Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] La demande de l’appelante relative à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) a été estampillée par l’intimé le 26 septembre 2014. L’intimé a rejeté cette demande initialement et après révision. L’appelante a interjeté appel de la décision découlant de la révision devant le Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal).

[2] L’audience s’est déroulée selon le mode de « questions et de réponses écrites » pour les raisons suivantes :

  1. Ce mode d’audience permet de prendre les mesures d’adaptation requises par les parties ou les participants.
  2. Aucun service de vidéoconférence n’est situé à une distance raisonnable de la résidence de l’appelante.
  3. Les questions en litige ne sont pas complexes.
  4. Ce mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent.

[3] Le membre du Tribunal a envoyé des questions écrites aux deux parties le 16 novembre 2016. L’intimé a fourni des réponses le 28 novembre 2016, et l’appelante le 5 décembre 2016. L’intimé a également fourni des commentaires par rapport aux réponses fournies par l’appelante le 8 décembre 2016.

Droit applicable

[4] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant :

  1. a) qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans;
  2. b) à qui aucune pension de retraite n’est payable;
  3. c) qui est invalide;
  4. d) doit avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[5] Le calcul de la PMA est important puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa PMA ou avant cette date.

[6] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Question en litige

[7] Le litige ne concerne pas la PMA, car les parties conviennent que cette période prend fin le 31 décembre 2016, ce qu’a également conclu le Tribunal. En l’espèce, le Tribunal doit déterminer si, selon toute vraisemblance, l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date de fin de sa PMA ou avant cette date.

Preuve

[8] L’appelante a 53 ans et habite X X X en Colombie-Britannique. Elle a terminé sa 12e année d’études et est titulaire d’un certificat d’éducation de la petite enfance (EPE). Elle a travaillé pour la dernière fois en tant qu’éducatrice de la petite enfance au C. Family Enrichment Centre. Elle avait commencé cet emploi le 21 juillet 2011 et a cessé de travailler le 21 octobre 2013 en raison de la douleur qu’elle ressentait. Elle a déclaré être incapable de travailler en raison de son trouble médical depuis le 21 octobre 2013. Elle dit ne pas avoir fait de travail rémunéré ou bénévole depuis ce moment.

[9] Dans sa demande, l’appelante a déclaré que ses maladies et déficiences étaient la cystite interstitielle (« CI », aussi appelée syndrome de douleur à la vessie), une douleur abdominale intense, l’urgence mictionnelle, la pollakiurie, les troubles de sommeil associés à la polyurie nocturne, et la douleur continue associée à la fibromyalgie et au syndrome du côlon irritable. Elle a affirmé que ces problèmes l’empêchaient de travailler puisqu’elle devait aller uriner toutes les 15 minutes, et qu’elle ne pouvait pas demeurer assise ou debout pendant de longues périodes en raison de spasmes. Elle passait la majorité de la journée aux toilettes, ou encore couchée ou assise sur une source de chaleur, et elle avait de la difficulté à réfléchir en raison de la douleur, des médicaments et du manque de sommeil.

Antécédents professionnels

[10] Avant de travailler au C. Family Enrichment Centre, l’appelante a occupé plusieurs postes semblables à partir de 1997, dont au X X X Child Care et à l’école préscolaire M. M. Elle a aussi versé des cotisations admissibles au RPC de 1981 à 1989. L’appelante a commencé à recevoir des prestations de maladie de l’assurance-emploi dès qu’elle a cessé de travailler le 21 octobre 2013. Elle a continué de recevoir ces prestations jusqu’au 26 janvier 2014. L’appelante semble également recevoir des prestations d’invalidité d’un assureur privé.

[11] L’appelante a rencontré le docteur Faddegon (urologue) en novembre et décembre 2013. En raison de ses symptômes d’inconfort sus-pubien à la vessie incitant la miction, de pollakiurie et d’urgence mictionnelle durant le jour et de polyurie nocturne, le docteur Faddegon a déclaré que l’appelante souffrait de CI et lui a recommandé une gestion alimentaire, une réduction du stress, de l’exercice régulier et un sommeil adéquat en plus d’un traitement par médicaments. Il a fait une cystoscopie et une instillation de la vessie le 16 décembre 2013.

