Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Aperçu

[1] L’appelante souhaite annuler une décision de la division générale rendue le 16 septembre 2015 dans laquelle le membre avait conclu qu’elle n’était pas admissible à une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada puisque le membre avait jugé que l’invalidité n’était pas « grave » à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité, soit le 31 décembre 2008 ou avant cette date.

[2] Comme j’ai jugé qu’il n’était pas nécessaire de tenir une autre audience, l’appel sera instruit conformément à l’alinéa 43a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Questions en litige

[3] Voici les questions dont je suis saisie :

  1. Est-ce que de nouveaux éléments de preuve peuvent être admis en appel devant la division d’appel?
  2. Est-ce que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, notamment qu’il n’y avait aucun rapport médical rédigé pendant la période minimale d’admissibilité de l’appelante, et ce, sans tenir compte des éléments qui lui avaient été présentés?
  3. Est-ce que la division générale a commis une erreur en ne se référant pas à l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248 et lorsqu’elle a effectué son analyse sans se conformer au critère énoncé dans l’affaire Villani?
  4. Si la réponse à l’une des questions (soit à la question a ou c) est « oui », quelle est la décision appropriée en ce qui a trait à cet appel?

Moyens d’appel

[4] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) énonce les moyens d’appel suivants. Il se lit comme suit :

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige A : Nouveaux éléments de preuve

[5] L’appelante a rempli un profil de prescriptions daté du 13 janvier 2016 à l’appui de cet appel. La division générale n’avait pas de copie de ce profil de prescriptions datant de 2016. Ce document ne soulevait pas de moyens d’appel, notamment ceux pour lesquels la permission d’en appeler avait été accordée.

[6] Il est maintenant bien établi en droit que de nouveaux éléments de preuve ne constituent pas un moyen d’appel. Voici ce que la Cour fédérale a soutenu dans l’affaire Marcia v. Canada (Attorney General), 2016 FC 1367Note de bas de page 1 :

[traduction]
[34] Il n’est pas permis de produire de nouveaux éléments de preuve devant la division d’appel, car un appel à la division d’appel est restreint aux moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) et n’est pas une occasion d’instruire l’affaire de novo. Comme le nouvel élément de preuve de Madame Garcia se rapportant à la décision de la division générale ne pouvait pas être admis, la division d’appel n’a pas commis d’erreur en décidant de ne pas l’admettre (Alves c. Canada (Procureur général), 2014 FC 1100, au paragr. 73).

[7] Puisque le profil de prescriptions ne soulève pas de moyens d’appel, je ne suis pas prête à conclure qu’il est admissible aux fins de l’appel.

Question en litige B : Rapports médicaux

[8] L’appelante soutient que la division générale a commis une erreur en concluant qu’aucun rapport médical n’avait été rédigé pendant la période minimale d’admissibilité de l’appelante, laquelle prenait fin le 31 décembre 2008, et ce, malgré le fait qu’il y avait des rapports datés du 28 septembre 2007 (à la page GD2-279 du dossier d’audience), du 4 janvier 2008 (GD2-276) et du 15 mai 2008 (GD2-273) provenant du Dr King de la Upper Limb Clinic.

[9] Comme je l’ai indiqué dans ma décision relative à la permission d’en appeler, la division générale n’a pas laissé entendre qu’il n’y avait aucun rapport médical rédigé vers la fin de décembre 2008. Le membre a nuancé ses constatations au paragraphe 53 pour indiquer qu’il faisait référence aux rapports médicaux qui suggéraient que l’appelante était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. En d’autres termes, la division générale a conclu qu’aucun rapport médical ne faisait mention d’une invalidité grave. Compte tenu de ce qualificatif, je n’estime pas que la division générale ait commis une erreur en concluant qu’aucun rapport médical n’avait été rédigé pendant la période minimale d’admissibilité qui démontrait qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[10] Cependant, j’ai accordé la permission d’en appeler, car il n’était pas évident que la division générale avait tenu compte des rapports médicaux datés du 28 septembre 2007, du 4 janvier 2008 et du 15 mai 2008. Il semble y avoir cause raisonnable au motif que le membre de la division générale aurait dû avoir explicitement considéré ces rapports, puisqu’il s’agissait des rapports rédigés à des dates qui se rapprochaient le plus de la date de fin de la période minimale d’admissibilité. Je me suis demandé s’il fallait accorder de l’importance au fait que la division générale n’ait essentiellement pas analysé les éléments de preuve médicale datant d’autour de cette période, de façon aussi exhaustive que son analyse des éléments de preuve médicale datant d’avant et de bien après sa période minimale d’admissibilité, à l’exception du rapport de gestion de la douleur. J’ai indiqué que ce fait pourrait suffire à renverser la présomption générale qu’un décideur tient compte de l’ensemble de la preuve qui lui est produite, notamment parce que la division générale semble avoir mené une analyse relativement détaillée des rapports médicaux datant d’avant et d’après la période minimale d’admissibilité. Je n’ai pas évalué la valeur probante de ces rapports médicaux à l’étape de la demande de permission d’en appeler.

