Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[] Le demandeur souhaite obtenir la permission d’en appeler de la décision de la division générale datée du 22 janvier 2016, dans laquelle le membre a conclu que le demandeur n’était pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, puisque le membre a jugé qu’il n’était pas atteint d’une invalidité « grave ».

Question en litige

[2] Est-ce que l’appel a une chance raisonnable de succès?

Analyse

[3] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) prévoit que les seuls moyens d’appel se limitent aux suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[4] Avant de pouvoir accorder une permission d’en appeler, il me faut être convaincue que les motifs pour en appeler se rattachent à au moins un des moyens d’appel énumérés au paragraphe 58(1) de la LMEDS et que l’appel a une chance raisonnable de succès. La Cour fédérale du Canada a récemment confirmé cette approche dans la décision Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300. Le demandeur soutient que la division générale a commis une erreur de droit et fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu’elle a tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Douleur chronique et niveaux subjectifs de douleur

[5] Le demandeur soutient que la division générale n’a pas reconnu qu’il souffre de douleur chronique et n’en a pas tenu compte. Il note que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Worker's Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, et la Commission d’appel des pensions, dans l’affaire Hunter c. Le ministre du Développement social (6 février 2007), CP23431 (CAP), ont reconnu que la douleur chronique est une invalidité indemnisable, et qu’il peut y avoir peu de symptômes objectifs à l’endroit de la blessure, voire aucun symptôme.

[6] Le demandeur soutient que si le membre avait reconnu qu’il souffre de douleur chronique, il se serait alors attardé à évaluer les niveaux subjectifs de douleur. Il soutient également que le membre a ignoré son témoignage oral.

[7] Les dossiers médicaux révèlent que le demandeur souffre de douleurs musculo-squelettiques chroniques, notamment au niveau de son épaule et de son cou du côté droit (GD5-93), et au niveau de son dos et de ses jambes. Il semblerait qu’il ait été diagnostiqué [traduction] « précédemment comme souffrant du syndrome de la douleur chronique » (GD9-26 et 27). Les dossiers révèlent qu’il a subi une libération du nerf médian au niveau du canal carpien bilatéral. Le dossier médical de son médecin de famille (GD9-2) comporte les plaintes du demandeur qui sont en grande partie liées à de l’anxiété, à la maladie de Crohn, à de l’hyperlipidémie, à un trouble du sommeil, à de la fibromyalgie et à de l’arthrose. Les dossiers révèlent également qu’en janvier 2015, le demandeur se plaignait principalement de sa fibromyalgie, de son arthrose et de sa maladie de Crohn. Les observations du demandeur étaient axées sur sa fibromyalgie, car il s’agissait de l’une de ses multiples préoccupations d’ordre médical les plus incapacitantes et invalidantes.

[8] Le membre de la division générale n’a pas fourni d’analyse approfondie de la preuve médicale, mais il est clair qu’il était au courant de la douleur chronique du demandeur et qu’il en a tenu compte, bien qu’il n’ait peut-être pas utilisé l’expression « douleur chronique ». Le membre a reconnu que le demandeur éprouve de la douleur au niveau de son dos, de son épaule, de son coude, de son poignet, de sa cheville droite et de ses pieds depuis 2013. Le membre a également reconnu que le demandeur souffre de fibromyalgie, bien qu’il ait noté qu’il y avait peu d’éléments de preuve documentaire concernant ses traitements ou son incidente sur ses activités de la vie quotidienne.

[9] Le demandeur fait valoir que la division générale a ignoré son témoignage oral, notamment en ce qui a trait à la douleur dont il se plaignait. Pourtant, il est clair que la division générale a pris en considération le témoignage du demandeur à ce sujet. Le membre a simplement conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve documentaire médicale, voire aucun, permettant de corroborer le témoignage oral du demandeur concernant les incidences de sa fibromyalgie sur ses capacités fonctionnelles ou sur ses aptitudes à s’en sortir compte tenu de ses restrictions physiques. En d’autres termes, le membre n’était pas prêt à accepter le témoignage du demandeur en l’absence d’élément de preuve documentaire corroborant, tel un examen des capacités fonctionnelles.

