Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Introduction

[2] Il s’agit d’un appel de la décision de la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale rendue le 22 février 2016 qui a rejeté la demande de pension d’invalidité de l’appelante au motif que cette dernière n’avait pas prouvé que son invalidité était grave au sens du Régime de pensions du Canada (RPC) au cours de sa période minimale d’admissibilité (PMA) dont la date de fin a été déterminée comme étant le 31 décembre 2016. La permission d’en appeler a été accordée le 17 octobre 2016 au motif que la DG pourrait avoir commis une erreur en rendant sa décision.

Aperçu

[3] L’appelante a présenté une demande de prestations d’invalidité aux termes du RPC le 12 juillet 2013. Elle a déclaré avoir 46 ans et posséder un baccalauréat en commerce de l’Université de Toronto. Elle a ensuite obtenu le titre de comptable agréée et elle a travaillé pendant 22 ans chez KPMG, et plus récemment dans la division de la taxe nationale. En août 2011, elle a été impliquée dans un accident de la route qui lui a causé des douleurs au cou, au dos et à l’épaule droite. Elle a travaillé pour la dernière fois à temps plein en septembre 2011 et elle a tenté deux fois en vain de retourner travailler avec un horaire de travail à temps partiel en avril 2012. Elle a déclaré ne pas avoir travaillé ou tenté de travailler depuis ce moment-là.

[4] L’intimé a refusé sa demande au stade initial et après révision au motif que son invalidité n’était pas grave et prolongée. Le 15 octobre 2014, l’appelante a interjeté appel de ces refus devant la DG.

[5] Au cours d’une audience par téléconférence devant la DG le 18 février 2016, l’appelante a déclaré que, malgré la douleur, elle était capable de préparer ses trois enfants pour l’école le matin. Elle a continué de conduire et d’effectuer des tâches ménagères légères. Elle a également affirmé à la DG qu’elle a tenté une seconde fois de retourner occuper un emploi modifié en mars et en avril 2015. Elle examinait les déclarations d’impôt personnelles chez les clients les lundi et jeudi. Elle a déclaré avoir besoin d’ [traduction] « espacer les jours » afin de lui donner le temps de récupérer, et il était nécessaire pour elle de s’asseoir ou de se lever, au besoin. En mai 2015, elle a travaillé deux jours par semaine à la maison et à l’occasion au bureau de l’employeur; elle produisait des rapports et des résumés dans des fonctions similaires à celles d’un gestionnaire principal. Elle a continué d’occuper cet emploi de huit heures par jour jusqu’en juillet 2015 lorsqu’elle a cessé de travailler pour prendre des vacances d’un mois prévues au préalable. À son retour, l’employeur lui a dit qu’aucun poste n’était vacant, et, en novembre 2015, elle a été informée qu’on l’avait congédié.

[6] Dans sa décision, la DG a conclu que l’invalidité de l’appelante ne respectait pas le seuil applicable quant à la gravité et elle a souligné que le chirurgien orthopédiste croyait qu’elle était capable d’effectuer des travaux légers. De plus, l’appelante a démontré qu’elle était capable de travailler pendant deux journées complètes et non consécutives par semaine jusqu’en juillet 2015.

[7] Le 20 mai 2016, le représentant de l’appelante a présenté une demande de permission d’en appeler auprès de la division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale en prétendant que des erreurs de fait et de droit ont été commises par la DG. Dans une décision datée du 17 octobre 2016 (rendue à nouveau avec des corrections le 16 novembre 2016), la DA a accordé la permission d’en appeler d’après les motifs que la DG aurait :

  1. commis une erreur de droit en appliquant incorrectement le critère de contexte réaliste énoncé dans l’arrêt Villani c. CanadaNote de bas de page 1;
  2. commis une erreur de fait et de droit en ne tenant pas compte de la dimension de régularité du critère relatif à l’invalidité tout en ayant mal tenu compte des raisons pour lesquelles KPMG a congédié l’appelante.

