Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Aperçu

[1] Le 21 janvier 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a statué qu’une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) n’était pas payable à l’appelante.

[2] Une demande de permission d’en appeler portant sur la décision rendue par la division générale a été déposée auprès de la division d’appel du Tribunal, et la permission d’en appeler a été accordée le 31 août 2016. Bien que plusieurs arguments aient été avancés, la permission a strictement été accordée pour un manquement possible à la justice naturelle qui aurait donné lieu à une crainte raisonnable de partialité, relativement à la manière dont le membre de la division générale a tenu l’audience et interrogé l’appelante. La permission d’en appeler n’a pas été accordée pour les prétendues erreurs de droit et de fait, comme il n’y avait aucune chance raisonnable de succès en appel pour ces motifs, et la permission a été [traduction] « seulement accordée relativement au prétendu manquement à la justice naturelle ». La présente décision se limite donc à statuer sur ce présumé manquement à la justice naturelle; les observations reprochant d’autres erreurs n’ont pas été considérées davantage. 

[3] Après avoir donné aux deux parties l’occasion de présenter des observations sur le mode d’audience (ainsi que sur la question litigieuse), j’ai décidé d’instruire cet appel sur la foi du dossier. Je souligne que le représentant de l’appelante a confirmé, durant une conférence préparatoire, qu’il ne souhaitait plus demander d’audience, même s’il s’était attendu précédemment à ce qu’une audience de vive voix soit tenue pour que l’ancien représentant puisse témoigner. J’estime qu’il n’est pas nécessaire de tenir une autre audience, compte tenu du fait qu’il n’y aura pas de témoignages, que les deux parties sont représentées, que les deux représentants ont présenté des observations détaillées par écrit, et que ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé la tenue d’une audience. Ce mode d’audience est conforme à l’obligation du Tribunal, qui est de procéder de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent, conformément au paragraphe 3(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

[4] En conséquence, j’ai examiné les documents versés au dossier de la division générale, les décisions susmentionnées rendues par la division générale et la division d’appel, les observations présentées par l’appelante (9 février 2016, 31 octobre 2016, 7 décembre 2016, 22 février 2017 et 16 mars 2017), ainsi que les observations de l’intimé (25 novembre 2015).

Question en litige

[5] La conduite du membre de la division générale a-t-elle donné lieu à une crainte raisonnable de partialité, au point qu’on puisse affirmer que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle?

Moyen d’appel

[6] Le moyen d’appel pertinent en l’espèce est le moyen suivant, prévu à l’alinéa 58(1)a) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) : « la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ».

[7] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, il a été établi que les normes de contrôle applicables au contrôle judiciaire d’une décision rendue par un décideur administratif ne doivent pas être appliquées automatiquement par un organisme administratif d’appel spécialisé. Un tel organe d’appel doit plutôt s’en tenir aux moyens d’appel établis par sa loi constitutive. (Voir aussi Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242.) Vu le libellé sans équivoque de l’alinéa 58(1)a) de la Loi sur le MEDS, il n’est pas nécessaire de faire preuve de retenue à l’endroit de la division générale quant aux questions de justice naturelle.

Analyse

[8] Le critère relatif à la crainte raisonnable de partialité, cité par la Cour fédérale dans Gorgiev c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2005 CAF 55, figure dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » [mis en évidence par la soussignée]

[9] Dans ses observations, le représentant de l’appelante a fait état de deux préoccupations qui sont potentiellement liées à la conduite du membre et à la crainte raisonnable de partialité.

Interrogation de l’appelante

[10] Dans la demande de permission d’en appeler, le représentant de l’appelante a soutenu que le membre de la division générale avait appâté l’appelante en lui posant des questions sur sa tolérance à la douleur en 2008, alors qu’il savait qu’elle avait de la difficulté à se souvenir de certaines choses, puis en remettant en doute sa crédibilité. Le représentant de l’appelante avance aussi que le membre a rejeté son objection à cette série de questions durant l’audience :

[traduction]

Appâter la requérante en lui demandant quel était son degré de douleur en 2008 dans le but d’obtenir une réponse attendue, une réponse qui serait utilisée dans le but de remettre en question sa crédibilité dans cette décision, est une pratique de nature accusatoire et douteuse en soi, qui ne cadre pas avec l’approche juste et raisonnable à laquelle on s’attend auprès de personnes malades et blessées. Mon frèreNote de bas de page 1 avait demandé au membre de retirer sa question comme elle était injuste, mais il a refusé de le faire. Comme on l’a documenté au fil des ans, un requérant fera de son mieux pour répondre aux questions qui lui sont posées par un fonctionnaire. C’est exactement ce qu’elle a fait, et cela a manifestement nui à sa crédibilité. 

