Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Aperçu

[1] Le demandeur souhaite obtenir la permission d’en appeler d’une décision rendue en date du 23 novembre 2015 par la division générale, qui a statué qu’il n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC), après avoir conclu qu’il n’était pas atteint d’une invalidité « grave » à la date où sa période minimale d’admissibilité a pris fin, le 31 décembre 2015. Le demandeur a présenté une demande de permission d’en appeler le 11 février 2016, invoquant plusieurs moyens d’appel.

Question en litige

[2] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Analyse

[3] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appels sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[4] Pour que je puisse lui accorder la permission d’en appeler, le demandeur doit me convaincre que ses motifs d’appel se rattachent au moins à l’un des moyens d’appel prévus et que l’appel a une chance raisonnable de succès. La Cour fédérale du Canada a confirmé cette approche dans Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300. Le demandeur soutient que la division générale a commis toutes les erreurs constituant des moyens d’appel.

a) Manquement à la justice naturelle

[5] Le demandeur avance que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence, du fait qu’il aurait été privé d’une audience équitable. Plus précisément, le demandeur prétend que la division générale ne lui a pas donné l’occasion d’appeler un témoin ou de véritablement plaider sa cause. Il prétend également que le membre était partial.

[6] Le demandeur soutient que la division générale ne lui a pas donné l’occasion d’appeler un témoin, comme le temps était venu à manquer, admettant que le membre de la division générale avait passé beaucoup de temps à lui poser des questions, et qu’ils avaient perdu du temps quand lui et son représentant étaient sortis de la salle d’audience et avaient pris un certain temps avant de pouvoir y accéder de nouveau. Il prétend que la preuve d’un témoin était cruciale pour clarifier le commentaire erroné d’un médecin, commentaire sur lequel la division générale s’était fondée pour rendre sa décision. Le demandeur soutient également qu’il n’avait pas eu assez de temps pour présenter des observations orales en raison du temps perdu.

[7] Le demandeur soutient qu’une crainte raisonnable de partialité est justifiée vu l’effet cumulatif des problèmes suivants :

  1. Le membre n’a pas donné au demandeur l’occasion de bien plaider sa cause, et a plutôt [traduction] « sélectionné à sa guise certains aspects des […] documents » et, ce faisant, il n’a pas tenu compte de l’ensemble des éléments soumis en preuve;
  2. Le membre a ignoré une [traduction] « preuve médicale accablante », qui démontrait que le demandeur était incapable d’occuper tout emploi d’un point de vue fonctionnel;
  3. Le membre n’a accordé aucune valeur aux opinions ou aux observations du médecin de famille, même si celui-ci voit le demandeur plus fréquemment que les autres soignants, et est donc mieux placé pour évaluer le niveau de ses capacités fonctionnelles;
  4. Le membre n’a pas tenu compte de la possibilité que le demandeur ait des trous de mémoire et que sa mémoire ne reflèterait pas la gravité de son état de santé et des effets secondaires de ses médicaments, ou de l’effet du « téléphone arabe », comme il a été examiné par de nombreux fournisseurs de soins qui se fondaient sur les renseignements figurant dans les dossiers des autres, alors que ces renseignements pourraient ne pas toujours avoir été exacts;
  5. Le membre a fait plusieurs déclarations inexactes et trompeuses.

[8] Je ne suis pas convaincue que ces problèmes donnent nécessairement lieu à une crainte raisonnable de partialité. Par exemple, les tribunaux ont toujours maintenu les principes selon lesquels un décideur n’a pas besoin de mentionner chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés, incluant ceux qui appuient la position d’une partie; un juge des faits est présumé avoir tenu compte de l’ensemble des éléments soumis en preuve; et il revient au juge des faits d’évaluer les éléments de preuve et de déterminer la valeur qu’il convient de leur accorder. Ces principes peuvent écartés lorsque la valeur probante des éléments de preuve qui n’ont pas été expressément discutés est telle que ces éléments de preuve auraient dû être discutés : Singer c. Canada (Procureur général), 2010 CF 607, au paragraphe 20. Cela dit, même si le demandeur prétend que la division générale n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve, il ne m’a pas précisé la preuve qui aurait été rejetée ou ignorée, et n’a pas non plus expliqué en pourquoi cette preuve revêtirait une valeur probante.

[9] Le demandeur avance que la division générale n’a pas tenu compte de la possibilité qu’il souffre des trous de mémoire, d’effets secondaires de ses médicaments et de l’effet du « téléphone arabe », mais il n’a fourni aucun fondement probatoire à l’appui de ses observations.