[8] J’ai décidé qu’une audience de vive voix n’était pas nécessaire et que l’appel pouvait être instruit sur le fondement du dossier documentaire pour les raisons suivantes :

  1. le dossier est complet et ne nécessite aucune clarification;
  2. le mode d’audience respectait les exigences du Règlement du Tribunal de la sécurité sociale à savoir qu’il doit procéder de façon la plus informelle et expéditive que le permettent les circonstances, l’équité et la justice naturelle.

[9] La position de l’appelante a été établie dans sa demande de permission d’en appeler et a été complétée par des observations supplémentaires datées du 30 novembre 2016. Le 1er décembre 2016, l’intimé a présenté ses observations en faisant valoir que l’appel doit être rejeté.

Droit applicable

[10] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] Selon le paragraphe 59(1) de la LMEDS, la DA doit déterminer s’il convient de rejeter l’appel, de rendre la décision que la DG aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la DG pour révision conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou de confirmer, d’infirmer ou de modifier totalement ou partiellement la décision de la DA.

[12] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Une pension d’invalidité doit être payée à un appelant qui :

  1. a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne reçoit pas une pension de retraite du RPC;
  3. c) est invalide;
  4. d) a versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[13] Le calcul de la PMA est important, car une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au moment où sa PMA a pris fin ou avant cette date.

[14] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Questions en litige

[15] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. Quelle norme de contrôle s’applique pour examiner les décisions de la DG?
  2. La DG a-t-elle commis une erreur en n’appliquant pas le critère relatif au contexte « réaliste » prévu dans l’arrêt Villani?
  3. la DG a-t-elle commis une erreur de fait et de droit en ne tenant pas compte de la dimension de régularité du critère relatif à l’invalidité tout en ayant mal tenu compte des raisons pour lesquelles KPMG a congédié l’appelante?
  4. S’il est conclu que la DG a commis une erreur, quelles sont les réparations appropriées en l’espèce?

Observations

Aperçu

[16] J’ai limité la permission d’en appeler à deux moyens et j’ai invité les parties à présenter des observations écrites supplémentaires. Dans sa lettre datée du 30 novembre 2016, le représentant de l’appelante a réitéré la demande de prestations d’invalidité de sa cliente et a fourni un long résumé de la preuve ayant déjà été présentée à la DG. Puisqu’un appel devant la DA n’est pas une occasion de plaider à nouveau la cause d’une personne et de demander une issue différente, je n’aborderai pas cet élément des observations.

Norme de contrôle

[17] L’appelante n’a présenté aucune observation à cet égard.

[18] L’intimé soutient que la norme de contrôle applicable dans le cadre de cet appel est celle de la décision correcte puisque la DA ne doit aucune déférence à la DG. La DA est une instance supérieure au sein du même tribunal; la DG ne possède ni un savoir-faire ni une expérience qui justifie de privilégier ses décisions.

[19] Dans ses observations, l’intimé a abordé en détail les normes de contrôle et leur applicabilité en l’espèce, pour conclure que la norme de la décision correcte doit être appliquée aux erreurs de droit, et que la norme de la décision raisonnable doit être appliquée aux erreurs de fait et aux erreurs mixtes de fait et de droit.

[20] L’intimé a fait remarquer que la Cour d’appel fédérale n’a pas encore déterminé l’approche précise que la DA doit adopter lorsqu’elle examine des appels portant sur des décisions de la DG. L’intimé a reconnu la cause Canada (MCI) c. HuruglicaNote de bas de page 2 dans laquelle la Cour d’appel fédérale a récemment statué, laquelle, il a confirmé que l’analyse de la DA devrait être influencée par des facteurs comme la terminologie de la loi habilitante, l’intention de la législature ayant créé le tribunal et le fait que la législature a le pouvoir d’établir une norme de contrôle si elle le veut. L’intimé est d’avis que l’arrêt Huruglica n’a pas changé de façon significative la norme à appliquer aux erreurs de fait alléguées. Les termes de l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS énoncent toujours une grande variété d’issues possibles.

[21] L’intimé a fait valoir que la DA devrait s’abstenir de réviser les affaires pour lesquelles la DA avait un avantage important en tant que juge des faits. Le libellé des articles 58 et 59 de la LMEDS indique que le législateur voulait que la DA fasse preuve de déférence à l’endroit des conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit de la DG.