[11] L’intimé est d’avis qu’il n’est pas nécessaire qu’un tribunal se réfère à chaque élément de preuve qui lui a été présenté dans ses motifs, dans la mesure où le décideur est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve : Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, paragr. 10. L’intimé soutient que, dans ce cas particulier, la division générale a bel et bien tenu compte de la preuve médicale datant d’autour de la date de fin de la période minimale d’admissibilité de l’appelante du 31 décembre 2008, et ce, de façon aussi exhaustive que son analyse des éléments de preuve médicale datant d’avant et de bien après cette date. L’intimé soulève les points suivants :

  • Les paragraphes 15 et 49 indiquent que l’appelante avait reçu 10 séances de thérapie cognitivo-comportementale en 2008;
  • Le paragraphe 16 indique que l’appelante avait témoigné qu’elle prenait des médicaments antidouleur qui lui sont prescrits depuis 2008;
  • Le paragraphe 20 fait référence au rapport du psychologue daté du 20 [sic] mai 2008 adressé à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail, qui portait sur la participation de l’appelante à un programme de gestion de la douleur du 24 janvier 2008 au 15 avril 2008. (Le rapport est daté du 30 mai 2008 et peut être consulté aux pages GD2-268 à 272);
  • Le paragraphe 21 indique que l’appelante a eu des rayons X le 13 juillet 2009, lesquels ont révélé une discopathie dégénérative avec une ostéoarthrite secondaire en L5-S1;
  • Le paragraphe 12 indique que l’appelante a eu des injections épidurales pour ses maux de dos en septembre 2009;
  • Le paragraphe 22 fait référence au rapport médical d’un anesthésiste datant du 8 septembre 2009;
  • Le paragraphe 23 fait référence à un tomodensitogramme de la colonne lombaire qui a un lieu le 14 septembre 2009;
  • Le paragraphe 9 fait référence au questionnaire relatif aux prestations d’invalidité de l’appelante daté du 21 août 2012.

[12] Parmi les paragraphes cités par l’intimé, le seul qui faisait partie de la section « Analyse » de la décision est le paragraphe 49, lequel indiquait simplement que l’appelante avait fait l’objet d’une évaluation psychologique et avait complété 12 séances de thérapie cognitivo-comportementale en 2008.

[13] La présomption générale selon laquelle un décideur tient compte de chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés peut être réfutée si un demandeur peut établir que l’élément de preuve avait une telle valeur probante que le décideur se devait de l’analyser. Généralement, il faut témoigner de la déférence envers la division générale pour ce qui est de son appréciation des faits et il faut rester vigilant face aux risques de remplacer promptement cette présomption. En l’espèce, l’appelante n’a pas précisé les facteurs ni expliqué la valeur probante des éléments de preuve qui n’auraient pas été considérés par la division générale, et s’est contentée de suggérer que les éléments de preuve étaient nécessairement probants parce qu’ils avaient été préparés aux alentours de la date de fin de la période minimale d’admissibilité.

[14] Le rapport daté du 28 septembre 2007 traite de la dépression de l’appelante, et le Dr King croyait que la dépression faisait en sorte que l’appelante avait de la difficulté à gérer ses problèmes de douleur chronique au niveau de sa main, de son poignet et de son avant-bras. Le médecin a tenté de déterminer si la gestion de la douleur de l’appelante pouvait être optimisée, mais il a déterminé que la première étape serait de gérer l’humeur de l’appelante, et par conséquent, il allait référer l’appelante au Dr Shapiro pour un avis et un traitement. Bien qu’il ne l’ait pas considérée comme étant une candidate pour retourner sur le marché du travail, en fin de compte, il était d’avis qu’elle devrait considérer une réadaptation professionnelle assez tôt.