[12] Le 18 septembre 2014, docteur Street (médecin de famille) a préparé un rapport médical dont le principal diagnostic était la CI. Il a affirmé que les symptômes étaient apparus en septembre 2013 et que les symptômes continus incluaient la dysurie grave, la pollakiurie, l’urgence mictionnelle, l’incontinence urinaire occasionnelle, les fréquentes et graves douleurs abdominales basses et la polyurie nocturne (huit fois par nuit), et il a dit que ces symptômes entraînaient une fragmentation du sommeil. Bien que les restrictions alimentaires et le Detrol aient permis de légères améliorations, le médicament ELMIRON et l’instillation cystoscopique de la vessie n’ont permis aucun progrès. L’oxybutynine et la nortriptyline ont causé des effets indésirables.

[13] En ce qui a trait aux limitations fonctionnelles, le docteur Street a déclaré que la pollakiurie, l’urgence mictionnelle et la dysurie empêchaient l’appelante de se concentrer sur les fonctions liées à son poste. La distraction causée par la douleur nuisait également à la concentration de l’appelante, et son manque de sommeil entraînait un manque d’énergie et d’endurance. Comme les symptômes avaient été continus et persistants depuis un an et qu’aucun autre traitement n’était offert, il semblait probable que ces symptômes persistent dans un avenir prévisible.

[14] Dans le questionnaire qu’elle a rempli le 23 septembre 2014, l’appelante a déclaré que sa CI avait également entraîné des problèmes par rapport à ses autres troubles médicaux. Ces autres troubles médicaux incluent le syndrome du côlon irritable, les migraines et la fibromyalgie. L’appelante a dit être incapable de quitter la maison à part pour se rendre à ses rendez-vous médicaux. Elle a fourni une longue liste de ses limitations fonctionnelles, qui incluent des difficultés à se tenir debout (10 minutes, si elle ne se penche pas), à s’asseoir (15 à 30 minutes), à marcher (maximum 30 minutes, mais elle doit être accompagnée et utiliser des cuissards rembourrés), à mémoriser, à soulever et transporter des charges (moins de 10 livres), à se concentrer, à dormir, à manger (besoin d’aide pour cuisiner), à faire du lavage (doit s’asseoir), à gérer ses habitudes intestinales et à conduire (elle a cessé de conduire étant donné qu’elle ne se sent pas alerte).

[15] Le 11 décembre 2014, docteur Faddegon a remarqué une pression sus-pubien continue et une douleur qui incitait la miction, malgré le fait que l’appelante ait cessé toute consommation de caféine et d’autres aliments irritants pour la vessie comme les tomates et autres aliments acides. L’appelante a fait des efforts pour réduire son niveau de stress et améliorer ses habitudes de vie. L’appelante souffrait d’incontinence par impériosité deux ou trois fois par semaine et de miction impérieuse continue. Le docteur Faddegon craignait également qu’elle souffre d’une infection urinaire. L’appelante a discuté d’hydrodistention avec le docteur, et elle a choisi de suivre ce traitement.

[16] Le 26 février 2015, docteur Faddegon a écrit que la douleur chronique comme telle n’entraînait pas de limitation fonctionnelle. Par contre, les épisodes de douleur étaient souvent graves et empêchaient l’appelante de se rendre au travail. Bien qu’il ait affirmé ne pas être en mesure de réaliser une évaluation précise de la capacité de l’appelante à travailler, le docteur Faddegon a déclaré qu’il y aurait probablement des périodes durant lesquelles l’appelante pourrait travailler, et d’autres durant lesquelles la douleur l’empêcherait de fonctionner au travail. L’appelante a par la suite déclaré avoir reçu un traitement d’hydrodistention le 21 avril 2015, mais qu’il avait entraîné des saignements et des spasmes violents. Elle a dit avoir perdu davantage le contrôle de sa vessie après le traitement, et dit parfois ne plus être en mesure de prévoir le moment où sa vessie se vide.

