Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 30 novembre 2015, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a conclu qu’une pension d’invalidité n’était pas payable à l’appelant dans le cadre du Régime de pensions du Canada.

[2] Une demande de permission d’en appeler, portant sur la décision rendue par la division générale, a été présentée à la division d’appel du Tribunal. La permission d’en appeler a été accordée le 9 août 2016, pour des erreurs qui pourraient avoir été commises en ce qui a trait à la preuve relative aux problèmes psychologiques et à la fibromyalgie, et pour l’absence de mention de rapports médicaux récents à l’appui.

[3] Cet appel sera instruit sur la foi du dossier. Il n’est pas nécessaire de tenir une autre audience comme aucun témoignage ne doit être livré, et aussi parce que les deux parties sont représentées et leurs représentants ont déjà soumis des observations écrites détaillées. Ce mode d’audience est conforme à l’obligation du Tribunal, qui est de procéder de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, conformément au paragraphe 3(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

[4] J’ai examiné les documents soumis à la division générale, les décisions susmentionnées de la division générale et de la division d’appel, les observations de l’appelant (5 février 2016, 16 septembre 2016 et 21 février 2017) ainsi que les observations de l’intimé (23 septembre 2016). L’intimé n’a pas voulu présenter d’observations en guise de réponse.

Moyens d’appel

[5]  Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, il a été établi que les normes de contrôle applicables au contrôle judiciaire d’une décision rendue par un décideur administratif ne doivent pas être appliquées automatiquement par un organisme administratif d’appel spécialisé. Un tel organe d’appel doit plutôt s’en tenir aux moyens d’appel établis par leur loi constitutive. À ce sujet, je suis d’accord avec l’intimé qui a soutenu, dans ses observations, qu’il ne faut faire preuve d’aucune déférence à l’endroit de la division générale en ce qui concerne les questions de justice naturelle et de compétence, et les erreurs de droit. Je conviens aussi que le libellé de l’alinéa 58(1)c) commande, de la part de la division d’appel, une certaine déférence relativement aux erreurs de fait : pour que l’appel puisse avoir une chance raisonnable de succès, la conclusion de fait attaquée doit non seulement être déterminante (« a fondé sa décision sur ») et être inexacte (« erronée »), mais il faut également que la division générale l’ait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] Le représentant de l’appelant se fonde sur l’arrêt Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, pour faire valoir, grosso modo, qu’aucune déférence n’est due à l’endroit de la division générale. Dans un obiter dictum, la Cour d’appel fédérale laissait entendre qu’« il faut […] se garder d’emprunter à la terminologie et au génie propre du contrôle judiciaire dans un contexte d’appel administratif », puis a mentionné le mandat de la division d’appel sous le régime de la Loi sur le MEDS; ces commentaires coïncident avec Huruglica. Cependant, dans Jean, la Cour a aussi fait savoir que la division d’appel a autant d’expertise que la division générale « et n’est […] donc pas tenue de faire preuve de déférence ». Elle a ensuite expliqué que la division d’appel aurait dû déterminer, dans cette affaire, si la division générale avait rendu une décision entachée d’une erreur de droit en appliquant le libellé exact de l’alinéa 58(1)c), et qu’il n’y avait « nul besoin de greffer à ce texte la jurisprudence qui s’est développée en matière de contrôle judiciaire. » Il est suggéré dans Jean que le concept de déférence, tel qu’on le trouve dans le contexte de la norme de la décision raisonnable dans le cadre d’un contrôle judiciaire, ne doit pas s’appliquer à la révision des décisions de la division générale qu’effectue la division d’appel, et qu’une telle révision en appel doit être guidée par les dispositions législatives, sans aller plus loin. D’après l’interprétation que j’en fais, Jean ne signifie pas que ces dispositions législatives ne recèlent aucune déférence ni ne donne à penser qu’un simple désaccord quant à une conclusion de fait déterminante révèle une erreur susceptible de contrôle (en fait, à la fin du compte, seule une erreur de droit a été abordée dans Jean). Comme je l’ai précisé plus tôt, il faut, conformément à l’alinéa 58(1)c), que la conclusion de fait ait été déterminante et erronée, et que la division générale l’ait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. De toute manière, comme le montrera la suite, cet appel ne repose pas sur le degré de déférence accordé à la division générale quant aux erreurs de fait.

Discussion

[8] Pour qu’il soit plus facile de s’y reporter, l’analyse qu’a menée la division générale, pour savoir si l’appelant été atteint d’une invalidité grave, a été entièrement recopiée ci-dessous :

[traduction]

[46] Le critère de gravité doit être évalué dans un contexte réaliste (Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248). Cela signifie que le Tribunal doit, pour déterminer si une personne est atteinte d’une invalidité grave, tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau de scolarité, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie de cette personne. Le Tribunal a noté que l’appelant avait seulement fait du travail manuel exigeant dans le passé, mais également qu’il était encore jeune et qu’il devrait être capable de se recycler pour occuper un emploi qui convienne davantage à ses limitations.

