Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Aperçu

[1] Cet appel concerne la décision de la division générale rendue le 17 août 2015, laquelle concluait que l’appelante n’était pas admissible à une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, puisqu’il a été jugé que l’invalidité n’était pas « grave » à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité du 31 décembre 2007, ou avant.

[2] L’appelante n’a pas demandé la tenue d’une audience, et j’ai évalué qu’il n’était pas nécessaire d’en tenir une, alors l’appel a été instruit conformément à l’alinéa 43 a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Questions en litige

[3] Les questions dont je suis saisie sont les suivantes :

  1. Un nouvel examen serait-il approprié en appel à la division d’appel?
  2. La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée : l’appelante n’a pas conservé son emploi au magasin local Real Canadian Superstore parce que son ancien superviseur n’y a pas été muté comme elle le croyait?
  3. Quelle est la décision appropriée pour cet appel?

Moyens d’appel

[4] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question A : Nouvel examen

[5] Dans ses observations présentées le 21 juillet 2016, l’appelante a fait valoir que les rapports médicaux objectifs démontraient qu’elle souffre d’une invalidité grave. Elle a inclus plusieurs rapports médicaux et autres, dont un rapport d’examen diagnostique de sa colonne thoracique réalisé le 15 mai 2015. La division générale avait des copies de tous les dossiers et rapports médicaux, à l’exception du rapport d’examen diagnostique.

[6] Il est maintenant bien établi en droit que de nouveaux éléments de preuve (le rapport d’examen diagnostique) ne constituent pas un moyen d’appel. Comme la Cour fédérale l’a récemment indiqué dans l’affaire Marcia v. Canada (Attorney General), 2016 FC 1367Note de bas de page 1 [traduction] :

[34] Il n’est pas permis de produire une nouvelle preuve devant la division d’appel, car un appel à la division d’appel est restreint aux moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) et il ne représente pas l’occasion d’instruire l’affaire de novo. Comme le nouvel élément de preuve de madame Marcia se rapportant à la décision de la division générale ne pouvait pas être admis, la division d’appel n’a pas erré en décidant de ne pas l’admettre (Alves c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1100 au paragr. 73).

[7] Le rapport d’examen diagnostique ne concerne pas l’un des moyens d’appel. Je ne suis pas prête à l’admettre aux fins du présent appel.

[8] Essentiellement, l’appelante demande à la division d’appel d’apprécier et d’évaluer à nouveau la preuve pour en arriver à une conclusion différente sur son admissibilité à une pension d’invalidité. Cependant, comme l’a confirmé la Cour fédérale dans l’arrêt Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, le rôle de la division d’appel ne consiste pas à réexaminer la preuve alors qu’elle doit décider si la permission d’en appeler devrait être accordée ou refusée. Un nouvel examen ne se rattache à aucun des moyens d’appel prescrits au paragraphe 58(1) de la LMEDS.

[9] De plus, je tiens compte des mots utilisés par la Cour fédérale dans l’affaire Hussein v. Canada (Attorney General), 2016 FC 1417Note de bas de page 2, précisant que [traduction] « l’examen et l’évaluation de la preuve sont au cœur du mandat et de la compétence de la [division générale]. Ses décisions méritent une preuve de grande déférence. »

Question B : Conclusion de fait erronée

[10] Dans sa demande de permission d’en appeler, l’appelante a fait valoir que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, qu’elle n’a pas conservé son emploi dans un Superstore local parce que son ancien superviseur n’y a pas été muté comme elle le croyait. Elle affirme avoir témoigné que son gestionnaire avait en fait été muté à son Superstore local, mais qu’elle n’a pas pu continuer de travailler à cet endroit en raison de l’intensité de sa douleur et de la permanence de sa condition.

[11] L’intimé nie que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. L’intimé soutient que la division générale a tiré sa conclusion parce qu’il existait un fondement probatoire et donc que la conclusion de fait erronée n’a pas été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale. Bien que l’intimé maintienne que la preuve appuie de manière accablante la décision de la division générale, il n’a pas abordé le moyen pour lequel la permission d’en appeler a été accordée, à l’exception d’affirmer qu’ [traduction] « il n’est pas contesté que l’appelante n’a pas tenté de trouver une quelconque occupation rémunératrice ». L’intimé souligne que l’appelante ressentait que les employeurs ne l’embaucheraient pas à cause de son état de santé et elle a donc omis de déployer des efforts pour trouver un emploi ou pour tenter de négocier ses conditions de travail avec son ancien employeur.

