Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

L’appel est accueilli.

Introduction

[1] Il s’agit d’un appel de la décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) rendue le 28 août 2016 d’accueillir la demande de pension d’invalidité de l’intimée au motif que celle-ci souffrait d’une invalidité grave et prolongée aux fins du Régime de pensions du Canada (RPC), au moment où sa période minimale d’admissibilité (PMA) a pris fin, c’est-à-dire le 31 décembre 2016. La permission d’en appeler a été accordée le 11 décembre 2016 au motif que la division générale pourrait avoir commis une erreur en rendant sa décision.

Aperçu

[2] L’intimée était âgée de 48 ans au moment où elle a fait une demande de pension d’invalidité du RPC, le 7 octobre 2014. Dans sa demande, elle a déclaré avoir fréquenté l’école jusqu’en douzième année, puis avoir travaillé dans des foyers collectifs pour personnes ayant une déficience intellectuelle. En 1990, elle a commencé à travailler au X Nursing Home [maison de soins infirmiers Dalhousie], où elle a travaillé pendant les 24 années suivantes dans diverses fonctions pour finalement occuper le poste de directrice des activités. Au fil du temps, elle a commencé à souffrir d’un certain nombre de troubles, y compris la dépression chronique, le syndrome du côlon irritable, l’ostéoporose et la fibromyalgie. En 2012, ses problèmes de santé l’ont forcé à réduire ses heures de travail et elle a finalement été congédiée en septembre 2014 en raison de son absentéisme, qu’elle a attribué à ses troubles. À la date d’audience, elle n’était pas retournée travailler et elle n’avait pas tenté de trouver un autre emploi.

[3] L’appelant a rejeté la demande initialement et après révision au motif que l’intimée ne souffrait pas d’une invalidité grave et prolongée à la date de fin de sa PMA. Le 4 août 2015, l’appelant a interjeté appel de ces refus devant la division générale.

[4] Au cours d’une audience par téléconférence tenue le 16 août 2016, l’intimée a déclaré que son syndrome du côlon irritable avait commencé à se manifester au début des années 1990 et qu’elle passe maintenant plus de sept heures par jours à la salle de bain. Ses symptômes liés à la fibromyalgie ont commencé à se manifester il y a environ 15 ans et elle souffre de douleur chronique dans l’ensemble de son corps. Sa dépression a commencé en 2003 et elle s’est manifestée à nouveau en 2011. Elle n’a pas consulté un spécialiste en santé mentale avant novembre 2015 parce que les ressources dans sa région étaient limitées et qu’elle était capable de parler à sa nièce, qui est psychologue. L’intimée a déclaré qu’elle avait souvent des idées suicidaires et qu’elle s’est isolée du reste du monde. Elle a essayé plusieurs médicaments pour traiter sa dépression et sa fibromyalgie, mais elle n’est pas capable de prendre bon nombre d’entre eux en raison de son syndrome du côlon irritable et du fait qu’elle a seulement un rein.

[5] Dans sa décision du 28 août 2016, la division générale a accueilli l’appel de l’intimée en concluant que, selon la prépondérance des probabilités, elle était incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice à la date de fin de sa PMA. La division générale a examiné l’intimée [traduction] « dans son ensemble » et elle a conclu qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle travaille régulièrement, particulièrement en raison de son incapacité à prendre certains médicaments et du manque d’options de traitement en santé mentale offertes dans sa région.

[6] Le 26 novembre 2016, l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel du Tribunal dans laquelle il prétend que diverses erreurs de droit et de fait ont été commises par la division générale.

[7] Dans une décision datée du 11 décembre 2016, la division d’appel a accordé à l’appelant la permission d’en appeler au motif que la division générale avait commis les erreurs suivantes :

  • elle a préféré le témoignage de vive voix de la défenderesse à la preuve médicale objective du contraire et elle a omis de justifier sa décision;
  • elle n’a pas appliqué le critère juridique énoncé dans l’arrêt Klabouch c. CanadaNote de bas de page 1 pour vérifier la capacité de la défenderesse à travailler;
  • elle n’a pas appliqué le critère juridique énoncé dans l’arrêt Inclima c. CanadaNote de bas de page 2 pour déterminer si la défenderesse a tenté de se recycler ou d’obtenir un autre emploi que son ancien, y compris des emplois à temps partiel ou des emplois sédentaires.