Critère relatif au contexte « réaliste » prévu dans l’arrêt Villani

[22] L’appelante soutient que la DG a commis une erreur de droit du fait qu’elle n’a pas appliqué les dispositions prescrites par la Cour fédérale dans Villani c. CanadaNote de bas de page 3, qui exige que le critère relatif à la gravité de l’invalidité du requérant soit évalué dans un contexte réaliste qui tient compte de son employabilité sur le marché du travail. Selon le paragraphe 13 de l’arrêt Villani, la gravité de l’invalidité d’une personne dépend également des réalités d’une entreprise commerciale, facteur qui n’a pas été pris en considération par la DG. En l’espèce, la DG s’est seulement concentrée sur l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, l’expérience de travail et l’expérience de vie de l’appelante.

[23] Dans la décision M. (C.) c. Canada (MRHDC)Note de bas de page 4, une femme mariée de 53 ans et mère de quatre enfants qui possédait un grade pour un programme de quatre ans en éducation préscolaire est devenue gardiennes pour enfants ayant des besoins spéciaux. Elle a développé une douleur chronique au bas du dos, au cou, à la hanche, à la jambe, aux doigts et aux coudes, et une dépression, ce qui l’a limité à faire des heures de travail réduites. En appliquant les principes de l’arrêt Villani, la cour a conclu que la déficience de la requérante était « grave » parce que, dans un contexte réaliste, un emploi [traduction] « régulier » signifiait une présence quotidienne au travail.

[24] L’appelante maintient que son inaptitude au travail dans un contexte réaliste est démontrée par le renvoi de chez KPMG, car l’entreprise ne lui a offert aucun travail significatif adapté à ses restrictions médicales. Par conséquent, il est réaliste de supposer que, étant donné les difficultés consignées de l’appelante relativement à la douleur chronique et à l’incapacité de travailler pendant des journées consécutives, aucun employeur ne considérerait son embauche.

[25] L’intimé soutient que la DG a appliqué correctement le critère établi dans l’arrêt Villani. Comme il a été souligné par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (MDRH) c. RiceNote de bas de page 5, l’exigence relative à la gravité doit être examinée à la lumière des circonstances particulières du demandeur. Cependant, la cour a souligné que la capacité de la personne à être employée, peu importe l’état du marché du travail, est un facteur déterminant de la gravité selon le RPC.

[26] Selon l’arrêt Bungay c. Canada (PG)Note de bas de page 6, l’employabilité n’est pas un concept qui se prête à l’abstraction. Elle doit plutôt être évaluée eu égard à toutes les « circonstances ». Les circonstances sont divisées en deux catégories : i) les antécédents du requérant (âge, niveau d’instruction, aptitudes linguistiques, expérience de travail et expérience de vie); ii) les troubles médicaux du requérant. Au paragraphe 22 de la décision, la DG a correctement mentionné le critère relatif au contexte réaliste et elle a correctement souligné que ce ne sont pas toutes les personnes souffrant d’un trouble médical et étant incapables de retourner occuper un emploi à un niveau antérieur aux blessures subies qui ont droit à une pension d’invalidité.

[27] L’intimé maintient que la preuve dont dispose la DG démontrait clairement que l’appelante ne souffre pas d’une invalidité grave et prolongée. Elle est jeune et instruite, et, bien qu’elle ait besoin de mesures d’adaptation, elle est capable de retourner travailler deux jours par semaine et huit heures par jour. Elle n’avait aucun problème à effectuer des activités quotidiennes et il n’y a eu aucune répercussion sur sa vie sociale. De plus, à l’audience, l’appelante a déclaré qu’elle cherchait un emploi à temps partiel dans sa profession. Le cas échéant, elle ne croyait donc pas que son trouble médical l’empêchait de détenir un emploi important et rémunérateur.

Régularité

[28] L’appelante soutient que la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée lorsqu’elle a conclu au paragraphe 26 que l’appelante continuait de démontrer la capacité de travailler à temps partiel après avoir été congédiée. En fait, la preuve révèle que son employeur ne lui avait fourni que des mesures d’adaptation temporaires, en lui permettant de travailler des jours non consécutifs depuis la maison. KPMG a cependant conclu, en définitive, que l’état de santé de l’appelante l’empêchait de travailler à titre de gestionnaire principale, mais aussi d’occuper tout poste au sein de la firme, comme celle-ci l’a indiqué dans une lettre datée du 30 novembre 2015, document auquel la DG a fait référence dans sa décision.