[17] Le 10 juillet 2015, le docteur Street a rempli une déclaration selon laquelle un diagnostic primaire de CI avait été rendu, de même que des diagnostics de reflux gastro-oesophagien pathologique, de syndrome du côlon irritable, de dyslipidémie et de fibromyalgie. Il a déclaré que la période prévue de rétablissement et de retour au travail de l’appelante était « indéfinie », et qu’elle ne pouvait pas retourner travailler graduellement ou détenir un autre emploi. Le pronostic était réservé.

[18] Le 23 septembre 2015, l’appelante a préparé une très longue lettre qu’elle a présentée avec ses documents d’appel. Elle disait que sa santé s’était soudainement dégradée de manière remarquable : sa CI s’était aggravée et elle avait passé la majorité des derniers mois au lit ou à l’hôpital. Après avoir subi une série d’infections de la vessie, elle a reçu un diagnostic de calculs rénaux, qui ont été retirés au laser. L’appelante a ensuite eu des vomissements sévères, elle a souffert de diarrhée et de fièvre, et elle a dû se faire administrer des antibiotiques et du potassium par voie intraveineuse. L’appelante a déclaré que cette situation avait éventuellement entraîné un nouveau diagnostic de bêta-lactamase à spectre étendu (BLSE), bien que ce diagnostic n’ait pas été documenté de manière objective.

[19] Selon l’appelante, au cours d’une journée normale, elle souffre d’une forte douleur abdominale et de spasmes qui s’étendent le long de ses jambes et dans son dos. Rien ne lui a permis de soulager la sensation gênante qu’elle ressent à l’intérieur de la vessie. Elle passait souvent 30 minutes à la toilette afin d’essayer d’uriner. Au cours d’une journée, elle passait plusieurs heures à la salle de bain. Elle ne pouvait pas marcher plus loin qu’un demi-pâté de maisons parce qu’elle sentait toujours le besoin de retourner uriner à la maison. Sa vie se résumait à être près d’une salle de bain toute la journée. Parfois, elle était incontinente parce que la douleur était telle qu’elle ne pouvait se rendre à une salle de bain à temps. Certains jours où elle souffrait de spasmes et de saignements, elle passait la journée au lit ou dans un bain chaud. Elle a aussi décrit une croissance de son stress causée par son trouble médical. L’appelante devait se lever, en moyenne, entre huit et dix fois par nuit pour uriner.

[20] Le 13 octobre 2015, docteur Street a écrit que les troubles médicaux actifs de l’appelante incluaient une CI grave réfractaire à toutes les interventions médicales, des infections urinaires récurrentes et secondaires à un E. coli qui résistent à plusieurs médicaments, une somnolence durant le jour secondaire à une constante fragmentation du sommeil (qui est lui secondaire à de graves problèmes de nycturie), une fibromyalgie secondaire à une fragmentation du sommeil, et une faible endurance causée par tous ces autres troubles. Le docteur Street a déclaré que, malgré plusieurs interventions médicales, l’état de l’appelante ne s’était pas amélioré depuis qu’il avait préparé son rapport du 18 septembre 2014. En fait, un nouveau diagnostic d’infections urinaires récurrentes qui résistent à plusieurs médicaments avait été rendu. Une extraction endoscopique de calculs rénaux le 31 juillet 2015 ne semble pas avoir aidé à soulager les infections urinaires. Des consultations avec un conseiller en maladies infectieuses ont été prévues.