[15] J’estime que le rapport datant du 28 septembre 2007 ne [traduction] « date pas de la période aux alentours » de la fin de la période minimale d’admissibilité, puisque celui-ci a été rédigé en 2007, soit plus d’un an avant la fin de la période minimale d’admissibilité. Il y avait certainement d’autres éléments de preuve qui traitaient de la dépression et des problèmes de douleur chronique de l’appelante, qui auraient non seulement été rédigés près de la date de fin de la période minimale d’admissibilité, mais qui auraient également une valeur probante encore plus importante.

[16] Le Dr King a rédigé trois rapports. J’estime qu’il y a beaucoup de chevauchements entre les trois rapports du Dr King, de telle sorte qu’il n’était pas nécessaire que la division générale mentionne chacun d’eux individuellement.

[17] Dans le rapport le plus récent datant du 15 mai 2008, le Dr King a confirmé que l’appelante souffrait de douleurs persistantes dans ses extrémités supérieures du côté droit et du côté gauche. Il a été noté que des symptômes se manifestaient maintenant du côté gauche. De nouveaux médicaments pour le traitement du bas de son dos semblaient aider à gérer la douleur au bas de son dos, mais pas la douleur ressentie dans son poignet. L’appelante attendait qu’un rendez-vous de consultation soit fixé à la clinique antidouleur. Le Dr King était d’avis qu’une gestion médicale serait la méthode de traitement principale. Bien qu’il ne croyait pas qu’il était nécessaire que l’appelante retourne le voir à la clinique, il était d’avis qu’elle devrait consulter un spécialiste de la douleur le plus rapidement possible, même s’il n’est pas clair s’il savait que l’appelante avait participé à un programme de gestion de la douleur au Encompass Health Systems Inc. du 24 janvier 2008 au 15 avril 2008. Le Dr King était pessimiste à l’idée qu’elle puisse être capable de retourner exercer une occupation rémunératrice. Par ailleurs, il a indiqué qu’un recyclage professionnel pourrait être une option tant qu’elle n’ait pas à faire de mouvements répétitifs avec ses bras et qu’elle n’ait pas à soulever beaucoup d’objets pesant plus de deux livres.

[18] La division générale n’a pas mentionné ces trois rapports, mais elle s’est référée au rapport de gestion de la douleur du psychologue et des infirmiers datant du 30 mai 2008. Ce rapport indique des diagnostics avant le programme et après le programme selon le DSM-IV d’épisodes de dépression majeure – niveau modéré, de douleur chronique au niveau de l’avant-bras droit, de stress associé à plusieurs facteurs et une évaluation globale du fonctionnement. Le rapport portait sur les objectifs du programme ainsi que sur une intervention et une approche psychothérapeutique, et fournissait également un résumé des résultats obtenus au test psychométrique. Le psychologue et les infirmiers n’ont pas été capables de fournir un pronostic plus définitif de l’appelante à cette époque, car l’état émotionnel de l’appelante était influencé par la maladie terminale de sa mère. Ils ont recommandé que si l’appelante n’était pas capable de reprendre son ancien emploi en raison de ses limitations physiques actuelles, il semble potentiellement avantageux de travailler avec elle en vue d’élaborer des activités de formation.

[19] Selon moi, il y a beaucoup de chevauchements entre ces trois rapports du Dr King et le rapport de gestion de la douleur datant du 30 mai 2008. Compte tenu de cela, je ne suis pas convaincue que la division générale ait omis de tenir compte de ces trois rapports, même s’il se peut que le membre n’en ait pas expressément fait mention. Sans établir que l’élément de preuve avait une telle valeur probante que le décideur se devait de l’analyser, je ne suis pas convaincue qu’on ait dérogé à la présomption selon laquelle un décideur tient compte de l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée compte tenu des faits de l’affaire.

Question en litige C : Arrêt villani

[20] L’appelante soutient que la division générale a commis une erreur, car elle n’a pas fait mention de l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, et il ne ressort pas clairement de sa décision si elle a effectué son analyse en se conformant aux principes énoncés dans l’arrêt Villani.

[21] Dans l’arrêt Villani, il est indiqué qu’un décideur doit adopter une approche « réaliste », c’est-à-dire qu’il doit tenir compte de la situation particulière de l’appelant, par exemple son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie au moment d’évaluer si l’appelant est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La Cour d’appel fédérale a également indiqué qu’une évaluation de la situation de l’appelant est une question de jugement sur laquelle on se doit d’être hésitant à intervenir.

