pas respectées, l’affaire Incima ne pouvait pas être appliquée en l’espèce. En d’autres termes, bien que l’intimé reconnaisse que l’appelante pourrait ne pas avoir été capable d’exercer son travail habituel, puisqu’il y a des éléments de preuve à l’appui d’une capacité de travailler, elle était tenue de démontrer qu’elle avait déployé des efforts pour se trouver et conserver un emploi qui convenait davantage à ses limitations fonctionnelles.

Analyse

Norme de contrôle

[32] Jusqu’à tout récemment, il était convenu que les appels devant la DA étaient régis par les normes de preuve énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 4 par la Cour suprême du Canada. Dans les affaires concernant de prétendues erreurs de droit ou la prétendue omission d’observer des principes de justice naturelle, il a été conclu que la norme applicable était celle de la décision correcte, qui correspond ainsi à un seuil de déférence inférieur à celui dont est tenu de répondre un tribunal administratif de premier niveau. Dans les affaires comportant des allégations de conclusions de fait erronées, la norme applicable est celle de la décision raisonnable, signifiant une réticence de la Cour à intervenir dans les conclusions de l’entité dont le rôle consiste à évaluer la preuve des faits.

[33] L’affaire Huruglica a rejeté cette approche, soutenant que les tribunaux administratifs ne devraient pas utiliser les normes de contrôles qui ont été conçues pour être appliquées par les cours d’appel. Les tribunaux administratifs devraient plutôt se fier en premier lieu à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle.

[34] Bien que l’affaire Huruglica traite d’une décision qui provenait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle a des incidences sur d’autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’il était inapproprié d’importer les principes de contrôle judiciaire aux forums administratifs, comme il a été mentionné dans l’affaire Dunsmuir, car ces derniers peuvent avoir des priorités législatives autres que l’impératif constitutionnel voulant préserver la règle du droit. [traduction] « Il ne faut pas simplement tenir pour acquis que ce qui est réputé être la meilleure politique pour les cours d’appel s’applique également aux instances d’appel à caractère administratif ».

Affaires D’Errico et Inclima

[35] J’aborderai ensemble les deux questions de fond, puisqu’elles portent toutes deux sur la façon dont la DG a tenu compte de l’emploi de l’appelante pendant neuf mois dans une cafétéria de 2008 à 2009. La preuve indique que l’appelante n’a pas travaillé pendant quatre ans après la fin de sa PMA en 2004, mais qu’elle est par la suite retournée sur le marché du travail et qu’elle a travaillé pour le Collège Conestoga en août 2008, et ce, pour les neuf mois qui ont suivi.

[36] À mon avis, la DG avait le devoir d’évaluer la période d’emploi de neuf mois de l’appelante, puisque celle-ci est survenue si près de la date de fin de la PMA. Pour faire cela, elle avait deux options devant elle : considéré cela comme étant une preuve de la capacité de l’appelante, compte tenu du fait qu’elle travaillait des années après ses blessures — ou, autrement, considérer cela comme étant une preuve de son manque de capacité, compte tenu du fait qu’elle gagnait seulement un salaire modeste et qu’elle a quitté après seulement une brève période. D’une façon ou d’une autre, la DG avait le devoir d’expliquer la caractérisation qu’elle a faite de cette période de neuf mois.

[37] Cependant, l’analyse de la DG contient uniquement une brève discussion de l’emploi de l’appelante au Collège Conestoga. Rien n’indique qu’elle a même tenu compte de la possibilité que la période de travail de neuf mois dans une cafétéria aurait pu représenter une « tentative ratée de travail ». En effet, elle semble avoir tenu pour acquis le fait que son emploi constituait une preuve prima facie que l’appelante était capable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice.

[38] Au paragraphe 28, la DG a écrit ce qui suit :

[traduction]

Elle a indiqué dans son questionnaire (mai 2010) qu’elle ne pouvait plus travailler en mars 2008, mais qu’elle a continué à travailler jusqu’en mai 2009.