[21] Le docteur Street a écrit que la CI imposait constamment d’importantes contraintes à l’appelante. L’appelante a depuis longtemps une prédisposition au syndrome du côlon irritable et à la fibromyalgie, et ces vulnérabilités se sont manifestées à nouveau en raison du stress, de ses problèmes urinaires et du manque de sommeil associé. Le fardeau combiné de ses graves problèmes urinaires, la fragmentation du sommeil, la myalgie étendue et la diarrhée intermittente étaient devenus écrasants. La résistance de l’appelante était faible et elle ressentait une somnolence pendant le jour, elle avait peu d’énergie et elle avait de la difficulté à composer avec sa situation. L’appelante est demeurée motivée à améliorer son état, mais elle était incapable d’y arriver. Le docteur Street a écrit que tout employeur potentiel devrait s’attendre à un taux d’absentéisme élevé pour des raisons médicales ainsi qu’à des interruptions très fréquentes, même les jours où l’appelante se rendrait au travail. Il croit qu’il serait absolument déraisonnable pour un employeur d’accepter ces limitations, même pour un emploi à temps partiel. Il croyait aussi que le stress associé à ses tentatives d’intégration au marché du travail aggraverait probablement ses troubles urinaires.

[22] Le docteur Street a déclaré qu’il était le médecin de l’appelante depuis plus de 30 ans, et il la décrivait comme une femme honnête, travailleuse et consciencieuse qui était motivée à travailler. Aucune thérapie médicale ou chirurgie ne pourrait améliorer son état de manière concluante, et le docteur Street encourageait fortement l’appelante à demander une prestation d’invalidité.

[23] L’appelante a déclaré qu’un tomodensitogramme du 11 mars 2016 avait révélé d’autres calculs rénaux, bien qu’aucun document objectif n’ait été produit à ce sujet. Elle a aussi affirmé avoir parlé au téléphone avec le docteur Faddegon le 15 mars 2016 et le 12 avril 2016. Elle le consulte généralement par téléphone parce qu’elle a de la difficulté à voyager pendant deux heures et demie pour aller le rencontrer.

[24] Le 13 avril 2016, l’intimé a écrit au docteur Street et lui a demandé de fournir des rapports d’urologue actuels, les résultats des tests d’hydrodistention et de lithotripsie, la consultation sur les maladies infectieuses, ainsi que toute évaluation psychiatrique ou psychologique. Cette demande a été envoyée à nouveau le 25 mai 2016. L’intimé n’a jamais reçu de réponse à ces demandes. Par contre, l’appelante a déclaré qu’elle avait rencontré le médecin concernant les maladies infectieuses le 28 octobre 2015, et qu’elle portait depuis un CCIP (cathéter central inséré par voie périphérique) à son avant-bras droit. L’appelante a ensuite rencontré à nouveau le médecin à propos des maladies infectieuses à des fins de suivi, mais son état ne s’est pas amélioré.

[25] Dans les documents qui ont été envoyés au Tribunal le 5 décembre 2016, l’appelante a déclaré que sa CI ne s’était pas améliorée depuis le 13 octobre 2015. L’appelante ressentait encore une forte douleur abdominale et avait des problèmes d’urgences mictionnelles et d’incontinence. Elle ne quittait jamais la maison seule. L’appelante a déclaré que le traitement visait à la rendre confortable et à trouver des moyens de faire disparaitre la douleur. Elle a affirmé qu’elle avait eu des rendez-vous avec le docteur Street le 6 novembre et le 1er décembre 2015, puis le 6 janvier, 15 mars, 12 avril, 4 mai, 24 mai, 24 juin, 26 juillet, 25 août, 26 septembre, 31 octobre et 13 décembre 2016. L’appelante a dit qu’elle était examinée chaque mois afin de vérifier si elle avait des infections ou de la fièvre.

