Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le demandeur demande la permission d’en appeler relativement à la décision de la division générale datée du 1er décembre 2015 dans laquelle il a été conclu que le demandeur a cessé d’être invalide aux fins du Régime de pensions du Canada en date du 1er août 2007 au motif qu’il a été décidé qu’il avait régulièrement la capacité de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Le demandeur a présenté une demande permission d’en appeler le 21 janvier 2016 et il a présenté des observations supplémentaires le 26 février 2016 en faisant valoir plusieurs moyens d’appel.

Question en litige

[2] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Analyse

[3]Au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il est prévu que les seuls moyens d’appels sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[4] Avant de pouvoir accorder une permission d’en appeler, il me faut être convaincue que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou à l’autre des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS et que l’appel a une chance raisonnable de succès. La Cour fédérale du Canada a confirmé cette approche dans Tracey c. Canada (Procureur général), (2015) CF 1300.

[5] Le Tribunal soutient que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle et qu’elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

a) Justice naturelle

[6] Le demandeur prétend que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle pour les raisons suivantes :

  1. Elle n’a pas suivi ses propres procédures. Plus particulièrement, il n’y avait qu’un membre, et non trois.
  2. Elle ne lui a pas permis de présenter sa cause de façon intégrale, ce qui comprend la lecture d’une lettre rédigée, qui avait été présentée au Tribunal de la sécurité sociale le 20 novembre 2015.
Nombre de membres siégeant au Tribunal

[7] Le demandeur avait reçu un dépliant du Bureau du Commissaire des tribunaux de révision qui expliquant le processus d’appel. On l’a laissé croire qu’il pourrait s’attendre à un tribunal composé de trois membres, y compris un membre faisant partie d’une profession de la santé prescrite. Cependant, étant donné que l’appel du demandeur n’a pas été instruit avant le 1er avril 2013, son appel a été transféré au Tribunal de la sécurité sociale conformément à l’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, LC 2012, chap. 19. Cet article prévoit que tout appel présenté avant le 1er avril 2013 est réputé avoir été présenté devant la division générale le 1er avril 2013.

[8] La LMEDS et le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement) prévoient les procédures qui s’appliquent à la division générale et à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. Selon l’article 61 de la LMEDS, toute demande présentée au Tribunal est entendue par un membre agissant seul. Il n’existe aucune disposition dans la LMEDS, le Règlement ou, en l’espèce, le Régime de pension du Canada qui prévoit plus d’un membre présidant un tribunal.

[9] Bien que le demandeur puisse s’être attendu de façon légitime à ce qu’il y ait un tribunal composé de trois membres, la Cour fédérale a conclu dans l’arrêt Belo-Alves c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1100, en se fondant sur l’arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, 1975 CanLII 4 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 271, que nul n’a le droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu’elle existait par le passé. La Cour fédérale a conclu que le Tribunal de la sécurité sociale est assujetti à la nouvelle loi. Par conséquent, il n’y a eu aucun manquement au principe de justice naturelle lorsqu’un seul membre a instruit l’appel.

Documents GT10 et GT11 concernant la preuve

[10] Le demandeur soutient que la division générale a privé sa représentante du [traduction] « droit de lire [sa] présentation écrite » (GT11). Le demandeur avait présenté ses observations le 20 novembre 2015 dans les jours précédant la date d’audience prévue le 24 novembre 2015. L’argument réel, qui figure aux pages GT11-35 à 49 et que le demandeur décrit comme étant une lettre, était accompagné de plusieurs dossiers médicaux et d’autres natures (y compris une évaluation ergonomique datée d’août 2000 et de rapports de chirurgie de 2014 et de 2015), d’extraits de rapports et de la déclaration d’un témoin rédigée par l’épouse du demandeur. Cependant, les dossiers ne portaient pas particulièrement sur la capacité du demandeur en août 2006 ou vers cette période, à savoir lorsque le défendeur a cessé le versement de la pension d’invalidité. Le demandeur avait annoté les observations et les avait renvoyées à 39 annexes. Les observations s’étalaient sur 114 pages.

[11] Au début de l’audience, la représentante du demandeur a confirmé qu’elle souhaitait lire sa lettre qui faisait partie des observations dans le document GT11 (de 5:19 à 5:37Note de bas de page 1 dans l’enregistrement de l’audience).

[12] Dans sa décision, la division générale a abordé la question relative à l’admissibilité des documents GT10 et GT11 étant donné que ceux-ci avaient été présentés après les dates limites pour le dépôt, soit le 15 octobre 2015 et le 15 novembre 2015. L’avis d’audience (GT0C et GT0D) prévoyait des dates limites claires pour le dépôt. Selon l’avis d’audience original, daté du 27 août 2014 (GT0), tout document présenté tardivement pourrait ne pas faire l’objet d’un examen par le membre et seulement à la discrétion de celui-ci.