[29] En examinant la capacité de l’appelante à travailler à temps partiel, la DG a conclu ce qui suit : [traduction] « Elle a été congédiée non pas parce qu’elle était inapte, mais bien parce que l’employeur pour lequel elle travaillait avant son accident ne pouvait pas lui offrir de travail qui convienne à ses restrictions médicales. » L’appelante prétend que la DG n’a pas représenté correctement les motifs pour lesquels KPMG l’a congédiée et qu’elle n’a pas appliqué adéquatement cette preuve à la loi. En citant l’inexécutabilité du contrat pour congédier l’appelante, KPMG a déclaré être incapable de trouver un poste qui pourrait convenir à ses limitations médicales. En fait, KPMG a déterminé que l’incapacité de l’appelante à occuper un emploi régulier était le motif de son congédiement.

[30] Dans la décision MDS c. SchuurmansNote de bas de page 7, la Commission d’appel des pensions a conclu qu’une personne souffrant d’une maladie chronique dont les symptômes sont intermittents et imprévisibles peut être considérée comme invalide. En l’espèce, la maladie de Crohn de la requérante l’empêchait de détenir un emploi régulier. Il a été conclu que la déficience était grave parce que la simple tentative de travailler à aggraver davantage l’état de la demanderesse. Le mot « régulièrement » a été défini dans la décision Chandler c. MDRHNote de bas de page 8 comme étant « la capacité de la personne de se présenter au travail en tout temps et aussi souvent qu’il est nécessaire pour lui d’y être ou [...] la prévisibilité est le bien-fondé même de la régularité ».

[31] En ce qui concerne le critère, la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée selon laquelle [traduction] « l’appelante a continué à démontrer la capacité de travailler à temps partiel lorsqu’elle a été congédiée en novembre 2015 » (paragraphe 26). Les documents dont disposait la DG ne démontraient pas en fait que l’appelante avait la capacité de travailler à temps partiel lorsqu’elle a été congédiée. Son employeur lui a offert une mesure d’adaptation temporaire en lui permettant de travailler pendant des jours non consécutifs à partir de la maison. Cependant, tout compte fait, KPMG [traduction] « a conclu que son trouble médical l’empêchait de travailler non seulement à son poste actuel en tant que gestionnaire principale, mais également à n’importe quel poste ». Par conséquent, ils l’ont congédiée.

[32] Les documents dont disposait la DG ont démontré que la capacité de l’appelante à travailler était imprévisible, car elle était incapable de travailler en dehors des heures normales de bureau et qu’elle pouvait seulement travailler pendant deux journées non consécutives par semaine en étant autorisée à travailler de la maison. Elle n’était clairement pas capable de se présenter au travail en tout temps et aussi souvent qu’il est nécessaire pour elle d’y être avec prévisibilité.

[33] L’intimé soutient que la DG n’a pas tiré une conclusion de fait erronée. La lettre de congédiement de KPMG mentionne qu’il était impossible d’offrir à l’appelante des mesures d’adaptation parce que cela causerait préjudice à l’entreprise. Le congédiement de l’appelante n’a pas été causé par son trouble médical.

[34] La Cour d’appel fédérale a conclu qu’une invalidité est grave si elle empêche un demandeur de gagner sa vie. La décision relative à l’invalidité est fondée sur la capacité d’un demandeur à occuper tout type de travail, et non sur l’incapacité d’occuper son emploi régulierNote de bas de page 9.

[35] Selon la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Inclima c. CanadaNote de bas de page 10, « un demandeur qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il (ou elle) a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé ».