[47] Où il y a des preuves de capacité de travail, une personne doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé (Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117). L’appelant a témoigné qu’il était capable d’effectuer des travaux agricoles légers en 2012-2013.

[48] Dans son rapport initial de novembre 2012, la docteure Wendling n’a fait état d’aucun problème de santé mentale. En janvier 2012, le docteur Hussain, psychiatre, a noté que l’appelant ne semblait pas être en détresse ni excessivement anxieux. En fait, dans son témoignage oral, l’appelant a affirmé qu’il n’était pas déprimé. Cela écarterait tout problème psychologique grave qui l’empêcherait de travailler. De plus, l’association pour la santé mentale a clos son dossier puisque son cas n’était plus préoccupant.

[49] Le médecin de famille de l’appelant a posé un diagnostic de syndrome des jambes sans repos. Cependant, une étude sur le sommeil qui a ensuite été menée n’a révélé aucun mouvement anormal des extrémités.

[50] En mai 2012, l’appelant a été examiné par le docteur Freeman, qui a noté que son dos avait une ADM [amplitudes du mouvement] optimale et qu’il était capable de porter tout son poids. Un traitement conservateur avait été recommandé. L’appelant avait également été examiné en octobre 2012 par le docteur Croft, à la clinique orthopédique. Le docteur avait recommandé un traitement conservateur, comme la perte de poids et le renforcement des muscles du tronc. Aucun suivi n’était nécessaire.

[51] Le docteur Pope, rhumatologue, n’avait pas posé un diagnostic de fibromyalgie chez l’appelant.  

[52] En août 2012 [sic], le docteur Boyd a noté que l’appelant semblait bien se porter et ne pas être en détresse. Sa colonne avait une bonne amplitude du mouvement dans toutes les directions. Le diagnostic était une douleur aux genoux et une douleur au bas du dos de nature mécanique. Le docteur Boyd a recommandé qu’il fasse de la physiothérapie et de l’ergothérapie pour améliorer sa qualité de vie.

[53] Un examen orthopédique effectué en juillet 2012 a révélé que l’appelant n’avait aucune restriction pour marcher ou s’asseoir, et qu’il faisait encore certaines choses à la ferme. Il pouvait marcher et sa démarche et ses relâchements étaient normaux à une force de 5/5.

[54] Le docteur Lawendy, chirurgien orthopédiste, a noté en octobre 2013 [sic] que l’appelant se portait très bien après son accident et que son ADM et sa capacité à soutenir son poids s’amélioraient.

[55] Le Tribunal tient compte de la décision suivante de la Commission d’appel des pensions (CAP) : bien que chacun des problèmes médicaux d’un appelant, pris séparément, n’entraîne pas nécessairement une invalidité grave, l’effet cumulatif des différentes affections peut rendre l’appelant gravement invalide — Barata c. MDRH (17 janvier 2001) CP 15058 (CAP). Le Tribunal est d’avis que les effets cumulatifs des problèmes médicaux de l’appelant ne le rendent pas gravement invalide. Il a été traité par l’entremise des traitements très conservateurs qui lui avaient été recommandés.

[56] Le Tribunal a conclu que l’appelant n’était pas atteint d’un problème physique ou psychologique l’empêchant de trouver et de conserver une occupation rémunératrice convenable au moment où sa PMA a pris fin, le 31 décembre 2013.

[9] La division d’appel a accordé la permission d’en appeler au motif que la division générale :

  1. n’avait pas tenu compte des diagnostics de dépression et d’anxiété posés par la docteure Wendling dans le rapport médical initial, en affirmant au paragraphe 48 que la docteure n’avait rapporté aucun problème de santé mentale;
  2. pourrait avoir ignoré une bonne partie du contenu du rapport de janvier 2012 du docteur Hussain, comme elle n’a mentionné qu’un seul aspect de ce rapport au paragraphe 48;
  3. a vraisemblablement erré, au paragraphe 51, en affirmant que le docteur Pope n’avait pas posé un diagnostic de fibromyalgie sans faire mention des informations de nature inverse;
  4. a vraisemblablement erré du fait qu’elle n’a pas traité dans son analyse de la preuve médicale à l’appui datant de 2013.

[10] Bien que ces craintes ont été présentées comme des erreurs de fait potentielles, la division d’appel n’a pas précisé la nature des erreurs pour lesquelles elle avait accordé la permission d’en appeler. Par conséquent, et d’après la décision rendue dans Mette v. Canada (Attorney General), 2016 FCA 276, j’estime ne pas avoir à limiter mon analyse de cette décision à l’un des moyens d’appel prévus par la loi en particulier. En réalité, ces erreurs témoignent d’une incohérence dans les motifs de décision, et c’est sur ce fondement que l’appel a été accueilli.

[11] Dans ses observations, la représentante de l’appelant souligne que les décideurs doivent motiver les conclusions de fait déterminantes qu’ils tirent par rapport à des preuves contradictoires ou contestées, et que leurs motifs doivent refléter une analyse valable de la preuve (R. c. Sheppard, 2002 CSC 26; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Quesnelle, 2003 CAF 92; Canada (Procureur général) c. Fink, 2006 CAF 354). La représentante de l’appelant n’a pas abordé cet aspect des observations de l’appelant, même si on a lui en a donné l’occasion.