[13] La division générale a conclu que la demande n’a pas offert une justification raisonnable quant au dépôt tardif des documents GT10 et GT11, et ce malgré le fait que l’appel devait originalement être instruit le 12 février, le 9 avril et le 22 juillet 2015 et que l’audience avait été ajournée à plusieurs reprises.

[14] Le document GT10 a énoncé une liste de témoins proposés. Il s’agit d’une question de bonne pratique selon laquelle les parties échangent des listes de témoins et informent le Tribunal de la sécurité sociale de tout témoin proposé. En l’espèce, le demandeur avait l’intention d’appeler ses parents à titre de témoins à l’audience. Le membre de la division générale n’a pas renvoyé à ce document précis, et, finalement, le seul témoin ayant témoigné au nom du demandeur a été sa fille, qui a également agi comme sa représentante dans le cadre de la procédure. La division générale n’a pas exclu particulièrement ce document, et celui-ci n’a pas été réputé inadmissible.

[15] Cependant, la division générale s’est clairement penchée sur l’évaluation de l’admissibilité du document GT11. Voici ce qu’a écrit le membre aux paragraphes 4 et 5 :

[traduction]
[4] [...] Les documents supplémentaires sont des doubles de renseignements médicaux déjà présentés, des documents supplémentaires de nature médicale ou autre qui précèdent la demande accueillie de prestations d’invalidité du RPC de l’appelant en 1998, un dossier chirurgical d’août 2015 et des observations formulées par la fille et la mère de l’appelant. Les documents pour lesquels un examen est demandé ont été présentés après la date limite de dépôt, et non en réponse à des documents présentés durant la période de dépôt, ne sont pas pertinents dans le cadre de l’appel ou ils constituent des doubles ou des documents produits il y a bon nombre d’années.

[5] À l’audience, l’appelant a reconnu que les documents ont été présentés tardivement et qu’il n’a pas fourni une explication raisonnable. Le dossier chirurgical d’août 2015 a été produit il y a bon nombre d’années et il est reconnu que l’appelant le possède depuis le 15 octobre 2015. Quoi qu’il en soit, le dossier a une pertinence minime dans la décision du Tribunal. L’appelant a présenté des plaidoiries à l’audience. Le Tribunal estime que les observations de l’appelant présentées les 18 et 20 novembre 2015 ne feront pas l’objet d’un examen dans le cadre de la décision.

[16] Un membre a le pouvoir discrétionnaire de déterminer l’admissibilité de documents. Il devrait être guidé par les règles de preuve même s’il n’est pas lié par celles-ci. Même si les règles officielles en matière d’admissibilité de la preuve ne s’appliquent pas et même si elles sont assouplies dans la procédure du droit administratif, le membre doit néanmoins tenir particulièrement compte de la pertinence et de la valeur probante des documents en ce qui concerne les points litigieux. En l’espèce, le membre n’était pas convaincu que les documents figurant dans le document GT11 respectaient ces exigences fondamentales. Le demandeur n’a pas répondu aux questions soulevées par le membre autrement qu’en laissant entendre qu’il existait un droit prévoyant le versement de ces documents au dossier. Cependant, même si les documents avaient été présentés de façon opportune, le défendeur aurait pu demander que les dossiers médicaux soient retirés du dossier en raison du manque de pertinence par rapport à la procédure. Autrement dit, il n’existe aucun droit prévoyant que des documents doivent faire partie du dossier, et ce, sans tenir compte de la question s’ils respectent les exigences fondamentales en matière de pertinence. Je ne suis pas convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès, dans la mesure où le demandeur laisse entendre que la preuve de nature médicale ou autre figurant dans le document GT11 aurait dû être réputée admissible.

Documents GT10 et GT11 concernant les observations

[17] Le document GT11 comprenait également les observations ou l’argument du demandeur relativement à la preuve. Même si le demandeur fait valoir que sa représentante s’est vue refuser la possibilité de lire ses observations, je constate après avoir examiné l’enregistrement de l’audience que, en fait, la représentante du demandeur a cherché à se fier sur les observations à titre de témoin rendant un témoignage de vive voix, et non en tant que représentante formulant des observations ou des conclusions finales (et normalement, les représentants n’ont pas la possibilité d’agir également à titre de témoins). Par exemple, à 24:10 dans l’enregistrement, le membre cherche à déterminer la raison pour laquelle le demandeur s’est senti contraint de travailler en 2006 et en 2009. La représentante du demandeur, à titre de témoin, a tenté de se fonder sur ses observations écrites à titre d’ [traduction] « aide-mémoire » en quelque sorte. Je dis [traduction] « en quelque sorte », parce qu’il est évident que la représentante du demandeur a non seulement pu oublier un souvenir indépendant, mais qu’elle aurait également pu utiliser sa lettre comme aide-mémoire afin de déclencher un de ses souvenirs personnels. Dans la mesure où la représentante du demandeur a lutté pour se fier sur sa lettre pour témoigner, il s’agissait d’une preuve par ouï-dire, car les déclarations figurant dans la lettre sur laquelle elle se fondait provenaient d’une autre personne que le témoin.