[26] L’appelante écrit qu’elle n’avait reçu aucun traitement spécialisé par rapport à la fibromyalgie depuis qu’elle avait cessé de travailler en 2013, puisque le docteur Street croyait qu’il y avait un lien avec sa CI et son syndrome du côlon irritable. L’appelante a fait l’essai de médicaments pour traiter la fibromyalgie, mais elle y a mal réagi. Depuis 2013, son syndrome du côlon irritable s’était stabilisé, jusqu’à une poussée active en janvier 2016. Elle a subi un examen visuel de l’intestin auprès de la docteur Nicole Robbins le 28 novembre 2016, étant donné qu’elle avait eu des saignements de l’intestin. La situation à ce moment semblait satisfaisante, et le Dicetel semblait avoir aidé à soulager son syndrome du côlon irritable. Elle en discuterait à son rendez-vous du 13 décembre 2016 avec docteur Street.

[27] L’appelante a dû fournir des renseignements concernant une rémunération apparente de 1 645 $ en 2014 et de 1 565 $ en 2015 qu’elle avait reçue de son ancien employeur. Elle a dit que ces montants correspondaient à des assurances médicales et dentaires qu’elle a reçues pendant deux ans après être partie en congé de maladie. Elle a fourni un courriel de son employeur qui confirmait qu’elle ne travaillait pas, et que ces montants représentaient des prestations imposables, et non un revenu de son employeur.

Observations

[28] L’appelante affirme être admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. Son médecin a déclaré qu’elle était inapte à un retour progressif à son travail ou à tout autre emploi;
  2. Elle n’a pas trouvé de solution à son malaise de la vessie interne;
  3. Elle quitte rarement la maison en raison de ses divers troubles et parce qu’elle doit toujours être proche d’une salle de bain;
  4. Elle est physiquement et mentalement épuisée en raison de ses troubles, et elle est constamment stressée par l’imprévisibilité de ses habitudes à la salle de bain;
  5. Il serait injuste pour un employeur de la payer pour qu’elle fasse le va-et-vient entre la salle de bain et le travail, et pour qu’elle passe de longues périodes à la salle de bain.

[29] L’intimé considère que l’appelante n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. La gravité de l’invalidité ne repose pas sur l’incapacité d’un appelant d’accomplir les tâches liées à son emploi régulier, mais plutôt sur son incapacité de détenir un emploi véritablement rémunérateur, quel qu’il soit;
  2. L’appelante aurait la possibilité d’occuper un autre emploi, puisque le docteur Faddegon a déclaré que l’appelante pourrait être en mesure de travailler au cours de certaines périodes;
  3. L’appelante n’a pas tenté de trouver d’autres emplois adaptés à ses besoins depuis qu’elle a arrêté de travailler en octobre 2013, ce qui empêche de conclure qu’elle est invalide;
  4. Rien n’indique qu’elle a suivi le traitement de physiothérapie recommandé par le docteur Faddegon;
  5. Aucun rapport ou aucune recommandation n’a été fourni par le spécialiste en maladies infectieuses vers qui l’appelante avait été dirigée par le docteur Street, et l’appelante ne semble pas avoir reçu de traitement spécialisé par rapport à sa fibromyalgie après qu’elle ait cessé de travailler;
  6. Le docteur Street a omis de fournir les documents additionnels malgré avoir reçu deux demandes de la part de l’intimé.

Analyse

[30] L’appelante doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2016 ou avant cette date.

Caractère grave

[31] Comme il a déjà été mentionné, une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Le critère de gravité doit être évalué dans un contexte réaliste (Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248). Cela signifie que, pour déterminer si l’invalidité d’une personne est grave, le Tribunal doit tenir compte de facteurs comme l’âge, le niveau de scolarité, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie. En l’espèce, l’appelante a 53 ans, elle a reçu une bonne instruction, elle détient une certification professionnelle, elle parle couramment anglais et elle a beaucoup d’expérience en travail auprès des enfants.

