Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Aperçu

[1] La présente affaire porte sur la question de savoir si la division générale a appliqué le bon critère juridique relatif à la « gravité » lorsqu’elle a évalué l’invalidité de l’appelant ainsi que son admissibilité à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, et si cela exigeait de l’appelant qu’il respecte une norme de preuve supérieure. L’appelant interjette appel de la décision de la division générale rendue le 12 décembre 2014, dans laquelle le membre avait conclu qu’il n’était pas atteint d’une invalidité grave à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité, soit le 31 décembre 2013, ou avant cette date. Elle a déterminé qu’il n’était donc pas admissible à une pension d’invalidité.

[2] L’appelant n’était pas préparé à fournir des dates, ou il était incapable de fournir des dates pour fixer une audience en personne à cet égard et y être présent en raison de ses problèmes de santé mentale, et ce, malgré le temps écoulé depuis que la décision relative à la permission d’en appeler a été rendue en mai 2015. Par conséquent, l’appel dont je suis saisie a été instruit conformément à l’alinéa 43a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Questions en litige

[3] Les deux questions dont je suis saisie sont celles de déterminer si la division générale :

  1. a appliqué le bon critère juridique relatif à la « gravité », conformément au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada;
  2. a exigé de l’appelant qu’il respecte une norme de preuve supérieure.

Moyens d’appel

[4] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) énonce les moyens d’appel suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[5] La permission d’appel a été accordée pour deux motifs qui se rapportaient à la question de savoir si la division générale a commis une erreur de droit.

Caractère grave

[6] Le sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada prévoit ce qui suit :

Personne déclarée invalide

  1. (2) Pour l’application de la présente loi :
  2. a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :
  3. (i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice [...]

[7] La division générale a cité l’alinéa 42(2)a) et a également réitéré ce critère relatif à une « invalidité grave » au paragraphe 8 de sa décision.

[8] Cependant, au paragraphe 37 de son analyse, la division générale a écrit : [traduction] « il incombe à l’appelant de démontrer qu’il n’est pas capable de travailler en raison de son état de santé. » Puis, au paragraphe 39, la division générale a écrit que l’appelant n’a pas réussi à démontrer qu’il souffrait d’une invalidité grave qui [traduction] « l’empêchait d’exercer certains types d’emplois ». Cette reformulation de la loi implique que la division générale a exigé de l’appelant une norme différente — plutôt d’exiger de lui qu’il soit régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, elle a exigé qu’il soit [traduction] « incapable de travailler.

[9] L’intimé soutient que l’analyse de la division générale sur la question à savoir si l’invalidité de l’appelant était grave est approfondie, réfléchie, logique et transparente, et elle était appuyée par la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale. L’intimé note que la division générale a cité l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, l’arrêt Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117 et l’arrêt Klabouch c. Canada (Ministre du Développement social), 2008 CAF 33.

[10] L’intimé soutient que la division générale n’a pas commis d’erreur dans son résumé des arrêts Inclima et Klabouch.Au paragraphe 36, la division générale a écrit ce qui suit :

[traduction]

Lorsqu’il existe des preuves de capacité au travail, l’appelant doit démontrer que ses efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé (Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117).

[11] Une certaine mise en contexte est nécessaire, puisque la Cour d’appel fédérale s’est référée au paragraphe 50 de l’arrêt Villani, lequel se lit comme suit :

Cette réaffirmation de la méthode à suivre pour définir l’invalidité ne signifie pas que quiconque éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera toujours nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence des possibilités d’emploi.[Mise en évidence par la soussignée]

[12] Il est clair que l’expression « preuve de capacité de travailler » dans l’arrêt Inclima n’a pas été créée en vase clos et que la Cour d’appel fédérale gardait à l’esprit qu’un appelant devait démontrer qu’il était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, afin de satisfaire au « critère relatif à la gravité ».

[13] Dans le même ordre d’idée, dans l’arrêt Klabouch, bien que la Cour d’appel fédérale ait également utilisé l’expression « capacité de travail » (au paragraphe 14), il ressort clairement dans le reste de la décision que le critère était de déterminer si l’invalidité rendait la personne incapable de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice. Cela a été établi par la Cour d’appel fédérale, aux paragraphes 9, 15, 16 et 20.