[8] La division d’appel a également invité les parties à présenter des observations sur les questions suivantes : Est-il nécessaire d’entendre davantage les parties? Le cas échéant, quel mode d’audience serait approprié? L’appelant a présenté des observations le 25 janvier 2017. L’intimée n’avait présenté aucune observation à la date de la décision.

[9] J’ai décidé qu’une audience de vive voix n’était pas nécessaire et que l’appel pouvait être instruit sur le fondement du dossier documentaire pour les raisons suivantes :

  1. le dossier est complet et ne nécessite aucune clarification;
  2. le mode d’audience respectait l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’audience doit se dérouler de la manière la plus informelle et la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Droit applicable

[10] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] Selon le paragraphe 59(1) de la LMEDS, la division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division d’appel.

[12] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité pour la pension d’invalidité du RPC. Une pension doit être payée à un cotisant qui :

  1. a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne reçoit pas une pension de retraite du RPC;
  3. c) est invalide;
  4. d) a versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la PMA.

[13] Le calcul de la PMA est important, puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée pendant la PMA.

[14] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une personne est réputée être atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Questions en litige

[15] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard des décisions de la division générale?
  2. La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées en préférant le témoignage de vive voix de l’intimée à la preuve médicale objective?
  3. La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en n’appliquant pas les principes établis dans les arrêts Klabouch c. Canada et Inclima c. Canada?
  4. Advenant une réponse affirmative à l’une des trois questions qui précèdent, quelle réparation faut-il accorder?

Observations

Degré de déférence

[16] L’intimée n’a présenté aucune observation à cet égard.

[17] L’appelant a souligné que la Cour d’appel fédérale n’avait pas encore déterminé l’approche exacte que doit appliquer la division d’appel lorsqu’elle examine des décisions de la division générale portées en appel. L’appelant a soulevé le récent arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. HuruglicaNote de bas de page 3 de la Cour d’appel fédérale, qui a confirmé, selon lui, que l’analyse de la division d’appel devrait être dirigée selon des facteurs tels que la terminologie de la loi habilitante, l’intention du législateur à la création du tribunal et le fait que le législateur est habilité à définir la norme de contrôle qu’il souhaite voir appliquer. L’appelant était d’avis que l’arrêt Huruglica n’a pas changé significativement la norme qui doit être appliquée aux prétendues erreurs de fait ; le libellé de l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS continue d’autoriser un large éventail d’issues possibles acceptables.

[18] L’appelant soutient que la division d’appel ne devrait pas s’engager dans le réexamen de l’affaire, pour laquelle la division générale, en tant que juge des faits, possède un avantage important. Selon le libellé des articles 58 et 59 de la LMEDS, le législateur voulait que la division d’appel fasse preuve de déférence à l’endroit des conclusions de fait de la division générale et qu’elle ne puisse intervenir que si la conclusion de fait a été tirée « de façon abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Toutefois, sur les questions de justice naturelle, de compétence et de droit, la division d’appel n’a pas à faire preuve de déférence à l’endroit des décisions de la division générale.

Confiance à l’égard de la preuve subjective et suffisance des motifs

[19] L’appelant prétend que la division générale a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance lorsqu’elle a conclu que l’intimée souffrait d’une invalidité grave et prolongée en n’accordant une très grande importance au témoignage de l’intimée selon lesquelles ses troubles la rendaient régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, tout en ignorant la preuve médicale objective faisant état du contraire.

[20] L’appelant a cité l’affaire Pantic c. CanadaNote de bas de page 4 tranchée par la Cour fédérale relativement à la proposition selon laquelle qu’il faut au moins une certaine preuve médicale objective pour appuyer une conclusion d’invalidité. Il soutient que cette approche est comprise à l’alinéa 68(1)a) du Règlement sur le Régime de pension du Canada (Règlement sur le RPC), qui prévoit ce qui suit :

Quand un requérant allègue que lui-même ou une autre personne est invalide au sens de la Loi, il doit fournir au ministre les renseignements suivants sur la personne dont l’invalidité est à déterminer :