[32] En évaluant le caractère grave de l’invalidité de l’appelante, le Tribunal a accordé une grande importance à la lettre détaillée et relativement récente fournie par le docteur Street le 13 octobre 2015. Docteur Street traite l’appelante depuis plus de 30 ans, et il est dans une bonne position pour fournir des commentaires concernant la motivation de l’appelante et sa capacité à travailler. Docteur Street a clairement expliqué que l’appelante était motivée à travailler, mais qu’elle était incapable de le faire en raison de sa cystite interstitielle et des troubles connexes. L’appelante s’absenterait souvent du travail, et lorsqu’elle y serait, son travail serait constamment interrompu, son endurance serait limitée, elle somnolerait, elle ressentirait de la douleur et elle aurait peu d’énergie. Il a écrit que la fréquence et la nature des interruptions étaient incompatibles avec l’occupation d’un emploi rémunérateur. Selon cette preuve très convaincante, le Tribunal conclut que l’appelante aurait été incapable de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice en date du 13 octobre 2015, et non seulement la dernière occupation qu’elle a détenue.

[33] Cependant, afin que l’appel soit accueilli, l’appelante doit également établir qu’elle avait une invalidité grave à la date de l’audience. En l’espèce, il est difficile pour elle de prouver qu’elle était invalide à ce moment parce qu’aucune preuve médicale objective n’a été fournie après la lettre du docteur Street reçue le 13 octobre 2015, bien que l’intimé ait clairement demandé d’autres documents au docteur Street. Néanmoins, il n’y a aucune preuve que l’appelante aurait tenté d’empêcher la communication de ces renseignements. L’appelante a aussi fourni au Tribunal une réponse complète aux questions écrites en décembre 2016. Cette réponse fournissait plusieurs détails concernant les symptômes récents de l’appelante et les traitements médicaux qu’elle recevait.

[34] Bien qu’il aurait été préférable de recevoir ces renseignements directement des médecins impliqués, le Tribunal ne doute pas de la crédibilité des réponses fournies par l’appelante. Ses réponses sont complètes et cohérentes avec les autres renseignements qu’elle a fournis. Il est évident qu’elle continue de rencontrer son médecin de famille et qu’elle a également consulté le docteur Faddegon quelques fois en 2016. Elle a eu une poussée active de son syndrome du côlon irritable en 2016 qui a nécessité un examen visuel de l’intestin, et selon la lettre d’octobre 2015 du docteur Street, cette poussée semble avoir été entraînée par son trouble continu de CI. Je ne constate aucune incohérence importante entre les réponses fournies par l’appelante en décembre 2016 et la lettre d’octobre 2015 du docteur Street. Le Tribunal est convaincu que l’appelante avait toujours une invalidité grave jusqu’à la date de l’audience, et que l’appelante était encore invalide après le 13 octobre 2015.

[35] La prochaine question vise à déterminer si l’appelante avait une invalidité grave avant le 13 octobre 2015. Bien que l’appelante ait cessé de travailler en octobre 2013, les documents qui avaient initialement été fournis par docteur Faddegon en 2013 ne sont pas aussi concluants en ce qui a trait au caractère grave de l’invalidité. Ses symptômes étaient plus sporadiques à ce moment, et il difficile de déterminer si l’appelante aurait pu améliorer son état grâce à l’exercice, la réduction du stress et un sommeil adéquat. Il y a aussi un manque de documents objectifs pour la période du 16 décembre 2013 et jusqu’au rapport fourni par docteur Street le 18 septembre 2014. Il est important de souligner que le rapport du 18 septembre 2014 révèle que la condition de l’appelante s’était beaucoup dégradée, ce qui est cohérent avec les renseignements fournis par le docteur Street dans sa lettre du 13 octobre 2015 ainsi qu’avec sa déclaration du 10 juillet 2015.

[36] Bien qu’il soit possible que l’appelante ait eu une invalidité grave à un certain moment avant le 18 septembre 2014, il revient à l’appelante de le démontrer selon la prépondérance des probabilités. La preuve qui a été présentée au Tribunal à ce sujet ne s’avère pas convaincante. Le Tribunal est cependant convaincu que l’appelante avait une invalidité grave le 18 septembre 2014, puisque le rapport fourni par le docteur Street à cette date était convaincant, particulièrement lorsqu’il était combiné aux déclarations faites par l’appelante par rapport à ses symptômes et ses limitations environ au même moment. Le Tribunal doit maintenant déterminer si l’appelante avait une invalidité grave qui a continué du 18 septembre 2014 au 13 octobre 2015.

