Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le demandeur sollicite la permission d’en appeler de la décision rendue par la division générale le 27 mars 2016. La division générale avait tenu une audience en personne et conclu que la défenderesse était admissible à une pension d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada (RPC) puisque, selon la division générale, son invalidité était « grave et prolongée » pendant sa période minimale d’admissibilité (PMA) qui a pris fin le 31 décembre 1998.

[2] Le 27 juin 2016, dans le respect du délai prescrit, le demandeur a déposé une demande de permission d’en appeler à la division d’appel. Afin que la demande soit accueillie, je dois être convaincu que l'appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable

[3] Selon les paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), « [i]l ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission », et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[4] Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[5] Les seuls moyens d’appel selon le paragraphe 58(1) de la LMEDS sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond. C’est un premier obstacle que le demandeur doit franchir, mais celui-ci est inférieur à celui auquel il devra faire face à l'audition de l'appel sur le fond.

[7] À l’étape de la demande de permission d’en appeler, le demandeur n’a pas à prouver sa thèse. Le demandeur doit convaincre la Cour qu’il existe un motif défendable qui pourrait éventuellement donner gain de cause à l'appel : Kerth c. CanadaNote de bas de page 1. La Cour d’appel fédérale a établi que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si elle a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. CanadaNote de bas de page 2.

Question en litige

[8] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Observations

Demandeur

[9] Dans sa demande de permission d’en appelerNote de bas de page 3, le demandeur a critiqué plusieurs points relatifs à la décision rendue par la division générale; des points qu’il a classés selon les catégories suivantes :

Erreurs de droit alléguées
  1. La division générale a omis d’évaluer correctement l’invalidité, et elle a ignoré la partie qui contient l’expression « régulièrement incapable » concernant le caractère grave de l’invalidité à la fin de la PMA de la défenderesse. Cette omission était d’autant plus évidente vu la preuve au dossier selon laquelle l’état de la demanderesse « fluctuait », ce qui suggère que son état n’était pas stable à la fin de sa PMA. Il y avait encore moins de preuves que la défenderesse était « régulièrement incapable » de détenir une occupation véritablement rémunératrice en décembre 1995, le moment où la division générale a conclu que la défenderesse est devenue invalide.
  2. La division générale a omis d’appliquer la jurisprudence de la Cour d’appel fédéraleNote de bas de page 4 selon laquelle les demandes de pension d’invalidité du RPC doivent être appuyées par des preuves médicales objectives. La Cour d’appel fédérale a aussi déclaré qu’une détermination d’invalidité ne peut être fondée uniquement sur des preuves subjectives fournies par le demandeurNote de bas de page 5. En l’espèce, la division générale a conclu que la défenderesse était invalide malgré l’absence de rapports médicaux à la fin de sa PMA pour confirmer que son invalidité était grave et prolongée. La décision de la division générale était également presque entièrement fondée sur le témoignage de la défenderesse et ses déclarations écrites, et elle a été rendue bien que très peu de preuves médicales objectives aient été présentées selon lesquelles la défenderesse était invalide au cours de sa PMA.
Conclusions de fait erronées alléguées
  1. La conclusion de la division générale présentée au paragraphe 89 de sa décision et selon laquelle l’invalidité de la défenderesse était grave et prolongée en décembre 1995 est incohérente avec la preuve présentée. Les dossiers cliniques du docteur Dow, qui n’a commencé à traiter la défenderesse qu’en février 1995, ne signalent aucun événement ou trouble médical invalidant à partir de cette date et jusqu’à la fin de la PMA.
  2. Bien que la division générale ait cité le bon critère juridique relatif au caractère grave de l’invalidité, elle ne l’a pas appliqué raisonnablement. Il y avait peu d’éléments de preuve d’une invalidité grave au début de 1995, au moment où la division générale a conclu que la défenderesse est devenue invalide, et aucune preuve n’appuyait l’existence d’une invalidité grave à la fin de la PMA de la défenderesse en décembre 1998. La division générale semble avoir ignoré des preuves accablantes selon lesquelles la défenderesse n’avait pas d’invalidité grave, et donc avoir tiré une conclusion de fait erronée sans avoir tenu compte des éléments portés à sa connaissance.
  3. La division générale a omis d’examiner une preuve probante et contradictoire par rapport au moment où la défenderesse pourrait être devenue incapable de travailler. La division générale a choisi d’accorder l’importance à une lettre rédigée en octobre 2012, près de 15 ans après la fin de la PMA de la défenderesse, selon laquelle la défenderesse n’avait pas été en mesure de travailler depuis février 1995. Cependant, dans le questionnaire qu’elle a rempli en octobre 2011, la défenderesse a déclaré que son dernier jour de travail avait été en juillet 2008, et elle a déclaré qu’elle ne pouvait plus travailler en avril 2011, soit 13 ans après la fin de sa PMA. Son médecin de famille, docteur Dow, avait également au départ déclaré que la défenderesse ne pouvait plus travailler en avril 2011. Bien que la division générale ait mentionné cette preuve contradictoire aux paragraphes 52 à 54 de sa décision, son analyse était incomplète. Un décideur n’est pas tenu de faire référence à chacun des éléments de preuve qui lui sont présentés, et il est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve. Cependant, lorsqu’il y a des preuves médicales très contradictoires comme c’est le cas ici, la division générale doit les aborder dans son raisonnement et procéder à une analyse pertinente.
  4. La division générale a ignoré des preuves accablantes selon lesquelles l’invalidité de la défenderesse n’était pas « prolongée » à partir de 1995, conformément à la définition légale. Parmi ces éléments de preuve, on compte les documents d’information suivants :
    • La note médicale du docteur Dow de janvier 1999 dans laquelle elle souligne que le lupus de la défenderesse semblait « quiescent »;
    • Le rapport du docteur Henderson d’avril 2002 selon lequel le niveau d’énergie de la défenderesse était « bon », et elle « demeurait active en marchant trois milles, quatre fois par semaine »;
    • Le rapport du docteur Pelkey de septembre 2009, selon lequel le lupus de la défenderesse avait été en rémission depuis un bon moment bien que la défenderesse ait arrêté de prendre le médicament Plaquenil, quoique cette dernière ait continué de ressentir « des poussées de douleur mineures, mais rien de sérieux ».
  5. La division générale a commis une erreur en concluant que la défenderesse n’avait pas la capacité de travailler après la fin de sa PMA, et que ses tentatives de travailler après 1998 prouvaient qu’elle ne pouvait pas détenir un emploi véritablement rémunérateur. La division générale a déclaré que les revenus générés par la demanderesse en 2007 et 2008 n’étaient pas associés à des emplois véritablement rémunérateurs parce que ces emplois n’étaient pas durables. La Cour fédérale a déclaré qu’un retour au travail de seulement quelques jours pouvait être considéré comme une tentative manquée, mais pas deux années de rémunération cohérentes avec les antécédents de la prestataire. En 2007, près de 10 ans après la fin de sa PMA, le registre des gains de la défenderesse affichait un revenu de 22 679 $, ce qui représente le plus important revenu jamais généré par la défenderesse. Dans une observation antérieure, elle a affirmé être retournée travailler de 2007 à 2008 « par simple nécessité financière ». Cette observation ne peut cependant pas servir à l’évaluation du caractère grave et prolongé de l’invalidité de la défenderesseNote de bas de page 6.