[11] Selon le représentant de l’intimé, on ne peut entendre aucune objection sur l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale, et [traduction] « l’appelante n’a fourni aucune preuve démontrant qu’on l’aurait appâtée, jugée d'emblée, empêchée de répondre à des questions, ou mal questionnée. »

[12] Dans ses observations finales du 14 mars 2017, le représentant de l’appelante a réitéré son inquiétude, sans pourtant faire référence au leurre ou à l’objection qui auraient eu lieu :

[traduction]

L’appelante conteste le fait que le membre l’a interrogée sur « sa tolérance à la douleur de sept ans plus tôt », alors qu’il avait déjà reconnu, au paragraphe 26 de la page AD1A-8, qu’elle avait de la difficulté à se souvenir de certaines choses. L’appelante s’est sentie obligée de répondre aux questions qui lui étaient posées et, parfois, elle devait y répondre en devinant, et le membre s’est montré critique lorsque la travailleuse ne donnait pas les mêmes réponses que celles figurant au dossier papier, comme on l’a noté au paragraphe 42 de la page AD1A-11.

[13] Comme la période minimale d’admissibilité de l’appelante (PMA) a pris fin le 31 décembre 2008, ses symptômes en 2008 étaient pertinents pour que la division générale puisse statuer sur l’invalidité. Ainsi, l’interroger sur ses symptômes ne donne pas lieu, en soi, à une crainte de partialité. Il est à la discrétion des décideurs d’interroger les témoins, et ils ont aussi le devoir de leur poser des questions dans le but de faire préciser des réponses obscures, de remédier à un malentendu ou d’obtenir une explication quant à des questions cruciales (voir, à titre d’exemples, Brouillard Dit Chatel c. La Reine, [1985] 1 RCS 39, et R. c. Darlyn (1946), 88 CCC 269). Selon moi, une personne informée qui aurait réfléchi à l’affaire ne considérerait pas comme probable que le membre n’ait pas tranché l’appel équitablement, simplement parce qu’il a interrogé la travailleuse sur les symptômes qu’elle ressentait en 2008.

[14] De plus, le paragraphe 42 de la décision (mentionné par le représentant de l’appelante) montre que le membre a reconnu que la mémoire est, en effet, une faculté qui oublie, et que c’est l’appelante elle-même qui a voulu se fier à sa mémoire plutôt qu’au dossier médical :

[traduction]

[42] Globalement, le témoignage de l’appelante apparaissait crédible; il a semblé franc, et l’appelante n’a pas paru exagérer ses symptômes. Cependant, elle rejetait rapidement la preuve au dossier médical lorsqu’elle ne correspondait pas à son propre récit, et ce, bien que la question qui fait l’objet du litige remonte à sept années plus tôt, et que le temps qui s’est écoulé pourrait avoir brouillé sa mémoire. Elle a également été incapable de clairement faire rapport de sa consommation de Tramacet. De plus, la preuve médicale laisse planer un doute quant à son affirmation selon laquelle elle aurait abandonné un programme en comptabilité en 1989 ou en 1990, en raison d’une douleur au poignet.

[15] J’estime que ce paragraphe ne donne aucunement lieu de croire que le membre ait porté un jugement préconçu sur l’appelante ou qu’il ait été partial. 

[16] Je reconnais (comme dans la décision accordant la permission d’en appeler) que la façon dont un décideur tient une audience ou interroge un témoin peut révéler un état d’esprit ou une attitude qui témoigne de partialité. Il a notamment été établi que des commentaires sexistes, injustifiés et impertinents de la part d’un membre du Tribunal, ou un examen impitoyablement acharné ou qui revient à du harcèlement de la part d’un décideur, soulève une crainte raisonnable de partialité (Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 629 (C.A.); De Leon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15607 (CF); Guermache c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 870).