[37] La preuve principale pertinente à cette période consiste en trois lettres du docteur Faddegon. Ces lettres expliquent que les symptômes de l’appelante ont continué, bien qu’elle ait apporté beaucoup de changements à son mode de vie dans le but de composer avec sa CI. Le docteur Faddegon a confirmé que les thérapies médicales normales avaient été inefficaces et que l’hydrodistention pourrait s’avérer utile. Bien que l’appelante ait subi une hydrodistention au printemps 2015, elle n’a pas été efficace. Il est cependant important de tenir compte des déclarations faites par docteur Faddegon le 26 février 2015 concernant la capacité de l’appelante à travailler.

[38] Le docteur Faddegon a écrit que la CI en soi ne causait pas de limitations fonctionnelles. Une première lecture suggère que l’appelante avait une certaine capacité à travailler. Le docteur Faddegon a ensuite déclaré que, bien qu’il y aurait probablement des périodes où l’appelante serait en mesure de travailler, sa douleur l’empêcherait parfois de se rendre au travail. Il a reconnu que la douleur pourrait être grave pendant ces périodes. Il a aussi affirmé que, étant donné la nature de la CI de l’appelante, il était difficile pour lui d’évaluer avec précision sa capacité à travailler.

[39] La définition du caractère grave implique que le prestataire est « régulièrement incapable » de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Le Tribunal conclut que les symptômes de l’appelante la rendent en effet « régulièrement incapable », même s’il pourrait y avoir de courtes périodes durant lesquelles elle serait en mesure de travailler. Le Tribunal conclut également que les commentaires du docteur Faddegon semblent faire référence uniquement aux symptômes urologiques de l’appelante. Comme le docteur Street l’a souligné, l’appelante a d’autres symptômes, comme la somnolence pendant le jour, la fibromyalgie et un manque d’endurance. L’état d’un prestataire doit être évalué dans son ensemble : toutes les déficiences potentielles doivent être prises en considération, et non seulement les plus importantes ou la principale déficience (Bungay c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 47). Par conséquent, le Tribunal conclut que les déclarations du docteur Faddegon du 26 février 2015 n’interfèrent pas avec une conclusion d’invalidité grave entre le 18 septembre 2014 et le 13 octobre 2015.

[40] Vu ce qui précède, il semble que l’appelante ait établi qu’elle avait une invalidité grave du 18 septembre 2014 et jusqu’à la date de l’audience. Cependant, avant de tirer une conclusion définitive par rapport à la gravité de l’invalidité, le Tribunal examinera les observations fournies par l’intimé et qui n’ont pas encore été abordées dans l’analyse qui précède : l’absence apparente d’un traitement de physiothérapie (malgré la recommandation du docteur Faddegon) et d’un traitement spécialisé de la fibromyalgie après que l’appelante ait cessé de travailler.

[41] La physiothérapie a été expressément recommandée par le docteur Faddegon le 6 novembre 2013, et il n’y a aucune preuve que l’appelante a suivi ce traitement. Cependant, dans les nombreux rapports subséquents fournis par le docteur Faddegon, il n’y a aucune référence à la physiothérapie. Le docteur Street n’y fait aucune référence non plus. Le Tribunal souligne aussi que la recommandation d’un traitement de physiothérapie est antérieure à la première date possible du début de l’invalidité grave, et que la nature des symptômes de l’appelante a changé après le 6 novembre 2013. Dans ces circonstances particulières, le Tribunal n’estime pas que le manquement apparent de l’appelante à avoir suivi un traitement de physiothérapie interfère avec le début d’une invalidité grave en date du 18 septembre 2014.