Défenderesse

[10] Dans une observation écrite du 29 novembre 2016, le représentant autorisé de la défenderesse a soutenu que les moyens invoqués par le demandeur ne conféraient pas à l’appel une chance raisonnable de succès, et que la demande de permission d’en appeler devrait être rejetée. Il a déclaré que la division générale n’avait pas erré en droit, et qu’elle n’avait pas tiré de conclusion de fait erronée. La division générale disposait d’un nombre suffisant de preuves médicales pour appuyer sa décision selon laquelle la défenderesse avait une invalidité grave et prolongée à la fin de sa PMA, et cette conclusion était corroborée par le témoignage de la défenderesse, qui n’a pas été contesté lors de l’audience.

[11] Le représentant de la défenderesse a suggéré que l’attention du demandeur semblait injustement fixée sur la notion selon laquelle la preuve médicale touchant la période suivant la PMA ne pouvait pas témoigner de l’état de la demanderesse avant la fin de sa PMA. Cette approche ignorait complètement la nature rétrospective des diagnostics et l’examen des antécédents médicaux de la patiente.

[12] Finalement, la défenderesse a déclaré que la permission d’en appeler devrait être refusée étant donné que le demandeur ne s’était pas présenté devant la division générale. Le demandeur tente simplement de contester en appel des éléments de preuve et des témoignages qu’il aurait pu contester à l’audience du 14 septembre 2015. La responsabilité de contester les faits et les documents présentés à la division générale revient au demandeur, et ce dernier ne devrait pas être autorisé à faire en appel ce qu’il aurait pu faire lors de l’audience initiale.

