Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] La demanderesse sollicite la permission d’en appeler d’une décision rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) le 15 février 2016, qui a refusé la prorogation du délai de 90 jours pour interjeter appel de la décision découlant d’une révision rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (défendeur) de refuser à la demanderesse la prestation d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

[2] J’accueille la demande de permission d’en appeler pour les raisons suivantes.

Contexte

[3] La demanderesse a présenté une première demande de prestation d’invalidité aux termes du RPC le 14 février 2012. La période minimale d’admissibilité de la demanderesse a pris fin le 31 décembre 2012. Dans une lettre datée du 15 mars 2012, le défendeur a rejeté la demande de la demanderesse et l’a avisée qu’elle disposait de 90 jours pour demander la révision de cette décision. La demanderesse a présenté une demande de révision de la décision initiale après le délai prévu de 90 jours. Le défendeur a avisé la demanderesse que sa demande de révision ne serait pas acceptée parce qu’elle n’avait pas été présentée au cours de la période de 90 jours.

[4] La demanderesse a présenté une deuxième demande de prestation d’invalidité du RPC le 8 mars 2013. La période minimale d’admissibilité est demeurée la même. Le défendeur a rejeté la demande initialement et après révision au motif que l’invalidité de la défenderesse n’était pas grave et prolongée en décembre 2012 et jusqu’à la date de la révision. La décision de révision est datée du 3 décembre 2013.

[5] Conformément à l’alinéa 52(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), l’appel d’une décision doit être interjeté devant la division générale dans les 90 jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision. La demanderesse a déposé sa demande d’appel le 12 septembre 2014, un peu plus de six mois après le 2 décembre 2013; la date à laquelle la décision découlant de la révision a été rendue, et donc après le délai prévu de 90 jours. Dans le formulaire d’appel qu’elle a rempli, la demanderesse n’a rien inscrit dans l’espace où la date à laquelle elle a reçu communication de la décision dont elle souhaite interjeter appel aurait dû être inscrite. Dans l’espace réservé aux motifs de l’appel, la demanderesse a inscrit [traduction] : « J’ai présenté une demande en avril 2014, quand j’ai appelé les renseignements sur mon appel étaient introuvables [sic]. »

[6] Dans sa décision du 15 février 2016, la division générale a rejeté la demande de la demanderesse relative à la prorogation du délai pour interjeter appel. En l’espèce, la demanderesse souhaite obtenir la permission d’en appeler de cette décision.

Principale question en litige – Moment de la présentation de la demande de permission d’en appeler

[7] Une question préliminaire est soulevée, parce que la présente demande de permission d’en appeler a été soumise plus de 90 jours après la date réputée à laquelle la demanderesse a reçu communication de la décision rendue par la division générale.

[8] Conformément à l’alinéa 57(2)b) de la LMEDS, une demande de permission d’en appeler doit être présentée à la division d’appel dans les 90 jours suivant la date à laquelle l’appelant reçoit communication de la décision rendue par la division générale. La décision de la division générale a été rendue le 15 février 2016, et elle été postée à la demanderesse le 17 février 2016. Conformément au paragraphe 19(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS), la décision est présumée avoir été communiquée à la partie le dixième jour suivant celui de sa mise à la poste, donc le 27 février 2016 dans le cas de la demanderesse. À partir de cette date, l’échéance imposée pour la présentation de la demande de permission d’en appeler était le 15 mai 2016.

[9] Les exigences relatives à la forme et au contenu de la demande de permission d’en appeler sont décrites au paragraphe 40(1) du Règlement sur le TSS. La demanderesse a présenté une demande incomplète de permission d’en appeler le 6 avril 2016. Le 11 avril 2016, le Tribunal de la sécurité sociale a écrit à la demanderesse pour l’aviser que sa demande était incomplète. La lettre expliquait qu’elle devait fournir au Tribunal des moyens d’appel, les faits et articles qu’elle avait présentés à la division générale, les éléments sur lesquels elle fondait sa demande, de même qu’une déclaration signée. La demanderesse a fourni certains des renseignements manquants le 29 avril 2016. Le Tribunal lui a écrit à nouveau le 2 mai 2016 pour lui demander de fournir la déclaration signée. La demanderesse a fourni une déclaration signée le 3 juin 2016. La demande a été complétée après le 15 mai 2016, et elle a donc été considérée comme déposée en retard par rapport à la date réputée de communication de la décision à la demanderesse.

[10] Dans la demande de permission d’en appeler qu’elle a présentée à la division d’appel, dans l’espace servant inscrire la date à laquelle elle a reçu la décision rendue par la division générale, la demanderesse a inscrit le 11 mars 2016; soit plus de trois semaines après que la décision ait été postée. En comptant à partir de cette date, elle devait présenter sa demande de permission d’en appeler le 9 juin 2016. La demande de permission d’en appeler a été déposée à temps si l’on établit l’échéance en fonction d’une date de communication de la décision du 11 mars 2016.