[10] Si les membres du Tribunal de la sécurité sociale peuvent instruire les appels de la manière qu’ils jugent convenir aux circonstances, ils sont tout de même tenus de respecter les principes de justice naturelle. La justice naturelle vise à assurer qu’un demandeur bénéficie d’une occasion juste et équitable de présenter sa cause ainsi que d’une audience équitable, et que la décision rendue soit impartiale et exempte d’une crainte ou d’une apparence raisonnable de partialité. Si l’enregistrement audio de l’audience corroborait certaines de ces allégations, il se pourrait qu’un manquement à la justice naturelle ait été commis. Je suis disposée à accorder la permission d’en appeler pour ce motif. Cela ne signifie pas que le demandeur a prouvé qu’un manquement a bel et bien été commis. Par exemple, si le représentant du demandeur a ultimement décidé de ne pas appeler de témoins après avoir jugé que la preuve en question n’était plus déterminante, il ne s’agirait pas d’un cas où la division générale a privé le demandeur d’une occasion d’appeler un témoin.

b) Villani et paragraphe 90 de la décision de la division générale

[11] Le demandeur soutient que la division générale n’a pas bien appliqué les principes consacrés par la Cour d’appel fédérale dans Villani c. Canada (Procureur), 2001 CAF 248, et, plus précisément, qu’elle n’aurait pas mené une analyse dans un contexte « réaliste » lorsqu’elle a évalué sa capacité à se recycler ou à régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice. Le demandeur prétend que la division générale n’a pas tenu compte de ses problèmes psychiatriques persistants ni du fait que ses études, sa formation, ses antécédents professionnels et son expérience de la vie lui permettaient seulement d’occuper des emplois qui requièrent d’interagir avec autrui. Le demandeur affirme que la division générale n’a pas tenu compte de l’incidence de ses problèmes de santé sur sa capacité à occuper un emploi vraiment rémunérateur à une fréquence régulière.

[12] Les problèmes de santé mentale dont prétend souffrir le demandeur forment la pierre angulaire de ces observations. Même si le demandeur dit être atteint de plusieurs problèmes de santé mentale, la division générale a conclu que [traduction] « son [trouble de stress post-traumatique], son anxiété, sa dépression et son trouble bipolaire sont des prétentions bancales. » La division générale a tout de même tenu compte de ces supposés problèmes en évaluant la gravité de son invalidité et en cherchant à savoir s’il avait toute capacité à détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. La division générale a fondé sa décision sur les opinions de plusieurs médecins, notamment d’un psychiatre. C’est dans ce contexte que la division générale a mené une analyse « réaliste » au paragraphe 90 de sa décision, conformément à Villani. Même si la division générale n’a pas fait état de tous les détails de l’instruction et des compétences du demandeur, le membre a fait savoir qu’il les avait considérées. Le membre a écrit que [traduction] « [l]e Tribunal constate […] que le [demandeur] est relativement jeune, parle anglais, a fait de bonnes études et possède de nombreuses compétences transférables. »

[13] Dans Villani, la Cour d’appel fédérale met en garde contre toute intervention en ce qui concerne l’évaluation d’un décideur relativement aux circonstances d’un demandeur, dans la mesure où le décideur a appliqué le critère juridique indiqué en matière de gravité, comme il est le mieux placé pour déterminer concrètement si, d’après les faits, un demandeur est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Je suis également consciente du propos suivant, tenu par la Cour fédérale dans Hussein v. Canada (Procureur général), 2016 CF 1417 : [traduction] « L’appréciation et l’évaluation de la preuve sont au cœur même du mandat et de la compétence de la [division générale]. Il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard de ses décisions. » Comme le membre a tenu compte de caractéristiques personnelles du demandeur et de ses prétendus problèmes de santé mentale, et qu’il a mené une analyse dans un contexte « réaliste », je ne suis pas convaincue que cette observation en particulier confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

c) Conclusions de fait erronées

[14] Le demandeur prétend que la division générale a fondé sa décision sur plusieurs conclusions de fait erronées. Certaines des observations du demandeur sous cette rubrique n’appartiennent pas vraiment à cette catégorie, mais je vais tout de même les aborder sous cette rubrique, comme c’est ainsi qu’elles ont été présentées.

