Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Décision

La permission d’en appeler est accordée.

Introduction

[1] La demanderesse souhaite obtenir la permission d’appeler de la décision rendue par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) le 25 juillet 2016. La division générale avait précédemment tenu une audience par vidéoconférence et avait conclu que la demanderesse n’était pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), car elle avait conclu qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité « grave » au cours de sa période minimale d’admissibilité (PMA), qui devait prendre fin le 31 décembre 2016.

[2] Le 26 octobre 2016, le représentant de la demanderesse a présenté à la division d’appel, dans les délais prescrits, une demande de permission d’en appeler comportant le détail des moyens d’appel prétendus. Afin que la demande soit accueillie, je dois être convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable

[3] Conformément aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission, et la division d’appel accorde ou refuse cette permission.

[4] Le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[5] Les seuls moyens d’appel selon le paragraphe 58(1) de la LMEDS sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Pour que la permission d’en appeler soit accordée, la demanderesse doit démontrer qu’il existe une cause défendable qui pourrait éventuellement donner gain de cause à l’appel : Kerth c. CanadaNote de bas de page 1. La Cour d’appel fédérale a établi qu’une cause défendable revient à déterminer si, en droit, un appel a une chance raisonnable de succès : Fancy c. CanadaNote de bas de page 2.

[7] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond. C’est un premier obstacle que la demanderesse doit franchir, mais celui-ci est inférieur à celui auquel elle devra faire face à l’audition de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande de permission d’en appeler, la demanderesse n’a pas à prouver sa thèse.

Question en litige

[8] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Observations

[9] Dans la demande de permission d’en appeler, le représentant de la demanderesse a présenté les observations suivantes :

  1. La division générale a erré en droit en omettant d’appliquer Nouvelle-Écosse c. Martin et les affaires connexesNote de bas de page 3, dans lesquelles on reconnaissait la douleur chronique comme un trouble médical véritable et indemnisable dont l’existence et la gravité pouvaient ne pas être appuyées par des conclusions objectives. Par conséquent, la division générale a omis d’évaluer des éléments importants associés au trouble de la demanderesse, particulièrement son témoignage concernant la subjectivité du niveau de douleur qu’elle ressent et les limitations qu’elle entraîne. La division générale a fondé sa décision uniquement sur l’élément de preuve associé aux blessures organiques de la demanderesse et a omis d’évaluer la crédibilité de la demanderesse par rapport à l’authenticité et à la gravité de la douleur chronique qu’elle ressent.
  2. De plus, la division générale a très mal interprété les observations présentées par la demanderesse, dont le sens principal était que la douleur associée à sa fibromyalgie s’était aggravée de manière significative vers février 2013, et que c’est surtout en raison de cette douleur que la demanderesse ne pouvait pas continuer à travailler. Il est bien établi dans la jurisprudence que le degré d’invalidité découlant de la fibromyalgie est déterminé en fonction du niveau de la douleur ressentie par le prestataire. Il est donc évident qu’un tribunal doit évaluer la crédibilité du témoignage des prestatairesNote de bas de page 4.
  3. Il est bien connu que la fibromyalgie est une maladie évolutive. Elle peut cesser d’évoluer pendant un certain temps, comme il a été le cas ici, mais elle ne disparait pas, contrairement à ce que la division générale a suggéré au paragraphe 25 de sa décision. La division générale avait complètement tort de déclarer qu’il n’y avait aucune preuve que la demanderesse était atteinte de fibromyalgie après 1995. La demanderesse a clairement expliqué que sa fibromyalgie avait continué après 1995, et cette déclaration n’est contredite dans aucun des rapports médicaux au dossier. Le fait que la demanderesse était en mesure de continuer à travailler n’est pas inhabituel, puisque la fibromyalgie n’entraîne pas nécessairement une invalidité.Note de bas de page 5
  4. Contrairement à l’affirmation de la division générale au paragraphe 27 de sa décision, aucune preuve médicale ne suggère que la fibromyalgie dont la demanderesse souffrait avait disparu ou ne s’était améliorée. Le fait que sa douleur se soit intensifiée malgré des conclusions objectives limitées mettait en relief la déclaration de la demanderesse selon laquelle sa fibromyalgie s’était aggravée. Aux paragraphes 28, 29 et 30, la division générale faisait référence à des conclusions minimales et de faible importance associées à la preuve médicale, mais ces conclusions étaient insuffisantes pour expliquer la douleur extraordinaire que la demanderesse ressent.
  5. Au paragraphe 33 de sa décision, la division générale a ignoré la preuve dont elle disposait et a eu recours à une logique très défaillante pour conclure que le trouble de la demanderesse s’était « grandement amélioré depuis avril 2013. » Cette conclusion va à l’encontre de la preuve présentée par la demanderesse de vive voix; une preuve que la division générale doit donc avoir rejetée. En fait, la fibromyalgie de la demanderesse s’est aggravée de manière imprévue et alarmante vers 2012, ce qui a entraîné une dégradation importante de son état, et non une amélioration.