Au paragraphe 29, elle a écrit ce qui suit :

[traduction]

Bien qu’elle ait indiqué [dans son questionnaire datant de mars 2013] qu’elle ne pouvait plus travailler en avril 2004, elle est retournée travailler jusqu’en 2009.

[39] Les extraits qui se trouvent ci-dessus constituent l’ensemble des références à l’emploi de l’appelante pendant neuf mois dans une cafétéria qu’a faites la DG dans son analyse. Je ne suggère pas que la DG a outrepassé sa compétence ou qu’elle a nécessairement tiré une conclusion erronée selon laquelle l’emploi à la cafétéria constituait un élément de preuve de capacité de travailler. Elle avait certainement le droit de tirer cette conclusion en tant que juge des faits. Cependant, l’équité requiert de la DG d’avoir au moins fourni une certaine explication à savoir pourquoi elle a tiré cette conclusion sur ce qui semble être une question de fait importante.

[40] Au paragraphe 12 de sa décision, la DG a conclu, sans fournir plus d’explications, que l’appelante [traduction] « avait quitté volontairement » son dernier emploi, mais le dossier indique une histoire plus complexe. Bien que l’appelante ait indiqué qu’elle a été [traduction] « licenciée/mise à pied » dans son questionnaire datant de mai 2010, elle a indiqué [traduction] « invalidité » dans son questionnaire datant de mars 2013. Bien entendu, ces motifs ne sont pas mutuellement exclusifs, et il est possible qu’une personne soit congédiée d’un emploi si elle n’a plus la capacité physique nécessaire pour effectuer ses tâches essentielles. En l’occurrence, l’appelante a témoigné (à 14:44 de l’enregistrement audio) qu’elle a quitté son emploi à la cafétéria en mai 2009 sur les conseils de son médecin de famille après qu’elle lui ait indiqué qu’elle ressentait de plus en plus de douleur malgré le fait qu’elle effectuait des tâches légères. L’enregistrement de l’audience indique qu’il y a eu une brève discussion au sujet de l’emploi à la cafétéria qui a porté principalement sur les motifs de départ. La représentante de l’appelante n’a soutenu dans aucune des observations présentées à la DG — ni à l’écrit ni à l’oral — que le dernier emploi de sa cliente devait être considéré comme une tentative ratée de travail.

[41] La négligence de la DG concernant la théorie de la tentative ratée de travail aurait été sans importance si elle ne s’était pas fondée sur l’emploi de l’appelante à la cafétéria pour conclure que son invalidité ne répondait pas au critère de gravité. Cependant, l’analyse de la DG laisse peu de doute au fait que la DG a fondé sa décision, en grande partie, sur l’hypothèse selon laquelle la période de neuf mois au Collège Conestoga démontrait une capacité de travailler, plutôt que l’opposé. Au paragraphe 33, elle a écrit ce qui suit :

L’appelante est ensuite retournée travailler, ce qui indique que ses conditions médicales n’étaient pas graves puisque celles-ci ne l’ont pas rendue régulièrement incapable d’occuper une occupation véritablement rémunératrice.

[42] En outre, cette inférence défavorable constituait un deuxième lien dans la suite logique de la DG. La DG a conclu que le témoignage de l’appelante n’était [traduction] « pas fiable » en raison de contradictions entre son témoignage et la preuve documentaire. Aux paragraphes 28 et 29, la DG a cité trois prétendues incohérences, dont l’une qui était une contradiction entre le fait qu’elle ait affirmé auparavant qu’elle ne pouvait plus travailler en date de mars 2008, même si elle a [traduction] « continué à travailler jusqu’en mai 2009 ». Cependant, je ne suis pas certain qu’il soit juste de considérer cela comme étant une incohérence qui dévalue nécessairement le témoignage de l’appelante. Si le fondement des observations de l’appelante était qu’elle n’était plus capable de travailler après la date de fin de sa PMA, alors elle a droit à ce que la preuve soit examinée de façon équitable afin de déterminer si son emploi qui a suivi devrait être considéré comme étant une tentative ratée de travail. Juger de sa fiabilité en tant que témoin pour sa « fausse » déclaration selon laquelle elle était incapable de travailler en 2008 et 2009 me semble être une forme de raisonnement circulaire selon lequel la prémisse et la conclusion deviennent indiscernables.