[12] L’intimé soutient que, même si la division générale avait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, sa décision peut néanmoins être maintenue. L’intimé cite l’affaire Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au soutien de son affirmation. La Cour suprême du Canada a tenu au paragraphe 3 de sa décision que : « [l]a question que doit trancher le tribunal judiciaire siégeant en révision demeure celle de savoir si la décision attaquée, considérée dans son ensemble, à la lumière du dossier, est raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 708). » À cet égard, l’intimé prétend que la division générale a conclu de façon raisonnable que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité conformément au Régime de pensions du Canada. Plus précisément, l’intimé soutient que la preuve présentée à la division générale, laquelle incluait des éléments de preuve médicale et autres pièces documentaires, de même que le témoignage de l’appelante, ne démontrait pas que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au sens du Régime de pensions du Canada. L’intimé soutient que la décision de la division générale, d’après les moyens pour lesquels la permission d’en appeler a été accordée, est somme toute raisonnable et ne comporte pas d’erreur susceptible de contrôle qui justifierait l’intervention de la division d’appel.

[13] L’enregistrement audio de l’audience rapporte ainsi le témoignage de l’appelante en réponse à une question concernant la raison de son départ du Superstore [traduction] :

La douleur était devenue atroce et je déménageais aussi, pas par choix, mais je n’avais pas à arrêter de travailler en raison du déménagement. Hum. La chaîne Superstore est aussi établie à X, où je suis déménagée en 2007, et ils ne m’ont pas demandé de démissionner. Ils m’ont proposé une mutation. J’y ai pensé et, à ce moment, ils avaient une politique selon laquelle, même si je démissionnais, je pourrais y retourner à l’intérieur d’un délai d’un an, je pouvais aussi conserver mon ancienneté et mon salaire. Et parce que j’avais tellement de douleur, hum, quand j’ai déménagé, et bien j’ai dit que je prendrais quelques mois pour y penser et voir comment je me sentirais et pour voir comment les choses se dérouleraient et après je déciderai si j’y retourne ou non, ce que, j’ai fait.

Et aussi, la personne que je préfère, un gestionnaire avec qui je travaillais à X, il a aussi été muté à X peu de temps après et j’étais contente de cela. J’ai dit, si je retourne, je sais qu’il y a une personne gentille à cet endroit. Il a aussi été muté à X, j’imagine qu’il a eu une promotion. Il était gestionnaire adjoint et après, il a eu une promotion comme gestionnaire et a déménagé à X.

[...]

Je lui rendais souvent visite et lui parlait après à X et j’étais contente de cette situation. Je me suis juste demandé, tranquillement, au fil du temps, comment je pourrais retourner au travail en raison de ma condition. (1:01:00 à 1:03:36 de l’enregistrement)

(Mis en évidence par la soussignée)

[14] La preuve de l’appelante semble indiquer que son superviseur a été promu et ensuite muté au magasin Real Canadian Superstore de X, où elle lui rendait visite.

[15] En énonçant les éléments de preuve, la division générale a écrit ce qui suit [traduction] :

[31] […] Ses maux de dos s’accentuaient et elle songeait à quitter le superstore [sic] de X. En fait, on lui a proposé une mutation au Superstore de X. Elle a considéré la proposition, mais fut déçue d’apprendre que son superviseur n’allait pas être muté comme prévu au départ. De plus, elle éprouvait tellement de douleurs, qu’elle ne croyait pas pouvoir accepter l’offre.

[16] Au paragraphe 49 de l’analyse, en abordant la question énoncée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, à savoir si l’appelante s’était acquittée de son obligation de faire montre que les efforts déployés pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux en raison de son état de santé, la division générale a écrit [traduction] :

Dans son témoignage, elle suggère qu’elle aurait peut-être occupé le poste au Superstore de X, si son superviseur de X avait suivi son projet initial de mutation dans la petite collectivité.

[17] La division générale a essentiellement jugé que le superviseur n’a pas été muté à X, et puisqu’il est demeuré à X, l’appelante n’a pas donné suite aux perspectives d’emploi possible au Real Canadian Superstore de X. La conclusion de la division générale à cet égard, que l’ancien superviseur de l’appelante n’a pas été muté dans la petite collectivité, n’est pas étayée par le témoignage.

[18] Compte tenu du témoignage oral de l’appelante, dans lequel elle a mentionné que son ancien superviseur avait été muté à X et qu’elle le visitait régulièrement, je juge que la conclusion de la division générale sur le fait « qu’elle aurait peut-être occupé le poste au Superstore de X, si son superviseur de X avait suivi son projet initial de mutation dans la petite collectivité » a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[19] Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, je dois aussi déterminer si la division générale a fondé sa décision sur cette conclusion de fait erronée. En l’espèce, il est clair que la division générale a fondé en partie sa décision sur cette conclusion, puisque le membre a indiqué avoir été [traduction] « contraint de se concentrer sur la capacité et les compétences de l’appelante », et a ensuite procédé à l’examen de la raison pour laquelle elle a quitté son emploi en première instance, puis la raison pour laquelle elle a omis de conserver son emploi auprès de l’ancien employeur à X. Le membre a reconnu que l’appelante souffrait de douleurs et de dépression, mais a jugé que sa dépression était circonstancielle, occasionnée par des facteurs externes que l’appelante peut partiellement contrôler. Le membre a mis l’accent sur ce qu’il considérait comme étant le témoignage de l’appelante, qu’elle aurait possiblement accepté l’emploi, si le superviseur avait été muté à X. Le membre semblait indiqué que, si le superviseur avait été muté à X, l’appelante aurait vraisemblablement repris ses fonctions au Superstore, et l’on aurait vu une amélioration de ses symptômes de dépression. À l’exception de son analyse de la preuve médicale, ces considérations étaient cruciales dans l’analyse du membre sur la question à savoir si l’appelante démontrait une capacité et des compétences.