  1. a) un rapport sur toute invalidité physique ou mentale indiquant les éléments suivants :
    1. (i) la nature, l’étendue et le pronostic de l’invalidité,
    2. (ii) les constatations sur lesquelles se fondent le diagnostic et le pronostic,
    3. (iii) toute incapacité résultant de l’invalidité,
    4. (iv) tout autre renseignement qui pourrait être approprié, y compris les recommandations concernant le traitement ou les examens additionnels;

[21] Dans l’arrêt Giannaros c. CanadaNote de bas de page 5, la Cour d’appel fédérale a conclu que les requérants doivent démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera toujours nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence des possibilités d’emploi. De plus, il incombe au requérant de prouver qu’il souffre d’une invalidité grave et prolongée avant la date de fin de la PMANote de bas de page 6.

[22] L’intimée a été admise à l’hôpital afin de subir des examens en raison d’une absence du travail. Elle a subi une colonoscopie et une iléoscopie, dont les résultats étaient normaux et ne contenaient aucune preuve de syndrome du côlon irritable. Dans son sommaire d’hospitalisation, le Dr Schweiger a souligné que l’intimée avait un [traduction] « transit rapide » à la selle et il a posé un diagnostic de [traduction] « diarrhée fonctionnelle », et non de syndrome du côlon irritable.

[23] En fait, aucun des documents médicaux versés au dossier ne donne à penser que l’intimée était incapable de travailler, mais la division générale a accepté son témoignage selon lequel elle n’avait aucun moyen de traiter sa fibromyalgie et sa dépression [traduction] « en raison de son incapacité à prendre certains médicaments en raison de son syndrome du côlon irritable et d’un rein en moins ». Bien que l’intimée ait déclaré qu’elle n’avait qu’un rein, elle n’a présenté aucune preuve médicale objective pour démontrer que ce déficit minait ses traitements et sa capacité de trouver un emploi véritablement rémunérateur.

[24] L’appelant prétend que la division générale a ignoré la preuve médicale et qu’elle n’a pas tenu compte des principes soulignant la norme juridique à laquelle les requérants doivent satisfaire afin d’être admissibles à une pension d’invalidité du RPC. Elle a ainsi fait abstraction des arrêts Inclima et Klabouch et elle s’est entièrement fondée sur le témoignage de l’intimée, et ce même si celui-ci ne pouvait pas être confirmé par la preuve médicale objective. En concluant que l’intimée était invalide selon l’alinéa 42(2)a) du RPC, la division générale a tiré des conclusions qui n’étaient pas appuyées par les faits ou le droit.

Analyse

Déférence

[25] Bien que l’arrêt Huruglica concerne une décision qui émanait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle a des répercussions sur d’autres tribunaux administratifs. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’importation de principes de contrôle judiciaires, comme il a été mentionné précédemment par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 7, vers les tribunes administratives était inappropriée, car celles-ci pourraient refléter des priorités législatives autres que l’impératif constitutionnel de préserver la primauté du droit. [traduction] « Il ne suffit pas d’assumer que la chose étant jugée comme la meilleure politique pour les cours d’appel s’applique également à des cours d’appel administratives particulières. »

[26] Cette situation a mené la Cour à déterminer du critère approprié qui découle entièrement de la loi dominante d’un tribunal administratif :

[...] la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] qui doivent être lus au regard de leur contexte global… L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [section d’appel des réfugiés].

[27] En la matière, cela implique que la norme de la décision raisonnable ou de la décision correcte ne s’applique pas à moins que ces mots ou leurs variantes figurent spécifiquement dans la législation fondatrice. Si cette approche est appliquée à la LMEDS, on doit noter que les alinéas 58(1)a) et 58(1)b) ne qualifie pas les erreurs de droit ou les manquements à la justice naturelle, ce qui laisse entendre que la division d’appel ne devrait pas faire preuve de déférence à l’égard des interprétations de la division générale.

[28] Le mot « déraisonnable » ne se trouve nulle part dans l’alinéa 58(1)c), qui porte sur les conclusions de fait erronées. Le critère contient plutôt les qualificatifs « abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme on laisse entendre dans l’arrêt Huruglica, on doit accorder à ces mots leur propre interprétation, mais la formulation donne à penser que la division d’appel doit intervenir si la division générale fonde sa décision sur une erreur qui est clairement flagrante ou opposée au dossier.