[12] La division générale mentionne le critère relatif à la gravité de l’invalidité dès le début de sa décision : [traduction] « Une personne n’est considérée comme étant atteinte d’une invalidité grave que si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. » Pourtant, avant de conclure que l’appelant ne souffrait pas d’une telle invalidité, et malgré les preuves contradictoires au dossier, la division générale n’a présenté dans sa décision aucune conclusion de fait relativement aux diagnostics de l’appelant, aux limitations fonctionnelles qui les accompagnent, à son aptitude à travailler et à ses efforts pour trouver un emploi. J’ai pu trouver les trois conclusions de fait suivantes dans l’analyse : l’appelant [traduction] « avait seulement fait du travail manuel exigeant dans le passé », [traduction] « devrait être capable de se recycler pour occuper un emploi qui convienne davantage à ses limitations », et [traduction] « ne souffrait pas d’un problème psychologique grave l’empêchant d’occuper tout emploi ». Le lecteur doit cependant présumer quelles ont été les autres conclusions de la division générale, d’après les éléments de preuve qu’elle a choisi de mentionner dans son analyse, sans pourtant en tirer expressément des conclusions. Je tiens à souligner que faire état de la preuve (de manière fidèle ou non) ne revient pas à tirer des conclusions de fait, et cette substitution laisse particulièrement à désirer quand les éléments de preuve contradictoires ne sont même pas mentionnés.

[13] Les erreurs invoquées pour lesquelles la permission d’en appeler a été accordée illustrent les lacunes dans les motifs de la division générale. En ce qui a trait à la preuve psychologique, la description inexacte du rapport de la docteure Wendling, en particulier, rend impossible de savoir si la conclusion de fait a été tirée à la lumière de la preuve. S’il se peut très bien que la conclusion que l’appelant ne souffrait pas d’un problème psychosocial grave l’empêchant de travailler avant décembre 2013 soit fondée sur la preuve, comme l’affirme le représentant de l’intimé (particulièrement compte tenu de la déclaration du docteur Hussain voulant que [traduction] « sa dépression n’est pas grave au point de le rendre incapable de travailler »), il n’est pas possible de savoir si c’est le cas d’après le paragraphe 48 de la décision. Pour sa part, l’affirmation relative au fait que le docteur Pope n’avait diagnostiqué de fibromyalgie témoigne de l’absence de conclusions de fait relatives aux diagnostics reçus par l’appelant et aux limitations liées à celles-ci qui pourraient faire l’objet d’une révision, et exemplifie aussi un rejet (implicite) sans explication du diagnostic de fibromyalgie posé par la docteure Wendling. Bien que la division générale a tout à fait la liberté de préférer une opinion médicale à une autre, elle est tenue de fournir les motifs de son choix. Enfin, même si je ne suis pas convaincue que la division générale était dans l’obligation d’aborder la note sur le graphique du 12 juin 2013 (puisqu’elle ne contenait aucun renseignement ayant trait aux diagnostics, aux limitations ou à l’employabilité de l’appelant), l’analyse ne comportait pas une analyse valable de la preuve citée relativement au problème au dos de l’appelant et à son incidence sur son travail.

[14] En définitive, je conclus, de la même manière que dans Fink, que la division générale « n’analyse pas, n’accepte pas, ne rejette pas ou n’explique pas [dans sa décision] pourquoi elle préfère l’une ou l’autre opinion médicale ou opinion d’expert de préférence à une autre, ce qu’elle est tenue de faire », et qu’elle cite également mal la preuve, contrecarrant ainsi les efforts du lecteur pour comprendre ses conclusions et sa décision. L’impératif de fournir une analyse valable et des motifs intelligibles découle de l’obligation prévue par la loi de rendre une décision motivée par écrit (paragraphe 54(2) de la Loi sur le MEDS), ainsi que des principes de justice naturelle qui s’appliquent au Tribunal; ces principes incluent notamment le droit à ce que l’ensemble de la preuve soit examinée par le décideur et le droit de connaître les motifs de décision qui permettent au lecteur de comprendre le fondement de la décision rendue. L’appel est accueilli au motif que la division générale a commis une erreur de droit et n’a pas observé les principes de justice naturelle puisque ses motifs de décision ne révèlent pas une analyse valable de la preuve et ne peuvent pas être facilement examinés ou compris.

[15] Comme dans Quesnelle, je tiens à souligner que la division générale était et demeure libre de conclure, d’après les éléments de preuve portés à sa connaissance, que l’appelant n’était pas atteint d’une invalidité grave au sens du sous-alinéa 42(2)a)(i).

Conclusion

[16] L’appel est accueilli. Conformément au paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS, l’affaire est renvoyée à la division générale pour qu’un membre différent statue sur l’appel formé par l’appelant.

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