[20] Compte tenu de la preuve soumise à la division générale, je juge que le membre a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, qu’il a tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question C : Décision

[21] L’intimé soutient que les décisions de la division générale méritent une grande preuve de déférence, car, en tant que juge des faits, elle considère de près les faits et la preuve, comme elle a entendu le témoignage des parties directement et eu l’occasion d’évaluer la crédibilité de la preuve et de la soupeser. L’intimé fait valoir que la division d’appel peut intervenir que si la conclusion de fait a été tirée « de façon abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments » portés à la connaissance de la division générale. Comme j’ai conclu que le membre a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, qu’il a tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, je juge que peu de déférence, voire aucune, ne doit être accordée en ce qui a trait à l’ensemble précis de faits que j’ai précédemment identifié.

[22] Bien que l’intimé concède que la division d’appel peut intervenir si la conclusion de fait a été tirée « de façon abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance », il affirme néanmoins qu’il faut faire preuve de déférence parce que la décision de la division générale, que l’appelante n’était pas invalide, était somme toute raisonnable. Sur ce point, l’intimé m’a reportée à plusieurs conclusions de la division générale. L’intimé soutient que la conclusion de la division générale sur l’insuffisance de preuve pour démontrer que l’appelante souffrait d’une invalidité « grave » à la fin de sa période minimale d’admissibilité du 31 décembre 2007, n’avait pas été tirée de façon abusive ou arbitraire, compte tenu des troubles de santé de l’appelante et de l’absence de preuve d’efforts déployés et d’existence de possibilités d’emploi.

[23] Cependant, la Cour d’appel fédérale rejette cette approche pour un tribunal administratif tel que la division d’appel (Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242 (CanLII) et Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274 (CanLII)) et suggère aux tribunaux administratifs de se garder d’emprunter à la terminologie et au génie propre du contrôle judiciaire dans un contexte d’appel administratif. La Cour d’appel fédérale conseille à la division d’appel de se référer à sa loi habilitante. Elle souligne qu’au moment de l’instruction d’un appel, conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, le mandat de la division d’appel lui est conféré par les articles 55 à 69. Dans l’arrêt Jean, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il n’était « nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire ».

[24] Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, la Cour d’appel fédérale a précisé qu’ « [i]l faut plutôt chercher à donner effet à l’intention du législateur ». Selon la Cour d’appel fédérale, la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est « purement et essentiellement une question d’interprétation des lois » (au paragraphe 46). L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la LMEDS qui doivent être lus au regard de leur contexte général, « selon leur sens grammatical et ordinaire, et en harmonie » avec l’économie de la LMEDS et son objet.

[25] L’adhésion à l’approche établie par la Cour d’appel fédérale me demande de considérer l’évolution de la LMEDS, de son objet allégué et du libellé du paragraphe 58(1) de la LMEDS. Je conclus que la division d’appel doit démontrer une certaine déférence à l’égard des conclusions de fait tirées par la division générale. Cependant, j’estime qu’on ne doit accorder aucune déférence dans le cas d’erreurs de droit, ou de conclusions de fait erronées, comme pour la présente affaire, sur lesquelles s’est appuyée la division générale pour rendre sa décision, qui seraient tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[26] Compte tenu des directives transmises par la Cour d’appel fédérale, l’intimé ne m’a pas convaincue que la LMEDS me permet nécessairement de maintenir la décision de la division générale au fondement qu’elle est somme toute raisonnable. Certaines circonstances justifieraient le maintien d’une décision (dans le cas où aucune preuve médicale n’appuierait une conclusion d’une quelconque invalidité, même s’il existait plusieurs erreurs de fait, par exemple, quant à l’emploi d’un appelant ou aux efforts déployés pour trouver un emploi). Toutefois, dans les circonstances de la présente affaire, l’analyse de la capacité et des compétences de l’appelante était si étroitement liée à son omission de conserver son emploi auprès de l’ancien employeur au magasin local, qu’il ne serait pas approprié d’ignorer la conclusion de fait erronée et de juger que la décision était somme toute raisonnable.

[27] L’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée à la division générale pour un nouvel examen.

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