[43] Après avoir fait abstraction du témoignage de l’appelante et écarté les éléments de preuve selon lesquels l’emploi de neuf mois aurait pu être une tentative ratée de travail — injustement, à mon avis — la DG a alors accordé une plus grande importance à la preuve médicale datant de la PMA ou aux alentours de celle-ci. Au paragraphe 31, elle a conclu spécifiquement que, bien qu’une déficience au niveau de son bras droit puisse l’empêcher d’effectuer des « travaux lourds », cela ne constituait pas une condition qui la rendait régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La DG a employé le mot « régulièrement » à trois reprises dans son analyse, mais seulement au moment de citer la définition statutaire de « grave » énoncée à l’alinéa 42(2)a) du RPC. Je n’ai relevé aucune tentative pour évaluer si cet individu, souffrant d’une rupture de la coiffe des rotateurs documentée avant la PMA et ayant une éducation et des compétences de la langue anglaise limitées, était capable de « régulièrement » travailler. Plutôt, la DG a minimisé les éléments de preuve en attirant l’attention sur emploi de neuf mois comme travailleuse de cafétéria, et a encore une fois employé un raisonnement circulaire.

[44] En agissant ainsi, la DG a commis une erreur de droit, car elle n’a pas appliqué les principes énoncés dans les affaires D’Errico et Inclima. L’intimé a tenté d’écarter l’affaire D’Errico en soutenant que dans cette affaire, l’individu retournait au travail à maintes reprises pour occuper des postes qui convenaient davantage à ses limitations fonctionnelles, contrairement à l’appelante qui n’a fait qu’une seule tentative de retour au travail pour un emploi qui pouvait être aussi demandant physiquement que ses précédents emplois. Bien que je sois d’accord que la comparaison entre les deux situations de fait ne semble pas favoriser l’appelante, là n’est pas la question. À tout le moins, l’affaire D’Errico appuie la thèse selon laquelle un juge de première instance, lorsqu’il s’agit d’affaires concernant une invalidité et fondées sur le RPC, doit faire au moins une tentative pour traiter du concept de régularité. Puisque l’appelante soutient qu’elle n’était plus capable d’effectuer ses tâches au Collège Conestoga, il incombait à la DG d’évaluer les éléments de preuve à ce sujet comme il se doit, mais je n’ai rien relevé dans la décision de la DG pouvant indiquer qu’elle l’a fait.

[45] De même, que l’appelante ait ou non décrit son emploi de neuf mois au Collège Conestoga comme étant une tentative courageuse, mais ratée de retour au travail malgré ses débilités, la DG avait le devoir positif d’examiner les éléments de preuve à ce sujet selon la perspective de l’affaire Inclima. Dans sa décision, la DG ne mentionne pas l’affaire Inclima et n’indique pas si elle croit que la demanderesse a accompli ses tâches pour atténuer ses déficiences en tentant de demeurer sur le marché du travail, et a en fait travaillé neuf mois comme preuve de capacité à fonctionner. Je n’irai pas jusqu’à affirmer que chaque décision portant sur une invalidité doit faire mention de l’affaire Incima, mais ses principes doivent tout de même être appliqués. Lorsqu’il y existe une preuve d’aptitude au travail, une personne doit montrer que les efforts qu’elle a déployés pour obtenir et conserver un emploi ont été vains en raison de son état de santé. Concrètement, si l’on conclut qu’une personne a une capacité résiduelle (comme c’était le cas en l’espèce), il faut ensuite déterminer si elle a fait tout ce qui était raisonnablement possible pour demeurer au sein de la population active. Rien dans la décision ne semble indiquer que la DG s’est penchée sur cette question.