[36] Dans la lettre de congédiement, l’appelante a été informée que KPMG avait tenté de prendre des mesures pour s’adapter à ses limitations professionnelles pour des raisons de santé, mais que l’entreprise a été incapable de trouver des postes convenables. De plus, le fait de prendre des mesures d’adaptation pour les limitations médicales de l’appelante causerait préjudice à KPMG. La preuve dont disposait la DG démontre que, au moment où elle a été congédiée de KPMG, l’appelante était capable de travailler pendant deux journées non consécutives par semaine et huit heures par jour. Elle croyait avoir la capacité de travailler au moment de l’audience, car elle cherchait un emploi dans son domaine. De plus, rien ne démontre qu’elle ne pouvait pas se recycler ou chercher un emploi à l’extérieur de son domaine en raison de son état de santé.

[37] Étant donné les troubles médicaux de l’appelante et l’absence de preuve selon laquelle elle a déployé des efforts suffisants pour chercher un autre emploi, la conclusion de la DG selon laquelle l’invalidité de l’appelante ne correspondait pas à la définition d’une invalidité « grave » à la date de l’audience, soit le 18 février 2016, ou avant cette date n’a pas été citée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la DG.

Analyse

Norme de contrôle

[38] Jusqu’à récemment, il était convenu que les appels devant la DA étaient régis par les normes de preuve énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑BrunswickNote de bas de page 11. Dans les affaires où des erreurs de droit ou des manquements aux principes de justice naturelle sont allégués, il était établi que la norme applicable était celle de la décision correcte, faisant état d’un seuil inférieur de déférence devant être montré envers un tribunal administratif, souvent comparé à une cour de première instance. Dans les affaires comportant des allégations de conclusions de fait erronées, la norme applicable est celle de la décision raisonnable, signifiant une réticence de la Cour à intervenir dans les conclusions de l’entité dont le rôle consiste à évaluer la preuve des faits.

[39] Cette approche a été balayée d’un revers de main par l’affaire Huruglica, qui a établi que les tribunaux administratifs ne devraient pas avoir recours à des normes de contrôle ayant été conçues pour être appliquées par les cours d’appel. Les tribunaux administratifs devraient plutôt se fier en premier lieu à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle.

[40] Bien que l’arrêt Huruglica concerne une décision qui émanait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle a des répercussions sur d’autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’importation de principes de contrôle judiciaires, comme il a été mentionné dans l’arrêt Dunsmuir, vers les tribunes administratives était inappropriée, car celles-ci pourraient refléter des priorités législatives autres que l’impératif constitutionnel de préserver la primauté du droit. « On ne doit pas simplement présumer que ce qui était réputé être la politique la plus appropriée pour les juridictions d’appel vaut également pour certains organismes administratifs d’appel. »

Arrêt Villani

[41] Il s’agit d’une cause dans laquelle les facteurs classiques établis dans l’arrêt Villani (âge, niveau d’instruction, aptitudes linguistiques, antécédents de travail et expérience de vie) n’aident pas la demande de prestations d’invalidité de l’appelante et pourraient même la miner. La langue maternelle de l’appelante est l’anglais. Celle-ci possède un diplôme universitaire, un titre professionnel et plus de 20 ans d’expérience professionnelle dans un cabinet comptable multinational. En l’absence de déficiences, une personne possédant un tel profil peut seulement être décrite comme étant parfaitement [traduction] « employable », mais, peu importe la qualification du demandeur, le critère prévu dans l’arrêt Villani prévoit néanmoins une « évaluation holistique », ce qui comprend l’ensemble des circonstances particulières du demandeur.

[42] L’intimé a cité l’arrêt Rice pour faire valoir que l’examen de l’employabilité ne peut pas comprendre des facteurs socio-économiques, comme les conditions du marché du travail. Il faut souligner que l’arrêt Rice concernait une personne vivant dans une petite collectivité dans l’industrie principale, à savoir la pêche, était à un déclin rapide. En revanche, l’appelante en l’espèce ne prétend pas qu’il est beaucoup plus difficile pour une personne souffrant d’une invalidité d’obtenir un emploi dans les conditions économiques actuelles. Elle vit dans la région du Grand Toronto, le centre de l’industrie des services financiers au Canada, où elle a été employée pendant 22 ans et où elle sera probablement capable de trouver à tout le moins un emploi de bureau dans un délai relativement court si on se fie seulement à ses qualifications. Bref, rien ne donne à penser en l’espèce que les conditions économiques l’ont empêché de travail; ses déficiences physiques prétendues en sont la seule cause.