[10] Le 16 novembre 2016, le représentant de la demanderesse a envoyé à la division d’appel une lettre datée du 4 novembre 2016 rédigée par le docteur Sean Ryan, le médecin de famille de la demanderesse.

Analyse

Preuve subjective relative à la douleur chronique

[11] La demande de permission d’en appeler présentée par la demanderesse soulève trois questions :

  1. La division générale est-elle dans l’obligation de tenir compte de la preuve subjective présentée par la demanderesse concernant l’intensité de sa douleur chronique et ses incidences sur son fonctionnement?
  2. Dans l’affirmative, comment cette preuve sera-t-elle évaluée par rapport aux preuves objectives qui ont été présentées?
  3. Si elle doit tenir compte de la preuve subjective, la division générale a-t-elle, en l’espèce, adéquatement étudié le témoignage de la demanderesse?

[12] La demanderesse a raison de souligner que la douleur chronique (et, par extension, la fibromyalgie) a été reconnue par les tribunaux comme un véritable trouble médical, bien qu’elle ne soit souvent pas appuyée par des conclusions objectives. L’affaire Martin impliquait une notion de droits à l’égalité, et la Cour suprême du Canada avait statué que la douleur chronique représentait un trouble médical qui pouvait véritablement entraîner une invalidité, et par conséquent, elle avait conclu que son exclusion généralisée de la combinaison d’assurance d’indemnisation des accidentés du travail de la Nouvelle-Écosse allait à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Par contre, l’affaire Martin ne fournissait aucun détail sur la manière dont les preuves relatives à la douleur chronique devaient être évaluées pour déterminer si y avait invalidité, et plus particulièrement, elle n’abordait pas la question de l’importance que le juge des faits devait accorder aux preuves subjectives, s’il devait en tenir compte.

[13] Vu ce qui précède, il semble raisonnable de soutenir qu’un trouble médical défini par la manière dont les personnes qui en sont atteintes perçoivent la douleur devrait être évalué, du moins en partie, en tenant compte des preuves subjectives relatives à son intensité et à ses effets débilitants. En ce cas, une plus grande importance doit être accordée à la question de la crédibilité du prestataire.

[14] En l’espèce, la division générale a fait référence à l’affaire Martin dans son analyse, mais ce dossier n’est qu’un point de départ et ne définit pas de manière complète ou définitive la notion de douleur chronique. Il est incontestable que la division générale a accordé beaucoup d’importance à la preuve médicale objective. Elle a entre autres souligné le commentaire du docteur Siddiqi selon lequel l’imagerie par résonance magnétique de la partie lombaire était « raisonnablement claire » et une étude de conduction nerveuse subséquente avait démontré une résolution de l’irritation de la racine du nerf. Bien que la division générale ait présenté un résumé du témoignage de la demanderesse dans sa décision, l’analyse présentait peu d’éléments suggérant que la preuve orale avait joué un rôle important dans son raisonnement. En tout cas, la division générale n’a pas précisé si elle avait jugé crédible la demanderesse, et plus particulièrement sa description de ses symptômes de douleur. J’estime que la question visant à déterminer s’il s’agit d’une erreur de droit mérite un examen approfondi.