[46] L’intimé soutient que bien que la DG n’ait pas cité l’affaire Incima, elle a toutefois appliqué ses principes lorsqu’elle a écarté la possibilité que le dernier emploi de l’appelante était une tentative ratée de travail en se fondant sur ses conclusions selon lesquelles elle avait une capacité de travailler après son accident de la route survenu en 2004. Sauf le plus grand respect, je ne peux pas être d’accord. Comme il a été mentionné précédemment, rien n’indique dans la décision de la DG qu’elle a examiné la possibilité que l’emploi de neuf mois au Collège Conestoga était rien de moins qu’un élément de preuve à l’appui de la capacité actuelle de l’appelante. L’intimé a également noté qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant que l’appelante a tenté d’exercer un emploi à faible impact qui convient davantage à ses restrictions. Cela est peut-être vrai, et il revenait à la DG de tirer cette conclusion, mais le fait demeure qu’elle ne l’a pas fait, car, comme il a déjà été mentionné, elle n’a jamais examiné la possibilité que l’emploi de neuf mois puisse être un élément de preuve à l’appui d’une capacité plutôt qu’un effort de retour au travail malgré une incapacité.

[47] L’intimé a fait valoir, subsidiairement, que l’affaire Inclima ne s’appliquait pas, car l’appelante ne satisfaisait pas à la condition préalable qui consiste à avoir tenté de se trouver et de conserver un emploi. Il n’y avait aucun élément de preuve, donc l’intimé a fait valoir que l’appelante a déployé des efforts pour se trouver un autre type d’emploi qui convenait davantage à ses limitations fonctionnelles.

[48] Je trouve que cet argument n’est pas convaincant, car cela suppose que l’emploi de l’appelante au Collège Conestoga ne constituait pas un effort requis pour tenter de [traduction] « se trouver et de conserver un [autre type] d’emploi ». On peut uniquement conclure à un manque d’efforts pour se trouver un emploi que si l’emploi de neuf mois de l’appelante dans une cafétéria est considéré uniquement comme étant un élément de preuve de capacité, et comme il a été susmentionné, il n’est pas juste de tirer une telle conclusion sans fournir d’explication pour le faire. J’ajouterais aussi qu’il n’était pas tout de suite évident que le dernier emploi de l’appelante était tout aussi demandant physiquement que son emploi précédent dans un hôpital. En effet, la nature et l’étendue de son rôle pour la cafétéria du collège auraient pu être une piste d’enquête révélatrice, mais la DG n’a pas suivi cette voie, même si l’appelante a témoigné, au passage, qu’elle a été affectée à des tâches légères pendant la courte période qu’elle a passée à Conestoga.

[49] En somme, j’estime que la DG n’était pas libérée de son obligation de tenir compte des principes exemplifiés dans les affaires Inclima et D’Errico, à l’égard des éléments de preuve présentés par l’appelante, même si ces principes n’ont pas été explicitement invoqués par l’appelante.

Conclusion

[50] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est accueilli au motif que la DG a commis une erreur de droit, car elle n’a pas appliqué les principes énoncés dans les affaires Inclima et D’Errico lorsqu’elle a supposé que le dernier emploi de l’appelante constituait un élément de preuve à l’appui d’une capacité fonctionnelle, et a par conséquent ignoré les éléments de preuve à l’appui du fait qu’il s’agissait d’une tentative ratée pour atténuer ses déficiences.

[51] L’article 59 de la LMEDS énonce la réparation que la DA peut accorder pour un appel. Pour prévenir toute crainte de partialité, il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la DG pour qu’une nouvelle audience soit tenue devant un membre différent de la DG.

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