Paragraphes 72 à 75

[15] Certaines de ces conclusions de fait erronées qui sont reprochées pivotent sur les conclusions que le membre a tirées concernant la fiabilité de la preuve produite par le demandeur. Le demandeur aimerait maintenant aborder et expliquer certaines des contradictions que la division générale avait décelées. Par exemple, le membre avait constaté, au paragraphe 74, qu’il existait trois différentes versions des faits relativement à son congédiement pour l’emploi qu’il avait occupé à X, dont deux différentes versions qui figuraient dans les dossiers d’ne ancien psychiatre, le docteur J. Gilbert. Le demandeur prétend que le docteur Gilbert doit avoir fait une erreur dans sa version et qu’il avait eu l’intention d’appeler en témoin son épouse pour affirmer que l’incident l’impliquant n’avait pas eu lieu. Même si cela s’était ainsi déroulé et que l’épouse du demandeur avait témoigné en ce sens, il y aurait quand même eu deux différentes versions des faits relativement à son congédiement.

[16] De plus, même si l’épouse du demandeur aurait pu présenter une version des faits différente de celle qui figurait au dossier du docteur Gilbert, il demeure que la division générale disposait de cette preuve, et qu’elle pouvait se fier à la véracité des dossiers, non pas à titre de « preuve des faits », mais comme une preuve montrant que le demandeur avait ainsi rapporté les faits au docteur Gilbert. Même si l’épouse du demandeur avait témoigné, je doute qu’elle aurait été capable d’écarter le fait qu’un incident avait été rapporté à la docteur Gilbert.

[17] Au paragraphe 73, le membre a cité un exemple où il estimait que le demandeur avait relayé de l’information inexacte à des professionnels de la santé. Le membre a jugé que, même si le demandeur avait dit à un psychiatre qu’un autre psychiatre, le docteur Zamar, avait diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique chez lui, les notes du docteur Zamar ne donnent absolument pas à penser qu’il ait posé un tel diagnostic. Le demandeur explique maintenant que le docteur Zamar avait officieusement posé ce diagnostic, sans le documenter, ou qu’il aurait en fait pu recevoir le diagnostic initial de la part de son médecin de famille. Bien que cela puisse être vrai, un appel n’est pas une occasion de refaire un procès ou de produire de nouveaux éléments de preuve qui auraient pu mener à une issue plus favorable s’ils avaient été admis par le membre.

[18] Aujourd’hui, il est de jurisprudence constante que de nouveaux éléments de preuve ne constituent pas un moyen d’appel devant la division générale. Comme la Cour fédérale l’a récemment expliqué dans Marcia v. Canada (Procureur général), 2016 CF 1367, « [i]l n’est pas permis de produire de nouveaux éléments de preuve devant la division d’appel, car un appel à la division d’appel est restreint aux moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) et n’est pas une occasion d’instruire l’affaire de novo. » Le demandeur aurait pu expliquer à la division générale les incohérences et les lacunes dans la preuve durant l’audience tenue par celle-ci, comme la Loi sur le MEDS ne donne pas compétence pour examiner de nouveaux éléments de preuve à cet effet.

[19] Cette logique s’applique aussi aux conclusions de fait erronées qui auraient été tirées au paragraphe 72, où le membre a fait état des éléments de preuve présentés par le demandeur concernant ses antécédents de travail, qu’il a jugés contradictoires, et s’applique aussi aux observations se rapportant au paragraphe 75. L’appel n’est pas une occasion, pour les parties, de présenter de nouveaux éléments de preuve ou des observations en réponse à des questions qui auraient pu être abordées dans le cadre de l’instance devant la division générale. Si la division générale avait interprété les faits sans fondement probatoire ou sans aucun fondement, il y aurait pu avoir lieu de faire un examen plus rigoureux, mais sinon, si ces faits demeurent inchangés, il ne me revient pas de déterminer si l’interprétation de la division générale aurait dû être plus favorable à l’égard du demandeur.

[20] Le demandeur espère essentiellement qu’une réévaluation soit faite. Comme l’a établi la Cour fédérale dans Tracey, la division d’appel n’a pas comme rôle, lorsqu’elle détermine si elle doit ou non accorder la permission d’en appeler, de réévaluer la preuve ou d’apprécier de nouveau les facteurs dont la division générale a tenu compte.