[22] L’intimé reconnait que la division générale n’a pas cité l’arrêt Villani, mais il soutient que cela, en soi, ne constitue pas une erreur. L’intimé soutient également que bien que l’arrêt Villani n’ait pas été explicitement cité, la division générale a correctement énoncé la loi et a en fait mené une analyse en application de l’arrêt Villani, et cela, en tenant compte de l’âge, du niveau de scolarité, des compétences linguistiques, des antécédents de travail et de l’expérience de vie de l’appelante. L’intimé soutient que la division générale a fourni une [traduction] « analyse approfondie de la preuve médicale et du témoignage de l’appelante en fonction des facteurs prévus dans l’arrêt Villani tels que l’âge, l’éducation, la formation, les antécédents de travail et l’expérience de vie au paragraphe 8 de sa décision. L’intimé note également que la division générale a rapporté, au paragraphe 11, ses antécédents de travail et ses efforts pour se recycler pour la période de novembre 2008 à juillet 2012. L’intimé affirme que la division générale [traduction] « a clairement appliqué les facteurs de Villani en mentionnant spécifiquement l’âge, le niveau de scolarité, les antécédents de travail et l’expérience de vie de l’appelante ». L’intimé fait valoir que la situation de l’appelante n’appuie tout simplement pas une conclusion selon laquelle, dans un contexte « réaliste », elle aurait été incapable de détenir tout type d’occupation, compte tenu de ses caractéristiques personnelles.

[23] L’intimé soutient que lorsque la division générale prend en considération la situation personnelle d’un appelant pour tenter de déterminer comment celle-ci a eu des répercussions sur sa capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice, il s’agit d’une évaluation avec laquelle la division générale ne devrait pas interférer.

[24] L’« analyse » Villani, à laquelle l’intimé a fait référence aux paragraphes 8 et 10, se trouve sous l’en-tête « Preuve » plutôt que sous l’en-tête « Analyse ». Voici ce qui était écrit :

[traduction]

[8] L’appelante a témoigné en son nom. Elle avait 47 ans au cours de sa PMA et 54 ans lors de l’audience. Elle possède une 12e année, un diplôme en gestion de la vente au détail et en cosmétologie, un diplôme de commis de bureau et un certificat en administration douanière. Le dernier emploi de l’appelante était comme caissière dans une épicerie du 5 août 2012 au 29 août 2012, et elle n’a pas travaillé depuis.

[11] Les antécédents professionnels de l’appelante comprennent un travail indépendant à temps partiel en tant que conseillère pour l’entreprise Scentsy de mars 2011 à mai 2012. Elle a travaillé dans une usine de fabrication de pièces automobiles de 1996 à 2006, ce qui comprenait l’utilisation répétitive de ses bras, notamment lever et transporter des objets. Elle a arrêté de travailler en 2006 à cause d’une tendinite dans ses poignets, et il a été déterminé qu’elle avait été causée par son travail, ce qui a donné lieu à des versements de prestations provenant de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) de 2006 jusqu’à ce jour. Les antécédents de travail de l’appelante avant 1996 comprenaient un emploi en tant que barmaid et préposée au service à la clientèle de diverses installations de détail.

[25] Les parties s’entendent sur la loi, mais sont en désaccord sur la question de savoir si la division générale a bel et bien effectué une évaluation selon l’arrêt Villani.

[26] Bien que la division générale n’ait pas cité l’arrêt Villani et ne s’est pas référé à celui-ci, j’en conviens que ce seul fait ne permet pas d’établir que la division générale n’aurait pas pu appliquer autrement ses principes. Cependant, en ne citant pas la décision, cela tend à donner plus de poids à l’argument selon lequel elle n’aurait pas mis l’accent sur l’arrêt Villani ou elle n’en aurait pas tenu compte.

[27] Dans l’arrêt Villani, la Cour d’appel fédérale a établi des principes directeurs qui permettent de déterminer la façon dont une invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada doit être définie ainsi que la façon d’effectuer une évaluation d’invalidité. Aux paragraphes 38 et 39, la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit :

[38] Cette analyse du sous-alinéa 42(2)a)(i) donne fortement à penser que le législateur avait l’intention d’appliquer l’exigence concernant la gravité de l’invalidité dans un contexte « réaliste ». Exiger d’un requérant qu’il soit incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice n’est pas du tout la même chose que d’exiger qu’il soit incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable. Chacun des mots utilisés au sous-alinéa doit avoir un sens, et cette disposition lue de cette façon indique, à mon avis, que le législateur a jugé qu’une invalidité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. À mon avis, il s’ensuit que les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie.