[43] Cela étant dit, l’employabilité est intimement liée aux demandes des employeurs et à ce que ceux-ci sont prêts à accepter. En effet, bien que les facteurs socio-économiques ne sont pas pertinents en ce qui concerne une conclusion d’invalidité, les impératifs commerciaux ne le sont pas. Cette position est appuyée par l’arrêt Villani lorsqu’il est cité avec approbation la décision antérieure Leduc c. MSNBES rendue par la Cour d’appel fédérale :

33. L’analyse « réaliste » a d’abord été adoptée par la Commission dans la décision Edward Leduc c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social [(1988), C.E.B. & P.G.R. 8546 (C.A.P.)] Dans cette décision, la Commission avait tranché en faveur du requérant en s’appuyant sur les motifs suivants [à la page 6022] :

[traduction]

Les autorités médicales ont informé la Commission, que, malgré les handicaps dont souffre l’appelant, il pourrait y avoir une possibilité qu’il puisse continuer à exercer une certaine forme, non précisée, d’emploi véritablement rémunérateur. Dans un sens abstrait et théorique, cela pourrait être vrai. Toutefois, l’appelant ne vit pas dans un monde abstrait et théorique. Il vit dans un monde réel, peuplé d’employeurs réels qui sont tenus de faire face aux réalités d’une entreprise commerciale. La question est donc de savoir s’il est réaliste de présumer que, compte tenu de toutes les difficultés bien documentées de l’appelant, un employeur pourrait même envisager la possibilité d’engager l’appelant. La Commission ne peut penser à une situation dans laquelle cela pourrait être le cas. De l’avis de la Commission, l’appelant, Edward Leduc, est, à toutes fins pratiques, inemployable.

[44] La DG a conclu que l’appelante était [traduction] « employable » en grande partie parce qu’il a été conclu qu’elle était capable de détenir un emploi régulier. J’examinerai maintenant si cette conclusion est appuyée par le dossier.

Régularité

[45] L’appelante prétend que la DG a commis une erreur qui correspond à une erreur mixte de droit et de fait parce qu’elle n’a pas tenu compte des circonstances entourant son congédiement de KPMG et qu’elle n’a pas suffisamment mis l’accent sur l’aspect de la régularité du critère juridique relatif à la gravité.

[46] Après avoir examiné la décision, je suis obligé d’être en accord avec l’allégation de l’appelante. Il y avait une preuve, acceptée par la DG, selon laquelle l’appelante a fait au moins deux tentatives de retourner travailler chez KPMG : deux semaines de travail avec tâches modifiées en avril 2012, et plusieurs mois dans plusieurs fonctions de mars à juillet 2015, mois où elle a quitté son emploi pour des vacances d’une durée d’un mois. À son retour, elle a été informée qu’aucun poste ne lui serait offert. Au paragraphe 28 de sa décision, la DG a cité à juste titre la jurisprudence (y compris les décisions Schuurmans et Chandler) afin d’assimiler la régularité à la prévisibilité et à la capacité de se rendre au travail aussi souvent que nécessaire. En fin de compte, l’un des facteurs qui semble le plus avoir influencé la décision de la DG est ce qu’elle a conclu être la capacité supposée de l’appelante à occuper un emploi à temps partiel (huit heures par jour et deux jours non consécutifs par semaine) entre mai et juillet 2015.

[47] Bien que la régularité soit sans aucun doute un élément important de la définition de l’invalidité, il ne s’agit pas du seul élément. Un requérant doit également être incapable de détenir une occupation « véritablement rémunératrice ». Il est vrai que l’appelante a réussi à travailler à des heures fixes, mais limitées, pendant près de quatre mois, mais le fait est que son retour chez KPMG ne s’est pas bien terminé. Bien que la DG ait reconnu que la perte d’emploi de l’appelante, elle en a occulté la cause en concluant au paragraphe 26 que l’appelante avait été congédiée pour des raisons autres que l’incapacité :

Elle a été congédiée non pas parce qu’elle était inapte, mais bien parce que l’employeur pour lequel elle travaillait avant son accident ne pouvait pas lui offrir de travail qui convienne à ses restrictions médicales.