[11] Il n’y a cependant aucune preuve indépendante appuyant la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle a reçu la décision de la division générale le 11 mars 2016, et aucune justification n’a été fournie pour expliquer pourquoi la demanderesse n’a pas reçu la décision dans le délai de livraison attendu du courrier au Canada. J’estime que la demanderesse n’a pas réfuté la présomption selon laquelle la division générale l’a avisée de la décision rendue à la date réputée de la communication.

[12] L’alinéa 3(1)b) du Règlement sur le TSS me donne la discrétion, « s’il existe des circonstances spéciales », d’exempter une partie de son application, incluant les exigences relatives à la forme et au contenu d’une demande de permission d’en appeler comme il est établi au paragraphe 40(1) du Règlement sur le TSS. Je ne constate cependant en l’espèce aucune circonstance spéciale qui me permettrait d’exercer cette discrétion.

[13] Une autre approche est possible. Le paragraphe 57(2) de la LMEDS m’habilite à proroger le délai d’un an au maximum à compter du jour où la décision a été communiquée à la demanderesse pour déposer la demande de permission d’en appeler.

[14] Dans Canada (Ministre du Développement des Ressources Humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883, la Cour fédérale a établi quatre critères qui devraient être pris en considération pour déterminer si une prorogation du délai devrait être accordée :

  1. La personne qui demande la prorogation démontre une intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;
  2. La cause est défendable;
  3. Le retard a été raisonnablement expliqué par la partie requérante;
  4. La prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

[15] Les quatre critères ne doivent pas s’appliquer afin que la prorogation soit accordée. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice : Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204.

[16] En ce qui a trait au premier critère, la demanderesse a présenté sa demande (incomplète) de permission d’en appeler le 6 avril 2016, soit dans le respect du délai de 90 jours suivant la date où elle est réputée avoir reçu communication de la décision rendue par la division générale. Elle a répondu à la demande de renseignements supplémentaires du Tribunal de façon opportune et a complété sa demande le 3 juin 2016. J’estime donc que la demanderesse a démontré une intention persistante de poursuivre la demande de permission d’en appeler.

[17] En ce qui a trait au deuxième critère, la Cour fédérale d’appel a établi que des causes défendables reviennent à établir si l’appel a une chance raisonnable de succès : Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63. Comme il est expliqué dans la prochaine partie, je crois que l’appel a une chance raisonnable de succès et que le deuxième critère est respecté. De plus, la prorogation du délai ne causerait pas de préjudice au défendeur, puisqu’une prorogation d’une durée relativement courte permettrait à la demanderesse de compléter sa demande de permission d’en appeler.

[18] Ces trois critères et la considération primordiale relative à l’intérêt de la justice étant respectés, j’autorise la prorogation du délai pour la présentation de la demande de permission d’en appeler.

[19] Je dois maintenant décider si la demande de permission d’en appeler devrait être accueillie.

Critère relatif à la permission d’en appeler

[20] Les appels interjetés devant la division d’appel sont régis par la partie 5 de la LMEDS. Conformément au paragraphe 56(1) de la LMEDS, « [i]l ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission. » Le paragraphe 58(3) prévoit que la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[21] Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

[22] Selon le paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[23] Par conséquent, afin d’accorder la permission d’en appeler, je dois être convaincue qu’au moins un des trois moyens prévus confère à l’appel une chance raisonnable de succès. Je dois déterminer si, lorsqu’elle a refusé la prorogation du délai, la division générale pourrait avoir commis une erreur susceptible de révision conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS et qui pourrait conférer à l’appel une chance raisonnable de succès.

[24] Je remarque que, dans sa demande de permission d’en appeler, la demanderesse déclare que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence. Pour appuyer cette observation, elle a affirmé [traduction] : « J’ai l’impression que ma demande précédente a été rejetée [elle fait probablement ici référence à l’appel interjeté devant la division générale] principalement en raison du fait qu’elle avait été présentée en retard, et non en raison de mon trouble médical. Je crois que mon trouble médical a été fortement négligé » (AD1A-1). La demanderesse devrait comprendre que, parce que sa demande de permission d’en appeler a été présentée après le délai de 90 jours établi dans la LMEDS, elle a été jugée comme ayant été déposée en retard, et le membre de la division générale devait déterminer si une prorogation du délai devrait être accordée ou refusée. S’il concluait qu’une prorogation devait être accordée, le membre ne pouvait ensuite qu’évaluer le bien-fondé de l’appel. Le membre a refusé la prorogation, et la présente demande de permission d’en appeler ne touche que cette décision.

Analyse

[25] Le membre de la division générale a conclu que la demanderesse avait jusqu’au 12 mars 2013 pour interjeter appel. Puisqu’elle n’a interjeté appel que le 12 septembre 2014, l’appel a été considéré comme déposé en retard.