Paragraphes 77

[21] Le demandeur avance que le membre a commis une erreur au paragraphe 77Note de bas de page 1, en concluant qu’il n’avait pas rapporté l’incident de la même manière à un certain psychologue, alors qu’il avait fait le récit de cauchemars, et non d’un véritable incident (AD1-17). Le demandeur écrit que la division générale a laissé entendre, au paragraphe 77, qu’il [traduction] « avait des problèmes de crédibilité parce qu’il avait dit à [un psychologue] qu’il avait été battu par des hommes sans visage qui étaient par-dessus lui. » Même si le membre a commis une erreur en laissant entendre que le demandeur avait décrit un véritable incident, plutôt que des cauchemars, le membre a énuméré d’autres versions rapportées qu’elle a jugées contradictoires. De toute manière, le rapport d’un psychologue aurait pu se prêter à l’interprétation du membre. Le psychologue a écrit que [traduction] « [le demandeur] avait un sommeil agité et avait constamment des cauchemars où il se faisait kidnapper et battre par des hommes sans visage qui étaient par-dessus lui » (GD10-7). D’après ceci, le membre aurait pu comprendre, dans une certaine mesure, que les cauchemars reflétaient ce qui s’était passé durant le kidnapping.

Paragraphes 78 et 79

[22] Le demandeur prétend que certains des dossiers et des rapports médicaux avaient des lacunes, en partie parce qu’il avait été réticent à parler de l’incident au docteur Zamar au début, et aussi parce que le docteur Zamar avait volontairement omis certains détails dans les rapports destinés à l’employeur du demandeur. Selon le demandeur, le membre n’aurait pas dû se fonder sur ces dossiers et rapports quand il a conclu qu’il ne souffrait donc pas du trouble de stress post-traumatique. Cependant, la division générale n’était aucunement responsable des lacunes dans les dossiers médicaux; le membre aurait dû pouvoir présumer que le contenu de ces rapports était véridique et complet. S’il y avait des lacunes dans les opinions médicales, il revenait au demandeur de les soulever et de les aborder, soit en les expliquant au membre ou en fournissant des opinions médicales supplémentaires.

[23] Le demandeur avance que le membre a eu tort de conclure qu’il était impossible qu’il souffre du trouble de stress post-traumatique comme il avait [traduction] « seulement été menacé de viol », et que cela n’avait pas pu être un événement si traumatisant. En fait, en définitive, la division générale n’a pas reconnu que l’incident du kidnapping, où il se serait fait menacé de viol, s’était produit. D’une façon semblable, le membre n’était pas prêt à reconnaître qu’il avait été menacé de viol et a donc conclu qu’il n’avait jamais vécu un événement traumatisant au point de causer chez lui un trouble de stress post-traumatique.

[24] Le demandeur soutient que le membre a tout de même commis une erreur en concluant qu’il ne souffrait pas du trouble de stress post-traumatique, alors qu’il en présentait des symptômes et qu’il avait reçu un diagnostic à cet effet, et que plusieurs évaluateurs traitants en psychiatrie et en psychologie étaient d’avis qu’il était atteint du trouble de stress post-traumatique. Le demandeur fait valoir que le membre n’aurait pas dû écarter ces opinions médicales. Néanmoins, le membre a noté que le diagnostic de stress post-traumatique reposait uniquement sur [traduction] « des déclarations non étayées qu’a faites le demandeur environ sept ou huit ans après que l’incident se serait produit ». Je suis convaincue qu’il y a ici une cause défendable quant à la question de savoir si le membre était en droit de rejeter les suppositions sur lesquelles les opinions médicales étaient fondées et, du même coup, de rejeter les opinions médicales comme telles.

Paragraphe 80

[25] Le demandeur plaide que la division générale n’aurait pas dû, au paragraphe 80, rejeter l’opinion du médecin de famille selon laquelle il souffrait d’un trouble dépressif majeur, en se fondant sur le fait qu’il était un médecin généraliste et non un spécialiste, comme un psychiatre ou un psychologue. Le membre a écrit que [traduction] « [l]e docteur Choi a semblé reconnaître la description qu’a fait [le demandeur] de son état, mais [qu’]il n’est ni un psychiatre ni un psychologue. » Cette affirmation doit néanmoins être mise en contexte, car il est manifeste que le membre expliquait pourquoi il accordait moins de valeur à l’opinion du médecin de famille.

[26] Le demandeur soutient que la division générale a erré dans le même paragraphe en se fiant aux différences dans ses résultats à l’évaluation globale de fonctionnement (EGF) pour conclure qu’il n’était pas suffisamment crédible, puisque de tels résultats, qui ne figent qu’un moment précis dans le temps, ne sont que d’une utilité restreinte. Cependant, le membre n’a pas véritablement laissé entendre que le demandeur manquait de crédibilité en raison de ses résultats variés à l’EGF. En effet, il a fait référence à ces résultats pour insinuer que son trouble dépressif majeur n’aurait pas pu être si grave au moment de l’évaluation.

