Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Aperçu

[1] En l’espèce, il faut déterminer si la division générale a correctement évalué la question de savoir si l’appelante était atteinte d’une invalidité « grave » dans le but de décider si elle était admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. L’appelante interjette appel de la décision rendue le 6 octobre 2015 par la division générale, qui a conclu qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité grave à la fin de sa période minimale d’admissibilité, le 31 décembre 2010, ou avant cette date. La division générale a donc statué qu’elle n’était pas admissible à une pension d’invalidité.

[2] Comme il a été établi qu’il n’est pas nécessaire de tenir une nouvelle audience, l’appel dont je suis saisie sera instruit conformément à l’alinéa 43a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[3] La seule question que je dois trancher consiste à déterminer si la division générale a appliqué le critère de l’arrêt Villani dans son évaluation de la question de savoir si l’appelante était atteinte d’une invalidité grave.

Critère de l’arrêt villani

[4] L’appelante soutient que la division générale a erré du fait qu’elle n’a pas appliqué Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, et tenu compte de ses caractéristiques personnelles telles que son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie. L’appelante signale qu’elle a terminé une 10e année en Inde, qu’elle ne parle pas couramment l’anglais et qu’elle a principalement occupé des emplois exigeants sur le plan physique.

[5] L’intimé reconnaît que la division générale n’a pas précisément mentionné Villani, mais laisse entendre qu’il ne s’agit que d’un simple oubli qui ne constitue pas une erreur, puisqu’elle a tout de même tenu compte de tous les facteurs de l’arrêt Villani : Garrett c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2005 CAF 84, au paragraphe 3. L’intimé soutient que la division générale a appliqué les principes consacrés par l’arrêt Villani de façon claire et raisonnable en mentionnant les caractéristiques personnelles spécifiques de l’appelante, comme son âge, son niveau d’instruction, ses antécédents de travail et son expérience de la vie. L’intimé soutient que les circonstances propres à l’appelante ne permettent tout simplement pas de conclure qu’elle serait incapable, dans un contexte « réaliste », d’occuper tout type d’emploi, compte tenu de ses facteurs personnels qui l’aideraient à trouver un emploi qui convienne à son état de santé.

[6] L’intimé prétend que la division générale a fourni une analyse approfondie relativement à la preuve médicale produite par l’appelante et à son témoignage, à la lumière des facteurs énoncés dans Villani. L’intimé souligne notamment que la division générale a, au paragraphe 9 de sa décision, indiqué que l’appelante parle couramment le pendjabi et le hindi et qu’elle parle aussi l’anglais, bien qu’elle ait de la difficulté à interpréter.

[7] L’intimé soutient que la division générale a tenu compte du niveau d’instruction de l’appelante aux paragraphes 10, 24, 25 et 26 de sa décision. La division générale a noté que l’appelante avait suivi une formation en couture; terminé en 2009 ou en 2010 un programme de six ou huit mois en anglais langue seconde, à raison de cinq jours par semaines; suivi un cours d’esthétique avancé en massage pendant six ou huit mois de 2010 à 2011, à raison de cinq jours par semaine; et terminé un programme de formation dans un salon en 2011.

[8] L’intimé fait également valoir que la division générale a tenu compte des antécédents professionnels et de l’expérience de la vie de l’appelante. La division générale a présenté la preuve concernant les antécédents professionnels de l’appelante aux paragraphes 10, 11 et 62 de sa décision. Au paragraphe 62, la division générale a soutenu que [traduction] « le temps quotidien » que l’appelante consacrait à ses cours équivalait à une [traduction] « journée de travail ». La division générale a jugé que [traduction] « la concentration et les efforts requis pour suivre des cours [d’anglais langue seconde et d’esthétique] […] sont comparables aux efforts que supposent un emploi rémunéré. »

[9] L’intimé avance que l’évaluation menée par la division générale quant aux circonstances de l’appelante devrait être considérée comme une question de jugement, et qu’il n’y a donc pas lieu que la division d’appel intervienne. Le représentant fait valoir qu’il suffit à la division générale, pour répondre au critère de Villani, d’examiner et d’évaluer les caractéristiques de l’appelante dans un contexte réaliste en déterminant la façon dont ces facteurs ont influencé sa capacité régulière à détenir une occupation véritablement rémunératrice. Sur ce fondement, le représentant affirme qu’il faut distinguer le cas de l’appelante de l’affaire Bungay c. Canada (Procureur général), 2011 FCA 47, puisque dans le cas de madame Bungay, la Commission d’appel des pensions n’avait pas examiné du tout les facteurs énoncés dans Villani.

[10] Enfin, l’intimé soutient que la décision de la division générale est raisonnable dans son ensemble et qu’elle ne contient aucune erreur susceptible de révision qui justifierait une intervention de la part de la division d’appel.

Analyse

[11] Les observations de l’intimé révèlent implicitement que la division générale était tenue de mener une analyse conforme à Villani. La décision de la Cour d’appel fédérale indique que le critère juridique pour déterminer la gravité d’une invalidité doit être appliqué en conservant un certain rapport avec le « monde réel » et que le décideur doit tenir compte de la situation particulière du requérant, notamment de son âge, de son niveau d’instruction, de ses aptitudes linguistiques, de ses antécédents professionnels et de son expérience de la vie. L’extrait suivant de Bungay c. Canada a confirmé qu’un décideur doit tenir compte de ces détails :

[11] [. . .] De plus, hormis la brève mention des antécédents de travail de la demanderesse, il n’est pas fait état de son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, son expérience de vie comme l’exige l’arrêt Villani, précité.