[15] Lorsqu’il a affirmé que la division générale était tenue d’évaluer la crédibilité de la demanderesse concernant ses symptômes subjectifs liés à la douleur, le conseiller juridique a cité la jurisprudence, incluant les décisions de la Commission d’appel des pensions (CAP). Je ne suis pas lié par les décisions rendues par l’ancienne CAP, la prédécesseure de la division d’appel, mais ces décisions offrent des directives utiles sur la question, bien que peu cohérentes. Une des idées générales qui en ressort est celle selon laquelle la manière dont chaque prestataire perçoit la douleur doit être prise en considération avec d’autres facteurs, incluant l’impact réel que la douleur a sur le fonctionnement du prestataire et les efforts que le prestataire déploie pour atténuer cette douleur. Il est aussi évident que les tribunaux, par rapport à des affaires comme Villani c. CanadaNote de bas de page 6 et Warren c. CanadaNote de bas de page 7, avaient demandé aux prestataires de fournir au moins certaines preuves médicales objectives, bien que je ne connaisse pas de précédent qui endosse le recours exclusif à des preuves subjectives.

[16] Pour ces raisons, je crois que l’appel a une chance raisonnable de succès selon le motif que la division générale a erré en droit lorsqu’elle a évalué le témoignage subjectif de la demanderesse concernant la douleur chronique dont elle souffre. Je constate également une cause défendable dans le fait que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée dans sa définition de la fibromyalgie comme une maladie chronique. Il semble que la division générale ait conclu que la fibromyalgie dont souffre la demanderesse, qui avait été diagnostiquée dans les années 1990, pouvait être reléguée au passé sans réserve puisque 15 années s’étaient écoulées et que la demanderesse avait recommencé à travailler au cours de cette période. Ce faisant, la division générale semble avoir ignoré la possibilité que ce trouble médial se manifeste à nouveau ultérieurement et nuise au fonctionnement de la demanderesse. Bien que la demanderesse conteste la conclusion tirée par la division générale selon laquelle il n’y a aucune preuve médicale qu’elle souffrait de fibromyalgie après 1995, je ne constate rien de techniquement inexact à propos de cette déclaration : La demanderesse ne semble pas avoir présenté de preuve médicale, comme des rapports produits par des médecins, qui documentent son trouble médical après 1995, même si la demanderesse a fourni sa propre preuve testimoniale à ce sujet. Cependant, la cause de la demanderesse pourrait être plus facilement défendable si elle faisait valoir que la division générale a ignoré un élément de preuve en concluant, au paragraphe 33 de sa décision, que l’état de la demanderesse s’était « grandement amélioré depuis avril 2013. » Bien qu’il semble y avoir des signes positifs dans les rapports médicaux de cette période, ils ont été réfutés par le témoignage de la demanderesse selon lequel son état s’était dégradé. Je reconnais qu’un tribunal administratif a le pouvoir d’évaluer les preuves à sa guise, mais encore une fois, la question revient à déterminer si la division générale a commis une erreur de fait et de droit en accordant peu d’importance ou aucune importance au témoignage oral de la demanderesse. On pourrait aussi se demander si la division générale devait, par obligation d’équité, expliquer à la demanderesse pourquoi elle avait agi ainsi.

Nouveau document

[17] Après avoir présenté sa demande de permission d’en appeler, la demanderesse a fourni un rapport médical qui n’était pas disponible au moment de l’audience. En effet, il a été rédigé après que la division générale ait rendu sa décision. D’ordinaire, lorsqu’elle est saisie d’un appel, la division d’appel ne peut examiner des éléments de preuve supplémentaires compte tenu des restrictions imposées par le paragraphe 58(1) de la LMEDS, qui ne donne pas compétence à la division d’appel pour statuer sur le fond du litige. Une fois qu’une audience a pris fin, très peu de raisons justifient de soulever d’autres points ou des points nouveaux. Un demandeur pourrait envisager de demander à la division générale d’annuler ou de modifier sa décision. Par contre, le demandeur devrait satisfaire aux exigences établies dans l’article 66 de la LMEDS et aux articles 45 et 46 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale. Non seulement les demandeurs doivent respecter des échéances et exigences strictes pour présenter une demande d’annulation ou de modification d’une décision, ils doivent aussi démontrer que tous les nouveaux faits présentés sont importants et qu’ils ne pouvaient pas être connus au moment de l’audience malgré l’exercice d’une diligence raisonnable.

Conclusion

[18] J’accorde la permission d’en appeler pour tous les motifs présentés par la demanderesse.

[19] J’invite aussi les parties à déposer leurs observations sur la pertinence de tenir une nouvelle audience et, si une audience s’avère nécessaire, sur le type d’audience qui convient.

[20] La présente décision d’accorder la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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