Confiance à l’égard de la preuve subjective et suffisance des motifs

[29] Essentiellement, l’appelant fait valoir que la division générale a commis une erreur de droit et de fait en se fondant exclusivement sur la preuve subjective de l’intimée et en ignorant ainsi les deux principes clés de la jurisprudence régissant le régime d’invalidité du RPC : l’arrêt Klabouch, qui conclut que la capacité de travailler, et non le diagnostic, détermine la gravité d’une invalidité prétendue, et l’arrêt Inclima, qui impose au requérant le devoir de déployer un effort raisonnable pour retourner sur le marché du travail.

[30] Ma première tâche est de déterminer la mesure dans laquelle la division générale est autorisée à se fonder sur la preuve subjective. L’appelant souligne à juste titre qu’il incombe au demandeur de démontrer, somme toute, qu’il est invalide, mais il insiste également sur le fait que le paragraphe 68(1) du Règlement sur le RPC prévoir que l’évaluation de l’invalidité doit être fondée sur une preuve objective. Je ne vois pas les choses de cette façon. Le paragraphe 68(1) prévoit qu’un demandeur doit fournir au ministre les rapports médicaux disponibles, mais il n’impose aucune obligation sur l’évaluateur, y compris la division générale, de prendre ces rapports en considération ou de leur donner plus d’importance que d’autres formes de preuve.

[31] Pour obtenir des lignes directrices sur la façon dont la preuve doit être soupesée, nous devons nous tourner vers la jurisprudence. Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Simpson c. Canada, un juge des faits est présumé avoir examiné l’ensemble des éléments portés à son attention et on lui accorde générale un vaste pouvoir discrétionnaire quant au poids à accorder aux éléments de preuve. L’appelant cite l’affaire Pantic, qui cite l’arrêt Warren c. CanadaNote de bas de page 8 rendu par la Cour d’appel fédérale, relativement à la proposition selon laquelle le fait d’exiger une preuve objective d’invalidité ne constitue pas une erreur de droit. Cependant, les deux cas ont confirmé des décisions antérieures dans lesquelles le témoignage de vive voix a été écarté au profit de la preuve documentaire « objective ». En l’espèce, il s’agit du contraire : la division générale aurait écarté la preuve médicale et elle se serait entièrement fondée sur le témoignage de l’appelante. Cependant, le fait d’ignorer les sentiments d’un demandeur est une chose, mais le fait d’ignorer l’avis professionnel en est une autre. Il reste la simple déclaration suivante au paragraphe 4 de l’arrêt Warren :

En l’espèce, la Commission n’a commis aucune erreur de droit en exigeant une preuve médicale objective à l’égard de l’invalidité du demandeur. Il est bien établi qu’un demandeur doit fournir quelques éléments de preuve objectifs de nature médicale. [mis en évidence par le soussigné]

[32] Il ne s’agit pas d’un aparté spontané, et cette déclaration est conforme aux prononcés antérieurs relativement à cette question, notamment le jugement de la Cour suprême dans l’arrêt Villani c. CanadaNote de bas de page 9, qui conclut ce qui suit au paragraphe 50 :

Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera toujours nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence des possibilités d’emploi.

[33] En l’espèce, l’intimé a bel et bien présenté une preuve objective consignant ses troubles médicaux, y compris les résultats du test de densité osseuse et les rapports du Dr Pelletier, son médecin de famille, du Dr Schweiger, un gastro-entérologue, et du Dr Raherinaivo, psychiatre. Tous ces rapports ont été produits pendant la PMA. L’appelant est d’avis qu’aucun de ces documents n’appuie une conclusion d’invalidité, mais je ne suis pas certain qu’il soit possible de faire une déclaration si catégorique. Au cours d’une inspection journalière du dossier, il a été constaté que la densité osseuse de l’intimée était dans la zone de l’ostéoporose. Son médecin de famille a déclaré que la combinaison de sa dépression, de son syndrome du côlon irritable et de sa fibromyalgie l’avait mené à quitter un emploi exigeant sur le plan physique. Son psychiatre lui a posé un diagnostic de dépression majeure et il n’a pas prévu un retour au travail dans un avenir immédiat. À mon avis, la division générale pouvait s’appuyer sur certains fondements médicaux, au-delà du simple témoignage de l’intimée, pour conclure que cette dernière souffre non seulement de dépression, mais aussi du syndrome du côlon irritable, d’ostéoporose et de fibromyalgie. En soutenant que la décision en faveur de l’intimée n’était pas appuyée par la preuve médicale, l’appelant me demande en fait d’instruire l’appel à nouveau sur le fond, ce que je ne peux pas faire étant donné les limites imposées par le paragraphe 58(1), qui me permet d’examiner seulement une marge étroite d’erreurs prétendues commises par la division générale.