[27] Le demandeur soutient que le membre a mal interprété l’opinion médicale de l’une des psychiatres, qui avait rapporté qu’il présentait des traits des personnalités histrionique et narcissique. Au paragraphe 80 de sa décision, le membre a écrit ce qui suit : [traduction] « Elle a également rapporté que [le demandeur] présente des traits des personnalités histrionique et narcissique, observations qui font douter de sa véracité. » Le demandeur fait valoir que la psychiatre n’a formulé aucune opinion relativement à sa crédibilité et que le membre a donc eu tort d’insinuer qu’elle l’avait fait. À première vue, l’interprétation que fait le demandeur de l’affirmation du membre est raisonnable. Cela dit, si l’on compare l’affirmation au résumé qu’a fait le membre de l’opinion de la psychiatre au paragraphe 42 de la décision, il est manifeste que l’observation appartient au membre, et non à la psychiatre.

[28] Le demandeur affirme que le membre a mal interprété l’opinion du psychologue en concluant qu’il avait précisé son opinion, selon laquelle le demandeur souffrait d’un trouble dépressif majeur, en affirmant qu’il avait possiblement un niveau de distorsion élevé. Le demandeur laisse entendre qu’il faudrait tenir compte de grandes parties de la section de l’évaluation du rapport du psychologue afin d’avoir un contexte, comme son opinion [traduction] « précise que le système de points et la configuration des échelles cliniques révèlent la gravité des symptômes » (AD1-23).

[29] Le rapport du psychologue s’étend sur 33 pages. Dans la formulation clinique, le psychologue a examiné les rapports médicaux qui lui avaient été fournis. Il a posé des diagnostics de trouble de stress post-traumatique et de trouble dépressif majeur chez le demandeur, précisant qu’il fallait écarter un trouble bipolaire. Il y avait également des indicateurs d’un trouble obsessionnel-compulsif (GD10-32 et 33). Je ne constate pas, d’emblée, que le psychologue ait mentionné, dans ses conclusions, qu’ [traduction] « il y avait possiblement un niveau de distorsion élevé ». Au paragraphe 48, le membre a mentionné la page GD10-27 du rapport du psychologue, affirmant que la tendance du demandeur dans le rapport interprétatif sur l’évaluation de sa personnalité [traduction] « ne révélait pas nécessairement un niveau de distorsion qui rendrait les résultats du test impossibles à interpréter […] », et donne à penser que cette précision est donnée plus tôt dans le rapport du psychologue, et non dans ses conclusions. Le psychologue a paru reconnaître que, quoiqu’une exagération marquée pourrait être entrée en jeu, ce que le membre a appelé un [traduction] « niveau de distorsion élevé », il pourrait aussi révéler d’autres composantes et, [traduction] « compte tenu de l’entrevue clinique, [ces] hypothèses semblai[ent] davantage viables. » Il n’est pas manifeste dans la décision du membre que ceci ait été pris en considération, et il se peut que cela ait entraîné une conclusion de fait erronée. Je suis prête à admettre qu’il excite une cause défendable et que ce motif confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

Paragraphe 82

[30] Le demandeur avance que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée voulant qu’il n’était pas atteint de troubles cognitifs, les définissant comme des problèmes de concentration et de mémoire. Il prétend que la division générale a mal interprété le rapport médico-légal du 30 juillet 2015 produit par le docteur Bodenstein, psychologue (GD10-3 à 36). Le demandeur souligne que le psychologue a écrit que [traduction] « rien ne permet[tait] de croire à des difficultés sur le plan cognitif ou à un trouble du cours de la pensée. » Le demandeur soutient que, même si le psychologue avait écarté certains problèmes comme la schizophrénie, cela ne signifiait pas qu’il n’avait pas d’autres difficultés sur le plan cognitif ou qu’il ne souffrait pas de problèmes de santé mentale. En effet, dans le même rapport médical, le médecin a écrit que les [traduction] « difficultés [du demandeur] sur le plan cognitif découlaient probablement de la synergie entre son anxiété, sa dépression, ainsi que sa fatigue », et également qu’ [traduction] « il [était] très peu probable qu’il soit capable de recommencer à travailler compte tenu de l’interaction nuisible de son [trouble de stress post-traumatique], de sa dépression, d’un possible trouble bipolaire, de sa colère et de son [trouble obsessionnel-compulsif]. » Le demandeur souligne également que le docteur A. B. Ahmed, psychiatre, avait notamment diagnostiqué chez lui un trouble bipolaire accompagné d’une déficience cognitive.