[10] Cependant, le demandeur fait également valoir que la division générale aurait dû avoir accepté sans réserve son témoignage oral concernant ses niveaux subjectifs de douleur et les répercussions que cela a sur sa capacité de travailler, en l’absence de tout élément de preuve documentaire. En l’espèce, le rapport médical, daté du 16 juin 2014 et provenant d’un rhumatologue, a établi que le demandeur souffre de fibromyalgie, bien qu’il n’ait pas traité de la question des capacités fonctionnelles ou des aptitudes du demandeur (GD9-16). Je ne connais aucun fondement selon lequel un décideur se doit d’accepter sans réserve le témoignage oral d’un appelant concernant la gravité de son invalidité lorsqu’il n’y a pas d’élément de preuve documentaire ou que les éléments de preuve ne suffisent pas à traiter de la portée des limitations de cet appelant et des répercussions que cela a sur lui. Selon moi, il vaut mieux laisser au juge des faits la tâche de déterminer, selon la preuve qui lui a été présentée, si le témoignage oral de l’appelant est suffisant pour prouver sa cause ou si des éléments de corroboration sont nécessaires.

Entreprise de culture de vergers

[11] Le demandeur fait valoir que la division générale a commis une erreur en concluant qu’il était activement impliqué dans l’entreprise familiale de culture de vergers. Il soutient que ses blessures l’ont obligé à réellement se retirer de l’entreprise. Le demandeur soutient que les éléments de preuve non équivoques qui ont été présentés à la division générale indiquaient que l’entreprise de culture de vergers était devenue un investissement et non une entreprise à laquelle il participe activement. Il soutient que son implication se limite à donner des conseils à son épouse et à sa fille pendant une heure chaque jour. Le demandeur soutient que la division générale n’a pas du tout tenu compte de cet élément de preuve et que par conséquent, elle a commis une erreur lorsqu’elle a déterminé qu’il avait une occupation véritablement rémunératrice et lorsqu’elle a conclu qu’il gagnait un revenu d’emploi.

[12] Le membre a expressément noté au paragraphe 10 de la section « Preuve » que le demandeur estimait que son rôle consultatif pour l’entreprise de culture de vergers prenait environ une heure par jour. Dans son analyse, le membre a fait référence à cela comme étant une [traduction] « contribution à la ferme » pour laquelle il reçoit une part des bénéfices de l’opération, qui lui est versée à titre de revenu d’emploi, selon son relevé des gains (GD8-15). Il se peut que lorsqu’il a tenté de déterminer si le demandeur était atteint d’une invalidité grave, le membre a tenté de déterminer si le demandeur avait une capacité de travail, par exemple s’il était capable de contribuer à la gestion de la ferme de quelque façon que ce soit plutôt que de tenter de déterminer s’il était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Par exemple, au paragraphe 28, le membre a écrit qu’il était convaincu que, cumulativement, les problèmes médicaux du demandeur l’empêchaient de continuer à gérer la ferme. De même, au paragraphe 32, le membre a mentionné que l’ampleur des problèmes médicaux graves du demandeur, et ce, de manière individuelle ou combinée, n’est pas à un tel point grave que cela l’empêcherait de contribuer à la ferme.

[13] Compte tenu du fait que sa contribution à l’entreprise de culture de vergers est prétendument limitée, le demandeur suggère qu’il aurait dû y avoir une certaine analyse ou discussion afin de déterminer si sa maigre contribution à la ferme pourrait constituer une capacité à régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[14] Je ne pose pas de jugement pour tenter de déterminer si l’implication du demandeur dans l’entreprise de culture de vergers est maigre, et si cela peut être considéré comme s’il occupait une occupation véritablement rémunératrice, mais j’en conviens qu’il peut y avoir une cause raisonnable au motif que le membre aurait peut-être considéré la contribution du demandeur à la ferme comme étant équivalente à occuper une occupation véritablement rémunératrice, possiblement sans examiner son degré de participation aux activités (bien que cela ne veule pas dire pour autant que si un demandeur accomplit uniquement des tâches minimes, il n’a pas, par conséquent, la capacité d’en faire plus ou il n’a pas la capacité de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice). Cela mène à se poser la question plus vaste suivante : la division générale a-t-elle déterminé si le demandeur a une capacité de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice?

[15] Le membre a également noté que le demandeur possède des compétences transférables qui continuent d’être essentielles au bon fonctionnement de la ferme, mais il ne ressort pas clairement de la décision si le membre accepte le fait que le demandeur est restreint à travailler pendant une heure chaque jour ou s’il est capable de travailler pendant plus d’heures.