[34] Peu importe la faiblesse ou la force de la preuve, la division générale a le droit d’apprécier et de soupeser la preuve et de tirer des conclusions concernant la gravité des déficiences de l’intimée. Cela dit, j’admets que la décision de division générale est problématique, et non en raison du fait qu’elle comporte une erreur de fait ou de droit, mais en raison du fait qu’elle contrevient à un principe de justice naturelle, plus précisément l’obligation d’un organisme judiciaire ou d’un tribunal de révision administrative de fournir des motifs écrits valables. La section de la décision dans laquelle la division générale analyse la gravité de la prétendue invalidité de l’intimée comprend sept paragraphes, y compris une introduction axée sur les faits, quatre résumées de causes faisant jurisprudence et une conclusion. Un seul paragraphe relate la tentative de la division générale d’appliquer la définition statutaire du terme « grave » à la situation personnelle de l’intimée. Voici la citation complète :

[traduction]
[23] Si on analyse chaque problème isolément, on peut conclure qu’il pourra se résoudre grâce au temps et à l’aide d’un traitement approprié. Cependant, le Tribunal soit s’attarder à l’appelante en tant que personne entière. Puisque certains médicaments sont contre indiqués pour elle à cause de son syndrome du côlon irritable et du fait qu’il lui manque un rein, la défenderesse a de la difficulté à se remettre de sa dépression et de sa fibromyalgie. Aussi, les ressources pour un traitement en santé mentale se font rares dans la région où elle vit. La dépression et le manque d’énergie qui en résulte font en sorte qu’elle a de la difficulté à faire de l’exercice dans le but d’atténuer les effets de la fibromyalgie. Lorsqu’on fait le bilan des problèmes de santé de la défenderesse, on comprend qu’ils peuvent être difficiles à traiter. Étant donné ses multiples symptômes, il serait déraisonnable de s’attendre à ce que la défenderesse peut retourner travailler de façon régulière. Elle a déjà perdu un emploi à cause de ses absences répétées, et son état s’est aggravé depuis. Elle ne pourrait garantir à un futur employeur qu’elle pourra travailler de façon régulière.

[35] Même si la division générale a résumé une partie (mais pas l’ensemble) de la preuve médicale dans sa décision, elle n’en a fait aucunement mention dans l’analyse, qui semblait commencer selon le principe que l’ensemble des troubles de l’intimé correspondait à une invalidité « grave » et que l’autre question était de savoir si un traitement était possible. Bien que la division générale ait cité Klabouch, rien ne permettait, selon moi, de faire une distinction entre un diagnostic et une invalidité. Elle aurait pris pour acquis que les troubles en soi de l’intimée la rendaient incapable de travailler sur le plan fonctionnel. Je suis d’accord avec l’appelant que la décision ne montre aucune tentative réelle d’examiner la façon dont les symptômes de l’intimée l’ont empêché de détenir un emploi régulier, sauf une déclaration fade selon laquelle elles l’en ont empêché. Dans le même ordre d’idées, bien que la division générale ait dûment résumé l’arrêt Inclima, elle ne l’a pas appliqué correctement. Même si l’intimée souffrait bel et bien de dépression, de fibromyalgie, du syndrome du côlon irritable et d’ostéoporose, la division générale était tenue de mener une enquête sur la question de savoir si elle avait conservé la capacité d’effectuer un certain type de travail mieux adapté à ses symptômes. Comme l’appelant l’a souligné, rien ne démontre que la division générale a examiné la question de savoir si l’intimé avait évalué la possibilité de se recycler ou d’obtenir d’autres formes d’emplois et, le cas échéant, la façon dont ses troubles médicaux l’empêchaient de donner suite à ces options.