[31] Au paragraphe 82, la division générale a traité troubles cognitifs dont le demandeur prétendait souffrir. Le membre a mentionné les rapports des docteurs Bodenstein et Ahmed, en particulier, ainsi que l’opinion du docteur MacIntyre, qui a été retranscrite dans le rapport du docteur Bodenstein. Le membre a noté que le docteur Bodenstein avait, d’une part, affirmé qu’il n’y avait aucune preuve de difficultés sur le plan cognitif et, d’autre part, affirmé que ses difficultés sur le plan cognitif constituaient une contre-indication pour la formation. Le membre a jugé déterminant le fait que le docteur MacIntyre ne voyait pas la pertinence de faire de la restructuration cognitive, alors que le docteur Ahmed était d’avis que le demandeur tirer avantage d’une thérapie cognitivo-comportementale. Après avoir examiné les opinions des docteurs Bodenstein, Ahmed et MacIntyre, le membre n’était toujours pas convaincu que le demandeur était atteint de troubles cognitifs; mis à part cela, le membre n’a rien dit au sujet des prétendus problèmes de santé mentale du demandeur au paragraphe 82 de sa décision.

[32] La déclaration du docteur Bodenstein, selon laquelle [traduction] « rien ne permet[tait] de croire à des difficultés sur le plan cognitif ou à un trouble du cours de la pensée », figure à la page GD10-4 du dossier d’audience, sous la rubrique intitulée [traduction] « État clinique ». Aucun problème médical, comme la schizophrénie, n’est mentionné dans cette rubrique. Après l’état clinique observable au départ, le docteur Bodenstein a examiné les dossiers médicaux et a effectué plusieurs tests, qui l’ont tous mené à sa formulation de cas. Il a noté que le demandeur s’était plaint de maux de tête à son médecin de famille. Le psychologue a semblé reconnaître que le demandeur souffrait dans une certaine mesure de difficultés sur le cognitif (GD10-32) et, finalement, a recommandé une approche cognitivo-comportementale. Il est fort peu probable que le psychologue aurait formulé cette recommandation s’il n’avait pas cru que le demandeur souffrait de difficultés cognitives, en dépit de l’état clinique du demandeur au départ.

[33] Même si la division générale est libre de tirer des conclusions d’après la preuve dont elle dispose, il se pourrait qu’elle ait tiré une conclusion de fait erronée en dénaturant ou en interprétant mal la preuve. À ce sujet, je suis convaincue qu’il existe une cause défendable et que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Paragraphe 83

[34] En réponse à l’observation du demandeur selon laquelle il avait suivi de nombreuses thérapies, la division générale a noté les observations du défendeur, voulant que le demandeur n’avait pas pleinement suivi les traitements indiqués pour ses symptômes, [traduction] « notamment en refusant de prendre des médicaments en dépit des recommandations insistantes des docteurs Seli et Gilbert. » Le membre a admis l’observation du défendeur à cet égard, précisant qu’il avait estimé l’explication donnée par le demandeur, pour ne pas avoir pris ses médicaments, était déraisonnable. Le membre a également jugé que le demandeur n’avait pas participé au programme de maîtrise de la colère, comme l’avait recommandé le docteur Seli.

[35] Le demandeur soutient que la division générale a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas pleinement suivi les traitements indiqués, faisant référence au rapport psychiatrique du 9 avril 2015, dans lequel le docteur Ahmed avait écrit qu’il respectait ses rendez-vous et son traitement par médicaments. Le demandeur souligne que le docteur Ahmed n’avait pas recommandé qu’il suive une thérapie de maîtrise de la colère comme il s’agit d’un des problèmes sur lequel se penche le docteur Ahmed. Le demandeur précise qu’il a consulté de nombreux professionnels de la santé mentale depuis 2011, participé à un programme hospitalier de jour en santé mentale, consulté un thérapeute familial avec son épouse, et fait une thérapie comportementale. Néanmoins, pour déterminer si le demandeur avait respecté tous les traitements raisonnables qui lui avaient été recommandés, le membre a uniquement cherché à savoir s’il prenait ses médicaments et s’il avait participé à un programme de maîtrise de la colère.