[18] Néanmoins, il pourrait y avoir eu des parties de la lettre qui formait une partie des observations ou du plaidoyer du demandeur. La justice naturelle doit offrir aux parties la possibilité adéquate de présenter sa position et d’aborder le droit et les faits. Cela comprend le fait d’offrir la possibilité de formuler un plaidoyer concernant la preuve et le droit. En l’espèce, le membre de la division générale a conclu que l’obligation d’offrir au demandeur l’occasion de présenter son cas avait été honorée au moyen d’observations de vive voix. Au paragraphe 5, le membre a souligné que le demandeur avait présenté des observations de vive voix détaillées à l’audience. Le demandeur convient qu’elles étaient incomplètes et laisse entendre que, par conséquent, il était incapable d’attirer l’attention du membre sur les questions les plus importantes. Le demandeur maintient que le membre aurait dû joindre son observation écrite dans le dossier d’audience. Je n’ai pas examiné la lettre du demandeur, mais celui-ci devrait être prêt à démontrer que, malgré le fait qu’il a eu l’occasion de présenter des observations de vive voix, il a néanmoins été privé de la possibilité de présenter sa cause de façon équitable.

[19] Je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

b) Conclusion de fait erronée

[20] Le demandeur prétend que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées ci-après qu’elle a tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[21] Le demandeur fait valoir que la division générale a ignoré ou n’a pas examiné les documents à l’appui. En réponse à une lettre datée du 27 janvier 2016 du Tribunal de la sécurité sociale ayant pour but d’obtenir des précisions relativement à ce moyen et particulièrement en réponse à une demande d’inscrire les documents que la division générale aurait ignorés, le demandeur a rédigé un document intitulé [traduction] « Exposé des faits » (dans le document AD1A) dans lequel il a fourni ses antécédents médicaux. Le demandeur m’a également mentionné plusieurs parties du dossier d’audience qui, selon lui, auraient dû être examinées par la division générale. Elles comprennent des parties importantes du dossier médical remontant jusqu’à 1999, les dossiers cliniques du médecin de famille pour la période allant de 2005 à 2010 et des documents relatifs à son emploi, y compris le questionnaire d’un employeur. Le demandeur m’a aussi mentionné le rapport médical de son médecin du 3 décembre 2010 (GT1-176).

[22] Je suis consciente de la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, dans laquelle le juge Stratas a souligné ce qui suit au paragraphe 50 :

[…] les juges de première instance n’essaient pas de rédiger une encyclopédie où les plus petits détails factuels seraient consignés, et ils ne le peuvent d’ailleurs pas. Ils examinent minutieusement des masses de renseignements et en font la synthèse, en séparant le bon grain de l’ivraie, et en ne formulant finalement que les conclusions de fait les plus importantes et leurs justifications.

[23] De plus, je souligne que la Cour suprême du Canada a établi qu’un décideur n’a pas à présenter des motifs exhaustifs portant sur l’ensemble des questions et de la jurisprudence qui lui ont été soumises. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a souligné ce qui suit :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association., 1973 CanLII 191 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391).

[24] Même si la division générale n’a pas mentionné ou évalué la preuve médicale antérieure à 2006, aucune erreur n’a été commise, car cette preuve n’avait aucune valeur probante à l’égard de la question de savoir si le demandeur a continué d’être invalide à partir d’août 2006.

[25] La division générale a abordé la preuve relative à l’emploi et la question concernant la nature de l’emploi du demandeur en 2006 dans la section relative à la preuve et dans son analyse. La division générale a également analysé la preuve médicale portée à sa connaissance, ce qui comprend les dossiers cliniques du médecin de famille, qu’elle a acceptée et préférée à la preuve du demandeur.

[26] Essentiellement, le demandeur demande que la division d’appel soupèse et évalue la preuve de nouveau afin de rendre une conclusion différente relativement à son admissibilité à une pension d’invalidité. Cependant, comme la Cour fédérale a conclu dans l’arrêt Tracey, le rôle de la division d’appel n’est pas d’apprécier de nouveau l’affaire pour déterminer si la permission d’en appeler devrait être accordée ou refusée. Il en est ainsi parce que l’appréciation de nouveau ne correspond à aucun des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS.

[27] De plus, je suis également conscient de la conclusion de la Cour fédérale dans l’arrêt Hussein v. Canada (Attorney General), 2016 FC 1417 : [traduction] « […] l’examen et l’appréciation de la preuve est au cœur du mandat et de la compétence [de la division générale]. Ses décisions doivent faire preuve d’une importante déférence. »

[28] Je ne suis pas convaincue qu’un appel fondé sur ce moyen a une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[29] La demande de permission d’en appeler est accordée. Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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