[17] Dans la décision accordant la permission d’en appeler, il était demandé à l’appelante de faire référence à la conduite reprochée en utilisant [traduction] « une transcription de l’audience ». Comme j’estimais que cette instruction prêtait à confusion (puisque le Tribunal ne fournit pas une transcription, mais bien un enregistrement de l’audience), j’ai demandé qu’une copie de l’enregistrement soit transmise au représentant de l’appelante pour qu’il puisse bénéficier d’une occasion raisonnable de présenter des observations détaillées, en faisant référence à des moments précis de l’enregistrement. Comme le représentant a fait savoir au Tribunal qu’il avait continuellement éprouvé des difficultés à faire jouer l’enregistrent, on lui a donné des instructions, puis offert un soutien technique de la part de l’équipe tes technologies de l’information du Tribunal. Même s’il a bénéficié d’une occasion d’écouter l’enregistrement, et même s’il a été avisé durant la conférence préparatoire qu’il semblait être essentiel à l’appel de sa cliente, le représentant de l’appelante a confirmé au cours de la conférence préparatoire qu’il ne souhaitait pas écouter l’enregistrement et qu’il n’avait rien à ajouter depuis le dépôt de ses observations de mars 2017.

[18] Dans ces observations, le représentant de l’appelante a écrit ce qui suit : [traduction] « […] Je peux seulement faire référence aux décisions du membre et recommande à mon lecteur de se reporter à la partie de l’audience durant laquelle le membre posait ses questions. » Même si j’ai accès à l’enregistrement de l’audience devant la division générale, j’estime qu’il n’est ni nécessaire ni indiqué que j’écoute une audience d’une heure et demie, vu les circonstances de l’espèce. Le fardeau de la preuve repose sur l’appelante, et c’est elle qui doit prouver que la conduite du membre de la division générale, durant l’audience, donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité : Glover v. Canada (Procureur général), 2017 CF 363. Le représentant de l’appelante n’a pas circonscrit une question qui aurait été posée à l’appelante (hormis celle abordée aux paragraphes 12 et 13, supra), des termes ou un ton utilisés par le membre, une objection en particulier de l’ancien représentant, un commentaire malencontreux du membre, ou tout autre élément de preuve qui permettrait d’appuyer sa prétention voulant que le membre n’ait pas été impartial. De plus, en me basant sur le fait que le représentant de l’appelante n’a pas voulu examiner l’enregistrement de l’audience, je peux en déduire qu’il ne s’attendait pas à y trouver une preuve qui appuierait sa prétention. L’appelante ne s’est pas déchargée du fardeau de la preuve, et je ne peux pas conclure que le membre de la division générale s’est conduit d’une façon qui donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. 

Accès à une décision de 2006

[19] Le représentant de l’appelante a également soutenu que le membre de la division générale avait perdu toute objectivité du fait qu’il avait eu accès à une décision rendue en 2006 par le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR) relativement à une ancienne demande de pension d’invalidité, et que cela avait porté préjudice à l’appelante. Selon lui, [traduction] « rien ne justifiait que le membre ait été informé de l’issue d’une instance antérieure. »

[20] La décision du BCTR avait force de chose jugée, et ne fait plus l’objet d’un appel. L’issue de l’instance devant le BCTR était pertinente dans le cadre de l’appel dont la division générale était saisie, particulièrement pour définir la question sur laquelle elle devait statuer. Comme l’a souligné la division générale dans sa décision, la décision rendue par le BCTR en 2006 rejetait l’appel formé par l’appelante contre le refus d’une pension d’invalidité à cette époque, ce qui permettait encore de statuer sur la période allant du 27 octobre 2006 au 31 décembre 2008. La permission d’en appeler a été refusée quant à la prétention de l’appelante voulant que la division générale ait commis une erreur de droit en limitant les dates de la demande, mais la division générale devait de toute façon avoir accès à la décision du BCTR pour établir, d’une manière ou d’une autre, la période sur laquelle statuer.

[21] Selon moi, une personne informée, qui aurait pris connaissance de l’affaire de manière réaliste et pratique, ne conclurait pas qu’il est probable que le membre de la division générale n’ait pas tranché l’appel de façon équitable, simplement parce qu’il avait accès à une décision défavorable rendue dans le passé, et portant sur une période qui ne fait plus l’objet d’un appel. 

Conclusion

[22] Je juge que la conduite du membre de la division générale ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité; je ne peux donc pas conclure que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle à cet égard. Comme la permission d’en appeler avait été accordée strictement pour ce motif d’appel, l’appel est rejeté.

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