[26] Plus tôt, dans la partie sur les motifs, j’ai établi le critère à appliquer pour déterminer si une prorogation du délai devrait être accordée. Le membre a correctement énoncé la loi pertinente à cet exercice de pouvoir discrétionnaire pour accorder ou refuser une prorogation de délai. En examinant les quatre facteurs, il a conclu que la demanderesse avait établi une cause défendable et que la prorogation du délai ne causerait pas de préjudice au défendeur. Il a toutefois conclu que la défenderesse n’avait pas fourni d’explication raisonnable relative au retard, et qu’il n’y avait aucune preuve d’une intention persistante de poursuivre l’appel, et il a affirmé ce qui suit : « Aucune preuve ne démontre que la demanderesse avait l’intention d’interjeter appel au cours de la période de 90 jours prévue par le RPC. » Il a ajouté ce qui suit : « La [demanderesse] prétend avoir déjà interjeté appel en avril 2014, mais elle n’a fourni aucune preuve pour appuyer cette affirmation. Le Tribunal ne peut accepter cette affirmation sans preuve crédible au dossier. » 

[27] Je remarque dans les documents qui ont été présentés à la division générale (GD2-15 à GD2-16) une lettre de Service Canada datée du 24 mars 2014 dans laquelle on lit :

[Traduction] Nous avons reçu votre lettre du 27 février 2014 visant à interjeter appel devant le Tribunal de la sécurité sociale du Canada concernant les montants de vos pensions d’invalidité et de survivant du RPC.

Nous vous renvoyons votre lettre de demande d’appel parce que vous devez envoyer cette demande directement au Tribunal de la sécurité sociale du Canada.

Comme il a été précisé dans la lettre relative à la décision découlant de la révision datée du 2 décembre 2013, vous devez envoyer votre demande d’appel à la section de la sécurité du revenu de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada. [mis en évidence par la soussignée]

[28] Cette lettre semble fournir une preuve appuyant la déclaration faite par la demanderesse dans son avis d’appel selon laquelle elle avait déjà présenté une demande d’appel. La preuve présentée à la division générale suggérait que la demanderesse souffrait de troubles de concentration et de dépression principalement associés au décès de son époux. Étant donné son état, il ne serait pas étonnant que la demanderesse ait été incertaine de la date à laquelle elle avait envoyé sa demande de permission d’en appeler (et qu’elle l’avait envoyée à tort à Service Canada).

[29] Les motifs invoqués par la division générale ne font aucune référence à la lettre de Service Canada. S’il avait tenu compte de cette lettre, le membre de la division générale aurait su que la demanderesse avait manifesté une intention d’interjeter appel au cours de la période de 90 jours prévue (et qu’elle avait pris de mesures à ce sujet). S’il avait tenu compte de cette lettre, il aurait aussi été en mesure de déterminer que la déclaration qu’elle avait faite dans les documents relatifs à son appel selon laquelle elle avait « déjà présenté une demande d’appel vers avril 2014 » était exacte, et que la demanderesse avait bien envoyé une demande, bien que la date fournie ait été inexacte. Pour cette raison, la division générale aurait très bien pu conclure que la demanderesse avait démontré une intention persistante de poursuivre l’appel et fourni une explication raisonnable à son retard. Il aurait également pu évaluer la considération primordiale et conclure qu’il était dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation du délai.

[30] Étant donné que la division générale semble avoir omis de tenir compte de la lettre datée du 24 mars 2014 envoyée par Service Canada, il est possible que le membre ait tiré une conclusion de fait erronée sans avoir tenu compte des éléments portés à sa connaissance (alinéa 58(1)c) de la LMEDS), ou qu’il ait erré en droit en rendant sa décision (alinéa 58(1)b)).

[31] J’estime que ces moyens pourraient conférer à l’appel une chance raisonnable de succès, et j’accorde la permission d’en appeler de la décision qui avait entraîné le refus de la prorogation du délai.

Conclusion

[32] La demande de permission d’en appeler de la décision rendue par la division générale de refuser la prorogation du délai pour faire appel est accordée. Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume bien sûr aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

[33] Conformément à l’article 42 du Règlement sur le TSS, dans les 45 jours suivant la date à laquelle la permission d’en appeler est accordée, les parties peuvent a) soit déposer des observations auprès de la division d’appel, b) soit déposer un avis auprès de la division d’appel précisant qu’elles n’ont pas d’observations à déposer. Si des observations sont déposées, elles doivent toucher uniquement la question faisant l’objet de l’appel, c’est-à-dire qu’elles doivent servir à déterminer si la division générale a commis une erreur en refusant une prorogation du délai, et donc si l’un des moyens prévus au paragraphe 58(1) est invoqué.

[34] Une fois les observations reçues, s’il y a lieu, l’appel de la décision rendue par la division générale de refuser la prorogation du délai sera instruit sur le fond.

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