[36] Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour le membre de conclure qu’il n’avait pas pris les médicaments recommandés parce qu’ [traduction] « il ne voulait pas introduire de produits chimiques dans son corps ». Le demandeur avance que le membre n’a pas tenu compte du fait qu’il avait déjà vécu des effets néfastes et eu de mauvaises expériences avec certains médicaments, qu’il était incapable de bâtir une relation de confiance avant les docteurs Seli et Gilbert, et que, de toute façon, des médicaments n’auraient pas fait de différence notable pour sa santé mentale, [traduction] « comme plusieurs traitements par médicaments qu’il avait essayés n’avaient pas réussi à améliorer son état et ses capacités fonctionnelles. » Autrement dit, il prétend qu’il y a une explication raisonnable à son non-respect des recommandations.

[37] Le demandeur explique également qu’il avait été raisonnable qu’il ne participe pas à un programme de maîtrise de la douleur, comme il était suivi par le docteur Ahmed. Le demandeur affirme que la note datée du 6 mai 2015 révélait clairement qu’il discutait et traitait ses problèmes de maîtrise de la colère avec le docteur Ahmed. La division générale a abordé cette question précise ainsi que les observations du demandeur. Elle a rejeté l’affirmation selon laquelle il était en thérapie auprès du docteur Ahmed, précisant que les notes dudit psychiatre ne corroboraient pas ce propos.

[38] Les dossiers révèlent également que le demandeur avait rapporté qu’il ne tolérait pas bien les antidépresseurs et qu’il croyait que ceux-ci aggravaient ses symptômes. Le docteur Seli lui a tout de même recommandé d’essayer un antipsychotique atypique en faible dose et de participer à un programme de maîtrise de la colère (GD2-147). Il est également manifeste que la division générale a considéré le caractère raisonnable du non-respect du demandeur.

[39] Le demandeur souhaite essentiellement qu’on réévalue la question de savoir s’il était raisonnable qu’il ne se conforme pas au traitement recommandé. Comme je l’ai précisé précédemment, une réévaluation ne fait pas partie des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS.

Paragraphe 84

[40] La division générale a constaté que le demandeur avait de la difficulté à entretenir une relation thérapeutique avec les professionnels de la santé mentale, mais a jugé que ce fait. à lui seul, n’était pas déterminant quant à la gravité de son état, et n’en était pas représentatif. Le demandeur admet avoir témoigné qu’il avait de la difficulté à établir des relations thérapeutiques, mais prétend avoir expliqué qu’il avait fini par établir une relation avec le docteur Zama, qui est décédé en 2012, ainsi qu’avec le docteur Ahmed, qu’il consulte toujours, et qui a été capable de le convaincre de la nécessité de trouver un traitement par médicaments efficace.

[41] Le demandeur soutient que la division générale a commis une erreur en concluant qu’il avait de la difficulté à établir une relation avec les docteurs Gilbert et Seli en raison de ses [traduction] « problèmes avec les médicaments ». Il affirme que cette conclusion est sapée par le paragraphe 63, où le membre a écrit que les deux médecins [traduction] « le faisaient se sentir attaqué », et que le docteur Gilbert avait un chien dans la pièce durant les séances, même s’il lui avait dit qu’il avait peur des chiens. À ce sujet, le demandeur soutient que la division générale n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve pour conclure qu’il avait de la difficulté à établir une relation thérapeutique avec les docteurs Gilbert et Seli en raison de ses [traduction] « problèmes avec les médicaments », alors que ce n’était pas le cas.

[42] Au paragraphe 84, la division générale a écrit que le demandeur semblait éprouver des difficultés avec les docteurs Gilbert et Seli, [traduction] « apparemment en partie parce qu’il n’avait pas voulu prendre les médicaments qu’ils lui avaient recommandés à maintes reprises » (mis en évidence par la soussignée). Même si le membre n’a pas précisé chacun des facteurs expliquant sa difficulté à établir une relation avec les docteurs Gilbert et Seli, son emploi de l’expression « en partie » montre qu’il avait conscience que d’autres raisons sous-tendaient cette difficulté.

Paragraphe 86

[43] Le demandeur prétend que le membre n’a pas bien compris la nature de sa douleur au corps et son étiologie en concluant que sa douleur au corps n’aurait pas pu être bien grave comme il n’avait pas été recommandé à un neurologue. Le demandeur précise que le docteur Bodenstein affirme que son stress et son anxiété aggravent sa douleur au cou, aux épaules et au dos. Le demandeur fait savoir qu’il a consulté d’autres spécialistes pour sa douleur au corps et qu’il suit les traitements recommandés. Il souligne qu’il a consulté un neurologue pour ses maux de tête.