[48] À mon avis, en en restant là, la DG a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte du dossier. En fait, selon la prépondérance de la preuve, KPMG a congédié l’appelante en raison de son [traduction] « incapacité ». Une personne qui aurait déjà été une employée estimée (après tout, elle a travaillé au sein de la firme pendant plus de 20 ans) en était maintenant réduite à travailler au plus 16 heures par semaine, dont une partie à domicile, en effectuant des tâches qui n’étaient pas à la hauteur de ses qualifications. KPMG ne pouvait pas lui offre un [traduction] « emploi convenable » afin d’offrir des mesures d’adaptation en fonction de ses limitations parce que cela n’était pas faisable sur le plan économique. Cela a été précisé dans la lettre de congédiement du 30 novembre 2015 :

[traduction]
Malheureusement, nous n’avons pas pu trouver de poste qui convienne à vos restrictions médicales sans imposer de contraintes excessives à KPMG. D’après les renseignements médicaux fournis par votre médecin, il semble que vous continuerez de présenter ces restrictions médicales pour une période indéterminée, et il n’y a tout simplement pas de poste offert au service de Fiscalité de KPMG qui vous permettrait de faire du travail gratifiant compte tenu de ces restrictions.

[49] Tous les employeurs recherchent une valeur ajoutée chez leurs employés, et KPMG a conclu qu’il n’était pas rentable de verser un salaire « véritablement rémunérateur » (ou n’importe quel salaire) à l’appelante en raison de ses déficiences. Néanmoins, malgré le fait qu’une firme comptable, parfait exemple d’ un employeur de cols blancs axé sur les renseignements, ne pouvait pas trouver un poste à l’appelante, la DG a ensuite conclu qu’elle était toujours employable :

[traduction]
[27] Même si l’appelante aurait pu être sous-employée en fonction de son instruction et des antécédents en matière d’emploi dans le cadre de mesures d’adaptation par rapport à son employeur avant son accident, elle était physiquement et psychologiquement capable de travailler. Étant donné la capacité de l’appeler à effectuer les tâches élémentaires de son emploi adapté en 2015, le Tribunal estime que ces emplois sont considérés comme une occupation véritablement rémunératrice.

[50] La DG a constaté une preuve de capacité résiduelle continue dans les activités quotidiennes de l’appelante, mais il ne s’agit pas d’un facteur déterminant relativement à une capacité de fonctionner dans un espace de travail commercial. La DG a également attiré l’attention sur les rapports médicaux appuyant son retour au travail à temps partiel, mais il faut souligner que les rapports ont été produits au début de sa dernière tentative de travailler, qui, comme nous le savons maintenant en rétrospective, n’a pas été fructueuse. Cependant, le facteur le plus important dans la décision de la DG de refuser le versement de prestations d’invalidité à l’appelante était la prétendue capacité de l’appelante à conserver un poste à temps partiel dans les mois précédant juillet 2015, conclusion qui, à mon avis, n’a pas tenu adéquatement compte des réalités du marché du travail. En fin de compte, l’appelante s’est montrée incapable de conserver un emploi complètement sédentaire constituée de deux quarts de huit heures non consécutifs par semaine, mais cela a été considéré comme une preuve de capacité à conserver une occupation « véritablement rémunératrice ». Les avertissements formulés dans l’arrêt Villani concernant les occupations « hypothétiques » sans tenir dûment compte des circonstances particulières d’un requérant. En l’espèce, j’estime qu’il est difficile de concevoir même l’existence d’une occupation hypothétique qui pourrait mieux convenir aux limitations physiques de l’appelante que celle qui avait été jugée peu adaptée.

Conclusion

[51] Pour les motifs discutés précédemment, l’appel est accueilli d’après les moyens d’appel qui avaient précédemment justifié d’octroyer la permission d’en appeler.

[52] L’article 59 de la LMEDS énonce la réparation que la DA peut accorder pour un appel. Pour prévenir toute crainte de partialité, il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la DG pour qu’une nouvelle audience soit tenue devant un membre différent de la DG.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.