[42] En ce qui a trait au fait que l’appelante n’a pas suivi de traitement spécialisé pour la fibromyalgie, le Tribunal se fie la lettre du docteur Street soumise le 13 octobre 2015. Le docteur Street a établi que la fibromyalgie était causée par la fragmentation du sommeil (qui elle était causée par une polyurie nocturne). Dans sa lettre, il a aussi déclaré que la fibromyalgie était auparavant dormante et qu’elle s’était manifestée de nouveau en raison des troubles urinaires de l’appelante et du manque de sommeil qu’ils entraînent. L’appelante a aussi déclaré en décembre 2016 que le docteur Street croyait que sa fibromyalgie était reliée à sa CI et son syndrome du côlon irritable. Ces déclarations suggèrent qu’un traitement efficace de la fibromyalgie nécessiterait une neutralisation des causes sous-jacentes. De plus, l’appelante a déclaré qu’elle avait déjà pris des médicaments pour la fibromyalgie, mais qu’elle y avait mal réagi. Étant donné le rôle relativement secondaire de la fibromyalgie dans l’ensemble des symptômes de l’appelante, le Tribunal conclut que l’absence récente de traitements précis liés à la fibromyalgie n’est pas essentielle à la question de la gravité de l’invalidité.

[43] En raison des éléments susmentionnés, le Tribunal conclut que l’appelante a prouvé qu’elle était atteinte d’une invalidité grave qui a commencé le 18 septembre 2014 et qui a persisté jusqu’à la date de l’audience.

Caractère prolongé

[44] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès. Puisqu’aucune preuve ne suggère que l’invalidité de l’appelante entraînerait vraisemblablement son décès, le Tribunal doit décider si l’invalidité doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie.

[45] Comme pour l’analyse du caractère grave, le Tribunal accorde une grande importance à la lettre du docteur Street du 13 octobre 2015 dans son évaluation du caractère « prolongé ». Docteur Street avait à ce moment déclaré que l’état de l’appelante ne s’était pas amélioré malgré les nombreuses interventions médicales. Il a ajouté qu’aucune thérapie médicale ou chirurgie ne pourrait améliorer son traitement de manière significative. Il a décrit ses troubles comme étant graves et persistants, et il a mis en relief le développement récent d’une infection urinaire bactérienne récurrente et résistante à plusieurs médicaments ainsi que la prédisposition de longue date de l’appelante au syndrome du côlon irritable et à la fibromyalgie. L’appelant a eu une poussée de son syndrome du côlon irritable en 2016, et elle a déclaré que son état ne s’était pas amélioré depuis le 13 octobre 2015. Sa description de son pronostic actuel suggère une approche essentiellement palliative à son traitement. Tous ces éléments démontrent que son invalidité grave sera probablement d’une durée prolongée ou indéterminée.

[46] Bien que les preuves plus anciennes doivent nécessairement se voir accorder une moins grande importance, il demeure significatif que le docteur Street ait déclaré en juillet 2015 que la date de rétablissement ou de retour au travail de l’appelante était « indéterminée », et qu’il ait rendu un pronostic « réservé ». Le 26 février 2015, le docteur Faddegon a décrit la CI de l’appelante comme étant chronique, et le docteur Street était d’avis le 18 septembre 2014 que les symptômes de l’appelante persisteraient dans un avenir rapproché. Ces déclarations appuient également la conclusion selon laquelle l’invalidité de l’appelante sera prolongée et d’une durée indéterminée. Aucune preuve convaincante ultérieure à la date de début de son invalidité du 18 septembre 2014 n’indique le contraire.

[47] Vu ce qui précède, le Tribunal conclut que l’invalidité de l’appelante est prolongée.

Conclusion

[48] Le Tribunal conclut que l’appelante avait une invalidité grave et prolongée en septembre 2014, au moment où le docteur Street a préparé un rapport médical pour appuyer sa demande de prestation d’invalidité du RPC. Aux termes de l’article 69 du RPC, les versements commencent quatre mois après la date de l’invalidité. Les paiements débuteront donc à partir de janvier 2015.

[49] L’appel est accueilli.

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