[44] La division générale a écrit ce qui suit au paragraphe 86 de sa décision :

[traduction]

L’appelant semble principalement se plaindre de problèmes de santé mentale. La Cour d’appel fédérale a statué qu’il est nécessaire de « pre[ndre] en considération son état général », et non seulement l’affection principale (Bungay c. Canada (P.G.), 2011 FCA 47, au paragraphe 17). Sur le plan physique, l’appelant paraît surtout se plaindre d’une douleur dans tout le corps et de maux de tête. Il reçoit des médicaments pour ces deux problèmes, et rien ne donner à penser qu’il aurait été recommandé à un neurologue pour sa douleur au corps. Le Tribunal n’est pas convaincu qu’il s’agisse de problèmes de santé graves.

[45] En ne regardant que ce paragraphe, on voit que le membre a semblé conclure que le demandeur ne pouvait pas souffrir d’un problème de santé grave comme il était uniquement traité pour sa « douleur au corps » au moyen de médicaments, et puisqu’il n’avait pas été recommandé à un neurologue. Il existe une cause défendable au motif que l’emploi de ces deux facteurs pour évaluer la gravité de la douleur au corps du demandeur constituait une erreur.

Paragraphes 87 à 89

[46] Le demandeur avance que sa tentative infructueuse de retour au travail en 2012 [traduction] « témoigne de son incapacité à fonctionner au sein de la population active ». Le demandeur a travaillé du début du mois de mars 2012 jusqu’en juillet 2012. La division générale a écrit ce qui suit :

[traduction]

[Le demandeur] a fourni plusieurs explications à son congédiement en juillet de cette année-là, notamment une plainte de son épouse ou de son ancienne petite amie. Il a dit à monsieur I. A. qu’il avait bien vécu sa démission. Le Tribunal remarque également que [le demandeur] n’a manifestement pas consulté son médecin de famille entre juin 2012 et octobre 2013 ni suivi de thérapie auprès de monsieur I. A. entre juin et octobre 2012. Il a seulement commencé à consulter un psychiatre en novembre 2012. Bien que [le demandeur] souffre de différents stress liés à son travail et à sa vie personnelle, la preuve ne permet pas de conclure qu’il a quitté son travail pour des raisons de santé.

[88] […] En l’espèce, rien ne donne à penser que l’appelant ait fait des efforts pour trouver un emploi après avoir quitté son emploi auprès du bureau de stationnement d’X en juillet 2012. À l’audience, il a rapporté que cela était le cas parce que le docteur Ahmed pensait qu’il ne devait pas travailler pendant que ses médicaments étaient ajustés.

[47] Au paragraphe 89, la division générale a fait référence à certaines opinions médicales concernant la santé mentale du demandeur, notant que [traduction] « différents comptes rendus de la capacité [du demandeur] à travailler » avaient récemment étaient faits, allant d’encourager le demandeur à travailler, jusqu’à conclure à son incapacité à travailler. Après avoir examiné cet éventail d’opinions, le membre a conclu que la preuve ne le convainquait pas que le demandeur était incapable de travailler.

[48] Le demandeur avance que, même si ses médecins et les spécialistes avaient d’abord étaient optimistes que son état puisse s’améliorer grâce au traitement, son état a continué de se détériorer, il est demeuré résistant au traitement, et un pronostic sombre en était ressorti comme consensus.

[49] Le demandeur me prie de tenir compte des [traduction] « preuves médicales abondantes pour 2011 et 2012 », lesquelles, il prétend, prouvent qu’il n’arrivait pas à fonctionner en milieu de travail. Il me prie aussi de tenir compte de la cause Foden v. Co-operators Insurance Association (Guelph),1978 CanLII 1622 (CS ON), dans laquelle la cour a statué que [traduction] « rien ne témoigne mieux d’une incapacité à effectuer une tâche qu’une tentative honnête et soutenue d’effectuer cette tâche se soldant par un échec ».

[50] Le demandeur souhaite essentiellement que les questions abordées dans les paragraphes 87 à 89 soient réévaluées. Cependant, la division générale a pleinement examiné et abordé la question de son retour au travail, avant de conclure, en fin de compte, que d’autres causes expliquaient son départ. Comme je l’ai précisé précédemment, une réévaluation ne fait pas partie des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS et, par conséquent, je ne suis pas convaincue qu’un appel fondé sur ce motif ait une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[51] J’ai conclu que les moyens suivants, que j’ai agréés précédemment, confèrent à l’appel une chance raisonnable de succès : (1) la division générale pourrait ne pas avoir observé un principe de justice naturelle et (2) pourrait avoir commis des erreurs de droit aux paragraphes 78 à 79, 80, 82 et 86 de sa décision. Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement de l’issue de l’appel sur le fond du litige.

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