Analyse

[13] Après avoir examiné les observations des parties en fonction du dossier, je suis convaincu qu’au moins certains des moyens invoqués par le demandeur confèrent à l’appel une chance raisonnable de succès. Il n’est pas approprié à cette étape de se pencher sur chaque détail et d’aborder chacune des questions soulevées par les parties, mais voici ce qui, selon moi, représente les arguments les plus probants présentés par le demandeur jusqu’à maintenant :

Preuves antérieures à 1999

[14] La PMA de la défenderesse a pris fin il y a longtemps, et la majorité des preuves médicales présentées touchaient la période ultérieure au 31 décembre 1998. Comme il a été souligné par le demandeur, la division générale n’a fait référence qu’à deux rapports médicaux antérieurs à 1999 (celui du docteur Henderson d’avril 1996 sur la rhumatologie, et celui du docteur McKelvey d’août 1998 sur la neurologie). Ces deux rapports suggéraient que l’état de la demanderesse était stable. Toutefois, l’analyse de la division générale était principalement fondée sur le témoignage de la défenderesse et sur l’évaluation rétrospective réalisée par son médecin de famille, docteur Dow, le 31 octobre 2012. Bien que le dossier renfermait des copies des notes cliniques du docteur Dow remontant à 1995, incluant un rapport de l’état de la demanderesse durant la période la plus pertinente de 1997 à 1999, la décision de la division générale n’y faisait aucunement référence, et il est difficile de dire si elle en a tenu compte.

[15] Si elle n’en a pas tenu compte, il existe une cause défendable comme quoi la division générale pourrait avoir manqué à un principe de justice naturelle et commis une erreur mixte de fait et de droit en omettant de tenir compte d’éléments de preuve pertinents et objectifs pour déterminer si l’invalidité de la défenderesse était « grave » à la fin de sa PMA.

Déclarations contradictoires concernant la date de l’invalidité

[16] Je suis d’accord avec le demandeur par rapport au fait que la défenderesse et ses fournisseurs de traitement semblent avoir fourni des dates différentes à différents moments par rapport au moment où la défenderesse est devenue incapable de travailler. La division générale a choisi d’accepter l’opinion du docteur Dow d’octobre 2012 selon laquelle la défenderesse était invalide depuis le début de l’année 1995, mais elle n’a pas tenté de faire concorder cette date avec des preuves apparemment contradictoires, incluant la déclaration antérieure du médecin de famille laissant entendre que la défenderesse avait été capable de travailler jusqu’en avril 2011.

[17] Je vois une cause défendable comme quoi la division générale pourrait avoir tiré une conclusion de fait sans avoir tenu compte des éléments portés à sa connaissance. Il pourrait aussi y avoir eu manquement au principe de justice naturelle puisque la division générale pourrait avoir omis de fournir des motifs compréhensibles pour appuyer une preuve substantielle.

Emploi ultérieur à la PMA

[18] La division générale a déclaré ce qui suit concernant l’emploi de la défenderesse après le 31 décembre 1998 :

[82] L’appelante a présenté des déclarations concernant les divers emplois qu’elle a occupés après la date de fin de sa PMA. Bien qu’il soit vrai qu’elle a occupé divers postes pour des périodes déterminées très brèves, le Tribunal ne peut ignorer le fait que l’appelante a rencontré d’importantes difficultés dans le cadre de tous ces emplois. Ces difficultés sont mises en évidence par les problèmes continus rencontrés par l’appelante quant à son maintien en poste, à son constant besoin de pauses et à son rythme de travail. Par rapport à ce sujet précis, l’appelante a fourni des preuves franches, mais probantes selon lesquelles elle faisait beaucoup d’efforts pour conserver ses emplois, mais en vain. Le Tribunal accepte cette preuve sans réserve.

[83] Bien que l’appelante ait généré un revenu en 2007 et 2008, ce revenu ne peut simplement pas être associé à un emploi véritablement rémunérateur parce que les postes qu’elle a occupés au cours de cette période n’étaient clairement pas durables pour l’appelante. En fait, ses emplois empiraient [sic] ses troubles médicaux et la rendaient incapable de continuer à travailler. Cette série d’essais et d’échecs s’est poursuivie pendant plusieurs années après la date de fin de sa PMA.

[19] La défenderesse a persuadé la division générale que les postes qu’elle a occupés après la fin de sa PMA consistaient en une série d’essais de travail qui ont échoué parce que les symptômes associés à son lupus l’empêchaient d’offrir un rendement régulier. Cependant, il y a une cause défendable comme quoi la division générale a mal appliqué la jurisprudence lorsqu’elle a conclu que le revenu de la défenderesse de plus de 22 000 $ associé à son emploi de bureau au centre de réadaptation n’était pas lié à un emploi « véritablement rémunérateur ». Le demandeur a aussi relevé des preuves documentaires qui n’ont pas été examinées par la division générale et selon lesquelles la défenderesse avait quitté cet emploi pour des raisons autres que son trouble médical.

Conclusion

[20] J’accorde la permission d’en appeler pour tous les motifs présentés par le demandeur.

[21] J’invite aussi les parties à déposer leurs observations sur la pertinence de tenir une nouvelle audience et, si une audience s’avère nécessaire, sur le type d’audience qui convient.

[22] La présente décision d’accorder la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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