[14] Malgré mes inquiétudes initiales concernant le fait que la division générale aurait peut-être appliqué un critère différent relatif à la « gravité », elle a en fin de compte déterminé qu’il était néanmoins capable d’exercer un emploi allégé et sédentaire, selon la prépondérance de la preuve qui lui avait été présentée. Autrement dit, si la division générale a déterminé qu’il était capable d’exercer un emploi allégé et sédentaire, l’appelant ne pouvait donc pas être jugé comme étant régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice de toute façon.

Fardeau de la preuve

[15] Au paragraphe 39, la division générale a écrit qu’elle exigeait de l’appelant qu’il démontre qu’il n’est pas capable de travailler à cause de ses problèmes de santé. Je me suis demandé si son utilisation du mot [traduction] « démontrer » indiquait que la division générale a exigé de l’appelant qu’il respecte une norme de preuve supérieure que celle de la balance des probabilités.

[16] Compte tenu du fait que la division générale a énoncé au paragraphe 33 que l’appelant devrait prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2013 ou avant cette date, je suis convaincue que la division générale a appliqué le fardeau de la preuve approprié.

Ensemble de la preuve

[17] L’appelant a soutenu dans sa demande de permission d’en appeler que la division générale n’avait pas tenu compte de l’ensemble de la preuve. Bien que l’appelant n’ait pas fourni de précisions pour appuyer cette observation et que je n’ai pas accordé la permission selon ce moyen, j’ai déterminé qu’il était approprié de réviser cette question plus en détail.

[18] L’appelant souffre de plusieurs conditions médicales, y compris de neuropathie diabétique, d’une coronaropathie, d’un trouble de stress post-traumatique, d’un trouble dépressif majeur, de toxicomanie, d’un trouble obsessionnel-compulsif, possiblement d’un trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention et des faiblesses, des étourdissements et des problèmes d’équilibre d’origine inexpliquée, probablement attribuables au syndrome de Guillain-Barré. Certaines de ces conditions étaient relativement bien documentées dans la preuve médicale, tandis que d’autres ne l’étaient pas. La division générale a abordé chacune de ces conditions médicales, à différents degrés, soit dans la section « Preuve » ou dans la section « Analyse ».

[19] Il y avait relativement peu de documents médicaux rédigés vers la fin de la période minimale d’admissibilité, qui se terminait le 31 décembre 2013. Le seul rapport médical de 2013 est un rapport datant du 19 juin 2013 qui a été préparé par son médecin de famille, dans lequel les diagnostics et les médicaments de l’appelant sont énumérés (GT1-169 à 170). Le médecin de famille a également fourni une brève description dans son rapport de juin 2013.

[20] Le médecin de famille de l’appelant a également préparé trois autres brefs rapports médicaux qui étaient tous datés du 8 août 2012 (GT1-24/186, GT1-25/187 et GT1-27 à 28). Le premier de ces trois rapports dressait la liste des diagnostics et des médicaments de l’appelant. Il y avait également un rapport d’un endocrinologue qui datait du 11 décembre 2012 (GT1-177 à 179). Il y avait également des formulaires de 2013 relatifs à des demandes de prescriptions de médicaments. La plupart des documents médicaux étaient des rapports de 2011.

[21] Le rapport du médecin de famille datant du 19 juin 2013 était très similaire aux rapports datant du 8 août 2012, bien que le médecin de famille ait maintenant aussi diagnostiqué que l’appelant souffre d’arthralgie et d’arthrite ainsi que du syndrome de Guillain-Barré.

[22] Il est habituellement présumé en droit qu’un décideur a tenu compte de l’ensemble de la preuve qui lui est présentée. Généralement, l’on devrait faire preuve de déférence envers la division générale en ce qui concerne ses évaluations de fait, et l’on devrait réticent à renverser cette présomption, à moins qu’un demandeur puisse établir que l’élément de preuve avait une telle valeur probante que le décideur se devait de l’analyser. Je suis prête à conclure que la division générale a négligé ce rapport. Après tout, elle s’est référée aux autres opinions du médecin de famille, mais ne s’est pas référée à ce rapport en particulier, malgré le fait qu’il a été rédigé à une date à proximité de la date de fin de la période minimale d’admissibilité. Je suis également prête à conclure que le rapport avait une valeur probante. Après tout, le rapport a non seulement été rédigé près de la fin de la période minimale d’admissibilité, mais le médecin de famille a également énuméré d’autres diagnostics.