[39] Je suis d’accord avec la conclusion énoncée dans la décision Barlow, précitée, et les motifs donnés à l’appui de cette conclusion. L’analyse effectuée par la Commission dans cette affaire était brève et cohérente. Elle démontre que, d’après le sens ordinaire des mots utilisés au sous-alinéa 42(2)a)(i), le législateur doit avoir eu l’intention de faire en sorte que le critère juridique pour déterminer la gravité d’une invalidité soit appliqué en conservant un certain rapport avec le « monde réel ». Il est difficile de comprendre quel objectif la Loi pourrait poursuivre si elle prévoyait que les prestations d’invalidité ne peuvent être payées qu’aux requérants qui sont incapables de détenir quelque forme que ce soit d’occupation, sans tenir compte du caractère irrégulier, non rémunérateur ou sans valeur de cette occupation. Une telle analyse ferait échec aux objectifs manifestes du Régime et mènerait à une analyse non compatible avec le langage clair de la Loi.

(Mis en évidence par la soussignée)

[28] À partir de cela, il est évident qu’il ne suffit pas de souligner les éléments de preuve à l’appui des caractéristiques personnelles de l’appelante ou de tout simplement citer l’arrêt Villani sans déterminer de facto comment ces caractéristiques personnelles ont des répercussions sur la capacité de l’appelante de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice. Bien que les paragraphes 8, 11, 13 à 14 et 38 de la décision de la division générale traitent des caractéristiques personnelles de l’appelante, ils ne déterminent pas la façon dont ces caractéristiques ont une influence sur la capacité de l’appelante à régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice. Un examen de la section « Analyse » de la décision révèle que la division générale a analysé la preuve médicale, mais cela n’est accompagné d’aucune analyse, ni dans la section « Preuve » ni dans la section « Analyse », sur la façon dont les caractéristiques personnelles de l’appelante ont une influence sur sa capacité de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice dans un contexte « réaliste ». À cet égard, la division générale a commis une erreur en ne menant pas d’analyse « réaliste ».

[29] Cela ne veut pas dire pour autant que si les caractéristiques personnelles de l’appelante avaient été prises en considération, elle aurait nécessairement été considérée comme souffrant d’une invalidité selon le Régime de pensions du Canada, mais sans que cette analyse n’ait été entreprise, on ne peut pas dire que la division générale a correctement déterminé si elle était invalide au sens duRégime de pensions du Canada à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité.

Question en litige D : Disposition

[30] Indépendamment de mes constatations sur les moyens d’appel, l’intimé soutient que puisque la décision de la division générale est dans l’ensemble raisonnable et appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, l’appel devrait être rejeté.

[31] Cependant, la Cour d’appel fédérale rejette cette approche de la part de la juridiction d’appel d’un tribunal administratif telle que la division d’appel : Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242 (CanLII) et Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274 (CanLII), et suggère que les tribunaux administratifs se gardent d’emprunter à la terminologie et au génie propre du contrôle judiciaire dans un contexte d’appel administratif. La Cour d’appel fédérale conseille à la division d’appel de se référer à sa loi habilitante. Elle souligne qu’au moment de l’instruction d’un appel, conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, le mandat de la division d’appel lui est conféré par les articles 55 à 69. Dans l’arrêt Jean, la Cour d’appel fédérale estimait que la division d’appel avait à déterminer si la division générale avait « rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ». La Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il n’y avait « nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire ».

[32] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’il faut plutôt « chercher à donner effet à l’intention du législateur ». Selon la Cour d’appel fédérale, la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est « purement et essentiellement une question d’interprétation des lois » (au paragraphe 46). Cette approche nécessite une analyse des mots de la LMEDS qui doivent être lus au regard de leur contexte général, « selon leur sens grammatical et ordinaire, et en harmonie » avec l’économie de la LMEDS et son objet.

[33] Pour adopter l’approche établie par la Cour d’appel fédérale, je dois tenir compte de l’évolution de la LMEDS, de ses supposés but et objet et du libellé du paragraphe 58(1) de la LMEDS. Je conclus que la division d’appel doit démontrer une certaine retenue à l’égard des conclusions de fait tirées par la division générale. Cependant, j’estime qu’on ne doit accorder aucune retenue dans le cas d’erreurs de droit ou de conclusions de fait erronées, sur lesquelles s’est appuyée la division générale pour rendre sa décision, qui seraient tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.  Encore une fois, il ne s’agit pas de la situation dont je suis saisie, car je conclus que la division générale a commis une erreur de droit en n’évaluant pas l’invalidité de l’appelante dans un contexte « réaliste ».

[34] Compte tenu des considérations susmentionnées, l’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée à la division générale pour une révision.

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