[. . .]

[14] Le membre dissident a bien appliqué les directives énoncées dans Villani (au paragraphe 14) au sujet du droit :

Le critère établi dans l’arrêt Villani ([2002] 1 F.C 130) et la jurisprudence exigent que le tribunal et la Commission examinent l’état physique général de la personne.

[12] Dans l’affaire Bungay, la Cour d’appel fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire. Elle a infirmé la décision de la Commission d’appel des pensions et ordonné qu’un tribunal différemment constitué de la Commission « réexamin[e] [l’]affaire en appliquant le critère établi dans Villani ».

[13] Dans Garrett, la Cour d’appel fédérale a statué que la Commission d’appel des pensions n’avait pas mentionné l’arrêt Villani et elle qu’elle n’avait pas effectué son analyse conformément aux principes qu’il consacre. Elle a conclu que cela constituait une erreur de droit. La Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit :

Plus précisément, la majorité n’a pas fait état des éléments de preuve indiquant que les problèmes de mobilité de la demanderesse étaient aggravés par la fatigue et qu’il lui faudrait alterner les périodes où elle est assise et les périodes où elle est debout; des facteurs qui lui rendraient concrètement difficile les emplois de bureau sédentaires ou de même type. Tel est le contexte « réaliste » de l’analyse exigée par l’arrêt Villani.

[14] Je suis d’accord avec les observations de l’intimé selon lesquelles la division générale n’était pas tenue de mentionner expressément Villani. Cela dit, le fait qu’un décideur ne cite ou ne mentionne pas l’arrêt Villani donne à croire qu’il pourrait ne pas s’être intéressé à l’analyse consacrée par Villani.

[15] La division générale s’acquitte de facto du critère énoncé dans Villani lorsqu’elle examine les circonstances personnelles d’un appelant dans un « contexte réaliste ». C’est le cas lorsque la division générale examine l’incidence de ces facteurs sur la capacité régulière d’un appelant à détenir une occupation véritablement rémunératrice. Il ne lui suffit pas de mentionner une preuve de ces caractéristiques personnelles ni de citer Villani si elle ne se penche pas sur la question de savoir si ces caractéristiques exercent une influence, et ce de quelle manière, sur la capacité de l’appelant à régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[16] Généralement, il n’est pas suffisant de faire mention des caractéristiques personnelles d’un appelant dans la section de la preuve puisque, généralement, aucune analyse ne sera menée pour connaître l’incidence de ces caractéristiques sur la capacité de l’appelant. On s’attendrait donc à ce que la section de la preuve d’une décision ne contienne qu’un résumé de la preuve, et que cette preuve soit ensuite appréciée dans la section de l’analyse. Il faut cependant que chaque cas soit évalué sur le fond, comme il peut parfois exister certaines zones grises entre la preuve et l’analyse.

[17] Nonobstant les observations de l’intimé, j’estime que la division générale n’a pas mené une évaluation conforme à Villani, puisqu’elle n’a pas tenu compte du « contexte réaliste » dans lequel se trouve l’appelante. La division générale a analysé la preuve médicale, mais il ne semble pas qu’elle se soit penchée sur l’incidence de ses caractéristiques personnelles sur la composante du critère relatif à la gravité de son invalidité touchant à son employabilité, articulée par la Cour d’appel fédérale.

[18] L’intimé soutient que la division d’appel devrait s’en remettre à la division générale comme la décision de celle-ci était raisonnable dans son ensemble. La Cour d’appel fédérale, cependant, rejette une approche fondée sur une norme de contrôle dans le cas d’un tribunal d’appel administratif comme la division d’appel : Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, et Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274. La Cour d’appel fédérale met en garde contre l’emprunt à la terminologie et au génie propre du contrôle judiciaire dans un contexte d’appel administratif, et recommande à un tribunal administratif comme la division d’appel de se reporter à sa loi constitutive. Elle note aussi que la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) lorsqu’elle entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de cette loi. Dans l’affaire Jean, la Cour d’appel fédérale a statué que la division d’appel devait déterminer si la division générale a « rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ». La Cour d’appel fédérale a affirmé qu’il n’était « nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire. »

[19] Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’ « [i]l faut plutôt chercher à donner effet à l’intention du législateur. Selon la Cour d’appel fédérale, la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est « purement et essentiellement une question d’interprétation des lois » (au paragraphe 46). L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la Loi sur le MEDS qui doivent être lus au regard de leur contexte général, « selon leur sens grammatical et ordinaire, et en harmonie » avec l’économie de la Loi sur le MEDS et son objet.

[20] L’approche privilégiée par la Cour d’appel fédérale m’oblige à tenir compte de l’évolution de la Loi sur le MEDS, de son objectif et de son objet supposés ainsi que du libellé du paragraphe 58(1) de cette loi. J’en conclus qu’un certain degré de déférence doit être observé par la division d’appel à l’endroit des conclusions de fait tirées par la division générale. Cependant, j’estime qu’aucune déférence n’est due dans les cas où la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit ou fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Encore une fois, la situation qui m’a été présentée n’était pas telle, comme je conclus que la division générale a commis une erreur de droit du fait qu’elle n’a pas évalué l’invalidité de l’appelante dans un « contexte réaliste ».

Conclusion

[21] L’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen.

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