[23] Dans l’affaire Plaquet v. Canada (Procureur général), 2016 CF 1209, la Cour fédérale a examiné une situation semblable, où une demanderesse a soutenu que la division générale n’avait pas tenu compte de conditions prétendument nouvelles qui sont apparues après que le Tribunal de révision du Régime de pensions du Canada a rendu sa décision en juillet 2004. La Cour fédérale a conclu que la division générale, dans cette affaire, n’avait pas raisonnablement évalué la façon dont les nouveaux diagnostics décrits dans les trois nouveaux rapports avaient une incidence sur l’employabilité de Mme Plaquet et affectaient son employabilité. Les trois nouveaux rapports fournissaient une nouvelle compréhension de ce dont elle souffrait et de ce à quoi elle fait face dans son contexte « réaliste » d’employabilité. La Cour estimait que les trois rapports [traduction] « ne font pas qu’étiqueter différemment les anciens symptômes; plutôt, ils fournissent des éléments de preuve à l’appui d’un changement profond de son pronostic, autant au niveau médical, mais surtout en ce qui a trait à son employabilité. »

[24] Il y a une différence fondamentale entre les nouveaux rapports dans l’affaire Plaquet et le rapport du 19 juin 2013 provenant du médecin de famille de l’appelant. Essentiellement, les trois rapports fournissaient des éléments de preuve d’un [traduction] « changement profond » du pronostic de Mme Plaquet en ce qui a trait à son employabilité tandis que celui du 19 juin 2013 ne faisait qu’énumérer deux nouveaux diagnostics et ne fournissait aucune indication qu’il y avait eu un changement au niveau de la capacité ou de l’employabilité de l’appelant.

[25] Je suis profondément consciente qu’un diagnostic ne peut pas déterminer à lui seul la gravité d’une invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada. Cependant, bien que le médecin de famille n’ait pas indiqué que l’arthralgie, l’arthrite et le syndrome de Guillain-Barré avaient des répercussions sur la capacité de l’appelant, et bien qu’il n’y avait aucun autre rapport ou dossier médical faisant état de l’arthralgie et de l’arthrite de l’appelant, le membre ne semble pas avoir tenu compte de ces conditions ou entrepris d’analyse liée à ces deux conditions, ou si, lorsque ces conditions sont combinées avec ses autres conditions médicales, le membre ne semble pas avoir tenté de déterminer si ces conditions pouvaient avoir un impact sur la capacité globale de l’appelant. Autrement dit, la division générale n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve portée à sa connaissance en négligeant de tenir compte de deux nouveaux diagnostics et des répercussions de ces diagnostics sur la capacité de l’appelant.

Décision

[26] Contrairement à l’affaire Plaquet, il y avait peu d’éléments de preuve documentaire concernant l’arthralgie, l’arthrite et le syndrome de Guillain-Barré de l’appelant. Comme je l’ai mentionné précédemment, il n’y avait aucun autre rapport ou dossier médical faisant état de l’arthralgie, de l’arthrite ou du syndrome de Guillain-Barré de l’appelant ou de la façon dont le médecin de famille a conclu que l’appelant souffrait de ces deux conditions. Rien n’indique que des examens approfondies ou que des traitements ont été entamés, si l’on a recommandé à l’appelant de consulter des spécialistes pour ces deux conditions, quel était le pronostic à long terme ou de quelle façon ces deux conditions — considérés ou dans leur ensemble avec ses autres conditions — affectaient la capacité de l’appelant, d’ici la fin de sa période minimale d’admissibilité. Le fait qu’il a été noté que l’appelant avait consulté un neurologue et un spécialiste en neuropathie périphérique et qu’il avait reçu un pronostic sombre ne permet pas non plus de conclure à une invalidité grave.

[27] Compte tenu de ces considérations, il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle rende une nouvelle décision, et par conséquent, l’appel est rejeté, conformément au paragraphe 59(1) de la LMEDS.

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