[36] La façon dont la division générale a abordé l’approche de l’intimée par rapport au traitement représente une déficience plus importante. Il existe une jurisprudence constante selon laquelle un demandeur de prestations d’invalidité du RPC doit prendre toutes les mesures raisonnables pour chercher à obtenir un traitement afin de retourner la plus grande capacité possibleNote de bas de page 10. La division générale a implicitement reconnu cette obligation en demandant à l’intimée les mesures prises afin qu’elle se porte mieux, mais elle a ensuite accepté tel quel chaque motif offert pour justifier le fait qu’elle n’a pas suivi le traitement recommandé : selon l’intimée, il était difficile de faire des exercices parce qu’elle manquait d’énergie; elle n’avait pas accès à des services de counseling en santé mentale parce qu’elle vivait dans une région isolée; elle était incapable de prendre des médicaments parce qu’elle est née avec un seul rein. Bien qu’il y avait peu d’éléments de preuve médicale pour appuyer ces explications, la division générale les a simplement acceptées. Selon l’enregistrement audio de l’audience, la division générale n’a pas posé à l’intimée des questions pertinentes, comme la question de savoir s’il y avait des spécialistes en néphrologie qui supervisaient son régime pharmacologique et la question de savoir pourquoi elle était autorisée à prendre certains médicaments, mais pas d’autres parce qu’elle n’a qu’un seul rein.

[37] L’obligation d’équité d’un tribunal administratif comprend l’obligation de rendre des motifs suffisants dans le cadre de sa décision. Idéalement, il devrait y avoir une série de faits, de dispositions juridiques et d’éléments logiques qui mène le lecteur à conclure que le résultat est défendable. De nombreuses affairesNote de bas de page 11 ont conclu que l’omission de fournir une analyse ou des motifs à l’appui d’une conclusion de fait est une erreur sur laquelle une décision peut être infirmée. La question précise de savoir comment mesure la preuve médicale par rapport au témoignage subjectif a été abordée dans l’arrêt Canada c. QuesnelleNote de bas de page 12, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a critiqué la défunte Commission d’appel des pensions pour avoir omis d’expliquer la raison pour laquelle elle avait rejeté un ensemble important d’éléments de preuve crédibles selon lesquels l’invalidité de la défenderesse n’était pas grave. La Cour a également déclaré qu’en l’absence de motifs expliquant d’une façon suffisante le fondement d’une décision, ni l’une ni l’autre partie ne peut être certaine que, lorsqu’une décision est rendue à son encontre, les arguments et la preuve qu’elle a présentés aient été examinés de la façon appropriée. La Cour a conclu que, si la seule justification de sa décision était que le témoignage était crédible, elle ne saurait tenir lieu de « motifs », et ce, quelle que soit la norme qui s’applique pour ce qui est de la question de la suffisance.

[38] En l’espèce, il est implicite que la décision de la division générale est entièrement fondée sur une conclusion sont laquelle l’intimé était crédible, et non seulement sur la question principale de savoir si son invalidité était grave, mais également sur la question secondaire de savoir si elle avait une bonne raison de ne pas suivre une thérapie. Cependant, je souligne qu’il n’a jamais été déclaré explicitement dans la décision que l’intimée était crédible et qu’il n’y figurait aucune explication justifiant l’importance accordée à son témoignage par rapport aux rapports médicaux. Bref, la division générale n’a pas tenté de faire concorder le témoignage de vive voix à ce qui figurait ou non dans la preuve documentaire. En l’absence d’une telle analyse, il n’y a aucun moyen de savoir si la division générale a apprécié la preuve ou correctement appliqué le critère juridique.

Conclusion

[39] Pour les motifs discutés précédemment, l’appel est accueilli d’après le moyen que la division générale a omis d’observer un principe de justice naturelle en ne fournissant pas suffisamment de motifs pour justifier sa décision.

[40] L’article 59 de la LMEDS énonce la réparation que la division d’appel peut accorder pour un appel. Pour prévenir toute crainte de partialité, il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’une nouvelle audience soit tenue devant un membre différent de la division générale.

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