[16] Pour ces motifs, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Avis médical du médecin de famille

[17] Le demandeur soutient que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, au paragraphe 28, lorsqu’elle a déformé les propos du médecin de famille en écrivant qu’elles [traduction] « ne sont pas toutes invalidantes ». Le demandeur soutient que le médecin n’a pas commenté au sujet de l’effet cumulatif des problèmes médicaux.

[18] Le médecin de famille a préparé un rapport médical du Régime de pensions du Canada, daté du 16 novembre 2012, dans lequel il a écrit ce qui suit : [traduction] « On m’a demandé d’énumérer tous les diagnostics du patient, lesquels ne sont PAS tous invalidants » (GD5-56).

[19] Au paragraphe 28 de sa décision, la division générale a écrit ce qui suit :

[traduction]

Le Tribunal estime que, cumulativement, la « constellation » de problèmes médicaux n’empêche pas le [demandeur] de continuer à gérer la ferme conjointement avec son épouse et sa fille. Le Tribunal est d’accord avec le Dr Chilvers en ce qui concerne les douleurs dont se plaint son patient, lesquelles : « ne sont pas toutes invalidantes ». Ce médecin n’a pas indiqué quels problèmes sont invalidants, si certains d’entre eux le sont.

[20] La citation que le membre a faite de l’avis médical du médecin de famille est exacte. Il est également vrai que le médecin n’a pas précisé quels problèmes de santé étaient invalidants.

[21] Ce qui ressort moins clairement de la décision est si la conclusion du membre selon laquelle les problèmes du demandeur, cumulativement, ne l’empêchent pas de continuer à gérer la ferme découle de l’avis du médecin selon lequel pas tous ses problèmes de santé sont invalidants. Même si ces deux questions peuvent être perçues comme étant séparées et distinctes l’une de l’autre, elles sont abordées dans le même paragraphe. Pourtant, en même temps, ce n’est pas la première fois qu’un membre discute de deux questions qui semblent être séparées et disparates dans le cadre du même paragraphe. Par exemple, dans le paragraphe précédent, le membre a discuté des constatations du praticien en ce qui a trait au syndrome du canal carpien du demandeur, puis a entamé une discussion au sujet de l’avis d’un autre praticien en ce qui a trait à la réponse du demandeur aux médicaments pour sa maladie de Crohn, bien qu’il n’y ait pas de lien apparent entre les deux rapports et les deux problèmes médicaux.

[22] Ce qui ressort vraiment clairement est que le membre de la division générale est arrivé à sa conclusion selon laquelle, cumulativement, les problèmes du demandeur ne l’empêchent pas de continuer à gérer la ferme, et ce, en se fondant sur son analyse de la preuve médicale, aux paragraphes 26 et 27. En conséquence, je ne suis pas convaincue que cet appel ait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

La preuve

[23] Le demandeur a abordé le sujet des éléments de preuve médicale et ceux relatifs au travail qui avaient été présentés à la division générale. Il a également soulevé la jurisprudence sur la question du caractère grave aux termes du Régime de pensions du Canada. Il a décrit ses limitations et restrictions fonctionnelles. Il fait valoir que la preuve appuie une invalidité grave qui l’empêche de contribuer à la gestion du travail de la ferme.

[24] Essentiellement, le demandeur souhaite que la division d’appel apprécie et évalue à nouveau la preuve pour en arriver à une conclusion différente quant à son admissibilité à une pension d’invalidité. Cependant, comme la Cour fédérale a conclu dans l’arrêt Tracey, le rôle de la division d’appel n’est pas d’apprécier de nouveau l’affaire pour déterminer si la permission d’en appeler devrait être accordée ou refusée. Il en est ainsi parce qu’une nouvelle appréciation ne correspond à aucun des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS.

[25] De plus, je tiens compte des mots utilisés par la Cour fédérale dans l’affaire Hussein v. Canada (Attorney General), 2016 FC 1417Note de bas de page 1, précisant que [traduction] « l’examen et l’évaluation de la preuve sont au cœur du mandat et de la compétence de la [division générale]. L’on doit faire preuve d’une importante déférence envers ses décisions. »

Conclusion

[26] La demande de permission d’en appeler est accueillie. Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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